Enquêtes sur les marchés publics

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Dossier PR-2022-042

Ramida Enterprises Ltd.

c.

Ministère de l’Environnement

Décision rendue
le lundi 9 janvier 2023

Motifs rendus
le mardi 24 janvier 2023

 



EU ÉGARD À une plainte déposée par Ramida Enterprises Ltd. aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur;

ET À LA SUITE D’une décision d’enquêter sur la plainte aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur.

ENTRE

RAMIDA ENTERPRISES LDT.

Partie plaignante

ET

LE MINISTÈRE DE L’ENVIRONNEMENT

Institution fédérale

DÉCISION

Aux termes du paragraphe 30.14(2) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur détermine que la plainte n’est pas fondée. En ce qui concerne les frais, le Tribunal décide provisoirement que les parties doivent assumer leurs propres frais, dans les circonstances de l’espèce. Si l’une ou l’autre des parties n’est pas d’accord avec la décision préliminaire relative aux frais, elle peut présenter des observations au Tribunal. Il relève de la compétence du Tribunal de rendre une ordonnance définitive concernant les frais.

Susan D. Beaubien

Susan D. Beaubien
Membre présidant

L’exposé des motifs suivra à une date ultérieure.

 


 

Membre du Tribunal :

Susan D. Beaubien, membre présidant

Personnel du Secrétariat du Tribunal :

Emilie Audy, conseillère juridique
Geneviève Bruneau, agente du greffe
Rekha Sobhee, agente du greffe

Partie plaignante :

Ramida Enterprises Ltd.

Institution fédérale :

Ministère de l’Environnement

Conseillers juridiques de l’institution fédérale :

Samantha Hargreaves
Brendan Morrison
Veronica Tsou

Veuillez adresser toutes les communications à :

La greffière adjointe
Téléphone : 613-993-3595
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

 


EXPOSÉ DES MOTIFS

APERÇU

[1] Ramida Enterprises Ltd. (Ramida) a déposé une plainte[1] au sujet d’un appel d’offres du ministère de l’Environnement (ECCC) pour un projet de réfection d’une route forestière à Halfmoon Bay, Sechelt (Colombie-Britannique). Ramida affirme qu’ECCC a rejeté à tort sa soumission et qu’elle aurait dû obtenir le contrat parce qu’elle a présenté la soumission au prix le plus bas.

CONTEXTE ET FAITS

[2] La demande de proposition (DP) a été publiée dans le cadre de l’appel d’offres 500067016 le 3 juin 2022; sa date de clôture était fixée au 30 juin 2022[2]. Trois modifications à la DP ont été publiées afin de répondre aux questions posées par les soumissionnaires éventuels. La date de clôture de l’appel d’offres a été prorogée jusqu’au 7 juillet 2022[3].

[3] L’objectif du travail à accomplir par le soumissionnaire retenu a été décrit comme suit :

Environnement et Changement climatique Canada (ECCC) se prépare à installer une nouvelle station radar météorologique près de Sechelt, en Colombie-Britannique. Le site est situé au sommet de Halfmoon Peak et est accessible via une route de service forestière existante.

Une récente évaluation de la route d’accès a identifié plusieurs endroits de préoccupation pour le passage des engins de chantier nécessaires à la construction d’une tour de radar météorologique, ainsi que la nécessité de créer une zone de construction dégagée et nivelée, avec un espace de dépôt, pour la construction de la tour[4].

[4] La DP prescrivait certaines exigences obligatoires. La soumission conforme à ces exigences et proposant le prix le plus bas pour la portée des travaux décrits serait recommandée aux fins de l’adjudication du contrat.[5]

[5] Les exigences obligatoires ont été décrites comme suit :[6]

Projets accomplis

Le soumissionnaire doit fournir une liste de deux projets qu’il a accomplit [sic] dans le passé qui sont de nature et de coûts similaires. Elles seront évaluées seule [sic] sur la base d’une réussite ou d’un échec. Ne pas remplir cette annexe ou ne pas se conformer aux exigences résultera à l’élimination du processus d’appel d’offres.

Je/Nous avons achevé antérieurement les deux projets suivants qui sont de nature semblable et dont la portée des travaux de la présente offre est effectuée :

No de PROJET

DESCRIPTION

LIEUX
des traveaux
[sic]

Année

Coût

Personne ressource
Nom et No de téléphone

[6] Deux soumissionnaires, l’un d’eux étant Ramida, ont soumis des propositions[7].

[7] Peu de temps après la date de clôture, Ramida a communiqué avec ECCC le 8 juillet 2022 et a demandé de connaître les résultats informels de l’appel d’offres[8].

[8] Étant donné qu’on ne lui a pas répondu rapidement, Ramida a envoyé plusieurs demandes de suivi par courriel[9]. ECCC a présenté les résultats informels à Ramida le 21 juillet 2022. Ces résultats indiquent que deux soumissions ont été présentées en réponse à la DP et que Ramida était le soumissionnaire qui proposait le prix le plus bas[10].

[9] Le 8 août 2022, ECCC a informé Ramida qu’aucun contrat ne serait accordé dans le cadre de l’appel d’offres. La soumission de Ramida n’a pas été retenue aux fins d’adjudication du contrat parce qu’elle ne satisfaisait pas aux critères obligatoires. Les projets antérieurs énumérés dans la soumission de Ramida n’étaient pas considérés comme des projets « de nature et de coûts similaires » au même titre que les travaux faisant l’objet de l’appel d’offres[11].

[10] Ramida était fortement en désaccord avec cette évaluation de sa soumission et a demandé un compte rendu. Elle a informé ECCC que son entreprise n’avait jamais été auparavant disqualifiée pour un travail en raison d’un manque d’expérience préalable. Ramida a en outre affirmé qu’elle connaissait bien la nature du travail requis par ECCC en ce qui concerne sa portée et sa valeur. Elle a fourni à ECCC un résumé de 39 projets supplémentaires qu’elle avait accomplis auparavant et a demandé un réexamen[12].

[11] Le 19 août 2022, ECCC a présenté ses excuses pour son retard à répondre à la demande de réexamen de Ramida et a indiqué qu’il entendait lui fournir une réponse complète sous peu[13]. Ramida a déposé une plainte auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur le même jour.

La plainte de Ramida

[12] Dans sa plainte, Ramida a soutenu que ECCC n’a pas fait preuve de transparence et ne lui a pas donné la possibilité de commenter ou de répondre avant de considérer sa soumission comme non conforme, ce qui va à l’encontre de ce que prévoit le Manuel des clauses et conditions uniformisées d’achat (CCUA), dans la section intitulée Attribution des marchés immobiliers, à l’alinéa 5 du paragraphe R2710T GI11.

[13] De l’avis de Ramida, la DP visait des travaux d’excavation simples et aucun critère obligatoire n’était nécessaire, surtout pour un entrepreneur expérimenté comme Ramida. Ramida estimait aussi que la DP n’avait pas présenté une description claire des critères d’évaluation qui seraient utilisés et le processus d’évaluation était trop rigoureux.

