Enquêtes sur les marchés publics

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Contenu de la décision

Dossier PR-2022-053

Chantier Davie Canada Inc. et Wärtsilä Canada Inc.

c.

Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux

Décision rendue
le mercredi 1er février 2023

Motifs rendus
le mardi 14 février 2023

 



EU ÉGARD À une plainte déposée par Chantier Davie Canada Inc. and Wärtsilä Canada Inc. aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur;

ET À LA SUITE D’une décision d’enquêter sur la plainte aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur.

ENTRE

CHANTIER DAVIE CANADA INC ET WÄRSTILÄ CANADA INC.

Partie plaignante

ET

LE MINISTÈRE DES TRAVAUX PUBLICS ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX

Institution fédérale

DÉCISION

Aux termes du paragraphe 30.14(2) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur (Loi sur le TCCE), le Tribunal canadien du commerce extérieur détermine que la plainte est fondée en partie.

Le motif de plainte concernant l’adéquation du compte rendu n’est pas fondé.

Les motifs de plainte concernant l’évaluation de la soumission de Heddle Marine Service Inc. ne démontrent pas, dans une mesure raisonnable, qu’il y a eu violation de l’Accord de libre-échange canadien, car elles n’ont pas été présentées avec des éléments de preuve à l’appui au moment du dépôt de la plainte. Aux termes du paragraphe 30.13(5) de la Loi sur le TCCE et de l’article 10 du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics, le Tribunal cesse donc d’enquêter et rejette la plainte concernant ces allégations ou ces motifs de plainte non étayés.

Le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (TPSGC) a omis de reconnaître que Chantier Davie Canada Inc. et Wärtsilä Canada Inc. respectaient les exigences prévues à l’article 6.6 de l’appel d’offres. Le motif de plainte à ce sujet est donc fondé.

Aux termes des paragraphes 30.15(2) et (3) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal recommande, à titre de mesure corrective, que TPSGC remédie à la violation de l’Accord de libre-échange canadien en réévaluant les soumissions présentées en réponse à l’appel d’offres.

Chaque partie assumera ses propres frais.

Eric Wildhaber

Eric Wildhaber
Membre présidant

L’exposé des motifs suivra à une date ultérieure.

Membres du Tribunal :

Eric Wildhaber, membre présidant

Personnel du Secrétariat du Tribunal :

Yannick Trudel, conseiller juridique principal
Martin Goyette, conseiller juridique
Kim Gagnon-Lalonde, agente du greffe

Partie plaignante :

Chantier Davie Canada Inc.

Conseiller juridique de la partie plaignante :

Gabrielle Cyr
Julien Frigon
Novera Khan
Christopher Little
Alexandra Logvin
Nabila Abdul Malik
Peter N. Mantas
Marcia Mills

Partie plaignante :

Wärtsilä Canada Inc.

Conseiller juridique de la partie plaignante :

Andrei Voinigescu

Institution fédérale :

Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux

Conseiller juridique de l’institution fédérale :

Valerie Arseneault
Julie Dufour
Samantha Gervais
Katherine Humphries
Ruzica Riznic

Partie intervenante :

Heddle Marine Service Inc.

Conseiller juridique de la partie intervenante :

Luke Hunter
Eric Machum
Seamus Ryder
Nathan Stanley
Marc McLaren-Caux

Veuillez adresser toutes les communications à :

La greffière adjointe
Téléphone : 613-993-3595
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

 


EXPOSÉ DES MOTIFS

APERÇU

[1] La présente affaire concerne une plainte déposée aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur[1] (Loi sur le TCCE) par Chantier Davie Canada Inc. (Chantier Davie) et Wärtsilä Canada Inc. (Wärtsilä) concernant un appel d’offres (F7049-200041/B) publié par le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (TPSGC) au nom du ministère des Pêches et des Océans (MPO). Le MPO a besoin de faire exécuter des travaux sur le navire de la Garde côtière canadienne Terry Fox qui comprennent l’amarrage, l’inspection, la réparation, l’entretien et les modifications, ainsi que les travaux sur les principaux composants, y compris le système de propulsion.

[2] Dans leur plainte, Chantier Davie et Wärtsilä[2] soutiennent que TPSGC a manqué à ses obligations en matière de compte rendu au titre de l’accord commercial applicable et que leur soumission n’a pas été évaluée correctement (TPSGC a exclu Chantier Davie et Wärtsilä en raison d’un problème relatif à ses conventions collectives). Elles font également valoir que TPSGC aurait dû déclarer non conforme la soumission retenue, soit celle de Heddle Marine Service Inc. (Heddle), car elles estiment que Heddle n’aurait pas respecté certaines exigences de l’appel d’offres.

[3] Pour les motifs décrits ci-après, le Tribunal canadien du commerce extérieur juge que la plainte est fondée en partie : la soumission de Chantier Davie et Wärtsilä a été indûment déclarée non conforme. Le Tribunal recommande de remédier à cette situation en réévaluant les soumissions recevables. Les autres motifs de plainte ne sont pas fondés.

PROCÉDURE DU MARCHÉ PUBLIC

[4] L’appel d’offres a été publié le 2 novembre 2021. La période de soumission s’est terminée le 19 juillet 2022[3].

[5] TPSGC a reçu trois soumissions en réponse à l’appel d’offres[4].

[6] Le 27 octobre 2022, TPSGC a attribué le contrat à Heddle.

[7] Le 28 octobre 2022, Heddle a entrepris l’exécution du contrat.

[8] Dans un courriel de refus de TPSGC daté du 28 octobre 2022, Chantier Davie et Wärtsilä ont été informées, entre autres choses, que leur soumission avait été rejetée parce qu’elles n’avaient pas respecté l’article 6.6 de l’appel d’offres, qui est ainsi libellé[5] :

6.6 Convention collective valide

Lorsque le soumissionnaire est lié par une convention collective ou par un autre instrument adéquat à ses travailleurs syndiqués, la convention collective ou l’instrument doit être valide pour la durée de la période proposée de tout contrat subséquent. La preuve documentaire de la convention collective ou de l’instrument doit être fournie dans leur [sic] offre. Le soumissionnaire doit fournir une lettre indiquant qu’il s’agit d’un établissement non syndiqué, s’il y a lieu.

[9] Le 5 novembre 2022, Chantier Davie et Wärtsilä ont présenté une demande de réunion de compte rendu en personne avec TPSGC[6].

[10] Le 8 novembre 2022, TPSGC a rejeté la demande de réunion de compte rendu en personne, mais a fourni un compte rendu écrit.

[11] Le même jour, Chantier Davie et Wärtsilä ont demandé à TPSGC de reconsidérer son refus de tenir une réunion de compte rendu en personne[7].

[12] Le 10 novembre 2022, TPSGC a réitéré qu’elle ne tiendrait pas de réunion de compte rendu en personne, mais a fourni un autre compte rendu écrit et a déclaré qu’elle considérait que le dossier était clos[8].

HISTORIQUE DE LA PROCÉDURE DEVANT LE TRIBUNAL

[13] Le 14 novembre 2022, Chantier Davie et Wärtsilä ont déposé une plainte auprès du Tribunal[9].

[14] Le 17 novembre 2022, le Tribunal a accepté d’enquêter sur la plainte[10] conformément au paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le TCCE et du paragraphe 7(1) du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics (Règlement)[11].

[15] Le 30 novembre et le 1er décembre 2022, Heddle a déposé une demande d’intervention dans la procédure[12]. La demande a été accueillie le 2 décembre 2022[13].

[16] Le 23 décembre 2022, TPSGC a présenté le Rapport de l’institution fédérale (RIF)[14].

