EXPOSÉ DES MOTIFS
[1] En vertu du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur
[1]
(Loi sur le TCCE), tout fournisseur potentiel peut, sous réserve du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics
[2]
(Règlement), déposer une plainte auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur concernant la procédure des marchés publics suivie relativement à un contrat spécifique et lui demander d’enquêter sur cette plainte. En vertu du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le TCCE, après avoir jugé la plainte conforme au paragraphe 30.11(2) de la Loi sur le TCCE et sous réserve du Règlement, le Tribunal détermine s’il y a lieu d’enquêter.
CONTEXTE
[4] La demande de propositions (DP) a été publiée le 18 janvier 2022. La date de clôture était fixée au 28 février 2022, à 14 h, HNE.
[5] DPEL a soumis une proposition au plus tard le 28 février 2022.
[6] Le 4 avril 2022, puis dans une lettre datée du 5 avril 2022, CDC a fait savoir à DPEL que sa soumission et celle de son concurrent, le groupe Cahill, avaient obtenu une note égale
[3]
. CDC a indiqué que la méthode qu’elle adoptait généralement en cas d’égalité consistait à tirer au sort; toutefois, cette option n’était disponible que si les deux parties acceptaient d’être liées par le résultat. Faute de quoi, CDC annulerait le marché public.
[7] Le 6 avril 2022, DPEL a demandé des renseignements supplémentaires afin de mieux comprendre comment la procédure de passation du marché public a pu se solder par une égalité, et a demandé si le groupe Cahill, et l’un ou l’autre de ses sous-traitants potentiels, détenaient les attestations de sécurité requises. DPEL a également noté que le groupe Cahill n’était pas inscrit au registre provincial comme pouvant exercer des activités commerciales dans la province de Terre-Neuve-et-Labrador.
[8] Le 8 avril 2022, CDC a fourni une réponse partielle, indiquant en détail qu’elle avait évalué les soumissions conformément aux critères d’évaluation, ce qui a élargi la signification de ce qui constituait une note égale. CDC a également précisé que la dénomination sociale du groupe Cahill aux fins de la soumission était Cahill Instrumentation & Technical Services (2011) Limited
[4]
.
[12] Le 25 avril 2022, CDC a fourni d’autres précisions. CDC a confirmé qu’elle ne pouvait fournir que des comptes-rendus concernant la propre soumission d’un soumissionnaire et qu’elle ne formulerait pas de commentaires sur le contenu des soumissions d’autres soumissionnaires. Elle a également indiqué que, même si tous les soumissionnaires détenaient une attestation de sécurité d’installation, en raison des modifications apportées à la façon dont les attestations étaient délivrées par le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux, CDC ne vérifierait pas les attestations de sécurité avant qu’une entreprise se voie attribuer un contrat. CDC a également fourni des exemples de cas où un tirage au sort a été effectué pour briser une égalité, mais a réitéré que le recours au tirage au sort dépendait du choix de DPEL.
[13] Le 26 avril 2022, DPEL s’est opposée à cette évaluation de l’appel d’offres, adressant son courriel aux divers membres de la haute direction de CDC. En particulier, DPEL s’est opposée à l’évaluation de CDC selon laquelle l’attestation de sécurité d’installation n’avait pas à être vérifiée, puisque cette exigence était énoncée dans l’appel d’offres en tant que critère obligatoire et qu’elle a ensuite été précisée dans une modification. DPEL a également fait part de ses préoccupations quant à la question de savoir qui avait réellement soumissionné pour le contrat et à l’expérience des autres soumissionnaires dans l’exécution des travaux demandés. Enfin, DPEL a remis en question l’utilisation d’un tirage au sort pour déterminer l’issue du contrat, puisqu’elle effectue les travaux dans les immeubles visés par l’appel d’offres depuis 15 ans. À titre de recours, DPEL a demandé la réévaluation des soumissions.
[15] Le 4 mai 2022, CDC a confirmé que la dénomination sociale du soumissionnaire était Cahill Instrumentation & Technical Services (2011) Limited, que cette dernière détenait une attestation de sécurité d’installation valide et que l’évaluation avait été réalisée conformément aux modalités de la DP. CDC a également confirmé que si une méthode pour briser l’égalité n’était pas acceptée par les deux parties, l’appel d’offres serait annulé.
[16] Le 5 mai 2022, DPEL a réitéré plusieurs des mêmes questions à CDC.
[19] Le 16 mai 2022, le PPD de CDC a fourni une réponse à DPEL. La lettre fournissait les mêmes renseignements que ceux contenus dans les réponses précédentes de CDC. Elle a également rappelé à DPEL que, aux fins de l’appel d’offres, le point de contact approprié était l’agent de négociation des contrats et que le fait de ne pas avoir posé ses questions par l’entremise de l’agent de négociation des contrats pourrait entraîner le rejet de sa soumission aux fins d’examen.