[14] En outre, Ramida a exprimé sa frustration par rapport à ce qu’elle perçoit comme un manque de communication rapide de la part d’ECCC et a affirmé que cela contrevient à l’article 203.2 de l’Accord de libre-échange canadien (ALEC).

[15] À titre de mesure corrective, Ramida demande que le contrat lui soit adjugé, étant donné qu’elle était la soumissionnaire proposant le prix le plus bas[14].

[16] ECCC a ensuite fourni une justification détaillée afin d’expliquer pourquoi la soumission de Ramida ne satisfaisait pas aux critères obligatoires[15].

[17] Ramida a déposé sa plainte auprès du Tribunal le 19 août 2022 et a déposé des documents supplémentaires le 25 août 2022 pour compléter sa plainte[16]. Le 1er septembre 2022, le Tribunal a décidé de faire enquête sur la plainte[17]. Le Tribunal a également rendu une ordonnance, en vertu du paragraphe 30.13(3) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur[18] (Loi sur le TCCE), ordonnant le report de l’adjudication de tout contrat pour la DP en attendant qu’il statue sur le bien-fondé de la plainte de Ramida.[19]

[18] Le 2 septembre 2022, Ramida a indiqué au Tribunal que le marché public avait été republié le 29 août 2022 sous la forme de l’appel d’offres K3F51-230283/A (réfection d’une route forestière à Halfmoon Bay), dont la date de clôture était le 8 septembre 2022. Ramida a indiqué qu’elle souhaitait toujours obtenir le contrat pour le projet et a demandé que l’ordonnance de report du Tribunal soit étendue au nouvel appel d’offres K3F51-230283/A[20].

[19] Étant donné que l’appel d’offres a été republié, ECCC a estimé que l’ordonnance de report du Tribunal était sans objet et devrait être annulée[21].

[20] Le 26 octobre 2022, le Tribunal a rejeté les demandes des deux parties relativement à l’ordonnance de report[22].

Rapport de l’institution fédérale

[21] ECCC a demandé une prorogation du délai, sur consentement, pour le dépôt du rapport de l’institution fédérale (RIF). Le Tribunal a accordé la prorogation et a également prorogé le délai pour rendre sa décision sur la plainte de Ramida à 135 jours, conformément à l’alinéa 12(1)c) du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics (Règlement)[23].

[22] Le RIF a été soumis au Tribunal le 7 octobre 2022[24]. Il comprend non seulement des mémoires écrits d’ECCC, mais aussi des affidavits de Shawn Davis et Rick Czepita.

Affidavit de Shawn Davis

[23] Shawn Davis est gestionnaire principal de l’approvisionnement à ECCC. Il est responsable de la publication d’appels d’offres, de demandes de propositions et d’autres demandes d’approvisionnement. Il était responsable du marché public en cause.

[24] Dans son affidavit[25], Shawn Davis a décrit les événements et la conduite du marché public en cause, y compris les mesures prises pour préparer et publier l’appel d’offres.

[25] Après la clôture de l’appel d’offres, deux soumissions ont été reçues, dont celle de Ramida. Le barème de tarification des deux soumissions dépassait l’autorisation de dépenser d’ECCC pour ce projet particulier[26]. Ainsi, Shawn Davis a cherché à obtenir ce qu’il a décrit comme un soutien supplémentaire pour le projet. En attendant la confirmation du soutien au projet, il a reporté les communications avec les soumissionnaires. Shawn Davis a également témoigné qu’il était très occupé pendant cette période à gérer des affaires professionnelles et personnelles.

[26] Shawn Davis a décrit avoir reçu les résultats de l’évaluation des soumissions de l’évaluateur et la correspondance subséquente avec Ramida, y compris la transmission de la lettre aux soumissionnaires non retenus et le suivi, par l’intermédiaire du compte rendu demandé par Ramida.

[27] Étant donné qu’il avait été déterminé que l’autre soumissionnaire avait aussi présenté une soumission non conforme, Shawn Davis a déclaré qu’aucun contrat n’avait été adjugé. Un nouvel appel d’offres, qui visait à annuler et à remplacer la DP en cause, a été lancé pour le marché public.

Affidavit de Rick Czepita

[28] Rick Czepita est gestionnaire adjoint de projet à ECCC et était responsable de l’évaluation des soumissions reçues en réponse à la DP en question.

[29] Dans son affidavit[27], Rick Czepita a expliqué que la DP visait les travaux entrepris dans le cadre du Programme de remplacement de radars météorologiques canadiens (PRRMC) et a fourni le contexte suivant :

5. Le PRRMC est une initiative fédérale visant à remplacer et à accroître le nombre de radars météorologiques au sein de la chaîne de radars du Canada. Le PRRMC renforcera grandement les capacités météorologiques du Canada, notamment en fournissant des avertissements météorologiques plus précis, en élargissant la gamme d’outils de détection de tornades et en améliorant la capacité des industries sensibles aux intempéries de planifier les événements météorologiques.

6. Le PRRMC dépend des services opportuns et fiables de ses entrepreneurs. Les travaux sur les installations radar peuvent perturber les capacités de prévision météorologique dans certaines régions du pays. Comme nous l’avons constaté avec les ouragans récents, les capacités de prévision météorologique peuvent entraîner des répercussions importantes sur la vie et les moyens de subsistance des Canadiens. La mise en œuvre efficace et rapide du PRRMC aidera à protéger les Canadiens. La mise en œuvre efficace et opportune du PRRMC n’est pas un exercice simple. Il nécessite un travail hautement technique effectué par des équipes très expérimentées. Il est souvent nécessaire de coordonner plusieurs équipes d’entrepreneurs, en particulier dans les zones où de nouveaux radars sont installés[28].

[Traduction]

[30] Le travail décrit dans la DP porte sur l’installation d’une nouvelle station radar météorologique près de Sechelt (Colombie-Britannique), au sommet de Halfmoon Peak, nécessaire pour fournir à la Colombie-Britannique une couverture radar météorologique. L’emplacement proposé pour la station radar météorologique est accessible par une route de service forestière, mais il faut réaliser des travaux supplémentaires importants pour préparer la route et installer la station radar météorologique.

[31] Rick Czepita témoigne que la route d’accès forestière traverse « une zone dangereuse et montagneuse à accès limité » [traduction]. Il fallait de toute urgence « moderniser et réhabiliter l’ensemble des 3,5 kilomètres de longueur » [traduction] de la route d’accès à la forêt pour éviter les retards dans la construction de la station radar météorologique. Pour ces raisons, il était important que l’entrepreneur possède l’expertise nécessaire pour s’assurer que le travail est effectué en toute sécurité et à temps.

[32] Afin d’évaluer la soumission de Ramida, Rick Czepita affirme qu’il a soigneusement comparé la nature des projets énumérés dans la soumission de Ramida à la description des travaux dans la DP. Il a également communiqué avec les références que Ramida avait fournies pour chaque projet. Il affirme qu’aucun autre critère n’a été utilisé pour l’évaluation des soumissions.

