Enquêtes sur les marchés publics

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EXPOSÉ DES MOTIFS

[1] En vertu du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur [1] (Loi sur le TCCE), tout fournisseur potentiel peut, sous réserve du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics [2] (Règlement), déposer une plainte auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur concernant la procédure des marchés publics suivie relativement à un contrat spécifique et lui demander d’enquêter sur cette plainte. En vertu du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le TCCE, après avoir jugé la plainte conforme au paragraphe 30.11(2) de la Loi sur le TCCE et sous réserve du Règlement, le Tribunal détermine s’il y a lieu d’enquêter.

RÉSUMÉ DE LA PLAINTE

[2] La présente plainte a été déposée par Akimbo Technologies Inc. (Akimbo) et concerne un appel de propositions (AP) (appel d’offres W7714-217869/A) publié par le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (TPSGC) au nom de Recherche et développement pour la Défense Canada, dans le cadre du Programme canadien pour la sûreté et la sécurité, en vue d’obtenir des propositions scientifiques et technologiques novatrices pour relever des défis en matière de défense, de sûreté et de sécurité publique [3] .

[3] Akimbo a soumis une proposition en réponse au défi intitulé « Technologie prête et active pour les catastrophes : innovation dans l’utilisation de technologies particulières dans le cadre d’événements PPFI » (défi) [4] .

[4] Dans sa plainte, Akimbo allègue que sa proposition a été injustement évaluée et que, par conséquent, elle a été privée de son droit de voir sa proposition examinée de manière équitable aux fins de l’obtention d’un financement [5] . Plus précisément, Akimbo soutient :

(i) que les évaluateurs étaient possiblement partiaux ou non qualifiés [6] ;

(ii) qu’elle a été « privée […] de la possibilité de voir sa proposition correctement examinée et comparée à d’autres propositions » [7] [traduction] au moment opportun aux fins de l’obtention d’un financement, en ce sens que, si sa proposition avait été examinée correctement dès le départ, celle-ci et les autres propositions auraient été évaluées simultanément et les motifs invoqués par TPSGC pour justifier le refus de financer le projet n’auraient pas existé [8] .

[5] À titre de mesure corrective, Akimbo demande, entre autres, que le contrat spécifique lui soit attribué [9] .

CONTEXTE

[6] Le 16 mars 2021, TPSGC a publié l’AP dont il est question dans la présente plainte sur le site Achatsetventes.gc.ca [10] . Plusieurs modifications ont été publiées pour répondre aux éventuelles questions des soumissionnaires potentiels et pour proroger la date de clôture de l’appel d’offres [11] .

[7] L’appel d’offres a pris fin le 27 mai 2021, à 14 h (HAE) [12] . Akimbo a soumis une proposition en réponse au défi au plus tard à la date de clôture.

[8] Le 28 janvier 2022, TPSGC a informé Akimbo par courriel que la proposition soumise avait été jugée non conforme, car Akimbo n’avait pas obtenu la note minimale de 85 points relativement aux critères cotés [13] .

[9] Le 1er février 2022, Akimbo a exprimé son désaccord quant à l’évaluation effectuée par les évaluateurs et a présenté une première opposition à TPSGC par courriel. Dans sa correspondance, Akimbo a exprimé ses préoccupations et a voulu se renseigner sur la procédure de révision [14] .

[10] Le 2 février 2022, en réponse au courriel d’Akimbo, TPSGC a fourni des précisions concernant la procédure de révision et a demandé à Akimbo d’exposer, de façon plus détaillée, ses préoccupations et ses points de désaccord quant à l’évaluation. TPSGC a également indiqué que la probabilité que le processus entraîne le financement de la proposition était faible, puisque tous les fonds avaient déjà été affectés [15] .