[17] Le 9 janvier 2023, Chantier Davie et Wärtsilä ont demandé au Tribunal d’admettre Gary S. Rosen à titre d’expert en droit du travail du Québec[15].

[18] Le 10 janvier 2023, Heddle a présenté des commentaires pour s’opposer à la désignation de Gary S. Rosen à titre d’expert[16].

[19] Le 11 janvier 2023, Heddle a déposé ses commentaires sur le RIF[17], et TPSGC a présenté ses commentaires pour s’opposer à la demande de Chantier Davie et Wärtsilä visant Gary S. Rosen[18].

[20] Le 12 janvier 2023, Chantier Davie et Wärtsilä ont demandé au Tribunal d’admettre Manpreet Singh à titre d’expert et de lui donner accès au dossier confidentiel[19].

[21] Le 13 janvier 2023, TPSGC et Heddle ont déposé des commentaires pour s’opposer à la désignation à titre d’expert de Manpreet Singh[20], et Chantier Davie et Wärtsilä ont présenté une réponse aux commentaires de TPSGC et de Heddle concernant Gary S. Rosen[21].

[22] Le 16 janvier 2023, Chantier Davie et Wärtsilä ont présenté une réponse aux commentaires de TPSGC et de Heddle concernant Manpreet Singh[22].

[23] Le 19 janvier 2023, le Tribunal a accusé réception des observations des parties concernant les experts proposés[23]. Il a informé les parties que la demande de désignation à titre d’expert de Gary S. Rosen était rejetée et qu’une décision sur la demande visant Manpreet Singh serait rendue après le dépôt des commentaires de Chantier Davie et Wärtsilä concernant le RIF.

[24] Le 23 janvier 2023, Chantier Davie et Wärtsilä ont présenté leurs commentaires sur le RIF[24].

[25] Le 25 janvier 2023, Heddle et TPSGC ont déposé des lettres d’opposition à divers éléments des commentaires de Chantier Davie et Wärtsilä concernant le RIF au motif qu’ils constituaient des éléments de preuve qui auraient dû être inclus dans les documents soumis au Tribunal au moment du dépôt de la plainte[25].

[26] Chantier Davie et Wärtsilä ont présenté des commentaires en réponse au Tribunal le 30 janvier 2023.

ANALYSE

[27] Dans le cadre de son examen de la plainte de Chantier Davie et Wärtsilä, le Tribunal est tenu, aux termes du paragraphe 30.14(2) de la Loi sur le TCCE, de déterminer si TPSGC a agi conformément aux critères et aux procédures établis par règlement qui se trouvent dans l’appel d’offres. Aux termes de l’article 11 du Règlement, le Tribunal doit aussi décider si la procédure du marché public a été suivie conformément aux exigences des accords commerciaux applicables. Le seul accord commercial applicable à l’appel d’offres est l’Accord de libre-échange canadien (ALEC)[26].

Question préliminaire

[28] Dans leurs lettres respectives datées du 25 janvier 2023, Heddle et TPSGC ont demandé au Tribunal de retirer diverses parties ou l’entièreté des commentaires sur le RIF déposés par Chantier Davie et Wärtsilä. Le 30 janvier 2023, Chantier Davie et Wärtsilä ont déposé des commentaires en réponse à ce sujet.

[29] La demande est rejetée. Il n’est pas nécessaire de tronquer le dossier pour les motifs soulevés par Heddle et TPSGC. Les documents que Chantier Davie et Wärtsilä ont produit au moment du dépôt de leurs commentaires sur le RIF, et par la suite, présentent un compte rendu complet de la manière dont Chantier Davie et Wärtsilä ont fait défaut de présenter des éléments de preuve principaux relatifs à certains éléments de leur plainte au moment de son dépôt.

Il n’y a pas eu manquement aux obligations en matière de compte rendu de l’ALEC

La seule question en litige à l’étape du compte rendu était le format de celui-ci

[30] Le motif de plainte soulevé par Chantier Davie et Wärtsilä relativement aux obligations en matière de compte rendu de TPSGC au titre de l’ALEC n’est pas fondé.

[31] Les paragraphes pertinents de la plainte de Chantier Davie et Wärtsilä sont ainsi rédigés[27] :

6. Pire encore, le soumissionnaire sélectionné (Heddle) n’a pas rempli, et ne pouvait pas remplir, les exigences obligatoires de l’appel d’offres. Plus précisément, les moteurs de propulsion principaux (« MPP ») que Heddle a proposés pour le nouveau système de propulsion du navire a) n’étaient plus en production et/ou b) ne répondaient pas aux spécifications obligatoires et techniques de l’appel d’offres concernant l’existence d’au moins cinq (5) installations de brise-glace similaires sur d’autres navires actuellement en service. De même, le fournisseur de MPP de Heddle n’a pas d’atelier de travail et de réparation établi dans l’Est canadien pour permettre l’entretien de ses moteurs, comme le requièrent l’appel d’offres et le contrat qui en découle. Par conséquent, elle n’est pas en mesure de remplir les exigences obligatoires en matière de performance et d’exécuter les travaux prévus dans le contrat, du moins selon l’énoncé des travaux figurant dans l’appel d’offres.

7. Le 5 novembre 2022, les plaignantes ont demandé un compte rendu pour examiner ces questions avec SPAC. SPAC a plutôt répété, par écrit, les mêmes motifs invoqués dans la lettre de refus, c’est-à-dire la (prétendue) omission de prouver l’existence de conventions collectives valides durant la période visée par le contrat, sans fournir d’autres explications. De plus, SPAC a indiqué que la soumission des plaignantes n’était pas la plus basse. SPAC n’a pas permis aux plaignantes de poser des questions ou de demander des précisions et a terminé la lettre brusque par la phrase suivante : « Le Canada considère le présent dossier clos. »

[…]

35. Le 5 novembre 2022, les plaignantes ont présenté une demande de compte rendu pour examiner ces questions avec SPAC et pour obtenir des précisions sur les résultats de l’évaluation. Le 8 novembre 2022, et de nouveau le 10 novembre 2022, SPAC a répondu à la demande des plaignantes en répétant les mêmes motifs que ceux énoncés dans la lettre de refus. En outre, SPAC a ajouté que la soumission des plaignantes n’était pas la plus basse. Aucune occasion n’a été offerte aux plaignantes pour poser des questions ou obtenir des précisions. Une copie de l’échange des courriels datés du 5 et du 8 novembre 2022 entre Davie et l’intimé et de la communication subséquente de l’intimé datée du 10 novembre 2022 est jointe à l’annexe « F » de la présente plainte.

[Traduction, nos italiques, caractères gras dans l’original]

[32] Chantier Davie et Wärtsilä ont ensuite détaillé leur motif de plainte relatif au processus de compte rendu dans leurs commentaires sur le RIF, ce qui était inapproprié, car les parties doivent se servir des commentaires sur le RIF pour répondre au RIF et non pour donner plus de détails sur un motif de plainte. Comme le prévoit le paragraphe 30.11(2) de la Loi sur le TCCE, les motifs de plainte doivent être précisés essentiellement au moment du dépôt de la plainte et non après[28].