[33] Rick Czepita a conclu qu’aucun des projets énumérés par Ramida ne reflétait un projet de taille, de portée et de valeur similaires à celui décrit dans la DP :

[...] Les deux exemples portaient sur des projets beaucoup plus simples, beaucoup plus petits et beaucoup moins sophistiqués que les travaux visés par le marché public, et l’estimation de la valeur de Ramida reflétait que [...].[29]

[Traduction]

[34] Après avoir déterminé que la soumission de Ramida n’avait pas démontré le niveau d’expérience requis, Rick Czepita a discuté des résultats de l’évaluation des deux soumissions reçues avec d’autres membres de l’équipe qui participent au PRRMC. Rick Czepita a témoigné que les membres de l’équipe étaient d’accord avec son évaluation selon laquelle les soumissions reçues des deux soumissionnaires n’étaient pas conformes, et il a transmis ces résultats à Shawn Davis.

[35] Rick Czepita ajoute qu’il sait qu’aucun contrat n’a été adjugé parce qu’aucune soumission conforme n’a été reçue. Par conséquent, le projet a fait l’objet d’un nouvel appel d’offres. Le nouvel appel d’offres K3F51-230283/A comporte deux phases. Les qualifications des soumissionnaires sont évaluées dans la première phase et les soumissionnaires qualifiés sont invités à présenter une soumission financière dans une deuxième phase. Rick Czepita a déclaré qu’il a participé à l’évaluation des soumissions présentées pendant la première phase de l’appel d’offres K3F51-230283/A et qu’il sait que Ramida a présenté une soumission.

[36] Ramida a fourni des commentaires en réponse au RIF le 21 octobre 2022.[30]

POSITIONS DES PARTIES

[37] Les positions des parties se résument brièvement à ce qui suit.

Ramida

[38] Ramida soulève quatre principaux motifs de plainte.

Expérience non essentielle requise

[39] Ramida affirme que la DP contrevient à l’alinéa 503.5f) de l’ALEC parce qu’elle exige des soumissionnaires qu’ils satisfassent à des exigences qui ne sont pas nécessaires pour effectuer le travail qui fait l’objet du marché public.

[40] De l’avis de Ramida, la remise en état des routes forestières à Sechelt est un travail de routine qu’un entrepreneur en excavation comme elle pourrait facilement exécuter.

Critères d’évaluation imprécis

[41] Ramida fait valoir que la DP était déficiente, car elle ne décrivait pas le niveau de détail attendu que les soumissionnaires doivent fournir au sujet de leur expérience antérieure du projet, en particulier en ce qui concerne les critères qui seraient utilisés pour déterminer si un projet antérieur est « similaire » à la portée des travaux indiquée dans la DP.

[42] En outre, Ramida soutient que les critères d’évaluation des exigences obligatoires n’ont pas été divulgués dans la DP, en contravention de l’alinéa 509.7a) de l’ALEC.

Évaluation injuste et déraisonnable

[43] Ramida affirme que sa soumission a été évaluée injustement au moyen de critères indéfinis ou changeants, sans lui donner la possibilité de présenter des observations. En outre, elle affirme que les projets antérieurs mentionnés dans sa soumission étaient en fait de nature et de coûts similaires aux travaux en cours et que sa soumission aurait dû obtenir la note de passage.

Mauvaise communication de l’entité contractante

[44] Ramida fait part de sa frustration face à ce qu’elle décrit comme une incapacité de donner suite de façon adéquate ou en temps opportun d’ECCC aux demandes de Ramida après la clôture de l’appel d’offres. À ce titre, Ramida affirme qu’ECCC contrevient à l’article 203.2 de l’ALEC.

ECCC

[45] Les questions soulevées par ECCC peuvent être résumées comme suit.

La plainte n’a pas été déposée en temps voulu

[46] ECCC affirme que la portée des travaux a été clairement décrite dans les annexes de la DP. Afin de réhabiliter la route forestière, il faudrait procéder à des explosions, installer des fossés de drainage, remodeler et compacter les niveaux de sous-sol et les routes, et utiliser en toute sécurité du matériel lourd sur une route forestière.

[47] Dans la mesure où la plainte de Ramida est fondée sur un prétendu manque de clarté dans la DP, ECCC affirme que Ramida aurait dû soulever de telles préoccupations pendant la période d’appel d’offres avant de présenter une soumission. Étant donné que la DP a été publiée le 9 juin 2022, Ramida avait connaissance, de façon effective ou imputée, de la description de la portée des travaux. Si cela soulevait un motif de plainte quelconque, ECCC fait valoir que cette plainte aurait dû être déposée au plus tard le 21 juin 2022.

Les critères obligatoires de la DP étaient clairs, essentiels et raisonnables

[48] ECCC affirme que la portée des travaux a été clairement décrite dans les annexes de la DP. Afin de réhabiliter la route forestière, il faudrait procéder à des explosions, installer des fossés de drainage, remodeler et compacter les niveaux de sous-sol et les routes, et utiliser en toute sécurité du matériel lourd sur une route forestière.

[49] En outre, les travaux proposés concernaient une partie d’un projet global dont le calendrier est sensible au facteur temps. Les retards dans l’exécution des travaux pourraient avoir une incidence sur l’achèvement en temps opportun des étapes subséquentes de la construction de la station radar météorologique, ce qui entraînerait un gaspillage de ressources. Les travaux seraient également effectués sur des terrains accidentés présentant un danger possible associé aux travaux d’excavation, de dynamitage et de nivellement. Par conséquent, ECCC affirme qu’il est à la fois essentiel et raisonnable pour l’entité contractante de prescrire des critères obligatoires pour s’assurer que le soumissionnaire retenu peut effectuer les travaux en toute sécurité, dans les délais et dans les limites du budget.

La soumission de Ramida a été évaluée de manière équitable

[50] ECCC fait valoir qu’il incombe à un soumissionnaire de s’assurer que sa proposition satisfait à tous les critères obligatoires prescrits par l’appel d’offres. Le Tribunal a toujours appliqué une norme de contrôle appelant une plus grande retenue à l’égard de l’évaluation des soumissions, à condition que l’évaluation soit étayée par une explication raisonnable.

[51] En l’espèce, ECCC affirme que Ramida n’a pas démontré, dans sa plainte, que sa soumission satisfaisait à tous les critères obligatoires. Une comparaison côte à côte des tâches et des projets énumérés par Ramida a permis de conclure que ceux-ci ne reflétaient pas le même type de travail. Par conséquent, ECCC affirme que l’évaluateur avait des motifs raisonnables de rejeter la soumission de Ramida comme non conforme.

ECCC s’est conformée à ses obligations de communiquer avec les soumissionnaires

[52] ECCC affirme qu’il a fait preuve d’une transparence totale dans ses relations et ses communications avec Ramida.