[11] Le 2 février 2022, Akimbo a posé d’autres questions au sujet de la procédure de révision [16] . Après que TPSGC ait fourni des précisions supplémentaires [17] , Akimbo a indiqué qu’il dénonçait le fait que la révision de sa proposition ait été effectuée par les mêmes évaluateurs que ceux qui avaient effectué l’évaluation initiale, plutôt que par un « groupe indépendant impartial » [18] [traduction].

[12] Le 3 février 2022, TPSGC a répondu que les examinateurs étaient impartiaux et que la procédure de révision était assujettie à des normes strictes en matière de transparence et de responsabilité [19] .

[13] Le 10 février 2022, Akimbo a envoyé par courriel à TPSGC un exposé détaillé de ses préoccupations et de ses points de désaccord, accompagné d’explications, afin que celui-ci soit pris en compte dans le cadre de la procédure de révision [20] .

[14] Les 1er et 30 mars 2022, n’ayant reçu aucune précision quant à la procédure de révision, Akimbo a fait un suivi auprès de TPSGC [21] .

[15] Le 13 avril 2022, TPSGC a informé Akimbo que les évaluateurs avaient révisé sa proposition et que celle-ci avait obtenu la note minimale de passage, ce qui lui permettait de passer à l’étape suivante du processus de passation du marché public, qui consistait à déterminer si la proposition ferait l’objet d’une recommandation de financement [22] .

[16] Le 2 mai 2022, TPSGC a avisé Akimbo par courriel que sa proposition n’avait pas été sélectionnée parmi le bassin de propositions préqualifiées aux fins de financement. Pour justifier sa décision, TPSGC s’est appuyé sur deux considérations relatives à la répartition des investissements. TPSGC a d’abord tenu compte des investissements des années précédentes. TPSGC a expliqué avoir déjà accordé un financement à des projets dans un domaine similaire à celui du projet proposé par Akimbo. TPSGC a ensuite expliqué avoir tenu compte des priorités de son programme. À cet égard, TPSGC a expliqué que les autres projets correspondaient mieux aux orientations de ce programme [23] .

[17] Le 11 mai 2022, Akimbo a demandé à TPSGC qu’ait lieu un suivi téléphonique pour discuter de la réponse des évaluateurs [24] . TPSGC a demandé à Akimbo de préciser les réponses pour lesquelles elle souhaitait des précisions. Akimbo a fourni ces renseignements, mais n’a reçu aucune réponse de TPSGC [25] .

[18] Le 13 mai 2022, Akimbo a déposé une première plainte auprès du Tribunal, laquelle faisait valoir que les évaluateurs de sa proposition étaient possiblement partiaux ou non qualifiés et que la révision de sa soumission par les mêmes évaluateurs qui ont effectué l’évaluation initiale constitue une procédure viciée et inéquitable. Akimbo a en outre soutenu qu’elle n’avait pas eu la possibilité de voir sa proposition comparée aux autres propositions au moment opportun [26] .

[19] Le 20 mai 2022, le Tribunal a décidé de ne pas enquêter sur la plainte [27] . Le Tribunal a conclu que le premier motif de plainte ne démontrait pas, dans une mesure raisonnable, qu’il y avait eu violation des accords commerciaux applicables, et que le deuxième motif de plainte était prématuré [28] .

[20] Le 29 juin 2022, TPSGC a envoyé une lettre à Akimbo, laquelle l’informait que, même si sa proposition avait été correctement évaluée en date du 28 janvier 2022, les conclusions de TPSGC auraient été les mêmes et la proposition d’Akimbo n’aurait pas été retenue.

[21] Le 13 juillet 2022, Akimbo a déposé la présente plainte auprès du Tribunal, laquelle a été considérée comme ayant été déposée le même jour [29] .

[22] Le 19 juillet 2022, le Tribunal a décidé de ne pas enquêter sur la plainte.

