Enquêtes sur les marchés publics

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Dossier PR-2020-023

Marine International Dragage (M.I.D.) Inc.

c.

Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux

Ordonnance et motifs rendus
le lundi 24 janvier 2022

 



EU ÉGARD À une plainte déposée par Marine International Dragage (M.I.D.) Inc. aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur;

ET À LA SUITE DE la détermination provisoire du Tribunal canadien du commerce extérieur concernant le degré de complexité de la plainte et le montant de l’indemnité pour frais et de sa recommandation, aux termes des paragraphes 30.15(2) et (3) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, que Marine International Dragage soit indemnisée pour perte de profits.

ENTRE

MARINE INTERNATIONAL DRAGAGE (M.I.D.) INC.

Partie plaignante

ET

LE MINISTÈRE DES TRAVAUX PUBLICS ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX

Institution fédérale

ORDONNANCE

Dans sa décision du 23 décembre 2020, le Tribunal canadien du commerce extérieur, aux termes de l’article 30.16 de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, a accordé à Marine International Dragage (M.I.D.) Inc. (ci-après M.I.D.) une indemnité raisonnable pour les frais qu’elle avait engagés dans la préparation et le dépôt de sa plainte. Le Tribunal a déterminé provisoirement que le niveau de complexité de la plainte correspondait au degré 1 et que le montant de l’indemnité se chiffrait à 1 150 $. Le Tribunal confirme sa détermination provisoire et accorde à M.I.D. une indemnité de 1 150 $ pour les frais qu’elle a engagés dans la préparation et le dépôt de sa plainte et ordonne au ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (TPSGC) de prendre les dispositions nécessaires pour que le paiement soit effectué rapidement.

De plus, le Tribunal recommande que TPSGC verse une indemnité de 37 000 $ à M.I.D. pour perte de profits.

Georges Bujold

Georges Bujold
Membre présidant


EXPOSÉ DES MOTIFS

INTRODUCTION

[1] Dans une décision rendue le 23 décembre 2020 [1] , le Tribunal canadien du commerce extérieur a déterminé, aux termes du paragraphe 30.14(2) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur [2] , que la plainte déposée par Marine International Dragage (M.I.D.) Inc. (ci-après M.I.D.) le 8 août 2020, et complétée le 10 août 2020, était fondée. Cette plainte concernait un appel d’offres (AO) (appel d’offres EE517-210222/A) lancé par le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (TPSGC) pour l’enlèvement de structures (principalement des blocs) de béton se trouvant au fond de la rivière Richelieu à Lacolle (Québec).

[2] Dans sa décision, le Tribunal a conclu que divers aspects du processus d’adjudication du marché public avaient fait en sorte de conférer au soumissionnaire retenu, MVC Océan Inc. (ci-après MVC), un avantage concurrentiel indu, et de lui donner accès à des renseignements auxquels les autres fournisseurs n’avaient pas accès. Sur cette base, le Tribunal a conclu que le processus d’adjudication du marché public n’avait pas été conforme aux dispositions de l’Accord de libre-échange canadien (ALEC). Spécifiquement, le Tribunal a conclu que TPSGC avait passé un marché public d’une manière ayant eu pour effet de discriminer entre les fournisseurs potentiels, contrairement à l’article 502.1 de l’ALEC.

[3] De plus, le Tribunal a conclu que les faits s’apparentaient à une situation dans laquelle TPSGC aurait fourni des renseignements à un fournisseur potentiel de façon à lui donner un avantage sur d’autres fournisseurs, en violation de l’article 503.5g) de l’ALEC. Par ailleurs, le Tribunal a conclu que le fait que TPSGC ait permis au soumissionnaire retenu de déposer une soumission alors que ce soumissionnaire avait accès à des renseignements relatifs à la demande de soumissions qui n’étaient pas à la disposition des autres fournisseurs constituait une dérogation au paragraphe 1b) de la clause IG17 de l’AO, et par conséquent une dérogation aux termes de l’AO, et ce faisant, une violation de l’article 515(5) de l’ALEC.

[4] En ce qui concerne la mesure corrective, le Tribunal a recommandé, aux termes des paragraphes 30.15(2) et 30.15(3) de la Loi sur le TCCE, que M.I.D. soit indemnisée par TPSGC en reconnaissance des profits qu’elle aurait pu tirer du contrat si ce dernier lui avait été adjugé. Le Tribunal a précisé que le calcul du montant des profits serait fondé sur le prix indiqué dans la proposition de M.I.D. Le Tribunal a ajouté que si les parties ne pouvaient s’entendre sur le montant de l’indemnité liée à la perte de profits, elles devaient déposer des observations auprès du Tribunal sur cette question.

[5] De plus, aux termes de l’article 30.16 de la Loi sur le TCCE, le Tribunal a accordé à M.I.D. une indemnité raisonnable pour les frais engagés dans la préparation et le dépôt de sa plainte. Conformément à la Ligne directrice sur la fixation des frais dans une procédure de plainte portant sur un marché public [3] , le Tribunal a déterminé provisoirement que le niveau de complexité de la plainte correspondait au degré 1 et que le montant de l’indemnité était de 1 150 $. Le Tribunal a de plus indiqué que si l’une ou l’autre des parties n’était pas d’accord en ce qui a trait à la détermination provisoire du degré de complexité ou du montant de l’indemnité, elle pouvait déposer des observations auprès du Tribunal, en conformité avec l’article 4.2 de la Ligne directrice précitée.

[6] Quant à l’indemnité pour perte de profits, le 3 février 2021, M.I.D. a informé le Tribunal que les parties ne s’étaient pas entendues sur le montant de l’indemnité. Le 4 février 2021, M.I.D. a transmis au Tribunal certains documents échangés entre les parties dans le contexte de leurs négociations quant au montant de l’indemnité, indiquant le faire afin que le Tribunal puisse se prononcer sur le montant de l’indemnité. La même journée, TPSGC a fait valoir au Tribunal que plusieurs des documents soumis par M.I.D. étaient protégés par le privilège relatif aux règlements, et a demandé au Tribunal de refuser leur dépôt par M.I.D. Plus tard la même journée, M.I.D. a répondu à l’opposition de TPSGC, et TPSGC a déposé des observations en réponse à M.I.D.

[7] En réponse, dans une lettre datée du 4 février 2021, le Tribunal a rappelé aux parties que sa décision du 23 décembre 2020 prévoyait que, si les parties ne pouvaient s’entendre sur le montant de l’indemnité liée à la perte de profits, elles devaient lui faire rapport du résultat des négociations dans les 45 jours suivant la date de la décision du Tribunal. Dans ce cas, M.I.D. devait déposer auprès du Tribunal, dans les 60 jours suivant la date de la décision du Tribunal, un exposé sur la question de l’indemnisation. En ce qui a trait à l’exposé qu’elle devrait lui soumettre, le Tribunal a invité la partie plaignante à consulter ses Lignes directrices sur les indemnités dans une procédure portant sur un marché public [4] (Lignes directrices) et, au besoin, à obtenir l’assistance d’un avocat ou conseiller. De plus, le Tribunal a accédé à la demande de TPSGC et a refusé le dépôt des documents relatifs à la tentative de règlement soumis par la partie plaignante, indiquant qu’ils ne seraient pas versés au dossier.

[8] Le 10 février 2021, M.I.D. a déposé auprès du Tribunal un exposé sur la question de l’indemnité pour pertes de profit avec documents à l’appui. Dans son exposé, M.I.D. soutenait que sa perte de profits s’élevait à 128 680 $.

