Enquêtes sur les marchés publics

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EXPOSÉ DES MOTIFS

[1] En vertu du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur [1] (Loi sur le TCCE), tout fournisseur potentiel peut, sous réserve du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics [2] (Règlement), déposer une plainte auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur concernant la procédure des marchés publics suivie relativement à un contrat spécifique et lui demander d’enquêter sur cette plainte. En vertu du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le TCCE, après avoir jugé la plainte conforme au paragraphe 30.11(2) de la Loi sur le TCCE et sous réserve du Règlement, le Tribunal détermine s’il y a lieu d’enquêter.

RÉSUMÉ DE LA PLAINTE

[2] La présente plainte concerne une demande de proposition (DP) (appel d’offres BPM014856/17477) publiée par Services partagés Canada (SPC) en vue de l’acquisition d’une solution logicielle de gestion (SLG) des biens logiciels qui satisfait aux exigences des opérations et de la gestion des services de la technologie de l’information du ministère de la Défense nationale [3] .

[3] Dans le cadre de sa plainte, The Braintree Group Inc (Braintree Group) soulève surtout des allégations de collusion, de truquage des offres et de partialité, appelées ci-après « le premier motif de plainte ». Ces allégations semblent avoir été soulevées à la suite de la publication, par inadvertance, d’un avis d’adjudication de contrat au cours de la période d’évaluation des soumissions. L’avis prématuré indiquait que le contrat avait été attribué à un fournisseur actuel qui avait fourni divers services au gouvernement du Canada et qui, à la fin, s’était avéré être le soumissionnaire retenu.

[4] Pour soutenir ses allégations, Braintree Group s’appuie sur diverses dispositions de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) [4] et affirme ce qui suit :

· les soumissions n’ont pas été évaluées correctement puisque le contrat a été accordé avant l’évaluation des soumissions [5] ;

· les soumissions n’ont pas été évaluées, puisque « les compétences [techniques] particulières [de Braintree Group] ne sont pas disponibles automatiquement dans les systèmes de [ses] concurrents […] » [traduction] [6] ;

· La relation étroite du soumissionnaire retenu avec SPC aurait dû l’empêcher de pouvoir présenter une soumission [7] ;

· Le soumissionnaire retenu est un fournisseur actuel qui a fourni un large éventail de services de technologies de l’information au gouvernement du Canada et à SPC. Celui-ci était donc déjà familier avec la configuration utilisée, laquelle fonctionnait à l’aide de composants que ce soumissionnaire avait déjà fournis et installés, dont celui permettant la gestion de la configuration, à savoir MS Endpoint Configuration Manager, qui est nécessaire à la SLG des biens logiciels. Braintree Group est donc d’avis que ces circonstances ont donné lieu à une situation de partialité qui empêchait la concurrence [8] ;

· SPC a sollicité ou accepté, d’une manière qui aurait pour effet d’empêcher la concurrence, des avis pouvant être utilisés pour l’établissement ou l’adoption de toute spécification technique dans le cadre du présent marché public de la part du soumissionnaire retenu [9] ;

· Le soumissionnaire retenu avait accès à toutes les soumissions concurrentielles, ce qui lui a permis de préparer sa soumission en conséquence. Il avait aussi accès, avant la publication de la DP, à tous les renseignements qui lui permettraient de remporter le marché public [10] ;

· Pour ces motifs, l’avis d’adjudication de contrat publié initialement n’était pas prématuré ni ne constituait un problème technique, mais l’adjudication avait plutôt été prédéterminée. Il est fort probable qu’il y ait eu collusion ou falsification des soumissions [11] .

[5] De plus, à titre de second motif de plainte distinct, Braintree Group semble alléguer, bien qu’elle ne s’exprime pas clairement, que la spécification technique de la DP liée à l’intégration du composant MS Endpoint Configuration Manager dans la SLG des biens logiciels, que le soumissionnaire retenu a présumément installé et fourni, est contraire aux dispositions de l’ALENA [12] .

[6] À titre de mesure corrective, Braintree Group demande d’être indemnisée pour perte de profits.

[7] Pour les motifs qui suivent, le Tribunal a décidé de ne pas enquêter sur la plainte.