[22] CDC a annulé l’appel d’offres le 30 mai 2022.
[24] DPEL a déposé sa plainte auprès du Tribunal le 13 juin 2022.
[25] Le 14 juin 2022, le Tribunal a demandé que des renseignements supplémentaires soient fournis. DPEL a fourni les renseignements manquants le même jour.
[26] Le 15 juin 2022, le Tribunal a accusé réception de la plainte de DPEL.
ANALYSE
[28] Pour les motifs qui suivent, le Tribunal conclut que la plainte n’a pas été déposée en temps opportun et que, quoi qu’il en soit, cette dernière ne démontre pas, dans une mesure raisonnable, qu’il y a eu violation des accords commerciaux applicables.
Respect des délais
[29] Aux termes de l’article 6 du Règlement, le fournisseur potentiel doit présenter une opposition à l’institution fédérale responsable du marché ou déposer une plainte auprès du Tribunal dans les 10 jours ouvrables suivant la date où il a découvert ou aurait dû vraisemblablement découvrir les faits à l’origine de la plainte. Lorsque le fournisseur potentiel présente une opposition en premier lieu, il doit déposer une plainte auprès du Tribunal dans les 10 jours ouvrables suivant la date où il a pris connaissance, directement ou par déduction, du refus.
[31] CDC a maintenu une communication constante, quoique répétitive, avec DPEL tout au long du processus de traitement des oppositions de DPEL. Après la lettre du 16 mai 2022 du PPD de CDC, il aurait dû être clair pour DPEL qu’elle avait épuisé ses possibilités de recours auprès de l’institution fédérale. Cela a été confirmé le 17 mai 2022, lorsque CDC a confirmé qu’elle ne discuterait pas davantage de la question et qu’elle procéderait à l’annulation de l’appel d’offres.
[32] La plainte de DPEL a été déposée au Tribunal le 14 juin 2022, soit 19 jours ouvrables suivant le 17 mai 2022, date à laquelle CDC avait refusé la réparation demandée par DPEL. Comme le Tribunal l’a fait savoir aux soumissionnaires, ces derniers ne peuvent pas adopter une « attitude attentiste »
dans le cadre de plaintes relatives à des marchés publics où le temps représente une condition essentielle, et le mécanisme d’examen des marchés publics ne prévoit pas la possibilité d’accumuler des griefs et de les présenter une fois que la soumission est rejetée
[5]
. Dès que DPEL avait reçu le refus de réparation de CDC le 17 mai 2022, elle disposait de 10 jours ouvrables pour déposer sa plainte.
Indication raisonnable d’une violation des accords commerciaux
[33] Même si la plainte de DPEL a été déposée dans les délais prescrits, la plainte ne démontre pas que les actions de CDC ont violé les accords commerciaux applicables. Bien que DPEL suggère que le groupe Cahill n’aurait pas pu obtenir une note à un point près de la note de DPEL, elle ne fournit aucun élément de preuve quant aux raisons pour lesquelles elle croyait que c’était le cas. De même, DPEL n’a fourni aucun élément de preuve à l’appui de son allégation selon laquelle CDC a commis une erreur dans l’évaluation de sa soumission ou de celle du groupe Cahill.
[34] En ce qui concerne la façon dont l’appel d’offres s’est soldé par une égalité, l’appel d’offres a défini l’égalité comme incluant toute note dont un point ou moins la sépare d’une autre note. En ce qui concerne l’évaluation du prix, CDC a inclus un libellé similaire, permettant ainsi d’accorder la totalité des points à tout prix inférieur à 5 p. 100 du prix le plus bas. Avec une valeur estimée de 7,3 millions de dollars pour le contrat, un écart de 5 p. 100 par rapport à cette valeur estimée représenterait jusqu’à 365 000 $ – une somme non négligeable pour qu’une soumission soit supérieure ou inférieure à un concurrent et qu’elle obtienne toujours la totalité des points.
4.4 Résultats de l’évaluation et sélection du soumissionnaire
[...]
4.3 Évaluation des propositions de coûts et du plan d’avantages pour les Autochtones
[...]