[33] Quoi qu’il en soit, le Tribunal ne souscrit pas aux affirmations de Chantier Davie et Wärtsilä et estime plutôt que TPSGC n’a jamais refusé de leur faire un compte rendu sur des questions de fond se rapportant à leur soumission et à celle du soumissionnaire retenu. Les éléments de preuve au dossier démontrent que Chantier Davie et Wärtsilä n’ont soulevé aucune question de fond dans leurs demandes de compte rendu. La demande de compte rendu de Chantier Davie et Wärtsilä portait uniquement sur la façon dont ils voulaient que le compte rendu ait lieu : elles ont insisté pour qu’on leur accorde une réunion de compte rendu en personne. En d’autres termes, Chantier Davie et Wärtsilä n’ont pas accepté le compte rendu par écrit qui leur était offert et voulaient manifestement parler à TPSGC dans le cadre d’une rencontre en personne. Il s’agissait purement d’un désaccord sur la procédure et non sur le fond.

[34] Ainsi, lorsqu’elles ont demandé la tenue d’une réunion de compte rendu en personne, Chantier Davie et Wärtsilä n’ont jamais indiqué qu’elles pouvaient démontrer qu’elles respectaient l’exigence prévue à l’article 6.6 de l’appel d’offres (et qu’elles voulaient donc faire réévaluer leur soumission). Dans leur correspondance avec TPSGC, Chantier Davie et Wärtsilä n’ont aucunement soulevé les questions liées aux résultats de l’évaluation visant à déterminer le soumissionnaire retenu. Elles les ont soulevées pour la première fois dans la plainte. Par conséquent, comme Chantier Davie et Wärtsilä n’avaient pas soulevé de questions de fond dans leur correspondance avec TPSGC à l’étape du compte rendu, il est naturel que TPSGC ne se soit jamais attendu à répondre à des griefs relatifs au fond qui n’avaient jamais été formulés. Ces questions n’ont tout simplement pas été soulevées dans la demande de réunion de compte rendu en personne.

[35] La seule discussion qui a eu lieu à l’étape du compte rendu est la suivante. Chantier Davie et Wärtsilä ont insisté à deux reprises pour qu’une réunion de compte rendu en personne ait lieu. TPSGC a rejeté la demande deux fois au motif que l’appel d’offres prévoyait un compte rendu par écrit. TPSGC avait effectivement indiqué, à juste titre, que l’ALEC n’exige pas la tenue d’une réunion de compte rendu en personne et que l’appel d’offres prévoyait des comptes rendus par écrit[29].

[36] Le Tribunal souligne que l’ALEC exige que les institutions gouvernementales soient assujetties à des obligations circonscrites en matière de compte rendu[30], que TPSGC a remplies en l’espèce : TPSGC a publié le nom du fournisseur retenu, la valeur et la date de la soumission retenue, et les raisons pour lesquelles la soumission de Chantier Davie et Wärtsilä n’a pas été retenue. De plus, TPSGC a offert un compte rendu écrit à Chantier Davie et Wärtsilä.

[37] Le fait de ne pas offrir la forme de compte rendu que souhaitaient Chantier Davie et Wärtsilä ne constitue pas un manquement à une obligation au titre d’un accord commercial. TPSGC s’est acquitté de ses obligations au titre de l’accord commercial applicable et, par conséquent, le motif de plainte à cet égard n’est pas fondé.

Chantier Davie et Wärtsilä ne se sont pas prévalues du processus de compte rendu

[38] Dans son courriel de refus daté du 28 octobre 2022, TPSGC a invité Chantier Davie et Wärtsilä à communiquer avec l’autorité contractante pour « toute demande d’information supplémentaire concernant l’évaluation de [leur] soumission » [traduction].

[39] En insistant pour obtenir une réunion de compte rendu en personne au lieu d’accepter l’option d’un compte rendu par écrit que TPSGC leur a offerte conformément à l’accord commercial applicable, Chantier Davie et Wärtsilä ont renoncé à toute possibilité de compte rendu utile offerte par TPSGC. Dans le même ordre d’idées, Chantier Davie et Wärtsilä n’ont pas démontré la véracité de leur hypothèse selon laquelle Heddle ne pouvait pas avoir respecté certaines exigences de l’appel d’offres relativement aux installations d’entretien et aux MPP.

[40] Chantier Davie et Wärtsilä ne semblent pas avoir envisagé de communiquer par écrit leurs préoccupations relatives à l’évaluation de leur soumission ou de celle de Heddle. Néanmoins, rien n’empêchait Chantier Davie et Wärtsilä d’échanger par écrit avec TPSGC à l’étape du compte rendu.

[41] L’ALEC, l’unique accord commercial applicable à l’appel d’offres, contient uniquement des obligations circonscrites en matière de compte rendu qui consistent à publier le nom du fournisseur retenu ainsi que la valeur et la date de la soumission retenue, et à donner au soumissionnaire exclu les raisons pour lesquelles sa soumission a été exclue. En revanche, l’Accord sur les marchés publics de l’Organisation mondiale du commerce (AMP de l’OMC) va plus loin. Il oblige les institutions gouvernementales à expliquer « les avantages relatifs de la soumission du fournisseur retenu » [nos italiques][31] ou, autrement dit, à expliquer pourquoi le soumissionnaire retenu a été sélectionné.

[42] Toutefois, cela ne signifie pas que les comptes rendus devraient ou doivent satisfaire uniquement aux obligations minimales prévues par les accords commerciaux. En fait, les institutions gouvernementales offrent souvent des « comptes rendus bonifiés »[32]. Par exemple, bien que le strict minimum requis par l’ALEC soit d’expliquer au soumissionnaire exclu pourquoi sa soumission n’a pas été retenue, les institutions gouvernementales vont en réalité offrir des « comptes rendus bonifiés » pour informer le soumissionnaire exclu des raisons pour lesquelles le soumissionnaire retenu a été sélectionné en expliquant les « avantages relatifs de la soumission du fournisseur retenu » (même si elles ne sont pas strictement tenues de le faire, sauf si l’AMP de l’OMC s’applique).

[43] Les comptes rendus bonifiés sont des pratiques exemplaires parce qu’ils permettent aux soumissionnaires non retenus, entre autres, de comprendre pourquoi leur soumission n’a pas été retenue à bon droit. Elles peuvent donner l’occasion aux soumissionnaires non retenus de vérifier si les idées qu’ils se faisaient à l’égard de la soumission d’un concurrent étaient exactes. Fait important, ce processus peut permettre à une institution fédérale de prendre connaissance de toute omission ou erreur qui doit être corrigée, le cas échéant[33]. Même si une divergence d’opinion sur une question donnée n’entraîne pas de mesures correctives de la part de l’institution fédérale, ce type de discussion peut au moins permettre aux soumissionnaires d’envisager de porter plainte auprès du Tribunal et de fonder correctement leur plainte s’ils décident d’aller de l’avant.

[44] L’étape du compte rendu a lieu après l’adjudication du contrat. Ce détail est important, car les tribunaux ont reconnu que la confidentialité stricte ou absolue des soumissions à l’étape du dépôt et de l’évaluation des soumissions, qui sert à préserver l’intégrité du système concurrentiel de passation des marchés, peut être levée après l’adjudication du contrat afin de soupeser les autres éléments à prendre en considération, notamment ceux liés à une transparence publique accrue. Dans le cadre de la responsabilité à l’égard du public, ce processus doit permettre aux soumissionnaires non retenus d’accéder aux renseignements leur permettant de scruter les décisions en matière de marchés publics[34].

[45] TPSGC n’est pas obligé de se prêter à la critique ou d’offrir volontairement des renseignements à des fins d’examen approfondi au-delà de ce qu’il est tenu de faire selon ses obligations au titre des accords commerciaux applicables. Toutefois, il pourrait songer à être raisonnablement proactif en engageant des échanges. En l’espèce, après avoir rejeté les demandes de réunion de compte rendu en personne présentées par Chantier Davie et Wärtsilä, TPSGC aurait probablement dû comprendre que celles-ci avaient quelque chose à dire et aurait donc pu les inviter à lui faire part de leurs préoccupations par écrit[35]. À mesure que la situation évoluait, il semble que Chantier Davie et Wärtsilä ont plutôt eu l’impression qu’elles n’avaient d’autre choix que de se tourner vers le Tribunal[36]. L’évitement des litiges, dans la mesure du possible, favorise l’intégrité et l’efficacité du système concurrentiel de passation des marchés publics.