CONTEXTE

[8] Le 13 janvier 2022, SPC a publié la DP en question sur le site Web Achatsetventes.gc.ca [13] . Quatre modifications apportées à la DP ont été publiées et l’appel d’offres a pris fin le 7 février 2022 à 14 h (HNE) [14] .

[9] Braintree Group a présenté une soumission au plus tard à la date de clôture.

[10] Le 18 février 2022, Braintree Group a envoyé un courriel à SPC pour lui demander quand le contrat devait être attribué [15] .

[11] Le 22 février 2022, SPC a répondu que, selon les délais prévus, le contrat serait attribué au plus tard le 31 mars 2022 [16] .

[12] Le 23 février 2022, un avis d’adjudication de contrat a été publié sur le site Web Achatsetventes.gc.ca, indiquant que le contrat avait été attribué à IPSS Inc. le 22 février 2022 [17] . Braintree Group a immédiatement envoyé un courriel à SPC pour demander si le contrat avait été attribué et afin d’obtenir de la rétroaction au sujet de sa note [18] .

[13] Le même jour, SPC a répondu en indiquant : « Cette DP fait encore l’objet d’une évaluation — nos excuses — une case a été cochée par erreur dans le système d’APL [approvisionnement au paiement en ligne] » [traduction] [19] .

[14] Le 28 février 2022, remarquant que le contrat était toujours inscrit comme étant attribué, Braintree Group a fait un suivi auprès de SPC pour savoir si l’état du contrat était maintenant « attribué de façon permanente » [traduction] [20] .

[15] Le 1er mars 2022, SPC a répondu en indiquant : « Notre équipe technique effectue actuellement un examen; toutefois, le marché public est toujours en cours d’évaluation » [traduction] [21] .

[16] Le 12 mars 2022, Braintree Group semble avoir découvert les affirmations sur lesquelles elle a fondé ses allégations [22] .

[17] Le 11 avril 2022, Braintree Group a reçu une lettre de refus [23] de SPC l’informant que sa soumission n’était pas celle ayant obtenu la note la plus élevée et qu’un contrat avait été attribué à IPSS Inc.

[18] Après la publication de la lettre de refus, Braintree Group n’a pas demandé un compte-rendu avec SPC et aucun compte-rendu n’a été présenté au cours des mois de mars et d’avril 2022 [24] .

[19] Le 19 avril 2022, Braintree Group a déposé une plainte incomplète auprès du Tribunal [25] .

[20] Les 20 et 22 avril 2022, le Tribunal a demandé des renseignements et des documents supplémentaires, conformément au paragraphe 30.12(2) de la Loi sur le TCCE, avant que la plainte puisse être considérée comme ayant été déposée auprès du Tribunal [26] .

[21] Les 21 et 22 avril 2022, Braintree Group a présenté les documents et les renseignements demandés et le Tribunal a accusé réception d’une plainte peaufinée le 22 avril 2022 [27] . Par conséquent, conformément à l’alinéa 96(1)b) des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur [28] , la plainte a été considérée comme ayant été déposée le 22 avril 2022.

[22] Le 26 avril 2022, le Tribunal a décidé de ne pas enquêter sur la plainte.

ANALYSE

[23] Aux termes des articles 6 et 7 du Règlement, après avoir reçu une plainte conforme au paragraphe 30.11(2) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal doit déterminer si les quatre conditions suivantes sont satisfaites avant d’entamer une enquête :

(i) la plainte a été déposée dans les délais prescrits à l’article 6 du Règlement;

(ii) le plaignant est un fournisseur potentiel;

(iii) la plainte porte sur un contrat spécifique;

(iv) les renseignements fournis démontrent, dans une mesure raisonnable, que la procédure du marché public n’a pas été suivie conformément aux accords commerciaux applicables.

[24] Pour les motifs qui suivent, le Tribunal conclut que le premier motif de plainte ne démontre pas, dans une mesure raisonnable, que la procédure du marché public n’a pas été suivie conformément aux accords commerciaux applicables.

[25] Quant au second motif de plainte, le Tribunal conclut que celui-ci est prescrit. Par conséquent, le Tribunal n’est pas en mesure d’examiner ce motif de plainte et, même s’il le pouvait, il ne démontrerait toujours pas, dans une mesure raisonnable, qu’il y a eu violation des accords commerciaux applicables.