[53] Les soumissionnaires ont reçu les coordonnées de Shawn Davis, qui a reçu les questions des soumissionnaires, notamment de Ramida, et y a répondu pendant l’appel d’offres et après la clôture de l’appel d’offres.

[54] Comme Ramida l’a demandé, ECCC a fourni les résultats informels de l’appel d’offres peu après la clôture et a informé Ramida dans un délai raisonnable que sa soumission avait été jugée non conforme. ECCC a également répondu à la demande de Ramida d’obtenir un compte rendu et fourni une explication détaillée de l’exclusion de la soumission de Ramida.

[55] ECCC fait valoir qu’il s’est conformé à toutes les obligations pertinentes en matière de communication transparente et opportune avec les soumissionnaires.

[56] ECCC demande que la plainte de Ramida soit rejetée, avec dépens.

QUESTIONS INTERLOCUTOIRES

[57] ECCC a demandé l’annulation de l’ordonnance de report au motif que l’ordonnance est maintenant sans objet parce que le projet fait l’objet d’un nouvel appel d’offres et Ramida a demandé que l’ordonnance de report soit étendue au deuxième appel d’offres. Le Tribunal a rejeté ces deux demandes le 26 octobre 2022.[31]

[58] La demande d’ECCC reposait sur la prémisse selon laquelle l’ordonnance de report se rattachait à un contrat pour les travaux en soi et pas à l’appel d’offres. En fait, l’article 30.13 de la Loi sur le TCCE fait référence à un contrat spécifique plutôt qu’à un marché public et aux biens ou services achetés.

[59] Une question ou une instance devient sans objet lorsqu’il n’y a plus de litige actuel entre les parties. Si l’instance est sans objet, la cour ou le tribunal conserve le pouvoir discrétionnaire d’entendre et de trancher l’affaire. Dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire, il convient d’examiner les facteurs suivants : 1) l’existence d’une relation d’opposition entre les parties; 2) l’économie des ressources judiciaires; et 3) l’intérêt public à ce que la question soit tranchée.[32]

[60] En l’espèce, la première de ces conditions n’est pas remplie. Il demeure un litige actuel entre les parties. L’ordonnance de report se rapporte à un appel d’offres précis et à la plainte selon laquelle l’appel d’offres a été fait en contravention des accords commerciaux. Ces motifs de plainte sont soit bien fondés, soit non fondés. Il s’agit d’un litige réel, en attendant que la plainte soit tranchée sur le fond, qui n’est pas affecté par la publication d’un nouvel appel d’offres pour les travaux.

[61] Le Tribunal ne peut savoir si le nouvel appel d’offres est une copie textuelle de la DP en cause ou si les paramètres de la DP ont changé et, dans l’affirmative, la mesure dans laquelle ils ont changé.

[62] Si la plainte est fondée, le plaignant a droit à une mesure corrective. En l’espèce, la plainte de Ramida telle qu’elle a été déposée demande, à titre de mesure corrective, que le contrat lui soit adjugé. Si l’ordonnance de report est annulée et que le Tribunal conclut par la suite que la plainte est fondée, on pourrait faire valoir au Tribunal qu’il ne peut accorder la mesure corrective initialement demandée par Ramida[33]. Si le Tribunal annule l’ordonnance de report au motif qu’elle est sans objet, on pourrait croire qu’il a indiqué qu’il existe un lien direct entre le premier appel d’offres et le deuxième, de sorte que le même contrat pourrait être adjugé avant que la plainte relative au premier appel d’offres ait été tranchée.

[63] L’entité contractante est libre de publier un nouvel appel d’offres pour les travaux, mais elle ne peut pas associer les contrats spécifiques associés aux appels d’offres. Si la plainte est accueillie et que l’adjudication du contrat au plaignant est la mesure corrective recommandée, il pourrait y avoir des problèmes pratiques dans la mise en œuvre de cette dernière, si un contrat correspondant a déjà été adjugé à la suite d’un deuxième appel d’offres. Toutefois, il s’agit d’une question qui doit être résolue si elle se présente. Cette possibilité ne peut être utilisée pour porter atteinte prématurément au droit du plaignant à la mesure corrective qu’il a choisie avant que la plainte ne soit tranchée.

[64] Pour les motifs susmentionnés, le Tribunal a rejeté la demande de Ramida visant à étendre l’ordonnance de report au deuxième appel d’offres. On ne peut supposer que les deux appels d’offres sont connexes, dérivés ou liés. Les appels d’offres sont distincts les uns des autres[34]. Le Tribunal n’a pas compétence à l’égard de ce deuxième processus d’appel d’offres tant qu’une plainte n’a pas été déposée (le cas échéant).

ANALYSE

[65] La Loi sur le TCCE et le Règlement confèrent au Tribunal le pouvoir de mener des enquêtes sur les marchés publics.

[66] Le paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le TCCE stipule que le Tribunal peut mener une enquête lorsqu’un marché porte sur un « contrat spécifique » et qu’une plainte est déposée par un « fournisseur potentiel » :

30.11 (1) Tout fournisseur potentiel peut, sous réserve des règlements, déposer une plainte auprès du Tribunal concernant la procédure des marchés publics suivie relativement à un contrat spécifique et lui demander d’enquêter sur cette plainte.

[67] Il n’est pas contesté que la DP concerne un « contrat spécifique » et que Ramida est un « fournisseur potentiel » au sens de l’article 30.1 de la Loi sur le TCCE et du Règlement.

[68] Par conséquent, le Tribunal doit déterminer si ECCC s’est conformée aux dispositions pertinentes de l’ALEC, compte tenu des motifs exposés dans la plainte de Ramida. Il s’agit également de déterminer si certains motifs de la plainte de Ramida sont opportuns.

[69] Le rôle du Tribunal dans l’examen des décisions en matière de marchés publics a récemment été résumé par la Cour d’appel fédérale dans Pacific Northwest Raptors Ltd. c. Canada (Procureur général) comme suit :

[42] Northwest Raptors a soutenu que la conclusion du TCCE selon laquelle elle n’avait pas respecté le critère obligatoire O2 était déraisonnable parce que le TCCE a simplement accepté, au paragraphe 66 de sa décision, que « [l]a preuve au dossier démontre que la soumission originale de [Northwest Raptors] ne satisfaisait pas au critère obligatoire O2 ».

[43] Dans Saskatchewan Polytechnic Institute c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 16, la Cour a déclaré ce qui suit :

[7] Après avoir examiné attentivement le dossier et les observations orales et écrites du demandeur, nous ne sommes pas convaincus que le Tribunal a commis une erreur susceptible de révision. Le demandeur soutient essentiellement que le Tribunal n’a pas soupesé correctement l’ensemble des renseignements contenus dans la proposition. Or, il n’appartenait pas au Tribunal de le faire dans le cadre de l’enquête relative à la plainte. Dans ce type d’enquête, son rôle est de décider si l’évaluation est étayée pas [sic] une explication raisonnable, et non de se mettre à la place des évaluateurs et de réévaluer la proposition non retenue. Le Tribunal a abordé la plainte de la bonne façon et s’est demandé si les conclusions des évaluateurs pouvaient se défendre au regard des critères publiés. Il a fait preuve de la retenue nécessaire à l’égard des évaluateurs et ses conclusions relatives à chacune des plaintes appartiennent aux issues acceptables. Bien que le demandeur soit clairement insatisfait des conclusions du Tribunal concernant trois des quatre motifs de plainte, il lui incombait, dans le cadre de la présente demande, de démontrer que la décision était déraisonnable compte tenu du dossier dont disposait le Tribunal, ce qu’il n’a pas réussi à faire.