[46] Les soumissionnaires qui se sentent lésés ne devraient pas hésiter à demander à une institution fédérale d’expliquer et de justifier ses décisions[37]. Les soumissionnaires qui ne sont pas satisfaits des renseignements communiqués peuvent se prévaloir d’un mécanisme d’accès à l’information établi par le Parlement[38]. Ce mécanisme est un moyen supplémentaire de recueillir des renseignements qui peuvent servir d’éléments de preuve à l’appui d’allégations dans le cadre d’une plainte au Tribunal. La première étape consiste toutefois à poser des questions et à demander des renseignements. Chantier Davie et Wärtsilä n’ont fait ni l’un ni l’autre; elles se sont empressées de saisir le Tribunal de l’affaire sans avoir d’abord demandé à TPSGC de communiquer les renseignements sur lesquels il a fondé sa décision[39].

[47] Chantier Davie et Wärtsilä disposaient d’éléments de preuve afin d’expliquer pourquoi leur soumission n’aurait pas dû être exclue. Elles avaient des éléments de preuve à fournir pour démontrer leur conformité à l’article 6.6 de l’appel d’offres; ce motif de plainte a été présenté en bonne et due forme au Tribunal. Cependant, Chantier Davie et Wärtsilä avaient seulement des doutes quant à la soumission probable de Heddle (et, par conséquent, quant à la manière dont sa soumission pouvait ne pas satisfaire aux exigences de l’appel d’offres), mais aucun fait concret. Elles ont essayé de confirmer leurs doutes en menant un exercice de collecte d’éléments de preuve dans le cadre de la présente procédure. En gros, en ce qui a trait aux allégations à l’égard de la soumission de Heddle (les critères M19d et M19h), Chantier Davie et Wärtsilä tentent d’utiliser le processus d’enquête du Tribunal en tant que compte rendu pour mieux comprendre pourquoi la soumission de Heddle a été retenue. Elles tenteraient ensuite de démontrer pourquoi la soumission de Heddle n’aurait pas dû être retenue. Le Tribunal ne peut autoriser ce type d’exercice dans le cadre d’une demande de révision des marchés, car le mécanisme de contestation des soumissions n’a pas été conçu pour l’usage que Chantier Davie et Wärtsilä essaient d’en faire.

[48] La réévaluation des soumissions que permettra la mesure corrective visant à réparer la violation de l’ALEC et qui sera analysée ci-après donnera l’occasion à TPSGC de réexaminer tout renseignement d’intérêt qui a été porté à son attention durant la présente procédure et de prendre les mesures appropriées, le cas échéant. Il y aura une autre occasion de dresser un compte rendu au terme de la nouvelle évaluation.

[49] Pour tout document concernant l’évaluation des soumissions qu’elles souhaitent examiner, Chantier Davie et Wärtsilä peuvent en demander la publication (avec les passages pertinents caviardés) à TPSGC ou présenter une demande d’accès à l’information, dans le cadre de laquelle il sera établi s’il est approprié de le rendre public et si des passages doivent être caviardés, au besoin. Si Chantier Davie et Wärtsilä recueillent des éléments de preuve démontrant que TPSGC a manqué à ses obligations dans le cadre de la procédure du marché public, comme elles l’affirment, elles pourront déposer une nouvelle plainte auprès du Tribunal.

Certaines allégations n’ont pas démontré, dans une mesure raisonnable, qu’il y a eu violation de l’ALEC

[50] Chantier Davie et Wärtsilä ont formulé des allégations selon lesquelles TPSGC n’aurait pas évalué adéquatement la soumission de Heddle en ce qui a trait aux exigences M19d (concernant les installations d’atelier) et M19h (concernant les moteurs de propulsion)[40]. Le Tribunal juge que ces allégations, telles qu’elles sont formulées dans la plainte, n’ont pas démontré, dans une mesure raisonnable, qu’il y a eu violation de l’ALEC parce qu’elles n’ont été étayées par aucun élément de preuve au moment du dépôt de la plainte.

[51] Lorsqu’une partie saisit le Tribunal, elle doit fournir des éléments de preuve à l’appui de ses allégations. Les plaignants doivent présenter des faits. Il ne suffit pas de formuler des allégations spéculatives.

[52] Dans ses commentaires sur l’affaire Macadamian Technologies Inc., l’auteur P. Emanuelli a formulé la remarque suivante :

[U]n plaignant ne peut pas simplement affirmer de façon générale que le fournisseur à qui le contrat a été adjugé n’a pas rempli les exigences requises, puis faire peser sur le gouvernement le fardeau de prouver chaque volet de son évaluation. En réalité une telle façon de procéder obligerait le gouvernement à refaire son évaluation et forcerait le Tribunal à effectuer une vérification postérieure à l’adjudication de cette évaluation[41].

[Traduction]

[53] Lorsqu’il a constitué le Tribunal, le Parlement a élaboré un mécanisme d’examen des marchés publics accessible et expéditif. La Loi sur le TCCE et les Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur structurent les procédures afin que le Tribunal puisse traiter toutes les causes dans les délais stricts prescrits par le Parlement. Les procédures du Tribunal ne sont pas des procédures judiciaires[42].

[54] Selon la Loi sur le TCCE, les parties doivent recueillir leurs éléments de preuve avant de déposer une plainte auprès du Tribunal. Dès le départ, une partie doit avoir des éléments de preuve à l’appui de ses allégations, car la Loi sur le TCCE requiert qu’une partie plaignante démontre, dans une mesure raisonnable, qu’il y a eu manquement à une obligation au titre d’un accord commercial applicable. De simples allégations ne suffisent pas à démontrer, dans une mesure raisonnable, qu’il y a eu manquement à une obligation au titre d’un accord commercial applicable; des éléments de preuve à l’appui doivent être fournis.

[55] Chantier Davie et Wärtsilä ont formulé de simples allégations dans leur plainte sans fournir d’éléments de preuve à l’appui; elles ont ensuite tenté d’obtenir des éléments de preuve en adjoignant un expert pour étudier l’affaire. Les parties ne peuvent pas fonder une plainte contenant des allégations qui ne sont pas étayées par des éléments de preuve suffisants, et encore moins des allégations qui ne reposent sur aucun élément de preuve, comme c’est le cas en l’espèce, en partant à la recherche de faits dans le cadre d’une procédure devant le Tribunal. Le Tribunal a maintes fois répété que son processus ne peut servir à recueillir des éléments de preuve ou à effectuer une « recherche à l’aveuglette »[43]. Il importe également de souligner que le Tribunal n’a pas le mandat de mener des enquêtes à grande échelle sur le système de passation des marchés publics dans son ensemble ou sur un appel d’offres précis[44]. Il examine uniquement les allégations fondées sur des éléments de preuve qui ont démontré, dans une mesure raisonnable, un manquement à une obligation au titre d’un accord commercial applicable. Il ne se penche pas sur de simples allégations.