[9] À la suite de l’octroi de deux prorogations de délai par le Tribunal, le 19 février 2021, TPSGC a déposé ses observations en réponse à l’exposé de M.I.D. sur la question du montant de l’indemnité pour perte de profits. Dans ses observations, TPSGC demandait, entre autres, la radiation de certains paragraphes de l’exposé de M.I.D. et de documents déposés par M.I.D. à l’appui de ses arguments, au motif qu’il s’agissait encore une fois de documents protégés par le privilège relatif aux règlements. M.I.D. a répliqué à TPSGC le 26 février 2021 [5] .

[10] Aucune des deux parties n’a présenté d’observations quant à la détermination provisoire du degré de complexité de la plainte ou du montant de l’indemnité pour les frais engagés dans la préparation et le dépôt de la plainte accordé à M.I.D.

DÉPÔT EN PREUVE PAR M.I.D. DE DOCUMENTS COUVERTS PAR LE PRIVILÈGE RELATIF AUX RÈGLEMENTS

[11] TPSGC s’oppose au dépôt par M.I.D., dans son exposé, de renseignements que TPSGC prétend être protégés par le privilège relatif aux règlements, incluant certaines correspondances dont le Tribunal avait déjà refusé le dépôt le 4 février 2021.

[12] Comme le note TPSGC, le 5 février 2021, le Tribunal a effectivement accédé à la demande de TPSGC de refuser le dépôt d’une série de documents transmis au Tribunal par M.I.D. le 4 février 2021. À première vue, les documents transmis par M.I.D. contenaient des échanges entre les parties étant couverts par le privilège relatif aux règlements. Plus fondamentalement, comme l’a alors rappelé le Tribunal, M.I.D. devait transmettre au Tribunal un exposé détaillant le montant de l’indemnité qui, selon M.I.D., lui était due, et non lui faire parvenir copie des échanges entre les parties quant au montant de l’indemnité pour perte de profits [6] .

[13] Dans son exposé sur le montant de l’indemnité pour perte de profits, TPSGC demande au Tribunal de radier une série de paragraphes de l’exposé de M.I.D. ainsi qu’une lettre de M.I.D. adressée à la procureure de TPSGC, qui était jointe à l’exposé de M.I.D.

[14] M.I.D. s’oppose à cette demande de TPSGC. M.I.D. soutient qu’elle n’a pas déposé, dans son exposé sur le montant de l’indemnité, l’offre de règlement faite par TPSGC ou les échanges de courriels entre les parties mais a plutôt déposé ses propres documents qui permettent de supporter sa demande et ses commentaires pour remplir son propre fardeau de preuve. M.I.D. note de plus que TPSGC réfère elle-même à l’argumentaire et aux documents présentés par M.I.D. durant les négociations, renonçant ainsi au privilège.

[15] Le privilège relatif aux règlements constitue une règle de preuve qui rend inadmissibles en preuve certaines communications échangées entre les parties [7] . La Cour suprême a expliqué en ces termes en quoi consiste ce privilège :

En common law, le privilège relatif aux règlements est une règle de preuve qui protège les communications échangées entre des parties qui tentent de régler un différend. Parfois appelé la règle des communications faites « sous toutes réserves », le privilège permet aux parties de prendre part à des négociations en vue d’un règlement sans crainte que les renseignements qu’elles divulguent soient utilisés à leur détriment dans un litige ultérieur. On favorise ainsi les discussions franches et ouvertes entre les parties, ce qui facilite le règlement du différend [...] [8]

[16] Ce privilège comporte des exceptions, par exemple lorsque les négociations ont débouché sur une entente entre les parties et que l’une d’elles tente d’établir l’existence ou les modalités de cette entente [9] .

[17] M.I.D. soutient que le privilège ne s’applique pas en l’espèce puisque les discussions entre les parties ne visaient pas à régler un litige mais visaient plutôt à déterminer le montant de l’indemnité liée à la perte de profits.

[18] Le Tribunal ne partage pas l’avis de M.I.D. Il est évident que les discussions dont il est question dans les documents déposés par M.I.D. visaient bel et bien à régler un litige, celui-ci portant sur le montant de l’indemnité. En principe, le privilège s’applique au litige entre les parties et il serait donc inapproprié de permettre à M.I.D. d’utiliser, devant le Tribunal, les renseignements divulgués par TPSGC au cours des négociations préalables.

[19] La façon dont M.I.D. a procédé pour soumettre son exposé quant à l’indemnité pour pertes de profits est loin d’être idéale. Dans son exposé, M.I.D. fait l’historique de ce qu’elle a remis à TPSGC dans le contexte des négociations entre les parties, et reprend les arguments qu’elle a présentés à TPSGC au soutien de sa demande d’indemnisation, ainsi que sa réponse à certains arguments soulevés par TPSGC. Elle le fait en citant ou incorporant les arguments et documents qu’elle a fait valoir dans le cours des échanges entre les parties. Au lieu de procéder ainsi, M.I.D. aurait dû soumettre au Tribunal son argumentaire et les preuves pertinentes à l’appui du montant qu’elle considère être approprié sans référer aux échanges entre les parties dans le contexte de leurs discussions.

[20] Le Tribunal prend néanmoins en considération le fait que M.I.D. n’est pas représenté par un conseiller juridique. En outre, en s’assurant de respecter les principes de l’équité procédurale, il est loisible au Tribunal de faire preuve d’une certaine souplesse dans l’application des règles sur l’admissibilité d’éléments de preuve dans le cadre de ses procédures. Par conséquent, tout au plus, le Tribunal accepte que demeurent au dossier les documents (ou parties de documents) que M.I.D. a fait valoir dans le cours de ses discussions avec TPSGC. Les communications (ou parties de communications) qui divulguent la teneur des échanges émanant de TPSGC dans le cours de ces discussions sont radiées du dossier car elles sont protégées par le privilège relatif aux règlements.

[21] Par conséquent, le Tribunal radie les paragraphes suivants de l’exposé de M.I.D. sur le montant de l’indemnité, et mènera son analyse sans égard à ces paragraphes : les paragraphes 2 à 5 et 8 puisqu’ils détaillent le déroulement des négociations entre les parties; les portions des paragraphes 6, 9 et 11 à 14 de l’exposé de M.I.D. et les portions de la lettre de M.I.D. à la procureure de TPSGC du 1er février 2021 qui traitent essentiellement de la position de TPSGC lors des négociations ou traitent du déroulement des négociations. À l’inverse, dans la mesure où dans ces paragraphes, M.I.D. rappelle sa propre position, le Tribunal admet ces paragraphes en preuve.

INDEMNITÉ POUR PERTE DE PROFITS

Principes applicables au calcul de l’indemnité

[22] Le paragraphe 30.15(2) de la Loi sur le TCCE prévoit que le Tribunal peut, lorsqu’il donne gain de cause à la partie plaignante, recommander que soient prises des mesures correctives, notamment le versement d’une indemnité à la partie plaignante. La Loi sur le TCCE et le Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics [10] ne précisent pas la manière de quantifier la perte de profits ou les questions d’indemnisation en général. Les Lignes directrices établissent toutefois un certain nombre de principes qui guident le Tribunal en la matière [11] .

[23] Relativement à la question de l’indemnité pour perte de profits, les Lignes directrices prévoient ce qui suit :

3.1.2 Pour déterminer le montant de l’indemnité à recommander, le Tribunal tentera, dans la mesure qu’il estime indiquée dans les circonstances et compte tenu de toute autre mesure corrective qu’il a recommandée, de placer la partie plaignante dans la position où cette dernière se serait trouvée, n’eût été l’infraction du gouvernement. À cette fin, le Tribunal peut recommander que des intérêts avant jugement soient inclus dans le montant de l’indemnité.

3.1.3 Les profits perdus s’entendent des profits que la partie plaignante aurait tirés du contrat spécifique si ce dernier lui avait été adjugé. Le Tribunal peut recommander une indemnité en reconnaissance des profits perdus lorsqu’il est clair que, n’eût été l’infraction du gouvernement, le marché aurait été adjugé à la partie plaignante.