Le premier motif de plainte ne démontre pas, dans une mesure raisonnable, qu’il y a eu violation des accords commerciaux applicables

[26] Aux termes de l’alinéa 7(1)c) du Règlement, le Tribunal doit déterminer si les renseignements fournis par la partie plaignante, ainsi que tout autre renseignement examiné par le Tribunal, démontrent, dans une mesure raisonnable, que la procédure du marché public n’a pas été suivie conformément aux accords commerciaux applicables énoncés dans cet alinéa. Le Tribunal a précédemment décrit le critère préliminaire de preuve à satisfaire comme suit :

Dans une plainte concernant les marchés publics, la partie qui allègue qu’un marché public n’a pas été passé en conformité avec les accords commerciaux applicables doit présenter certains éléments probants à l’appui de son allégation. Cela ne signifie pas qu’une partie plaignante dans un litige concernant un marché public aux termes d’un des accords doive démontrer tous les faits nécessaires comme une partie plaignante doit généralement le faire dans une action au civil. […] Cependant, la partie plaignante doit présenter suffisamment de faits ou arguments qui indiquent, d’une façon raisonnable, qu’il y a eu violation d’un des accords commerciaux. [29]

[27] Bien que le critère énoncé à l’alinéa 7(1)c) du Règlement ne soit pas particulièrement exigeant, la partie qui conteste la procédure d’un marché public doit fournir certains éléments de preuve à l’appui de sa prétention [30] . De simples allégations ne suffisent pas pour établir une indication raisonnable de violation des accords commerciaux [31] .

[28] Dans sa plainte, Braintree Group s’appuie exclusivement sur les dispositions de l’ALENA. Toutefois, l’ALENA n’est plus en vigueur et ne s’applique pas aux marchés publics entamés le 1er juillet 2020 ou après [32] . Néanmoins, en l’absence d’une position contraire, le Tribunal considère que l’Accord de libre-échange canadien [33] (ALEC) s’applique, au minimum, et a tenu compte des dispositions pertinentes de l’ALEC dans l’examen de la plainte de Braintree Group.

[29] Après avoir examiné les allégations de collusion, de falsification des soumissions et de partialité de Braintree Group, ainsi que la preuve versée au dossier, le Tribunal conclut que la plainte repose sur des allégations et des affirmations qui ne sont pas étayées par la preuve. Ces allégations semblent plutôt fondées sur de simples suppositions ou soupçons. Par conséquent, Braintree Group n’a pas démontré de façon raisonnable que la procédure de passation du marché public n’avait pas été suivie conformément aux accords commerciaux applicables.

[30] L’avis d’adjudication du contrat qui a été publié pendant la période d’évaluation des soumissions n’est pas en soi une preuve suffisante qui pourrait étayer les allégations de la partie plaignante, pas plus que le fait qu’IPSS Inc. a en fin de compte obtenu le contrat. Dans la correspondance par courriel qui a été déposée par la partie plaignante, SPC a déclaré que l’avis d’adjudication du contrat a été sélectionné par erreur, par inadvertance, qu’il était en cours de révision par son équipe technique et que le marché public était toujours en cours d’évaluation. Le Tribunal n’a trouvé aucun élément de preuve qui lui ferait croire le contraire.

[31] De plus, le fait que le soumissionnaire retenu ait obtenu plusieurs contrats dans le passé ou qu’il ait fourni divers services de technologies de l’information au gouvernement du Canada est également insuffisant pour étayer les allégations de la partie plaignante et n’indique pas, dans une mesure raisonnable, qu’il y a eu violation des accords commerciaux applicables [34] .

[32] En ce qui concerne les autres affirmations de la partie plaignante, le Tribunal conclut qu’elles ne sont pas étayées par la preuve. En particulier, aucun élément de preuve n’a été fourni pour étayer les affirmations de la partie plaignante selon lesquelles les soumissions n’ont pas été évaluées ou qu’IPSS Inc. avait accès aux renseignements nécessaires pour obtenir le produit du marché public ou qu’on avait fourni de tels renseignements à IPSS Inc. De plus, rien dans la preuve ne suggère que SPC a sollicité ou accepté, d’une manière qui aurait eu pour effet d’empêcher la concurrence, des avis de la part d’IPSS Inc. qui ont pu servir dans la préparation ou l’adoption de toute spécification technique dans le cadre du présent marché public.