[Je souligne.]

[44] Le rôle du TCCE n’est pas de réévaluer la proposition et les soumissions présentées par les soumissionnaires, mais plutôt de déterminer si les conclusions des évaluateurs étaient raisonnables[35].

[Traduction]

[70] Par conséquent, il n’appartient pas au Tribunal de repenser le processus d’évaluation ou d’effectuer sa propre évaluation ou une nouvelle analyse des soumissions en substituant son opinion à celle des évaluateurs d’ECCC.

[71] La plainte de Ramida repose essentiellement sur le fait que la DP n’offrait pas un cadre suffisant pour permettre aux soumissionnaires de savoir ce qu’on entendait par travail qui était « similaire » au travail décrit dans la DP.

[72] L’annexe A de la DP décrit le travail à faire pour cet appel d’offres comme suit :[36]

ANNEXE A – ÉNONCÉ DES TRAVAUX

Réfection de la route forestière - R15528, chemin TELUS à Halfmoon Bay, Sechelt (C.-B.)

1. Objectif

Environnement et Changement climatique Canada (ECCC) se prépare à installer une nouvelle station radar météorologique près de Sechelt, en Colombie-Britannique. Le site est situé au sommet de Halfmoon Peak et est accessible via une route de service forestière existante.

Une récente évaluation de la route d’accès a identifié plusieurs endroits de préoccupation pour le passage des engins de chantier nécessaires à la construction d’une tour de radar météorologique, ainsi que la nécessité de créer une zone de construction dégagée et nivelée, avec un espace de dépôt, pour la construction de la tour.

Cet énoncé de travail (EDT) décrit les exigences pour les deux objectifs clés suivants :

1) Préparation de la zone de construction de gravier du site (environ 35 m x 40 m), y compris la coupe d’arbres, le nivellement et le gravier pour s’assurer que la grue puisse fonctionner et que l’acier peut être déchargé en toute sécurité sur une zone de dépôt plate (élévation ASL constante); et

2) Réfection de la route pour permettre le passage en toute sécurité des véhicules lourds, tels qu’une remorque de 42 pieds, un plateau, une grue de 110 tonnes, etc., montant et descendant la montagne depuis l’entrée de R15528 chemin TELUS jusqu’à l’emplacement radar spécifié, une distance d’env. 3500m.

[...]

4. Tâches

L’entrepreneur doit :

Achever la zone de construction de gravier : Examiner les directives générales de construction décrites dans les appendices A et B. La zone d’environ 37 m x 41 m doit être débarrassée de tous les arbres et arbustes.

Réfection des routes : Voir les directives générales de construction décrites dans les appendices A et B.

[...]

[Nos italiques]

[73] Des renseignements supplémentaires sont fournis à l’annexe B de la DP :[37]

[...]

Partie 1 Travaux dans le cadre du présent contrat

1.1 Les travaux prévus au présent contrat consistent en des améliorations au défrichement, à la route d’accès, au drainage et au nivellement des sites pour Environnement et Changement climatique Canada (ECCC), ci-après appelé le propriétaire.

1.2 Le travail comprend les éléments suivants :

.1 Coupe, coupe et élimination hors site pour la végétation non marchande sur une longueur d’environ 3 500 m afin d’établir un corridor général de 6 m de largeur et 5 m de haut.

.2 Choisir la coupe et le stockage de bois marchand tel qu’indiqué sur les dessins du contrat.

.3 Installation ou extension de ponceaux de 24 m à 450 mm de diamètre, min.8m de long.

.4 Fournir, placer et compacter une superposition granulaire sur la route d’accès existante à 4,0 m de largeur, matériaux et longueurs approximatives comme indiqué dans les dessins du contrat pour assurer une vitesse de déplacement routier de 15 km / h.

.5 Modifications de la chaussée et construction de plateformes sur le site, y compris l’enlèvement de roches, l’excavation, la préparation de la plate-forme et du remblai, la structure des routes, le drainage, le nivellement des routes et des remblais et avec semences hydro-pulsées.

1.3 Les travaux, sauf indication contraire expresse, doivent inclure la fourniture de tout le matériel, produit, équipement, main-d’œuvre, y compris la mobilisation et la dés-mobilisation [sic] nécessaires à l’exécution des travaux.

1.4 Les travaux ne doivent pas être considérés comme terminés tant que tous les éléments n’ont pas été mis en service par l’entrepreneur et qu’ils ne fonctionnent pas de façon satisfaisante.

[Nos italiques]

[74] De l’avis du Tribunal, les renseignements qui précèdent fournissent une description claire de la portée des travaux que l’entrepreneur devrait exécuter. Les tâches décrites comportent également un niveau de complexité technique et de danger possible qui nécessitent un entrepreneur expérimenté. En particulier, l’excavation, le nivellement et le défrichement d’une route forestière pour permettre le passage en toute sécurité de machinerie lourde comprendraient probablement l’utilisation d’explosifs pour éliminer les roches et autres obstacles géologiques, ainsi que le nivellement, l’enlèvement et l’élimination en toute sécurité des arbres lourds et de la végétation. Il faudrait aussi que la route améliorée soit construite de manière à rester fonctionnelle et en mesure de supporter le poids des véhicules lourds pendant la construction de la station radar météorologique.

[75] Rien de tout cela ne donne à penser qu’il s’agit d’un projet qui pourrait être exécuté en toute sécurité par une main-d’œuvre occasionnelle ou inexpérimentée. Par conséquent, il était raisonnable que la DP comprenne des critères techniques obligatoires afin d’éliminer les soumissionnaires éventuels qui n’avaient pas les compétences et l’expérience nécessaires pour effectuer le travail de façon compétente et sécuritaire. Le Tribunal n’est donc pas en mesure de conclure que la DP a imposé des exigences non essentielles aux soumissionnaires éventuels.

[76] Lors de la rédaction des critères obligatoires, l’entité contractante a toute latitude et toute discrétion de définir les critères de l’appel d’offres comme elle le souhaite pour répondre raisonnablement à ses besoins opérationnels[38]. Elle n’est pas tenue d’adapter ses exigences aux circonstances de chaque soumissionnaire éventuel[39].

[77] En l’espèce, les soumissionnaires ont reçu l’instruction d’« énumérer » (plutôt que de « décrire ») des projets antérieurs qui sont de « nature et de valeur similaires » au travail décrit dans la DP. Cela impose deux conditions. Les projets antérieurs doivent être de « nature similaire » et ils doivent aussi avoir une « valeur similaire ». Les deux conditions doivent être remplies.