[24] Les Lignes directrices prévoient également que les indemnités accordées ne seront pas fondées sur des hypothèses ou des conjectures, que les demandes d’indemnisation doivent être accompagnées de données économiques, financières ou autres éléments probants fiables, et que le fardeau de la preuve d’une demande d’indemnisation incombe à la partie plaignante [12] .

[25] De plus, le Tribunal a précisé à plusieurs reprises que ses recommandations en matière d’indemnité ne doivent pas représenter une aubaine pour la partie plaignante, mais doivent plutôt refléter les pertes réelles subies en raison de l’infraction du gouvernement [13] .

Calcul de la perte de profits

Arguments des parties

[26] Afin de calculer sa perte de profits, M.I.D. prend les revenus qu’elle aurait tirés de la réalisation du contrat (c’est-à-dire le montant de sa soumission), duquel elle déduit divers coûts qu’elle aurait, selon elle, dû supporter pour réaliser ce même contrat.

[27] M.I.D. réfère également à des données du ministère de l’Industrie sur les revenus et marges bénéficiaires d’entreprises œuvrant, selon M.I.D., dans le même secteur d’activité qu’elle, soit la catégorie 2379 du ministère de l’Industrie, « Autres travaux de génie civil ».

[28] Les données du ministère de l’Industrie sur lesquelles s’appuie M.I.D. concernent l’année 2019 [14] . M.I.D. y réfère au soutien de la marge bénéficiaire qu’elle obtient, selon ses prétentions, par l’application de la méthode des revenus moins les dépenses, soutenant que les données du ministère de l’Industrie corroborent la marge bénéficiaire calculée par M.I.D. selon cette méthode. M.I.D. s’appuie à cet égard sur l’ordonnance du Tribunal dans V Zero Corporation c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux [15] . Selon M.I.D., dans V Zero, la partie plaignante a présenté des éléments de preuve lui permettant de justifier une marge bénéficiaire plus élevée selon le secteur d’activités ainsi que le type d’entreprise. M.I.D. est d’avis que sa situation est similaire à celle de la partie plaignante dans V Zero, en ce sens qu’elle est une petite entreprise privée, spécialisée dans le domaine maritime et classée sous la catégorie « Autres travaux de génie civil » selon le ministère de l’Industrie.

[29] TPSGC soutient que M.I.D. n’a déposé aucun élément de preuve probant et fiable afin d’étayer les chiffres qu’elle avance au titre de sa perte de profits, si ce n’est d’une proposition d’équipage concernant le salaire d’un capitaine. TPSGC considère que M.I.D. n’a pas satisfait son fardeau de preuve et demande au Tribunal de ne pas lui octroyer un pourcentage de profit grossièrement exagéré prenant appui sur des hypothèses et conjectures.

[30] TPSGC soutient qu’afin de déterminer le montant de l’indemnité approprié en l’espèce, le Tribunal doit concilier divers impératifs concurrents afin d’atteindre les objectifs en cause, soit d’une part décourager la violation des accords commerciaux, encourager le recours aux procédures de résolution des plaintes et indemniser les soumissionnaires lésés et, d’autre part, le Tribunal doit considérer l’intérêt du public à ne pas payer un service en double et éviter qu’une partie plaignante ne bénéficie d’une aubaine en réalisant un gain excessif sans effort [16] . Les principes qui gouvernent l’octroi de dommages dans le cadre d’une action en responsabilité contractuelle (ou pour rupture de contrat selon la common law) sont également des considérations que peut soupeser le Tribunal, comme éléments parmi d’autres.

[31] TPSGC soutient que M.I.D. ne décrit pas en détail les motifs qui justifient le montant de l’indemnité qu’elle demande; selon lui, M.I.D. n’a pas étayé ses affirmations par des éléments de preuve convaincants. De plus, TPSGC soutient que M.I.D. omet de prendre en compte dans ses calculs plusieurs facteurs et postes de dépenses qui sont pertinents selon les Lignes Directrices et la jurisprudence du Tribunal et omet d’effectuer plusieurs déductions ou d’expliquer celles qu’elle a faites au titre des « imprévus ». M.I.D. ne fournit aucun détail qui montrerait qu’elle a tenté de réduire ou minimiser ses pertes, et réclame plutôt l’ensemble des profits qu’elle aurait espéré réaliser au terme d’un scénario hautement optimiste. M.I.D. omet également de tenir compte de l’indication du Tribunal dans sa décision que sa soumission aurait pu être moins-disante si elle avait eu accès à l’évaluation des coûts inclus dans le rapport d’évaluation technique de MVC.

[32] TPSGC invite le Tribunal à utiliser un pourcentage d’indemnité général tel que le Tribunal a déjà utilisé à l’occasion [17] . TPSGC prétend qu’un tel pourcentage (de 10 p. 100 plus ou moins 5 p. 100) est en général adéquat pour atteindre les différents objectifs liés à l’octroi d’une compensation financière dans un dossier de marché public. TPSGC soutient que la présente affaire ne se prête pas à une application de l’approche utilisée par le Tribunal dans l’affaire V Zero, dans laquelle le Tribunal avait utilisé une marge bénéficiaire plus élevée, et que les circonstances des deux affaires sont différentes.

[33] TPGSC soutient que les données du ministère de l’Industrie ne peuvent être utilisées en l’espèce. TPGSC soutient que ces données ne peuvent servir à vérifier une marge bénéficiaire basée sur une perte de profits non supportée par des éléments de preuve probants et fiables, qu’elles ne sont pas suffisamment spécifiques au service visé par l’appel d’offres et que M.I.D. a fourni trop peu d’information afin de permettre une utilisation appropriée de ces données. Par ailleurs, de meilleurs éléments de preuve sont disponibles, soit les documents justificatifs prévus aux Lignes directrices, et M.I.D. a choisi de ne pas dévoiler ces informations. Advenant que le Tribunal choisisse de se référer aux données du ministère de l’Industrie, TPSGC soutient que le pourcentage de marge bénéficiaire nette pertinente dans les circonstances serait celui applicable à l’ensemble du secteur, soit 8,6 p. 100.

[34] M.I.D. répond qu’une marge dans la fourchette suggérée par TPSGC est insuffisante, que TPSGC omet de tenir compte du fait que M.I.D. est une entreprise saisonnière et qu’elle est une entreprise de services spécialisés plutôt qu’une entreprise qui fournit des biens. M.I.D. note que l’ordonnance du Tribunal dans V Zero indique que ces considérations sont pertinentes à la détermination de la marge bénéficiaire.

[35] Quant à l’argument de TPSGC que M.I.D. fournit trop peu d’informations fiables, M.I.D. relève que dans leur soumission, les soumissionnaires n’avaient qu’à présenter trois prix non ventilés : un prix pour la mobilisation, un prix pour l’organisation de chantier et un prix pour l’enlèvement et la disposition des structures de béton. Ces trois prix étaient trois prix globaux, sans qu’il y ait eu à fournir de détails supplémentaires.

[36] M.I.D. répond également aux arguments de TPSGC voulant qu’elle a omis de tenir compte des frais fixes, notant que le Tribunal a indiqué par le passé qu’il ne déduit pas les frais fixes qu’une partie plaignante aurait engagés de toute façon, peu importe que le contrat lui ait été adjugé ou non. Elle affirme également qu’elle ne pouvait décrire le montant provisionnel pour les imprévus indiqué dans son exposé plus en détail, n’ayant pas exécuté le contrat. Par ailleurs M.I.D. ne pouvait rien faire de plus pour minimiser ses pertes étant donné le fonctionnement du secteur d’activité, lequel comporte un calendrier de travail précis établi en fonction de différents certificats environnementaux limitant les zones d’intervention. M.I.D. se réfère également à l’ordonnance rendue par le Tribunal le 24 juin 2014 dans Knowledge Circle Learning Services c. Ministère de la Santé indiquant qu’« une partie plaignante n’est pas tenue d’avoir soumissionné d’autres appels d’offres, en autant qu’elle a agi de façon raisonnable [18] ».