[56] En cherchant à faire admettre Manpreet Singh à titre d’expert, Chantier Davie et Wärtsilä ont en fait essayé de le faire admettre en tant qu’agent collecteur d’éléments de preuve. En effet, Chantier Davie et Wärtsilä ont demandé à ce que Manpreet Singh soit autorisé à passer au peigne fin une grande partie du dossier confidentiel et à ce que le Tribunal ordonne la divulgation de tous les documents liés à l’évaluation de la soumission technique de Heddle[45]. Le Tribunal est d’avis que l’unique objectif de cette demande est de permettre à Chantier Davie et Wärtsilä de repérer des lacunes dans l’évaluation menée par TPSGC; en d’autres termes, de recueillir des éléments de preuve établissant que les erreurs qu’elles soupçonnaient existaient bel et bien ou pour tenter de recueillir des éléments de preuve afin d’étayer de façon rétroactive les simples allégations qu’elles avaient formulées dans la plainte. Encore une fois, le Tribunal n’est pas le lieu indiqué pour cela. Toute partie doit présenter suffisamment d’éléments de preuve dès le départ au moment du dépôt de sa plainte afin de démontrer, dans une mesure raisonnable, qu’il y a eu manquement à une obligation au titre d’un accord commercial applicable. Chantier Davie et Wärtsilä n’en ont présenté aucun en l’espèce.

[57] La demande visant Manpreet Singh est sans objet parce que Chantier Davie et Wärtsilä ont demandé à ce qu’il soit désigné à titre de témoin expert relativement aux allégations qu’elles avaient formulées au sujet de l’incapacité alléguée de Heddle à remplir certaines exigences de l’appel d’offres. Étant donné que ces allégations n’ont pas démontré, dans une mesure raisonnable, qu’il y a eu violation de l’ALEC, en raison de l’absence d’éléments de preuve ou d’information à l’appui, Chantier Davie et Wärtsilä ne pouvaient pas se servir de Manpreet Singh pour combler cette lacune.

[58] Aux termes du paragraphe 30.13(5) de la Loi sur le TCCE et de l’article 10 du Règlement, le Tribunal cesse donc d’enquêter et rejette la plainte concernant ces motifs de plainte non étayés.

La demande de désignation de Gary S. Rosen à titre d’expert en droit du travail du Québec est rejetée

[59] Chantier Davie et Wärtsilä ont demandé que Gary S. Rosen soit admis à titre de témoin expert en droit du travail du Québec afin de pouvoir fournir des éléments de preuve à ce sujet. Aucun rapport sur le témoignage proposé n’a été fourni lors du dépôt de la demande. TPSGC et Heddle se sont opposés à cette demande.

[60] Il y avait deux obstacles à la demande concernant Gary S. Rosen : i) le Tribunal ne partage pas le point de vue de Chantier Davie selon lequel le droit québécois doit être considéré comme du « droit étranger »; ii) le Tribunal n’a nul besoin d’éléments de preuve sur la façon d’interpréter le droit québécois; des arguments suffisent.

[61] En ce qui concerne le premier obstacle, il suffit de rappeler que le Tribunal est assujetti à l’article 17 de la Loi sur la preuve au Canada, qui prévoit que « sont admises d’office les lois […] de la législature [de toute] province […] qui fait, […] ou pourra faire, partie du Canada], […] qu’elles aient été édictées avant ou après la sanction de la Loi constitutionnelle de 1867[46]. » En bref, des experts ne sont pas requis afin de prouver le contenu des lois québécoises parce qu’elles sont des lois internes auxquelles le Tribunal peut facilement avoir accès et qu’il est tenu légalement de consulter et d’en tenir compte.

[62] En ce qui a trait au second obstacle, le Tribunal rappelle que les parties sont toujours libres d’engager des avocats au sein de leurs équipes respectives qui sont compétents dans les domaines précis du droit visés dans les administrations concernées. Le Tribunal présume que les avocats chevronnés qui comparaissent devant lui possèdent une expertise en droit. Il n’est pas nécessaire de reconnaître officiellement l’expertise juridique. En outre, une telle reconnaissance est généralement superflue parce que c’est le Tribunal qui est l’ultime interprète des points de droit plaidés dans le cadre de ses procédures et qui en est l’arbitre.

[63] Le Tribunal est convaincu que les parties ont eu suffisamment d’occasions en l’espèce pour présenter leurs observations dans leur plaidoirie à l’égard du droit du travail du Québec. La demande concernant Gary S. Rosen est donc rejetée.

La soumission des plaignantes a été indûment exclue

[64] TPSGC a exclu la soumission de Chantier Davie et Wärtsilä au motif qu’une convention collective visant une partie de leurs effectifs serait échue au moment des travaux[47]. L’article 6.6 de l’appel d’offres porte sur la validité d’une convention collective. L’article 59 du Code du travail du Québec prévoit que les conditions de travail contenues dans une convention collective continuent de s’appliquer après l’expiration de celle-ci; les lois du travail à l’échelle canadienne contiennent des dispositions semblables. Une convention collective est valide à partir du moment où elle est enregistrée auprès du ministère du Travail du Québec et le demeure jusqu’à la signature d’une nouvelle convention. Par conséquent, la validité de la convention collective de Chantier Davie et Wärtsilä ne peut pas être remise en cause. Si TPSGC avait l’intention d’exclure des soumissionnaires ayant des conventions collectives échues, elle aurait dû l’indiquer explicitement. Comme elle ne l’a pas fait, il y a une ambiguïté latente dans son appel d’offres qui fait en sorte que TPSGC a appliqué des critères d’évaluation inadéquats dans son évaluation de la soumission déposée par Chantier Davie et Wärtsilä[48].

[65] Dans l’affidavit de TPSGC, Charles McColgan a déclaré que « l’intention derrière [l’article 6.6 de l’appel d’offres] est d’éliminer le risque que le Canada livre un navire dans un chantier naval en vertu d’un contrat et que ce chantier naval tombe en grève ou en lockout, ce qui retarderait les travaux et priverait le Canada de son navire pendant une période potentiellement longue » [traduction, nos italiques][49].

[66] Cette déclaration requiert un examen minutieux, car le Tribunal estime qu’il est impossible d’éliminer complètement le risque de grève ou de lockout au moyen d’un critère d’évaluation. Le Tribunal juge donc qu’il n’est pas raisonnable de considérer l’article 6.6 de l’appel d’offres comme un moyen d’évaluation des soumissions justement parce que le risque de problèmes de main-d’œuvre dans un milieu de travail, qu’il soit syndiqué ou non, ne peut jamais être entièrement éliminé. Cette réalité s’applique également dans les milieux de travail syndiqués où la convention collective n’a pas encore expiré.

[67] En outre, un milieu de travail non syndiqué peut faire l’objet d’un arrêt de travail (p. ex., les employés peuvent refuser de travailler pour des raisons de sécurité ou quitter le travail, ou la pénurie de main-d’œuvre peut faire en sorte qu’il manque de travailleurs pour effectuer le travail). Les travailleurs d’un milieu de travail non syndiqué peuvent à tout moment s’associer en accréditant un agent négociateur, entamer des négociations et signer leur première convention collective, ou encore se trouver dans la période entre l’accréditation et la conclusion de la première convention collective. Les grèves illégales et les lockouts peuvent survenir avant l’expiration d’une convention collective, tout comme après celle-ci. Il est difficile pour le Tribunal de concevoir comment des milieux de travail syndiqués pourraient être évalués par rapport à des milieux de travail non syndiqués, ou comment structurer une méthodologie de notation juste et non discriminatoire pour tenir compte de telles distinctions et de ce genre d’événements habituellement imprévisibles. Pourtant, TPSGC a évalué cette prétendue exigence d’évaluation en appliquant un critère de réussite ou d’échec. À l’inverse, le simple fait qu’une convention collective soit expirée ou qu’elle expire prochainement ne signifie pas nécessairement qu’une grève ou un lockout aura lieu.