[78] Le mot « similaire » est plutôt polyvalent en ce qui concerne la façon de communiquer la norme qui sera utilisée aux fins de comparaison au moment de l’évaluation des soumissions, du moins en ce qui a trait à la nature des projets. Une invitation à « énumérer » des projets antérieurs implique en outre que l’on ne s’attend pas à obtenir de nombreux détails.

[79] Néanmoins, le Tribunal conclut que l’énoncé des travaux a fourni suffisamment de détails pour qu’un lecteur de la DP comprenne que les tâches attendues exigeaient un certain degré d’expertise et de sophistication. Les appels d’offres d’institutions fédérales sont des documents publics qui sont affichés en ligne. En l’absence d’un seuil minimum d’expérience et d’expertise, en particulier pour les projets lucratifs ou complexes, les entités contractantes pourraient recevoir un nombre important de soumissions spéculatives de la part d’entrepreneurs non qualifiés, qui consommeraient des ressources pour le traitement et l’évaluation de ces offres.

[80] En l’espèce, la DP a été structurée de telle sorte que l’exigence d’énumérer les projets similaires antérieurs était le seul critère obligatoire d’évaluation, à l’exception du prix. Compte tenu du type de travail spécialisé qui devait être effectué, le Tribunal estime qu’un soumissionnaire expérimenté comme Ramida s’attendrait à ce que les critères obligatoires ne soient pas seulement une formalité, mais qu’ils revêtent une expérience considérable dans l’évaluation globale des soumissions. Dans de telles circonstances, un soumissionnaire éventuel serait bien avisé de sélectionner soigneusement les projets antérieurs représentatifs et de mettre en évidence les caractéristiques ou les domaines communs qui se chevauchent avec l’énoncé des travaux de la DP.

[81] Ce n’est pas que Ramida ne possédait pas l’expérience ou l’expertise en soi; au contraire, elle n’a tout simplement pas fait un choix optimal lorsqu’elle a choisi deux de ses projets antérieurs afin de démontrer qu’elle avait effectué un travail semblable ou comparable par le passé. La quantité d’information fournie par la soumission de Ramida était suffisamment détaillée pour permettre aux évaluateurs de la soumission de discerner les tâches et la portée des travaux dans les projets antérieurs et de les rattacher à l’énoncé des travaux dans la DP, ce qui a fait ressortir des lacunes ou un chevauchement insuffisant. Les évaluateurs ont donc conclu que les projets antérieurs n’étaient pas de nature « similaire », ce qui a donné lieu à une évaluation selon laquelle la soumission de Ramida n’était pas conforme.

[82] Même si la DP fournissait une description claire du type de travail que le soumissionnaire retenu devrait exécuter, le libellé de la DP aurait pu être plus complet pour guider les soumissionnaires éventuels quant à ce qui constituerait un travail de « nature similaire » aux travaux faisant l’objet de l’appel d’offres. Le Tribunal estime qu’il est important, d’après l’affidavit de Rick Czepita, que le projet ait fait l’objet d’un nouvel appel d’offres en utilisant une structure différente pour évaluer les compétences des soumissionnaires.

[83] Dans l’évaluation des soumissions, ECCC semble avoir schématisé, tâche par tâche, le travail effectué dans les projets antérieurs avec ceux décrits dans la DP, mais l’étendue du chevauchement pour recevoir une note d’évaluation « Atteint » n’a pas été définie par ECCC dans la DP et aurait pu varier de 50 % à 100 % des éléments communs, peut-être même avec une pondération différente attribuée à différents aspects du travail qui étaient considérés par ECCC plus critique ou nécessitant plus d’expertise (p. ex., expérience du dynamitage).

[84] Cela étant dit, dans la mesure où la terminologie « de nature similaire » avait une ambiguïté inhérente, Ramida aurait dû soulever cette question auprès d’ECCC pendant la période d’appel d’offres. Il est maintenant trop tard pour que cette plainte soit déposée. De même, toute plainte relative au caractère essentiel des exigences techniques obligatoires aurait dû être soulevée pendant la période d’appel d’offres.

[85] Il est bien établi que les soumissionnaires potentiels doivent contester les lacunes perçues dans le document d’appel d’offres le plus tôt possible. Le Règlement impose des délais stricts en ce qui a trait au dépôt des plaintes relatives à des marchés publics. Une partie plaignante potentielle ne peut pas adopter une attitude attentiste où le temps représente une condition essentielle[40]. Par conséquent, un soumissionnaire qui ne demande aucune précision du libellé ou d’autres aspects d’un document d’appel d’offres qui est présumé ambigu, puis qui procède à la présentation d’une soumission, ne sera pas en mesure de déposer ultérieurement une plainte si sa soumission est rejetée.

[86] Il est également raisonnable de s’attendre à ce qu’un soumissionnaire se mette en valeur en choisissant, à partir de son portefeuille de projets antérieurs, des exemples de travaux qui auraient le plus grand nombre d’éléments particuliers en commun avec les travaux visés par l’appel d’offres. Par conséquent, les évaluateurs n’avaient aucune obligation de communiquer avec Ramida pour obtenir de plus amples renseignements ou des exemples de projets supplémentaires au cours de l’évaluation des soumissions. Cela reviendrait à une modification de la soumission, ce qui est inadmissible. Par conséquent, la plainte de Ramida selon laquelle ECCC a enfreint les dispositions prévues au sous-alinéa 5 du paragraphe R2710T GI11 de l’article Attribution des marchés immobiliers du Manuel des CCUA doit être rejetée.

[87] Le Tribunal a déjà conclu qu’il incombe aux soumissionnaires de démontrer que leur soumission répond aux exigences obligatoires d’une DP et qu’elle les satisfait[41].

[88] En l’espèce, la DP exigeait également que les travaux antérieurs ne soient pas seulement de « nature similaire », mais aussi de « valeur similaire ».

[89] Ramida admet qu’il existe une différence entre le prix des projets antérieurs énumérés dans sa soumission et le prix des travaux visés par l’appel d’offres. La soumission de Ramida contient la déclaration suivante :[42]

Ces deux exemples ne se situent pas dans la même fourchette de prix, ils fournissent tout de même des exemples de notre capacité de créer des plaques et des routes. D’ailleurs, nous avons récemment terminé un projet à l’Établissement fédéral William Head à un prix comparable[43].

[Traduction]

[90] Le Tribunal conclut que l’écart de prix entre les exemples de projets de Ramida et les travaux visés par l’appel d’offres ne peut être raisonnablement assimilé à des projets de « valeur similaire », même si on interprète ce terme de manière très libérale. La valeur en dollars des projets antérieurs énumérés par Ramida différait considérablement du prix de soumission proposé par Ramida pour les travaux faisant l’objet de l’appel d’offres.