Analyse

[37] Conformément aux principes énoncés dans les Lignes directrices, mentionnés ci-dessus, le Tribunal doit tenter de mettre M.I.D. dans la position où elle se serait trouvée si le contrat lui avait été octroyé au terme de l’AO, plutôt qu’à MVC. Le Tribunal doit donc établir le montant des profits que M.I.D. aurait réalisés (ou le montant des profits que l’entreprise a perdu) si elle n’avait pas été incorrectement privée du contrat.

[38] Le montant de cette perte de profits correspond au montant de la soumission de la partie plaignante (en d’autres termes, le montant que TPSGC lui aurait versé si elle s’était vu octroyer le contrat) moins les frais qu’elle aurait engagés pour réaliser ce même contrat. La perte de profits de M.I.D. peut donc être calculée en soustrayant des revenus qu’elle aurait obtenus de ce contrat (ses revenus différentiels) les dépenses qu’elle aurait engagées pour réaliser ce même contrat (ses dépenses différentielles) [19] . Cette méthode de calcul est communément appelée la méthode fondée sur les revenus moins les coûts ou la méthode fondée sur les revenus moins les dépenses. C’est cette méthode que préconise M.I.D. dans son exposé sur l’indemnisation. Comme il sera examiné plus bas, le Tribunal a tenté de l’appliquer en l’espèce, mais les renseignements fournis par M.I.D. se sont avérés insuffisants et, surtout, inadéquatement soutenus par des éléments probants et fiables pour procéder ainsi.

[39] Par ailleurs, dans sa décision, le Tribunal indiquait que le calcul du montant de l’indemnité pour perte de profits devait être calculé sur la base du montant de la soumission que M.I.D. avait déposé. À cet égard, TPSGC souligne que le Tribunal a également indiqué, dans les motifs de sa décision, que la soumission de M.I.D. aurait peut-être été moins-disante si TPSGC n’avait pas omis de partager toute l’information pertinente avec tous les fournisseurs potentiels. Cela dit, le Tribunal considère qu’il ne serait pas approprié de spéculer sur ce qu’aurait pu être le montant de la soumission de M.I.D. n’eût été les manquements de TPSGC à ses obligations en vertu de l’ALEC. Comme le Tribunal l’indiquait dans sa décision, il convient plutôt de déterminer la perte de profits éprouvée par M.I.D. sur la base du montant de sa soumission.

[40] Comme il est stipulé dans les Lignes directrices, il incombait à M.I.D. de prouver le bien-fondé de sa demande en se basant sur des éléments de preuve fiables. À cet égard, l’article 4.1.1 des Lignes directrices prévoit que l’exposé quant au montant de l’indemnité que doit déposer une partie plaignante doit décrire « en détail les motifs qui justifient le montant de l’indemnité demandé par la partie plaignante » [nos italiques]et inclure certains éléments, notamment « les états financiers, les rapports, les dossiers, les prévisions et les autres renseignements ou données économiques nécessaires pour justifier le montant de l’indemnité demandé par la partie plaignante » [nos italiques]. De plus, l’article 4.1.2 prévoit que :

Lorsque la partie plaignante s’appuie sur un calcul des profits pour établir le montant de l’indemnité demandée, elle peut présenter, notamment, ses états financiers ou ses contrats de taille analogue à celle du contrat en cause. Le dépôt d’un affidavit d’un tiers (tel qu’un comptable externe) peut aussi s’avérer utile.

[41] De l’avis du Tribunal, M.I.D. n’a que sommairement décrit les dépenses qu’elle aurait dû engager pour exécuter le contrat. Le Tribunal conclut qu’elle n’a pas satisfait au fardeau de preuve qui lui incombait. Très concrètement : elle n’a pas aidé sa cause. La présentation des dépenses alléguées par M.I.D. est incomplète et les éléments de preuve déposés par M.I.D. au soutien de son argumentaire quant aux dépenses qu’elle aurait engagées sont insuffisants.

[42] En effet, contrairement aux exigences des Lignes directrices, l’exposé de M.I.D. n’est pas accompagné de données économiques, financières ou autres éléments probants et fiables. À une exception près, M.I.D. n’a pas déposé de preuve à l’appui des montants qu’elle inclut dans son estimation des dépenses. Par exemple, M.I.D. indique un montant pour l’essence mais ne fournit aucune preuve à l’appui du prix de l’essence indiqué.

[43] À l’appui de ses estimations, M.I.D. aurait pu, par exemple, soumettre au Tribunal des pièces justificatives comme des factures pour du carburant aux dates pertinentes à l’exécution du contrat, des devis ou bons de commande pour matériaux, par exemple relativement aux dépenses engagées pour réaliser des projets de nature et taille similaires dans le passé récent. À tout le moins, M.I.D. aurait pu soutenir ses estimations par une ou des déclarations assermentées. Or, le seul élément de preuve déposé par M.I.D. au soutien de son estimation de dépenses est une offre de fourniture de services de capitaines relativement à un autre projet.

[44] De plus, bien que M.I.D. ventile certaines des dépenses qu’elle aurait engagées pour réaliser le contrat, les postes de dépenses présentés par M.I.D. sont pour la plupart très génériques, et ils ne sont pas exhaustifs, ce qui est pour le moins problématique [20] . M.I.D. soutient qu’elle n’aurait engagé aucuns frais fixes ou frais généraux supplémentaires du fait du contrat en cause. Cependant, l’AO impose nombre d’obligations au soumissionnaire retenu. Ces obligations auraient vraisemblablement amené M.I.D. à engager certaines activités et subir certains frais qu’elle n’aurait autrement pas engagés. L’estimation des dépenses fournie par M.I.D. omet donc d’inclure plusieurs chefs de dépenses.

[45] Parmi les éléments que M.I.D. n’aborde pas dans son exposé, le Tribunal note que le devis technique des travaux, qui faisait partie de l’AO, prévoyait la disposition des structures (blocs et autres) de béton, une fois qu’elles auraient été retirées du fond du Richelieu, dans « un site autorisé [21] », « de façon sécuritaire et en respectant les normes environnementales en vigueur [22] ». M.I.D. omet d’inclure quelque dépense que ce soit relativement à la disposition des blocs de béton, soutenant qu’elle n’aurait fait aucune disposition des blocs retirés, et que ceux-ci auraient plutôt été entièrement récupérés et ramenés à ses installations. La prétention de M.I.D. à cet effet n’est pas convaincante car il s’agit d’une simple affirmation.

[46] Il est logique de considérer que M.I.D. aurait, si elle avait obtenu le contrat, éventuellement dû disposer des structures de béton et que leur entreposage aurait représenté un coût pour l’entreprise. À moins d’une explication à l’effet contraire – démontrant par exemple que les installations de M.I.D. détiennent les autorisations nécessaires et que les blocs avaient une valeur pour cette dernière – le Tribunal considère donc qu’il conviendrait d’attribuer un certain coût relativement à la disposition des 80 blocs et structures de béton qui devaient être retirés du Richelieu.