[68] Rien dans le libellé de l’article 6.6 de l’appel d’offres n’indique que l’objectif présumé de cet article, comme le soutiennent TPSGC et Heddle en l’espèce, peut être atteint au moyen d’une exigence d’évaluation de soumissions. L’article 6.6, au sens que lui donne TPSGC, ne comporte aucune obligation pour les milieux de travail non syndiqués, ce qui est intrinsèquement inéquitable. Si l’article 6.6 de l’appel d’offres se voulait un outil d’évaluation, elle comporte une autre ambiguïté intrinsèque, car elle est évaluée suivant un critère de réussite ou d’échec qui est potentiellement impossible à remplir. Aucun soumissionnaire ne peut garantir qu’il ne subira jamais d’arrêt de travail, et TPSGC ne peut pas présumer que les arrêts de travail arrivent seulement dans les milieux de travail syndiqués où les conventions collectives sont expirées, car de tels arrêts peuvent survenir ailleurs également.

[69] Le Tribunal estime donc que l’article 6.6 de l’appel d’offres ne peut être interprété comme comportant un critère de sélection évaluable, et peut encore moins réserver intrinsèquement un traitement différent pour les milieux de travail syndiqués et non syndiqués. C’est pourtant l’interprétation qui découlerait nécessairement des observations de TPSGC et Heddle à l’égard de cette clause[50].

[70] Lorsque les ambiguïtés latentes définies ci-dessus sont mises de côté, le seul autre objectif raisonnable de l’article 6.6 de l’appel d’offres est de recueillir de l’information sur les éventualités de l’administration du contrat après son adjudication. Sous l’angle de l’administration des contrats, le témoignage de Charles McColgan prend tout son sens. Pour le paraphraser presque mot pour mot : TPSGC ne livrera pas, en vertu d’un contrat, un navire dans un chantier naval où a lieu un arrêt de travail[51].

[71] Bien que le risque d’arrêt de travail ne puisse jamais être éliminé, les renseignements demandés à l’article 6.6 de l’appel d’offres aideraient néanmoins la Garde côtière canadienne à jauger le risque d’un arrêt de travail, qu’il soit en cours ou raisonnablement imminent, alors qu’un navire s’apprête à être livré, en vertu d’un contrat, à un chantier naval syndiqué (c.-à-d. au soumissionnaire retenu)[52]. Des éléments de preuve au dossier démontrent que TPSGC avait déjà géré ses relations contractuelles avec un fournisseur de la même façon : lorsque TPSGC a été confronté au risque qu’un navire soit livré à un chantier naval entamant une période d’éventuel arrêt de travail, il a attendu que le risque s’atténue avant de livrer le navire aux fins de l’exécution du contrat. Cette façon de faire des affaires était parfaitement légitime et raisonnable, mais les renseignements pertinents ont été évalués dans une optique d’administration de contrat et ne constituaient pas un outil d’évaluation de soumissions[53].

[72] Le Tribunal est d’avis que les articles 6.6 et 2.7 de l’appel d’offres doivent être interprétés en corrélation. Les renseignements demandés à l’article 6.6. de l’appel d’offres aident TPSGC à évaluer, après l’adjudication du contrat, mais avant la livraison du navire aux fins de l’exécution du contrat, si le soumissionnaire retenu peut respecter l’attestation fournie au titre de l’article 2.7 de l’appel d’offres au moment de soumissionner. L’article 2,7 de l’appel d’offres est ainsi libellé : « En présentant une soumission, le soumissionnaire confirme qu’il a suffisamment de matériel et de ressources humaines affectées ou disponibles et que la période de travail, définie dans les sections suivantes, permettra de terminer les travaux prévus ainsi qu’une quantité raisonnable de travaux imprévus[54]. » Chantier Davie et Wärtsilä ont fourni les renseignements demandés à l’article 6.6 de l’appel d’offres afin de permettre à TPSGC d’effectuer toutes les vérifications requises pour confirmer l’attestation fournie au titre de l’article 2.7 de l’appel d’offres aux fins de l’administration du contrat. Chantier Davie et Wärtsilä ont donc rempli les exigences de l’article 6.6 de l’appel d’offres.

[73] TPSGC a déclaré non conforme la soumission de Chantier Davie et Wärtsilä après avoir appliqué des critères d’évaluation comportant une ambiguïté latente. Cette évaluation était déraisonnable et constitue donc un manquement de TPSGC à ses obligations au titre de l’ALEC. Ce motif de plainte est fondé.

Autres remarques

[74] Dans le RIF, divers autres arguments confidentiels ont été soulevés, mais le Tribunal n’a pas besoin de les examiner compte tenu de l’issue de la présente affaire[55].

[75] Dans la mesure où des motifs de plainte entièrement nouveaux ont été soulevés pour la première fois par Chantier Davie et Wärtsilä dans leurs commentaires sur le RIF, le Tribunal n’examinera pas expressément le fond de ceux-ci parce qu’ils sont irrecevables sur le plan procédural. Un nouveau motif de plainte requiert une nouvelle plainte; il ne peut être ajouté à une plainte en cours[56].

MESURE CORRECTIVE

[76] Pour déterminer la mesure corrective appropriée, le Tribunal a retenu que l’exclusion de Chantier Davie et Wärtsilä découlant de la mauvaise application d’un critère d’évaluation a porté préjudice aux plaignantes, à la procédure du marché public et, de façon générale, à l’intégrité du système concurrentiel de passation des marchés publics.

[77] Pour réparer le préjudice causé par l’évaluation inadéquate et l’exclusion par TPSGC de la soumission de Chantier Davie et Wärtsilä, TPSGC doit réévaluer leur soumission et toute autre soumission valide sur un pied d’égalité.

[78] Le Tribunal a jugé qu’il n’y avait aucune preuve que TPSGC a agi de mauvaise foi et souligne que l’exécution du contrat a débuté récemment.

[79] Le Tribunal laisse à TPSGC le soin de décider s’il convient de poursuivre les travaux prévus au contrat jusqu’à ce que la réévaluation soit terminée et que le soumissionnaire retenu initialement soit confirmé ou qu’il soit remplacé et qu’un nouveau contrat soit adjugé.

[80] Dans l’éventualité où la soumission de Chantier Davie et Wärtsilä serait retenue à la suite de la réévaluation des soumissions, Chantier Davie et Wärtsilä devraient être indemnisées pour les travaux qu’elles auraient effectués si Heddle ne les avait pas exécutés dans le cadre du contrat qui n’aurait pas dû lui être adjugé. Le cas échéant, le Tribunal demande aux parties de négocier un règlement et, en cas d’échec, elles pourront lui présenter une demande d’indemnité raisonnable. Le Tribunal demeure compétent pour trancher cette question, au besoin.

DÉCISION

[81] Aux termes du paragraphe 30.14(2) de la Loi sur TCCE, le Tribunal détermine que la plainte est fondée en partie.

[82] Le motif de plainte concernant l’adéquation du compte rendu n’est pas fondé.

[83] Les motifs de plainte concernant l’évaluation de la soumission de Heddle ne démontrent pas, dans une mesure raisonnable, qu’il y a eu violation de l’ALEC, car elles n’ont pas été présentées avec des éléments de preuve à l’appui au moment du dépôt de la plainte. Aux termes du paragraphe 30.13(5) de la Loi sur le TCCE et de l’article 10 du Règlementle Tribunal cesse donc d’enquêter et rejette la plainte concernant ces allégations ou ces motifs de plainte non étayés.