.2 La note pour le montant total sera attribuée comme suit :
[37] Comme il a été mentionné ci-dessus, DPEL n’a pas expliqué en détail pourquoi elle croit que la soumission du groupe Cahill n’était pas conforme ou n’aurait pas pu obtenir une note similaire pour les critères cotés. Pour enquêter sur une plainte, le Tribunal doit être convaincu qu’il y a indication raisonnable que l’entité acheteuse a violé un des accords commerciaux
[6]
:
Dans une plainte concernant les marchés publics, la partie qui allègue qu’un marché public n’a pas été passé en conformité avec les accords commerciaux applicables doit présenter certains éléments probants à l’appui de son allégation. Cela ne signifie pas qu’une partie plaignante dans un litige concernant un marché public aux termes d’un des accords doive démontrer tous les faits nécessaires comme une partie plaignante doit généralement le faire dans une action au civil. [...] Cependant, la partie plaignante doit présenter suffisamment de faits ou arguments qui indiquent, d’une façon raisonnable, qu’il y a eu violation d’un des accords commerciaux [7] .
[38] En ce qui concerne la décision de CDC d’annuler l’appel d’offres, CDC a cherché, dans presque toutes ses communications avec DPEL, à trouver une méthode acceptable pour les deux parties afin de briser l’égalité entre DPEL et le groupe Cahill. CDC a expliqué son processus décisionnel à DPEL à plusieurs reprises pendant près de deux mois et lui a fourni des exemples de situations où elle avait procédé à un tirage au sort pour décider entre deux soumissions qui avaient obtenu une note égale. CDC a également indiqué qu’elle était disposée à envisager d’autres méthodes pour briser l’égalité; toutefois, DPEL n’en a proposé aucune.
[39] En l’espèce, le processus d’appel d’offres a été conçu pour permettre aux soumissionnaires qui obtiennent des notes similaires d’être jugés en fonction de leur soumission financière. Étant donné que les soumissions financières ont été évaluées dans une fourchette de 0 à 10, les deux dispositions combinées ont augmenté les chances que les parties obtiennent une note égale.
[40] Bien que le Tribunal ait généralement conclu que l’annulation d’un appel d’offres doit être conforme aux accords commerciaux applicables
[8]
et qu’une entité contractante devrait généralement attribuer un contrat lorsqu’elle reçoit une soumission conforme
[9]
, les circonstances ont donné lieu à deux soumissions conformes, sans façon de briser l’égalité.
[41] Dans les circonstances, le Tribunal conclut que les actions de CDC sont justes et raisonnables.
DÉCISION
Peter Burn
|
[3]
Aux fins de la présente procédure de passation de marché, si la note totale d’un soumissionnaire était à moins d’un point de la note d’un soumissionnaire concurrent, cela était considéré comme une égalité, et la partie ayant la note la plus élevée sur la proposition de coûts serait désignée comme le gagnant. Les notes obtenues pour la proposition de coûts qui se situaient dans une fourchette de 5 p. 100 du prix le plus bas évalué devaient également recevoir la même note.
[4]
CDC a également indiqué par inadvertance que le nom de la société était Cahill Instrumentation & Technical Services Limited, qui est une entité juridique distincte.
[5]
ADR Education c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (18 octobre 2013), PR‑2013‑011 (TCCE) au par. 59; Temprano and Young Architects Inc. c. Commission de la capitale nationale (26 février 2019), PR-2018-036 (TCCE) aux par. 21, 22. Dans d’autres instances, le Tribunal a aussi abordé la portée de l’obligation de l’entité contractante de dévoiler les compétences de chaque évaluateur. Voir Nations Translation Group Inc. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (23 juin 2020) PR-2019-071 (TCCE) au par. 37; CGI Information Systems and Management Consultants Inc. c. Société canadienne des postes et Innovaposte Inc. (27 août 2014), PR-2014-006 (TCCE) au par. 66.
[6]
Paul Pollack Personnel Ltd. s/n The Pollack Group Canada (24 septembre 2013), PR-2013-016 (TCCE) au par. 27, citant K-Lor Contractors Services Ltd. (23 novembre 2000), PR-2000-023 (TCCE) à la p. 6; Terrapure Environmental (22 juin 2020), PR-2020-008 (TCCE).
[7]
Veseys Seeds Limited, faisant affaires sous le nom de Club Car Atlantic c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (10 février 2010), PR-2009-079 (TCCE) au par. 9; Flag Connection Inc. (25 janvier 2013), PR‑2012‑040 (TCCE) au par. 35; Manitex Liftking ULC (19 mars 2013), PR-2012-049 (TCCE) au par. 22.
[8]
Agence Gravel Inc. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (26 janvier 2017), PR‑2016‑035 (TCCE) au par. 20.
[9]
Voir, par exemple, Marine Recycling Corporation et Canadian Maritime Engineering Ltd. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (22 janvier 2021), PR-2020-038, PR-2020-044 et PR‑2020‑056 (TCCE) aux par. 51–64; Aerospace Facilities Group, Inc. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (12 octobre 2017), PR-2017-015 (TCCE) aux par. 32–38.