[91] Pour cette seule raison, le Tribunal ne peut accueillir la plainte de Ramida selon laquelle sa soumission a été disqualifiée à tort.

[92] Après avoir examiné le rapport d’évaluation fourni dans l’affidavit de Rick Czepita, le Tribunal conclut que l’évaluation de la soumission se limitait à une comparaison des éléments de travail entre les exemples de projets de Ramida et la portée des travaux indiqués dans la DP.

[93] La jurisprudence indique clairement que, même si les documents d’appel d’offres doivent préciser les principaux critères d’évaluation, ils n’ont pas besoin de préciser chaque sous-critère comprenant les principaux critères d’évaluation. Dans Siemens Westinghouse Inc. c. Canada (Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux), la Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit :

Une DP doit indiquer les principaux critères d’évaluation, mais elle n’a pas à indiquer tous les aspects de chaque critère dont il sera peut-être tenu compte, à condition que les aspects non mentionnés aient un lien raisonnable avec le critère exprès ou qu’ils soient englobés dans ce critère. La décision du TCCE n’était pas irrationnelle, et encore moins clairement irrationnelle.

[...]

À mon avis, il est évident que, pour que les critères et les méthodes de pondération figurant dans une DP s’appliquent de façon à permettre l’évaluation des propositions, il doit nécessairement y avoir un processus de conversion ou un processus descriptif qui, selon la DP particulière en cause, peut entraîner un certain nombre de formulations ou de « décompositions » différentes, chacune pouvant être compatible avec la méthodologie énoncée dans la DP. À mon avis, il ne serait pas réaliste de conclure le contraire. Lorsqu’il instruit une plainte fondée sur l’article 30.11 de la Loi sur le TCCE, le TCCE se demande si une décomposition particulière mentionnée dans un guide d’évaluation ou de réévaluation est en fait logiquement compatible avec les conditions de la DP[44].

[94] L’entité contractante s’acquittera de ses obligations en vertu d’accords commerciaux de fournir une évaluation équitable[45], à condition que :

[...] elle utilise une méthode d’évaluation qui est logiquement compatible avec la méthodologie et les critères indiqués dans les documents d’appel d’offres (y compris dans les éclaircissements supplémentaires) et qui pourrait être raisonnablement anticipée ou déduite à partir de ceux-ci. De façon semblable, si une entité acheteuse décide d’utiliser des guides d’évaluation fondés sur des critères plus détaillés que ceux qui sont publiés dans les documents d’appel d’offres, l’évaluation demeurera raisonnable si ces directives détaillées sont conformes aux critères publiés et pouvaient être anticipées ou déduites à partir de ceux‐ci[46].

[95] Le Tribunal doit s’en remettre aux évaluations, dans la mesure où les évaluateurs se sont raisonnablement appliqués à bien évaluer les soumissions et que leur évaluation est étayée par une explication valable, même si le Tribunal ne considère pas que cette explication est concluante ou particulièrement convaincante[47]. Même si ECCC semble avoir procédé à un examen méticuleux des soumissions, aucun critère superflu n’a été utilisé[48] et l’évaluation est étayée par une explication raisonnable.

[96] Les communications postérieures à l’appel d’offres entre ECCC et Ramida n’étaient pas idéales en ce sens qu’il y avait des retards dans la réponse aux demandes de Ramida, un point qu’ECCC a concédé. Cela a clairement été une source de frustration et d’anxiété pour Ramida, qui avait besoin d’une certaine clarté pour pouvoir planifier une répartition appropriée de ses ressources humaines et opérationnelles. Toutefois, le Tribunal estime que ces lacunes ne constituent pas une violation des accords commerciaux, comme l’a allégué Ramida.

[97] Quoi qu’il en soit, les marchés publics sont couverts par le chapitre cinq de l’ALEC. L’article 203 de l’ALEC est inclus dans le chapitre deux – Règles générales et ne s’applique pas aux marchés publics. En effet, le paragraphe 2 de l’article 200 stipule clairement que « [l]e présent chapitre ne s’applique pas à l’acquisition, par une Partie, d’un produit ou d’un service achetés pour les besoins des pouvoirs publics (...) que cette acquisition constitue ou non un marché couvert au sens de l’article 504 (Champ d’application et portée) ».

[98] En résumé, le Tribunal rend les conclusions suivantes :

a) La portée des travaux à exécuter par l’entrepreneur était clairement décrite dans la DP;

b) Compte tenu de la nature du projet et des dangers possibles du travail, il était raisonnable pour ECCC d’avoir préparé une DP comportant des critères techniques obligatoires. Il ne s’agissait pas d’un projet dont le travail devait être confié à un entrepreneur inexpérimenté, et l’inclusion de critères techniques obligatoires n’imposait pas d’exigences non essentielles aux soumissionnaires éventuels. Quoi qu’il en soit, une telle plainte est frappée de prescription;

c) Il était raisonnable d’exiger des soumissionnaires qu’ils démontrent l’expérience requise pour les travaux visés par l’appel d’offres en fournissant des exemples de travaux antérieurs pertinents, en ce qui concerne leur nature et leur valeur. ECCC n’avait aucune obligation de demander des renseignements supplémentaires à un soumissionnaire (comme Ramida) pendant l’évaluation des critères techniques obligatoires;

d) L’expression « nature similaire » utilisée dans la DP pour désigner et évaluer les travaux antérieurs d’un soumissionnaire est peut-être ambiguë, mais des éclaircissements auraient dû être demandés au cours de l’appel d’offres, et une telle plainte est maintenant frappée de prescription;

e) La soumission de Ramida a été évaluée de manière raisonnable et équitable. À tout le moins, les exemples de projet fournis par Ramida ne pouvaient raisonnablement être considérés comme ayant une « valeur similaire » aux travaux visés par l’appel d’offres. Il existe un écart important et disproportionné entre la valeur en dollars des projets antérieurs de Ramida et le prix de soumission contenu dans la proposition de Ramida, qui suffisait à étayer une évaluation selon laquelle la soumission de Ramida n’était pas conforme. L’évaluation des soumissions est étayée par une explication raisonnable et aucun critère superflu n’a été utilisé;

f) Les communications postérieures à l’appel d’offres d’ECCC avec Ramida n’étaient pas idéales, mais les lacunes étaient mineures et ne constituaient pas une violation des accords commerciaux.

[99] Pour tous les motifs qui précèdent, la plainte de Ramida est rejetée.

FRAIS

[100] Le Tribunal dispose d’un large pouvoir discrétionnaire en vertu de la loi en ce qui a trait à l’adjudication des frais dans le cadre d’un litige relatif à un marché public[49].

[101] En règle générale, les frais suivent habituellement l’issue de la cause[50]. ECCC a demandé l’adjudication des frais pour la plainte, contrairement à Ramida.

[102] Comme il est indiqué ci-dessus, la critique formulée par Ramida sur la terminologie utilisée dans la DP, même si elle est frappée de prescription, a un certain mérite et pourrait avoir utilement servi à la préparation du deuxième appel d’offres, qui prévoit une structure différente pour prescrire et évaluer les qualifications des soumissionnaires.