[47] Le devis technique annexé à l’AO prévoyait également que l’entrepreneur :

a) était responsable de la gestion des polluants mineurs issus de l’enlèvement des structures et qu’il devait obtenir les autorisations nécessaires auprès des autorités environnementales compétentes, au besoin [23] .

b) devait obtenir les autorisations nécessaires en vertu de la Loi sur les eaux navigables canadiennes, notamment concernant le rideau de turbidité [24] .

c) devait soumettre à l’approbation du Représentant du Ministère un calendrier relatif aux travaux de retrait des structures et à la disposition de celles-ci [25] .

d) devait assurer l’accès et fournir le transport au chantier aux organismes d’essai et d’inspection, aux autorités compétentes, au surveillant des travaux et au Représentant du Ministère et était responsable pour l’obtention des autorisations d’accès nécessaires auprès des propriétaires riverains, le cas échéant [26] .

e) devait, une fois les travaux achevés, remettre l’environnement existant dans un état équivalent ou supérieur à l’état qu’il présentait avant le début des travaux [27] .

f) devait, au besoin, trouver les zones de travail ou d’entreposage supplémentaires nécessaires à l’exécution des travaux et en payer le coût [28] .

g) devait transmettre, pour approbation, au représentant du ministère et à la CNESST un programme de prévention spécifique au chantier au moins 10 jours avant le début des travaux, et devait mettre à jour ce programme de prévention au besoin et devait soumettre périodiquement au ministère les rapports des inspections de santé et sécurité effectués sur le chantier [29] .

h) devait transmettre au représentant de TPSGC un plan d’intervention en cas d’urgence [30] , et pour chaque plongée, un plan de plongée [31] .

i) devait, quinze jours avant le début des activités de travaux de construction, remettre un plan de protection de l’environnement [32] .

[48] Ce sont là des éléments indiqués au devis qui tombaient sous la responsabilité de l’entrepreneur retenu. Possiblement tous, ou du moins certains de ces postes étaient de nature à augmenter les frais engagés par M.I.D. par rapport aux frais fixes qu’elle aurait de toute façon engagés dans le cadre de ses opérations [33] . L’absence de toute référence à ces obligations et l’absence d’explication détaillée à leur égard posent un sérieux problème quant à l’évaluation des dépenses qu’aurait réellement engagées M.I.D. pour réaliser le contrat.

[49] Au final, M.I.D. n’a pas fait une démonstration convaincante des dépenses qu’elle aurait engagées et les éléments au dossier suggèrent qu’elle a sous-estimé ces dépenses de façon importante. En l’absence de preuve fiable et tangible pour les étayer, le Tribunal ne peut donc accepter les prétentions de M.I.D. quant à la marge bénéficiaire élevée qu’elle soumet [34] . Par conséquent, le Tribunal ne considère pas qu’il lui soit possible d’appliquer la méthode fondée sur les revenus moins les dépenses comme proposé par M.I.D. en l’espèce. Pour appliquer cette méthode, le Tribunal devrait accepter les montants proposés par M.I.D. sans preuve suffisante à l’appui et devrait de plus apporter des déductions supplémentaires pour les chefs de dépenses omis par M.I.D. mentionnés ci-dessus. Le Tribunal devrait, pour ce faire, se fonder sur des suppositions ou déterminer des montants de façon arbitraire, ce qui serait inapproprié [35] . Le Tribunal note en outre que la soumission déposée par M.I.D. auprès de TPSGC ainsi que son exposé et sa réplique sur le montant de l’indemnité ne contiennent pas d’éléments additionnels qui permettraient au Tribunal de combler les lacunes dans l’exposé de M.I.D. quant à sa perte de profits alléguée.

[50] Pour ces raisons, le Tribunal est d’avis que la preuve au dossier ne lui permet pas d’appliquer la méthode des revenus moins les dépenses.

Méthode fondée sur les marges bénéficiaires à l’échelle du secteur d’activité

[51] Le calcul de la perte de profits peut aussi être fondé sur les marges bénéficiaires à l’échelle d’un secteur d’activité ou d’une entreprise, en utilisant des données historiques ou qualitatives sur les taux de marge bénéficiaire observés dans l’entreprise et dans le secteur d’activité pour des biens ou services similaires, ou encore une marge bénéficiaire raisonnable [36] .

[52] Idéalement, le Tribunal aurait fondé son analyse de la marge bénéficiaire sur des chiffres fournis par M.I.D. relativement à sa marge de profit annuelle ou à la marge de profit qu’elle a réalisé sur des projets semblables à celui visé par l’AO. Encore une fois, M.I.D. n’a soumis aucun élément de preuve documentaire qui puisse assister le Tribunal à cet égard. M.I.D. a expliqué qu’elle n’a pas déposé de bilan financier en preuve car ses bilans financiers couvrent ses revenus globaux sur l’année; ils n’auraient donc pas permis de déterminer le pourcentage de profit se rapportant à chaque contrat et ainsi les pertes de profits pour le contrat visé par la décision du Tribunal. En d’autres mots, M.I.D. considère que sa marge de profit générale n’est pas pertinente pour l’analyse du montant de la perte de profits pour le contrat en cause.

[53] Le Tribunal est toutefois d’avis que des éléments de preuve à cet égard auraient été non seulement utiles, mais étaient requis compte tenu des Lignes directrices qui citent expressément les états financiers, les rapports, les prévisions et les autres renseignements ou données économiques d’une entreprise à titre d’exemples de documents nécessaires pour justifier le montant de l’indemnité demandée. Par exemple, selon le Tribunal, il ne fait aucun doute que des renseignements sur la marge de profit réalisée par M.I.D. pour l’exécution de travaux similaires ou de même envergure avec l’équipement requis en l’espèce constituaient des données économiques pertinentes et nécessaires pour justifier le montant de l’indemnité demandé par M.I.D. De tels renseignements auraient pu corroborer la réclamation de M.I.D. ou valider certaines de ses prétentions au sujet de ses dépenses différentielles pour exécuter ce type de contrat [37] . Quoi qu’il en soit, le choix de M.I.D. de ne pas déposer ce type de renseignements est un autre élément qui fait en sorte que le Tribunal ne peut fonder le calcul de la perte de profits en l’espèce sur des données précises portant sur les activités et les profits habituels de M.I.D.

[54] En l’absence de données historiques ou qualitatives sur les marges de profits pour l’entreprise en tant que telle ou de chiffres sur ses profits réalisés pour l’exécution de contrats de même nature, et bien qu’elles soient imparfaites parce que recoupant un éventail d’activités plus grand que celui couvert par le contrat en cause, le Tribunal estime que les statistiques du ministère de l’Industrie déposées en preuve par M.I.D. constituent, par défaut, le seul élément de preuve au dossier permettant d’estimer, de façon raisonnable, la perte de profits subie par M.I.D. Les données du ministère de l’Industrie constituent des éléments de preuve fiables quant aux taux de profits réalisés par les entreprises œuvrant dans le même secteur que M.I.D., et elles permettent au Tribunal de déterminer le montant de la perte de profits subie par celle-ci sur la base d’une estimation du pourcentage de marge de profit raisonnable à appliquer au montant de la soumission de M.I.D.

[55] Les données compilées par le ministère de l’Industrie indiquent la marge bénéficiaire historique des petites et moyennes entreprises (PME) (définies comme des entreprises ayant des recettes annuelles entre 30 000 $ et 5 000 000 $) œuvrant dans le même secteur d’activité que M.I.D., soit les « autres travaux de génie civil ». En ce qui a trait à la définition de ce secteur d’activité, le ministère de l’Industrie indique que :

Ce groupe comprend les établissements qui ne sont rangés dans aucun autre groupe et dont l’activité principale consiste à réaliser des travaux de génie civil. Les travaux réalisés peuvent comprendre des ouvrages neufs, de la reconstruction, de la réfection et des réparations.

Les activités spécialisées associées à ces projets d’ouvrage de génie civil (p. ex., enfoncement de pieux pour ouvrages marins) sont incluses. Sont inclus aussi les projets de construction portant sur les ressources en eau (p. ex., dragage et drainage), l’aménagement des installations maritimes et les projets de construction récréatifs en plein air (p. ex., parcs et sentiers) [38] .