[33] Il convient de préciser que, comme le Tribunal l’a fait par le passé [35] , les allégations de falsification des soumissions et de collusion sont des accusations graves qui peuvent entraîner des sanctions lourdes et qui vont bien au-delà des irrégularités ou des vices de procédure de la part des entités fédérales dans la conduite d’une procédure de passation d’un marché public. Pour étayer ces allégations, les parties doivent présenter des éléments de preuve solides. Les suppositions, les soupçons ou les allégations qui ne sont pas étayées par des éléments de preuve ne sont manifestement pas suffisants. En l’absence d’éléments de preuve solides, le Tribunal invite les parties à s’abstenir de porter des accusations aussi graves dans le cadre d’une procédure devant lui.

[34] Cela dit, le Tribunal est conscient des faits particuliers en l’espèce, et, par conséquent, l’erreur de SPC ne peut pas être négligée. Afin d’éviter toute perception d’inconduite, le Tribunal encourage SPC à mettre en œuvre des mesures pour empêcher que ces types d’erreurs ne se reproduisent à l’avenir, en plus de mettre en œuvre des mesures qui garantiraient que ces types d’erreurs sont corrigées plus rapidement.

[35] Pour ces motifs, le Tribunal conclut que le premier motif de plainte ne démontre pas, dans une mesure raisonnable, que la procédure de passation du marché public n’a pas été suivie conformément aux accords commerciaux applicables. Simplement dit, les allégations et les affirmations de Braintree Group ne sont pas suffisamment étayées par la preuve. De simples allégations ou des allégations fondées sur des suppositions ou des soupçons ne suffisent pas à démontrer, dans une mesure raisonnable, qu’il y a eu violation des accords commerciaux, en particulier lorsque de graves accusations sont portées contre l’entité contractante et le soumissionnaire retenu.

Le deuxième motif de plainte est prescrit et ne démontre pas, dans une mesure raisonnable, qu’il y a eu violation des accords commerciaux applicables

[36] Comme deuxième motif de plainte, Braintree Group conteste la façon dont les spécifications techniques ont été énoncées dans la DP, à savoir l’exigence d’intégrer le composant permettant la gestion de la configuration MS Endpoint Configuration Manager dans la SLG des biens logiciels.

[37] En vertu de l’article 6 du Règlement, Braintree Group disposait de 10 jours ouvrables à compter du moment où il a découvert, ou aurait dû vraisemblablement découvrir, ce motif de plainte pour déposer une plainte auprès du Tribunal. Braintree Group était au courant de cette exigence technique obligatoire depuis la publication de la DP, et, par conséquent, elle aurait dû déposer une plainte dans les 10 jours ouvrables suivant la clôture de la DP. Dans sa plainte, Braintree Group a déclaré avoir pris connaissance de diverses affirmations sur lesquelles elle a fondé ses allégations le 12 mars 2022 [36] . Même si c’était le cas, Braintree Group aurait été tenue de déposer sa plainte pour ce motif auprès du Tribunal dans les 10 jours ouvrables suivant cette date. Par conséquent, le Tribunal conclut que ce motif de plainte est prescrit et qu’il ne peut pas être examiné davantage.

[38] Néanmoins, même si le motif de plainte avait été déposé dans les délais, le Tribunal conclut qu’il ne démontre pas, dans une mesure raisonnable, qu’il y a eu violation des accords commerciaux applicables. Il est bien établi qu’une autorité contractante peut définir et établir ses propres exigences dans l’appel d’offres. De plus, bien qu’il n’y ait pas d’éléments de preuve à l’appui des affirmations de la partie plaignante, le Tribunal est d’avis que le fait d’exiger l’intégration d’un logiciel qui est utilisé ou qui a déjà été utilisé par le gouvernement du Canada dans une solution faisant l’objet d’un marché public ne démontre pas, dans une mesure raisonnable, que SPC a violé les accords commerciaux applicables. Enfin, alors que la partie plaignante est tenue de présenter suffisamment de faits ou d’arguments qui démontrent, dans une mesure raisonnable, qu’il y a eu violation de l’un des accords commerciaux, le Tribunal est d’avis que cela n’a pas été fait en l’espèce.

[30] Pour les motifs qui précèdent, le Tribunal n’enquêtera pas sur la plainte.

DÉCISION

[39] Aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal a décidé de ne pas enquêter sur la plainte.

 



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