[103] En outre, les communications entre les parties étaient difficiles. Même si l’absence de communication de la part de l’entité contractante ne semble pas constituer une violation des accords commerciaux applicables, le Tribunal a précédemment accordé une importance à ce facteur lors de l’adjudication des frais.[51]

[104] Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal détermine provisoirement que les parties devraient assumer leurs propres frais en l’espèce.

[105] Le Tribunal conclut que les frais sont à la fois provisoires et provisionnels. Le Tribunal encourage les parties à discuter de la question des frais et à s’entendre sur cette question, compte tenu de ces motifs. Si aucune entente n’est conclue, les parties peuvent présenter des observations sur les frais dans les 15 jours suivant la date du présent exposé des motifs. Après avoir reçu et examiné les observations reçues des parties, le Tribunal rendra une ordonnance définitive concernant les frais.

Susan D. Beaubien

Susan D. Beaubien
Membre présidant

 



[1] Pièce PR-2022-042-01.

[2] Pièce PR-2022-042-01.A à la p. 3.

[3] Ibid. aux p. 22–27.

[4] Ibid. à la p. 19.

[5] Ibid. aux p. 6, 17.

[6] Pièce PR-2022-042-09.A à la p. 17.

[7] Pièce PR-2022-042-17 à la p. 54; pièce PR-2022-042-01.A à la p. 183.

[8] Pièce PR-2022-042-01.A à la p. 163.

[9] Ibid. aux p. 164–166, 168, 171, 176, 179.

[10] Ibid. à la p. 183.

[11] Ibid. à la p. 184.

[12] Ibid. aux p. 191–194.

[13] Ibid. à la p. 195.

[14] Ibid. à la p. 1.

[15] Ibid. aux p. 204–205.

[16] Ibid.

[17] Pièce PR-2022-042-04.

[18] L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.).

[19] Pièce PR-2022-042-05.

[20] Pièce PR-2022-042-08, pièce PR-2022-042-15.

[21] Pièce PR-2022-042-10.

[22] Pièce PR-2022-042-21.

[23] Pièce PR-2022-042-14; DORS/93-602.

[24] Pièce PR-2022-042-17.

[25] Ibid. à la p. 52.

[26] Ibid. aux p. 54–55.

[27] Ibid. à la p. 32.

[28] Ibid. à la p. 33.

[29] Ibid. à la p. 36.

[30] Pièce PR-2022-042-19.

[31] Pièce PR-2022-042-21.

[32] SoftSim Technologies Inc., 2020 CanLII 115854 (CA TCCE) au par. 33, faisant référence à Borowski c. Canada (Procureur général), 1989 CanLII 123 (CSC), [1989] 1 RCS 342 au par. 37; Doucet-Boudreau c. Nouvelle‐Écosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62.

[33] Ramida a ensuite demandé que lui soit versée une indemnité pour profits perdus au lieu de lui adjuger le contrat. Pièce PR-2022-042-01 aux p. 4, 6; pièce PR-2022-042-01.B à la p. 4; pièce PR-2022-042-19 aux p. 11–12.

[34] Le Tribunal a toujours soutenu que le paragraphe 30.13(2) de la Loi sur le TCCE ne s’applique qu’au contrat spécifique qui fait l’objet d’une plainte et qui est proposé d’être adjugé. Voir Accipiter Radar Technologies Inc. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (26 avril 2019), PR-2018-049 (TCCE) au par. 54; Canadian Maritime Engineering Ltd. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (6 octobre 2019), PR-2020-044 (TCCE) au par. 11; Visiontec (2008) Ltd. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (30 juillet 2021), PR-2020-096 (TCCE) au par. 26.

[35] 2022 CAF 76.

[36] Pièce PR-2022-042-09.A aux p. 19–21.

[37] Ibid. à la p. 41.

[38] NISIT International Ltd. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (4 août 2020), PR‐2019‐067 (TCCE) au par. 68; R.P.M. Tech Inc. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (25 mars 2015), PR-2015-04-13 (TCCE) au par. 26; Inforex Inc. (24 mai 2007), PR-2007-019 (TCCE); FLIR Systems Ltd. (25 juillet 2002), PR-2001-077 (TCCE); Aviva Solutions Inc. (29 avril 2002), PR‐2001‐049 (TCCE).

[39] Voir, par exemple, Canada (Procureur général) c. Almon Equipment Limited, 2010 CAF 193 aux par. 40–41; Valley Associates Global Security Corporation c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (23 juillet 2020), PR-2019-060 (TCCE) aux par. 7577; Re Polaris Inflatable Boats (Canada) Ltd., 2001 CanLII 26620 (CA TCCE).

[40] Pacific Northwest Raptors Ltd. (16 octobre 2019), PR-2019-017 (TCCE) au par. 29; Temprano and Young Architects Inc. c. Commission de la capitale nationale (26 février 2019), PR-2018-036 (TCCE) aux par. 21, 22; Hewlett-Packard (Canada) Co. (20 mars 2017), PR-2016-043 (TCCE) au par. 86.

[41] Madsen Power Systems Inc. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (29 avril 2016), PR‐2015‐047 (TCCE) aux par. 64–65; Francis H.V.A.C. Services Ltd. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (2 septembre 2016), PR-2016-003 (TCCE) [Francis H.V.A.C. Services Ltd.] aux par. 36, 40.

[42] Pièce PR-2022-042-01 à la p. 143.

[43] Ibid.

[44] 2001 CAF 241 [Siemens Westinghouse Inc.] aux par. 43, 45.

[45] CGI Information Systems and Management Consultants Inc. (27 août 2014), PR-2014-006 (TCCE) [CGI].

[46] CGI au par. 77, citant Siemens Westinghouse Inc. aux par. 43, 45; MIL Systems (a Division of Davie Industries Inc.) et Fleetway Inc. (6 mars 2000), PR-99-034 (TCCE) aux p. 19–20.

[47] Voir, p. ex., Entreprise commune de BMT Fleet Technology Limited et NOTRA Inc. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (5 novembre 2008), PR-2008-023 (TCCE) au par. 25. Voir aussi C3 Polymeric Limited c. Musée des beaux-arts du Canada (14 fevrier 2013), PR-2012-020 (TCCE) au par. 38.

[48] Bronson Consulting Group Inc. c. Construction de Défense Canada (7 mai 2021), PR-2020-071 (TCCE).

[49] L’article 30.16 de la Loi sur le TCCE; Canada (Procureur général) c. Georgian College of Applied Arts and Technology, 2003 CAF 199 [Georgian College] au par. 26.

[50] Georgian College au par. 28; Canada (Procureur général) c. Educom TS Inc., 2004 CAF 130 au par. 11.

[51] Voir Francis H.V.A.C Services Ltd. aux par. 53–58; Steeple Incorporated (21 février 2022), PR-2021-073, PR‐2021‐074 et PR-2021-075 (TCCE) aux par. 26–27.

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