[56] Les données citées par M.I.D. se rapportent à l’année 2019. Le ministère de l’Industrie divise les PME de ce secteur d’activité en quatre quarts (ou quartiles) selon leurs revenus annuels totaux, ainsi que selon leurs bénéfices annuels nets.

[57] Les données du ministère de l’Industrie indiquent une marge bénéficiaire nette moyenne de 8,6 p. 100 pour l’ensemble des PME du secteur d’activité. Les données indiquent différentes marges bénéficiaires annuelles nettes moyennes par quartiles.

[58] M.I.D. n’a pas fourni de données au Tribunal lui permettant de connaître son chiffre d’affaires annuel, de telle sorte qu’il est impossible au Tribunal de savoir précisément son classement par quartile relatif au revenu annuel total. Cependant, à lui seul, le revenu qu’elle aurait tiré du contrat en cause l’aurait placée dans le deuxième quartile, soit celui des PME ayant des revenus annuels entre 100 000 et 233 000 $), et près du troisième quartile, celui des PME ayant des revenus annuels entre 233 000 et 809 000 $. Ceci exclut d’emblée que M.I.D. se soit trouvée parmi les entreprises du premier quartile (PME ayant des revenus annuels entre 30 000 $ et 100 000 $). Ce premier quartile est le seul dans lequel les entreprises répertoriées ont en moyenne subi des pertes (marge bénéficiaire nette moyenne négative). Pour cette raison, le Tribunal considère que la marge bénéficiaire moyenne pour toutes les PME du secteur, de 8,6 p. 100, soit la marge qui, selon TPSGC, devrait servir au calcul de la marge bénéficiaire de M.I.D. sur le contrat en cause, représente mal la situation de la partie plaignante.

[59] Cependant, sans plus d’information quant aux revenus annuels de M.I.D. [39] , le Tribunal ne peut postuler que le chiffre d’affaires annuel de M.I.D. l’aurait placée dans le deuxième quartile plutôt que dans les troisième ou quatrième quartiles, lesquelles avaient des marges bénéficiaires nettes moyennes moins élevées que les entreprises du deuxième quartile. Les marges bénéficiaires nettes moyennes des entreprises des deuxième, troisième et quatrième quartiles sont de 26,5 p. 100, de 6,5 p. 100 et de 10,2 p. 100 respectivement [40] . Ces trois données suggèrent que la marge bénéficiaire pertinente en l’espèce se situe au-delà de 10 p. 100.

[60] Par ailleurs, la marge bénéficiaire médiane des PME sondées dans les données du ministère de l’Industrie se situe à 13,9 p. 100 [41] .

[61] Le Tribunal rappelle que la marge bénéficiaire pertinente est celle du contrat visé par l’AO, autrement dit la marge bénéficiaire différentielle attribuable au contrat en question et non la marge bénéficiaire globale de l’entreprise. En définitive, même en admettant que le contrat en question aurait généré une augmentation des frais fixes de l’entreprise, la marge bénéficiaire différentielle que le Tribunal doit estimer devrait normalement être plus élevée que la marge bénéficiaire globale des entreprises du secteur d’activité rapportée par le ministère de l’Industrie [42] .

[62] De plus, en l’espèce, M.I.D. a expliqué que ses activités sont saisonnières, et que ses revenus de la saison pendant laquelle des travaux de dragage peuvent être effectués servent à couvrir ses frais fixes pour l’année complète [43] . Ceci implique une marge bénéficiaire différentielle relativement plus élevée. De plus, le Tribunal a par le passé reconnu qu’un contrat obtenu dans le contexte d’un marché public implique habituellement un plus faible risque et par conséquent un plus haut niveau de profit que d’autres contrats commerciaux [44] .

[63] Compte tenu de ces éléments, et notamment du fait que le Tribunal doit baser le calcul de la perte de profits non sur la marge bénéficiaire globale de l’entreprise mais bien sur le profit différentiel qu’aurait rapporté le contrat en cause, le Tribunal considère que les marges moyennes pour chaque quartile et la marge bénéficiaire moyenne globale de 8,6 p. 100 tirée des données du ministère de l’Industrie constituent des indications trop conservatrices du profit différentiel que le contrat en cause aurait rapporté à M.I.D. [45] La marge bénéficiaire médiane de 13,9 p. 100 est conservatrice également étant donné qu’elle prend en compte le quartile le moins profitable des PME du secteur d’activité; comme il est noté ci-dessus, la même remarque s’applique à la marge bénéficiaire moyenne de 8,6 p. 100. Le Tribunal considère donc approprié de majorer ces marges bénéficiaires rapportées par le ministère de l’Industrie au vu du type de contrat visé par l’AO (marché public impliquant habituellement un risque plus faible et un profit plus élevé) et la nature saisonnière des opérations de M.I.D. Pour ces raisons, au vu de la preuve au dossier, le Tribunal considère qu’une marge bénéficiaire de 20 p. 100 constitue une approximation raisonnable de la marge bénéficiaire qu’aurait tirée M.I.D. du contrat en question.

[64] Finalement, le Tribunal note que dans sa réplique, M.I.D. réfère à la marge bénéficiaire brute de 51,8 p. 100 pour l’ensemble des PME du secteur d’activité [46] . Cependant, le Tribunal ne considère pas que les données du ministère de l’Industrie quant aux marges bénéficiaires brutes fournissent une indication adéquate de la marge bénéficiaire différentielle que M.I.D. aurait tirée du contrat en question. De plus, ces marges bénéficiaires brutes ne semblent pas tenir compte de nombre de dépenses différentielles qui auraient affecté la marge bénéficiaire de M.I.D. pour le contrat en question, et qui sont abordées ci-dessus. Par conséquent, le Tribunal est d’avis qu’il ne serait pas raisonnable d’accepter les données sur la marge bénéficiaire brute pour l’ensemble des PME du secteur d’activité comme reflétant la marge bénéficiaire différentielle de M.I.D. qui aurait été attribuable au contrat en question.

[65] Le Tribunal ne peut donc pas accepter que la marge bénéficiaire brute pour l’ensemble des entreprises du secteur d’activité soit représentative de la marge bénéficiaire nette ou des profits perdus par M.I.D. en l’espèce. Tout au plus, ce chiffre de 51,8 p. 100 pourrait être utilisé en tant que point de départ de l’analyse. Il serait alors nécessaire de l’ajuster à la baisse. Tout bien considéré et compte tenu des éléments de preuve au dossier, y compris les données pertinentes sur la marge bénéficiaire brute du secteur d’activité fournies par le ministère de l’Industrie, le Tribunal demeure convaincu qu’une marge bénéficiaire de 20 p. 100 constitue une approximation raisonnable des profits que M.I.D. aurait pu tirer du contrat si ce dernier lui avait été adjugé.

[66] TPSGC fait valoir que le Tribunal a par le passé indiqué qu’une marge bénéficiaire raisonnable se situe autour de 10 p. 100, plus ou moins 5 p. 100. Cependant, le Tribunal a indiqué qu’une marge bénéficiaire nette inférieure à 5 p. 100 ou supérieure à 15 p. 100 pouvait être appropriée si les circonstances l’exigent et qu’au final, chaque affaire est tranchée sur le fond [47] . En l’espèce, une marge bénéficiaire de 20 p. 100 est donc justifiable à la lumière de la preuve et des précédents du Tribunal.

Conclusion quant au montant de l’indemnité pour perte de profits

[67] M.I.D. n’a présenté que très peu d’éléments de preuve de nature économique, financière et autre, qui permettent de justifier la marge bénéficiaire accordée par le Tribunal. La marge bénéficiaire élevée réclamée par M.I.D. ne se justifie pas au vu des éléments de preuve qu’elle a déposés.