[84] TPSGC a omis de reconnaître que Chantier Davie Canada Inc. et Wärtsilä Canada Inc. respectaient les exigences prévues à l’article 6.6 de l’appel d’offres. Le motif de plainte à ce sujet est donc fondé.

[85] Aux termes des paragraphes 30.15(2) et (3) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal recommande, à titre de mesure corrective, que TPSGC remédie à la violation de l’ALEC en réévaluant les soumissions présentées en réponse à l’appel d’offres.

[86] Comme les deux parties ont eu partiellement gain de cause en l’espèce, elles assumeront leurs propres frais.

Eric Wildhaber

Eric Wildhaber
Membre présidant

 



[1] L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.).

[2] Chantier Davie a pris les rênes à l’étape du compte rendu avec TPSGC et au cours de la procédure de plainte devant le Tribunal. Néanmoins, aux fins de l’uniformité de la rédaction des présents motifs, les plaignantes sont systématiquement désignées ensemble, bien que certaines mesures précises aient pu être prises de temps en temps par l’avocat ou les représentants d’une entreprise, mais pas de l’autre. Essentiellement, Chantier Davie et Wärtsilä ont présenté une soumission conjointe et ont déposé la plainte ensemble.

[3] Pièce PR-2022-053-01 à la p. 2603.

[4] Pièce PR-2022-053-30 à la p. 6.

[5] Pièce PR-2022-053-01 à la p. 61.

[6] Pièce PR-2022-053-01.A à la p. 2199; pièce PR-2022-053-52 à la p. 82.

[7] Pièce PR-2022-053-01.A à la p. 2202.

[8] Ibid. aux p. 2208–2209.

[9] Pièce PR-2022-053-01.

[10] Pièce PR-2022-053-04; pièce PR-2022-053-05.

[11] DORS/93-602.

[12] Pièce PR-2022-053-08; pièce PR-2022-053-10.

[13] Pièce PR-2022-053-15.

[14] Pièce PR-2022-053-30.

[15] Pièce PR-2022-053-37.

[16] Pièce PR-2022-053-38.

[17] Pièce PR-2022-053-41.

[18] Pièce PR-2022-053-42.

[19] Pièce PR-2022-053-43. Chantier Davie et Wärtsilä avaient initialement demandé au Tribunal d’admettre quatre autres personnes à titre d’experts, mais elles ont retiré cette demande et ont finalement remplacé ces quatre personnes par Manpreet Singh.

[20] Pièce PR-2022-053-45; pièce PR-2022-053-46.

[21] Pièce PR-2022-053-47.

[22] Pièce PR-2022-053-49.

[23] Pièce PR-2022-053-51.

[24] Pièce PR-2022-053-01 à la p. 44.

[25] Pièce PR-2022-053-53; pièce PR-2022-053-54.

[27] Pièce PR-2022-053-01 aux p. 23–24, 32.

[28] Voir Hone People Development Consulting Corp. (11 avril 2022), PR-2021-085 (TCCE) au par. 54.

[29] L’article 1.3 de l’appel d’offres indique ce qui suit : « 1.3 Compte rendu - Les soumissionnaires peuvent demander un compte rendu des résultats du processus de demande de soumissions. Les soumissionnaires devraient en faire la demande à l’autorité contractante dans les 15 jours ouvrables, suivant la réception des résultats du processus de demande de soumissions. Le compte rendu peut être fourni par écrit, par téléphone ou en personne » [nos italiques].

[30] Voir l’article 516 de l’ALEC.

[31] Voir l’AMP de l’OMC, paragraphe XVI(1); voir aussi l’Accord économique et commercial global, paragraphe 19.15:1, qui requiert également que toute institution fédérale « expose […] à un fournisseur non retenu les raisons pour lesquelles elle n’a pas retenu sa soumission ainsi que les avantages relatifs de la soumission du fournisseur retenu ». Le Tribunal n’est pas insensible à ce qui semble avoir été un désir de la part de Chantier Davie et Wärtsilä de se prévaloir d’une rencontre en personne avec l’autorité contractante. Après tout, elles ont consacré beaucoup de temps, de ressources et d’argent pour préparer une soumission. Les comptes rendus écrits qu’elles ont reçus étaient succincts et très répétitifs. Chantier Davie et Wärtsilä voulaient s’asseoir avec les représentants de TPSGC pour discuter son évaluation et de la soumission de Heddle. Chantier Davie et Wärtsilä semblent avoir conclu que leurs tentatives de dialogue avec TPSGC n’allaient nulle part parce que TPSGC refusait d’entendre leur point de vue dans le cadre d’une rencontre en personne. Il y a manifestement eu un manque ou un problème de communication. Des obligations d’information semblables concernant les avantages relatifs de la soumission de l’entité retenue sont prévues, entre autres, par l’article Kbis-11 de l’Accord de libre-échange Canada-Chili; du paragraphe 1410:7 de l’Accord de libre-échange Canada-Colombie; du paragraphe 1410:7 de l’Accord de libre-échange Canada-Pérou; du paragraphe 17.13:1 de l’Accord de libre-échange Canada-Honduras; du paragraphe 10.16:1 de l’Accord de libre-échange Canada-Ukraine; et du paragraphe 16.11:7 de l’Accord de libre-échange Canada-Panama. L’article 15.16 de l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste prévoit également l’option de fournir de tels renseignements au soumissionnaire non retenu.

[32] Un « compte rendu bonifié » dépasse les strictes exigences prévues par les accords commerciaux.

[33] Une institution fédérale a tout intérêt à s’assurer qu’elle a adéquatement évalué les soumissions pour éviter des erreurs et garantir l’intégrité du système concurrentiel de passation des marchés publics. Voir Marine Recycling Corporation et Canadian Maritime Engineering Ltd. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (22 janvier 2021), PR-2020-038, PR-2020-044 et PR-2020-056 (TCCE) au par. 41; CGI Information Systems et Management Consultants Inc. c. Société canadienne des postes et Innovapost Inc. (14 octobre 2014), PR-2014-016 et PR‑2014‑021 (TCCE) au par. 137; Valcom Consulting Group Inc. c. Ministère de la Défense nationale (14 juin 2017), PR-2016-056 (TCCE) au par. 52; Francis H.V.A.C. Services Ltd. c. Canada (Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2017 CAF 165 au par. 33.

[34] Compte tenu de l’obligation de rendre des comptes au public, les tribunaux ont reconnu que la confidentialité absolue des soumissions au cours des processus de dépôt et d’évaluation des soumissions doit faire place à une communication plus équilibrée et transparente des renseignements, à l’exception des renseignements commerciaux strictement confidentiels. Cette façon honnête et transparente de procéder favorise l’équité et la reddition de comptes ainsi que l’intégrité du système concurrentiel de passation des marchés publics. Voir Brookfield Lepage Johnson Controls Facility Management Services c. Canada (Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2003 CF 254 au par. 18, citant Société Gamma Inc. c. Canada (Secrétariat d’État) (1994), 79 F.T.R. 42 (T.D.) :

Les renseignements généraux sur la requérante et sur la nature et la qualité de son travail, qui ne sont pas par ailleurs exemptés de communication, ne me paraissent pas intrinsèquement confidentiels. N’oublions pas que les propositions sont constituées en vue d’obtenir l’adjudication d’un contrat par le gouvernement qui, lui, effectue le paiement sur les deniers publics. Il existe peut-être de bonnes raisons de considérer les propositions ou les soumissions comme confidentielles tant que le contrat n’aura pas été adjugé, mais du moment que le contrat est adjugé ou refusé, il ne semble y avoir aucune nécessité, sauf dans des cas particuliers, de les garder secrètes. En d’autres termes, l’entrepreneur éventuel qui cherche à se faire adjuger un contrat par le gouvernement ne doit pas s’attendre que les conditions selon lesquelles il est prêt à contracter, entre autres celles touchant la capacité de rendement de son entreprise, échappent totalement à l’obligation de divulgation incombant au gouvernement du Canada par suite de son devoir de rendre compte aux électeurs.