ANALYSE

[23] Aux termes des articles 6 et 7 du Règlement, après avoir reçu une plainte conforme au paragraphe 30.11(2) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal doit déterminer si les quatre conditions suivantes sont remplies avant d’ouvrir une enquête :

i. la plainte a été déposée dans les délais prévus à l’article 6 du Règlement;

ii. le plaignant est un fournisseur potentiel;

iii. la plainte porte sur un contrat spécifique;

iv. les renseignements fournis démontrent, dans une mesure raisonnable, que la procédure du marché public n’a pas été suivie conformément aux accords commerciaux applicables.

[24] En ce qui concerne le premier motif de plainte, le Tribunal a déjà rendu une décision judiciaire définitive qui l’empêche d’examiner ce motif de plainte.

[25] De plus, le Tribunal conclut que le deuxième motif de plainte ne démontre pas, dans une mesure raisonnable, que la procédure de passation du marché public n’a pas été suivie conformément aux accords commerciaux applicables, et, par conséquent, a décidé de ne pas enquêter sur ce motif de plainte.

Une décision judiciaire définitive a déjà été rendue concernant le premier motif de plainte

[26] Le Tribunal conclut que l’allégation d’Akimbo selon laquelle les évaluateurs étaient possiblement partiaux ou non qualifiés constitue une tentative de remise en cause de la même plainte [30] . En fait, la procédure de passation du marché public qui a donné lieu à la première plainte et à la présente plainte est la même, les parties concernées, à savoir Akimbo et TPSGC, sont les mêmes, et l’allégation formulée concernant les évaluateurs est essentiellement la même.

[27] Comme il a été souligné ci-dessus, dans Akimbo Technologies, Akimbo alléguait que les évaluateurs de sa proposition étaient possiblement partiaux ou non qualifiés et que la révision de sa soumission par les mêmes évaluateurs qui ont effectué l’évaluation initiale constitue une procédure viciée et inéquitable. De même, en l’espèce, Akimbo affirme qu’elle a diverses oppositions concernant des commentaires des évaluateurs qu’elle juge préoccupants et, à son avis, erronés sur le plan technique. Akimbo soutient en outre que le fait que les évaluateurs qui ont révisé sa proposition étaient les mêmes que ceux qui ont effectué l’évaluation initiale constitue une procédure viciée et inéquitable [31] .

[28] Conformément au principe de la chose jugée, lorsqu’une décision judiciaire définitive a été rendue, une partie ne peut pas en contester le bien-fondé dans un nouveau litige portant sur la même question devant le même tribunal [32] .

[29] Le premier motif de plainte invoqué par Akimbo dans la présente plainte a déjà été examiné dans Akimbo Technologies, où le Tribunal a conclu qu’il ne démontre pas, dans une mesure raisonnable, que la procédure de passation du marché public n’a pas été suivie conformément aux accords commerciaux applicables [33] . La décision antérieure du Tribunal a tranché la question et cette même question ne peut faire l’objet d’une nouvelle plainte.

[30] Une exception limitée au principe de la chose jugée permet au Tribunal de tenir compte de nouveaux éléments de preuve qui n’auraient pas pu, en faisant preuve de diligence raisonnable, être produits dans le cadre du premier litige. Le Tribunal souligne qu’Akimbo n’a pas produit de tels nouveaux éléments de preuve et que, par conséquent, l’exception au principe de la chose jugée ne peut pas être invoquée.

[31] Bref, le Tribunal est d’avis que le principe de la chose jugée s’applique en l’espèce et l’empêche d’examiner le premier motif de plainte. Plus particulièrement, le Tribunal ne peut enquêter sur ce motif de plainte puisqu’il a déjà rendu une décision définitive dans Akimbo Technologies selon laquelle le motif de plainte ne démontrait pas, dans une mesure raisonnable, qu’il y avait eu violation des accords commerciaux applicables. Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal conclut qu’il ne peut réexaminer le premier motif de plainte d’Akimbo et tient la question pour réglée.