[68] Bien qu’impossible à évaluer avec précision par le Tribunal, l’information dont dispose le Tribunal indique que ces dépenses auraient vraisemblablement été plus élevées que celles indiquées par M.I.D. dans son exposé. Le Tribunal ne peut donc baser sa décision sur la méthode des revenus moins les coûts.

[69] M.I.D. n’a pas non plus déposé d’éléments de preuve quant aux marges bénéficiaires qu’elle a réalisées par le passé sur des contrats d’envergure semblable.

[70] Au vu de ces lacunes, le Tribunal considère qu’il est approprié de fonder sa détermination des profits que M.I.D. aurait tirés du contrat en cause en l’estimant sur la foi des éléments de preuve déposés par M.I.D. quant aux marges habituelles des PME dans son secteur d’activité. Sur la base des données du ministère de l’Industrie au dossier, qu’il a interprétées et ajustées pour tenir compte des circonstances propres à l’espèce et des autres éléments de preuve pertinents, le Tribunal conclut qu’une marge de 20 p. 100 constitue une approximation raisonnable de la marge de profit qu’aurait réalisée M.I.D. Par conséquent, le Tribunal conclut qu’une indemnité de 37 000 $ constitue une indemnité pour perte de profits appropriée en l’espèce [48] .

FRAIS LIÉS À LA PLAINTE

[71] En ce qui concerne les frais relatifs au dépôt de la plainte, dans sa décision du 23 décembre 2020, le Tribunal a accordé à M.I.D. le remboursement des frais raisonnables qu’elle avait engagés pour la préparation et le dépôt de sa plainte. L’indication provisoire du degré de complexité de la présente plainte donnée par le Tribunal dans cette décision se situait au degré 1 et son indication provisoire du montant de l’indemnité se chiffrait à 1 150 $.

[72] Comme les parties n’ont pas déposé d’observations à l’encontre de ces indications provisoires, le Tribunal les réaffirme et accorde à M.I.D. une indemnité de 1 150 $ pour les frais qu’elle a engagés pour la préparation et le dépôt de sa plainte.

CONCLUSION

[73] Dans sa décision du 23 décembre 2020, le Tribunal, aux termes de l’article 30.16 de la Loi sur le TCCE, a accordé à M.I.D. une indemnité raisonnable pour les frais qu’elle avait engagés dans la préparation et le dépôt de sa plainte. Le Tribunal a déterminé provisoirement que le niveau de complexité de la plainte correspondait au degré 1 et que le montant de l’indemnité se chiffrait à 1 150 $. Le Tribunal confirme sa détermination provisoire et accorde à M.I.D. une indemnité de 1 150 $ pour les frais qu’elle a engagés dans la préparation et le dépôt de sa plainte et ordonne à TPSGC de prendre les dispositions nécessaires pour que le paiement soit effectué rapidement.

[74] De plus, le Tribunal recommande que TPSGC verse une indemnité de 37 000 $ à M.I.D. pour perte de profits.

Georges Bujold

Georges Bujold
Membre présidant

 



[1] Le Tribunal a communiqué sa décision à cette date. Les motifs ont été rendus le 7 janvier 2021.

[2] L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.) [Loi sur le TCCE].

[5] Le Tribunal a également écrit aux parties le 23 février 2021 pour leur demander de confirmer que leurs soumissions ne contenaient pas d’informations confidentielles. Les 23 et 26 février 2021, les parties confirmaient que leurs soumissions ne contenaient aucune information confidentielle.

[6] À cet égard, le Tribunal fait remarquer que le défaut de M.I.D. de présenter un exposé sur la question de l’indemnité pour perte de profits contenant suffisamment de documents à l’appui, comme exigé par les Lignes directrices, a considérablement compliqué son travail d’analyse et, en conséquence, rendu plus difficile la détermination du montant de l’indemnité en l’espèce. Les lacunes dans l’exposé de M.I.D. seront abordées en détail ci-dessous.

[7] Union Carbide Canada Inc. c. Bombardier inc., 2014 CSC 35 (CanLII), [2014] 1 SCR 800 [Union Carbide] au par. 37. Le Tribunal s’est penché sur ce privilège à quelques occasions; voir notamment La Société Canadian Tire Limitée c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (30 juin 2015), EA-2014-001(TCCE) aux par. 6-21; SoftSim Technologies Inc. c. Ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement (25 novembre 2020), PR-2020-031 (TCCE) aux par. 23-27.

[8] Union Carbide au par. 31.

[9] Union Carbide aux par. 34-35.

[10] DORS/93-602.

[11] L’article 1.1.4 des Lignes directrices précise que celles-ci « ne limitent ni ne diminuent en rien la discrétion laissée au Tribunal aux termes de la Loi. Dans la mesure où la méthode ou les principes fondamentaux énoncés [dans les Lignes Directrices] peuvent ne pas convenir ou ne pas être applicables, selon le cas, le Tribunal peut y déroger. »

[12] Voir les articles 2.1.2 et 4.1 des Lignes directrices. Dans l’ordonnance rendue par le Tribunal dans l’affaire Spacesaver Corporation (27 avril 1999), PR-98-028 (TCCE) [Spacesaver Corporation] à la p. 2, le Tribunal a affirmé que le fardeau général de la preuve incombe à la partie plaignante, « qui doit établir et prouver les profits qu’elle aurait pu réaliser et à l’égard desquels elle réclame un dédommagement “on a reasonable preponderance of credible evidence” (suivant la prépondérance raisonnable d’éléments de preuve crédibles) » [italiques dans l’original, note omise].

[13] Voir par exemple Oshkosh Defense Canada Inc. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (29 décembre 2017), PR-2015-051 et PR-2015-067 (TCCE) [Oshkosh] aux par. 71, 145; Douglas Barlett Associates Inc. (7 janvier 2000), PR-98-050 (TCCE) à la p. 3.

[14] En ligne : <https://www.ic.gc.ca/app/scr/app/cis/summary-sommaire/2379> (référant aux données pour l’année 2019 consulté une dernière fois le 6 décembre 2021). Ce lien vers le site du ministère de l’Industrie renvoyait par la suite aux données pour l’année 2020 (consulté une dernière fois le 12 janvier 2022). À moins d’indication contraire, les données sur lesquelles le Tribunal s’appuiera ci-dessous sont celles pour l’année 2019.

[15] (17 juin 2020), PR-2018-031 (TCCE) [V Zero].

[16] À cet égard, TPSGC s’appuie notamment sur l’ordonnance du Tribunal dans l’affaire Oshkosh.

[17] Par exemple dans Oshkosh.

[18] (24 juin 2014), PR-2013-014 (TCCE) au par. 26.

[19] Voir, par exemple, V Zero à la note 30.

[20] D’ailleurs, le devis technique annexé à l’AO prévoyait que l’entrepreneur devait, au plus tard 10 jours après l’avis d’acceptation de la soumission, fournir une ventilation du coût des postes à prix forfaitaires inclus dans la soumission ainsi qu’une liste des équipements et le taux horaire de chacun des équipements disponibles pour l’exécution des travaux et une liste des taux horaires de son personnel (pièce PR-2020-023-01 à la p. 53). Il est donc inexact de soutenir, comme l’a fait M.I.D., que les soumissionnaires n’avaient qu’à présenter trois prix non ventilés sans obligation pour l’éventuel entrepreneur de fournir de détails supplémentaires. Bien que M.I.D. ait sommairement décrit dans son exposé certaines de ses dépenses et l’équipement qu’elle aurait dû utiliser et fourni certains renseignements sur le taux horaire de son personnel, le Tribunal se serait attendu à une ventilation plus détaillée (par exemple, le taux horaire par équipement utilisé et non simplement par étapes des travaux) à la lumière des exigences du devis technique.