[Nos italiques]

Voir aussi Savik Enterprises v. Nunavut (Commissioner), 2004 CJN 4 (N.C.J.) aux par. 24–28.

[35] Si des parties averties telles que Chantier Davie et Wärtsilä ont éprouvé des difficultés dans leurs échanges avec TPSGC, il est facile d’imaginer que des soumissionnaires qui connaissent moins bien le système de passation des marchés publics puissent n’avoir eu aucune idée quant à la façon de procéder dans une situation semblable.

[36] TPSGC a bel et bien conclu sa lettre du 10 novembre 2022 de la manière suivante : « La présente a pour objet de vous transmettre le compte rendu et la position finale du Canada à l’égard de l’évaluation de la soumission de Chantier Davie et Wärtsilä. Par conséquent, le Canada considère que le dossier est clos » [traduction].

[37] Si les institutions fédérales ne maintiennent pas des voies de communication suffisamment ouvertes, ne fournissent pas d’explications suffisantes ou ne publient pas d’information pertinente, elles courent le risque que les soumissionnaires qui se sentent lésés aient la conviction que leur soumission aurait dû être retenue et qu’il y a eu du favoritisme envers un concurrent qui, selon eux, ne remplissait pas les exigences ou offrait une solution moins avantageuse qu’eux. Lorsqu’un soumissionnaire qui se sent lésé fait part à une institution fédérale de ses doutes quant à la capacité du soumissionnaire retenu à fournir la solution demandée, une pratique exemplaire pour l’institution fédérale consisterait à expliquer l’avantage relatif qui a permis au soumissionnaire retenu d’obtenir le contrat et à justifier la décision de manière raisonnable. Certes, il sera toujours difficile ou impossible pour certains soumissionnaires exclus d’admettre qu’ils ont perdu à juste titre l’appel d’offres. À un moment donné, l’institution fédérale peut décider unilatéralement de mettre fin à un dialogue déraisonnable, notamment s’il dure depuis trop longtemps ou si le soumissionnaire continue de rabâcher les mêmes questions. Les soumissionnaires qui se sentent lésés doivent être conscients des délais dont ils disposent pour déposer une plainte devant le Tribunal.

[39] Les soumissionnaires qui se sentent lésés n’ont pas à épuiser toutes les options de compte rendu possibles ou à présenter une opposition à l’institution fédérale avant de saisir le Tribunal, mais ils doivent fournir des éléments de preuve à l’appui de tout motif de plainte. Les comptes rendus et les oppositions peuvent donner l’occasion aux parties d’en apprendre davantage et de recueillir des éléments de preuve à l’appui d’une plainte au Tribunal.

[40] Pièce PR-2022-053-01 aux p. 23, 31–32.

[41] P. Emanuelli, Government Procurement, 4th Edition, à la p. 951. Voir aussi Macadamian Technologies Inc. (13 juin 2002), PR-2001-069 (TCCE).

[42] Pour en apprendre sur la distinction entre les tribunaux judiciaires et le Tribunal ainsi que d’autres mécanismes d’examen des marchés publics au Canada, voir : Dustin Kenall, « Administrative Remedies for Administrative Disputes: Perfecting Public Control of Public Procurement », Canadian Journal of Administrative Law and Practice (volume 31, no 2 [juin 2018]).

[43] La « recherche à l’aveuglette » a été définie par la Cour d’appel fédérale comme « une recherche dans laquelle se lance une partie ne disposant d’aucun élément et tentant désespérément de s’accrocher à quelque chose. » Voir Heiltsuk Horizon Maritime Services Ltd. c. Atlantic Towing Ltd., 2021 CarswellNat 510, 2021 CAF 26 (CAF). Voir aussi Enterasys Networks of Canada Ltd. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (9 août 2010), PR-2009-132 à PR-2009-153 (TCCE) [Enterasys] au par. 67; Pomerleau Inc. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (21 mai 2015), PR-2014-048 (TCCE) aux par. 26–32; Toromont Cat c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (22 janvier 2016), PR‑2015‑054 (TCCE) au par. 20.

[44] Novell Canada Ltd. c. Canada (Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2000 CanLII 15324 (CAF).

[45] Pièce PR-2022-053-43 à la p. 1; pièce PR-2022-053-49 aux p. 3–4.

[46] D’autres administrations au Canada ont adopté la même règle. Voir, par exemple, l’article 2807 du Code civil du Québec.

[47] Pièce PR-2022-053-01.A à la p. 2208; pièce PR-2022-053-30 à la p. 10.

[48] Cifelli Systems (21 juin 2001), PR-2000-065 (TCCE); TELUS Integrated Communications (2 novembre 2000), PR-2000-017 et PR-2000-035 (TCCE); IBM Canada Ltd. (24 avril 1998), PR-97-033 (TCCE); Deloitte Inc. c. Ministère des Pêches et des Océans et Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (25 juillet 2017), PR-2016-069 (TCCE).

[49] Pièce PR-2022-053-30 à la p. 25.

[50] Le Tribunal peine à concevoir qu’une institution fédérale adopterait un tel critère d’évaluation parce qu’il pourrait indirectement interférer dans l’exercice de négociation de la convention collective : le fait de rejeter des soumissions d’un fournisseur syndiqué donné à moins qu’il n’ait une convention collective en vigueur à une date déterminée dans l’avenir (date qui est en fait difficile à déterminer avec certitude parce que les dates de début des projets sont souvent repoussées) pourrait faire pression sur les travailleurs pour qu’ils acceptent, possiblement à la hâte, de nouvelles conditions de travail potentiellement moins favorables afin que leur employeur puisse continuer de soumissionner dans des appels d’offres de l’institution fédérale. Une institution fédérale pourrait « programmer » l’exécution de ses exigences pour avantager ou désavantager certains soumissionnaires en fonction de la date d’expiration de leurs conventions collectives ou de leur statut de fournisseur non syndiqué. Par conséquent, le Tribunal n’est pas convaincu que la position soutenue par TPSGC en l’espèce soit compatible avec l’intention réelle de l’article 6.6 de l’appel d’offres. Quoi qu’il en soit, si telle était l’intention de TPSGC, elle a été dissimulée dans l’ambiguïté latente de cet article, comme il en a été question dans les présents motifs, et l’article ne peut donc pas être admis à titre de critère d’évaluation valide.

[51] Pièce PR-2022-053-30 à la p. 25

[52] Ibid.

[53] Pièce PR-2022-053-30.A aux p. 24–27.

[54] Pièce PR-2022-053-01 à la p. 48.

[55] Pièce PR-2022-053-30.A aux p. 19–21, 27–28.

[56] Enterasys aux par. 76–82. Selon les considérations d’équité procédurale et de justice naturelle, en règle générale, un plaignant ne doit pas pouvoir scinder sa cause en introduisant d’autres éléments de preuve à l’appui de ses allégations qui ne se rapportent pas au RIF au moment du dépôt de ses commentaires sur le RIF. À cet égard, le Tribunal souligne que, conformément aux Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur, le RIF représente l’unique occasion pour l’entité acheteuse de répondre en détail aux allégations formulées dans une plainte et aux éléments de preuve présentés par le plaignant, le cas échéant.

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