Le deuxième motif de plainte ne démontre pas, dans une mesure raisonnable, qu’il y a eu violation des accords commerciaux applicables

[32] Conformément à l’alinéa 7(1)c) du Règlement, le Tribunal doit déterminer si les renseignements fournis par le plaignant et les autres renseignements examinés par le Tribunal relativement à la plainte démontrent, dans une mesure raisonnable, que la procédure du marché public n’a pas été suivie conformément aux accords commerciaux applicables énoncés à cet alinéa. Le Tribunal a précédemment décrit le critère préliminaire de preuve à satisfaire comme suit :

Dans une plainte concernant les marchés publics, la partie qui allègue qu’un marché public n’a pas été passé en conformité avec les accords commerciaux applicables doit présenter certains éléments probants à l’appui de son allégation. Cela ne signifie pas qu’une partie plaignante dans un litige concernant un marché public aux termes d’un des accords doive démontrer tous les faits nécessaires comme une partie plaignante doit généralement le faire dans une action au civil. […] Cependant, la partie plaignante doit présenter suffisamment de faits ou arguments qui indiquent, d’une façon raisonnable, qu’il y a eu violation d’un des accords commerciaux [34] .

[33] Bien que l’alinéa 7(1)c) du Règlement ne soit pas particulièrement exigeant, la partie qui conteste la passation d’un marché public doit fournir certains éléments de preuve à l’appui de ses allégations. [35] De simples allégations formulées par un plaignant, non étayées par des éléments de preuve, ne suffisent pas à démontrer, dans une mesure raisonnable, que la procédure de passation du marché public n’a pas été suivie conformément aux accords commerciaux applicables [36] .

[34] Akimbo allègue que, si sa proposition avait été examinée correctement dès le départ et évaluée en même temps que les autres propositions, les motifs invoqués par TPSGC pour justifier le refus de financer le projet n’auraient pas existé et que, par conséquent, sa proposition aurait été retenue aux fins de financement [37] .

[35] Après avoir examiné ces allégations, ainsi que les éléments de preuve versés au dossier, le Tribunal conclut que ce motif de plainte repose sur des allégations qui sont spéculatives et qui ne sont pas étayées par des éléments de preuve. Il incombe à la partie plaignante de fournir des éléments de preuve à l’appui de ses allégations et de présenter « des faits […] permettant de conclure que la plainte démontre, dans une mesure raisonnable, qu’il y a eu violation » [38] . Akimbo n’a fourni aucun élément de preuve à l’appui et n’a pas démontré que, si sa proposition avait été examinée en même temps que les autres propositions, elle aurait été retenue par TPSGC.

[36] En outre, le Tribunal souligne que le processus de sélection aux fins de financement établi dans l’AP en cause en l’espèce confère à l’acheteur public et à l’institution fédérale un large éventail de pouvoirs discrétionnaires, selon les facteurs qui y sont énoncés dans l’AP. Par exemple, la section 4.2 de l’AP énonce ce qui suit :

RDDC peut sélectionner une proposition, plusieurs propositions ou aucune proposition dans le bassin de propositions préqualitifées. La décision de sélectionner une proposition est laissée à l’entière discrétion du Canada. Les propositions qui obtiennent la note de passage la plus élevée ne seront pas nécessairement celles qui seront choisies [39] .

[37] Le pouvoir discrétionnaire de TPSGC à l’égard de la procédure de sélection, telle que décrite dans l’AP, met davantage l’accent sur la nature spéculative de l’allégation d’Akimbo selon laquelle sa proposition aurait été retenue si elle avait été examinée en même temps que les autres.

[38] Pour ces motifs, le Tribunal conclut que le deuxième motif de plainte ne démontre pas, dans une mesure raisonnable, que la procédure de passation du marché public n’a pas été suivie conformément aux accords commerciaux applicables. En d’autres termes, au vu du dossier, les allégations d’Akimbo ne sont pas dûment étayées par les éléments de preuve.

DÉCISION

[39] Aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal a décidé de ne pas enquêter sur la plainte.

 



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