[21] Pièce PR-2020-023-01 aux p. 49 et 51.

[22] Pièce PR-2020-023-01 à la p. 50.

[23] Pièce PR-2020-023-01 à la p. 50.

[24] Ibid. à la p. 52.

[25] Ibid.

[26] Ibid. à la p. 50.

[27] Ibid. à la p. 52.

[28] Ibid. à la p. 51.

[29] Ibid. aux p. 56 et 60-61.

[30] Ibid. aux p. 57 et 61.

[31] Ibid. à la p. 89.

[32] Ibid. à la p. 91.

[33] Par contre, le Tribunal ne considère pas que les frais engagés pour la préparation de la soumission et de la plainte de M.I.D. devaient être ajoutés à ses dépenses, ces frais ayant de toute façon déjà été engagés par M.I.D.

[34] Cette absence de pièces justificatives contraste avec la situation dans l’ordonnance du Tribunal dans V Zero sur laquelle M.I.D. s’appuie. Il ressort clairement des motifs du Tribunal dans cette affaire que la partie plaignante avait présenté des pièces justificatives, y compris des factures, des devis et des bons de commande pour ses matériaux et son coût des ventes.

[35] Au vu de cette décision et des éléments de preuve limités et incomplets au dossier, le Tribunal ne peut pas non plus se prononcer sur la question de savoir si la réclamation de M.I.D. incluait une déduction suffisante pour les frais reliés au rideau de turbidité, un élément important pour l’exécution de ce type de travaux selon le devis technique, et celle du nombre de jours qu’elle aurait mise pour compléter les travaux. À cet égard, le Tribunal fait remarquer que l’estimation des dépenses de M.I.D. repose sur un échéancier de 10 jours. Or, M.I.D. n’a pas étayé cette affirmation avec des données historiques ou des éléments de preuve convaincants quant à sa capacité à effectuer des travaux maritimes comparables ou exécuter des contrats similaires à l’intérieur de cet échéancier. Elle s’est contentée de faire référence, d’une façon très générale, à son équipement, son équipe et son expertise. Il n’a donc pas été établi qu’un échéancier de 10 jours représente une estimation convenable de la durée probable des travaux.

[36] V Zero au par. 14 et à la note 9; Almon Equipment Limited (14 octobre 2011), PR-2008-048R (TCCE) aux par. 8‑9, 23; Oshkosh aux par. 143, 148. Le Tribunal a aussi eu recours à cette méthode de la marge bénéficiaire pour confirmer la marge obtenue par la méthode des revenus moins les dépenses. Voir l’ordonnance rendue par le Tribunal dans l’affaire The Masha Krupp Translation Group Ltd. c. Agence du revenu du Canada (17 octobre 2018), PR-2016-041 (TCCE) aux par. 56-57; V Zero aux par. 15, 64.

[37] Le défaut de M.I.D. de déposer des éléments de preuve de cette nature donne plutôt l’impression qu’il lui aurait été impossible de justifier la somme réclamée avec des données économiques fiables et des documents probants liés à l’exploitation de son entreprise. En d’autres mots, le Tribunal tire une inférence négative de cette omission.

[38] M.I.D. réfère au site Web du ministère de l’Industrie, en ligne : <https://www.ic.gc.ca/app/scr/app/cis/performance/rev/2379> et <https://www.ic.gc.ca/app/scr/app/cis/performance/2379> (consultés une dernière fois le 6 décembre 2021).

[39] Le Tribunal note que les Lignes Directrices reconnaissent la possibilité pour le Tribunal de demander à la partie plaignante de fournir des informations additionnelles. En l’espèce, dans sa lettre du 4 février 2021, le Tribunal a demandé à M.I.D. de déposer un exposé conforme aux Lignes Directrices et a invité cette dernière à faire appel aux services d’un avocat ou d’un conseiller au besoin. De plus, les lacunes dans les éléments de preuve présentés par M.I.D. ont été notées par TPSGC dans sa réponse à l’exposé de M.I.D. Dans sa réplique, M.I.D. n’a soumis et n’a tenté de soumettre aucune donnée ou élément de preuve additionnel, se bornant à répondre aux arguments de TPSGC et affirmant que des données, telles que son chiffre d’affaires annuel, n’étaient d’aucune utilité pour le calcul de l’indemnité pour perte de profits. Dans ces circonstances, le Tribunal considère que M.I.D. a eu suffisamment d’opportunités pour présenter les données relatives à sa situation financière mais a refusé de le faire.

[40] Ces marges bénéficiaires nettes moyennes sont obtenues en divisant le bénéfice (ou perte) net moyen de chaque quartile par les recettes totales moyennes du même quartile. Il s’agit donc de moyennes pondérées pour chaque quartile. Durant le cours des délibérations du Tribunal, le ministère de l’Industrie a mis à jour les données publiées sur son site Web, celui-ci référant dorénavant aux données relatives à l’année 2020. Le Tribunal a jugé approprié de consulter également ces données pour 2020 par souci d’exhaustivité puisque M.I.D. s’appuyait sur cette source d’information et que TPSGC l’acceptait, du moins aux fins de son argument subsidiaire visant une indemnité à hauteur de 8,6 p. 100, et que le contrat aurait été exécuté en 2020. Le Tribunal a, pour ces raisons, déterminé qu’il devait prendre en compte les chiffres de 2020, sans toutefois en faire le fondement de sa décision. Les marges bénéficiaires nettes moyennes des entreprises des deuxième, troisième et quatrième quartiles pour 2020 sont de 19,3 p. 100, 9,9 p. 100 et 5,5 p. 100 respectivement. Ceci dit, les mesures de confinement et le ralentissement économique dû à la COVID-19 ont fait de 2020 une année inhabituelle, fort probablement moins représentative des revenus et profits habituels dans cette industrie. Pour cette raison, les données de 2019 constituent des éléments de preuve plus probants en l’espèce et le Tribunal les préfère à celles de 2020.

[41] En ce qui concerne les données du ministère de l’Industrie pour 2020, la marge bénéficiaire médiane est de 13 p. 100.

[42] Bien que le Tribunal ait indiqué ci-dessus qu’en raison du manque d’éléments de preuve il était impossible d’estimer avec précision dans quelle mesure le contrat aurait forcé M.I.D. à subir des frais fixes ou frais généraux supplémentaires, toujours est-il que les frais fixes qu’elle aurait engagés de toute façon, peu importe que le contrat lui ait été adjugé ou non, ne devraient pas être déduits. Par conséquent, la marge globale nette des entreprises du secteur indiquée au tableau du ministère de l’Industrie, quoique pertinente, ne constitue pas une mesure parfaite pour déterminer les profits perdus de M.I.D. en l’espèce. Aux fins de l’exercice qui nous occupe, il convient donc de l’ajuster à la hausse.

[43] M.I.D. soutient que les travaux de dragage au Québec se font sur une très courte période, entre le mois d’août et la mi-décembre. Il en résulte que les revenus sont établis sur plus ou moins 4 mois, et les profits sont élevés puisque ces mois sont cruciaux pour pouvoir subvenir aux dépenses des autres mois de l’année.

[44] Oshkosh au par. 147; Spacesaver Corporation à la p. 3.

[45] Il en va de même pour les marges bénéficiaires moyennes par quartile et la marge bénéficiaire moyenne globale de 5,4 p. 100 qui ressortent des données pour l’année 2020.

[46] Le Tribunal fait remarquer que la marge bénéficiaire brute pour l’ensemble des PME du secteur d’activité était légèrement moins élevée en 2020 selon les données du ministère de l’Industrie, soit 49,8 p. 100.

[47] V Zero aux par. 67-68.

[48] Ce montant correspond à la marge de profit de 20 p. 100 appliquée au montant de la soumission de M.I.D.

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