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Dossier PR-2022-068

Fonds de prospérité pour l’avancement des communautés noires

Décision prise
le mardi 28 février 2023

Décision rendue
le jeudi 2 mars 2023

Motifs rendus
le vendredi 10 mars 2023

 


EU ÉGARD À une plainte déposée aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur.

PAR

FONDS DE PROSPÉRITÉ POUR L’AVANCEMENT DES COMMUNAUTÉS NOIRES

CONTRE

LE MINISTÈRE DE L’EMPLOI ET DU DÉVELOPPEMENT SOCIAL

DÉCISION

Aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur a décidé de ne pas enquêter sur la plainte.

Cheryl Beckett

Cheryl Beckett
Membre présidant

L’exposé des motifs suivra à une date ultérieure.

 


EXPOSÉ DES MOTIFS

APERÇU

[1] Le Fonds de prospérité pour l’avancement des communautés noires (FPACN), de Toronto (Ontario), a déposé une plainte auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur relativement à un prétendu marché public qu’il a désigné comme « DP appel de propositions » [traduction] (appel de propositions) pour le financement de la mise en œuvre du « Fonds de dotation philanthropique dirigé par les Noirs ».

[2] L’institution fédérale qui fait l’objet de la plainte du FPACN est le ministère de l’Emploi et du Développement social (EDSC).

[3] Le Tribunal a reçu la plainte du FPACN le 9 février 2023. Les documents d’appel d’offres pour le prétendu marché public n’accompagnaient pas le formulaire de plainte au moment du dépôt. Par conséquent, la plainte a d’abord été considérée comme incomplète. Au moyen d’une correspondance datée du 10 février 2023, le Tribunal a demandé au FPACN de fournir les documents ainsi que toute correspondance pertinente entre le FPACN et EDSC ou Service Canada.

[4] Le FPACN a fourni des documents supplémentaires comprenant une copie en format PDF incomplète[1] de l’appel de propositions ainsi que d’autres correspondances, que le Tribunal a reçues le 27 février 2023. La plainte du FPACN a été jugée complète et considérée comme déposée à cette date.

[5] Après avoir examiné attentivement les renseignements fournis dans la plainte du FPACN telle qu’elle a été déposée initialement et les documents supplémentaires fournis le 27 février 2023, le Tribunal a déterminé qu’il n’avait pas compétence pour enquêter sur la plainte.

CONTEXTE FACTUEL

[6] Dans sa plainte, le FPACN décrit le service à fournir comme « la gestion du Fonds de dotation philanthropique dirigé par les Noirs, d’une valeur de 200 millions de dollars, pour les communautés noires du Canada[2] » [traduction].

[7] L’appel de propositions fait référence au « Fonds de dotation philanthropique dirigé par les Noirs » (le Fonds) et indique qu’EDSC « pren[d] des mesures pour réduire le racisme envers les Noirs et améliorer les résultats sociaux et économiques au sein des communautés noires. Pour atteindre ces objectifs, nous lançons un appel de propositions pour la mise en œuvre du Fonds de dotation philanthropique dirigé par les Noirs ».

[8] Le Fonds est décrit ainsi : « Le Fonds de dotation philanthropique dirigé par les Noirs vise à créer une source de financement durable pour les organismes sans but lucratif et les organismes de bienfaisance enregistrés dirigés par des Noirs, axés sur les Noirs et axés sur les services aux Noirs. Par l’entremise de ce fonds, le gouvernement du Canada fournira une dotation de 199 476 227 $ à un organisme bénéficiaire national dirigé par des Noirs et axé sur les services aux Noirs » [soulignement dans l’original].[3]

[9] L’appel de propositions encourage les organismes dirigés par des Noirs à soumettre des propositions pour « mettre en œuvre » le Fonds. La mise en œuvre du Fonds par l’organisme dirigé par des Noirs est décrite comme suit :

Cet organisme sera chargé d’investir le Fonds de dotation. Le revenu de placement servira à financer des organismes sans but lucratif et des organismes de bienfaisance enregistrés dirigés par des Noirs, axés sur les Noirs et axés sur les services aux Noirs partout au pays. Il appliquera une optique centrée sur les Noirs et intersectionnelle à ses activités et à sa stratégie de subvention pour assurer qu’elles reflètent toute la diversité des communautés noires et leur soient profitables. L’organisme profitera du soutien suivant dans ses opérations et activités :

  • 1 ou plusieurs conseillers en placement et/ou gestionnaires de portefeuille (sociétés);

  • une fondation publique alliée établie (pour une période de trois (3) ans ou plus)[4].

[Soulignement dans l’original]

[10] L’objectif du prétendu marché public est décrit en ces termes :

Cet appel de propositions fournira un fonds de dotation à un organisme admissible qui cherche à atteindre les objectifs généraux suivants :

  • réduire le racisme envers les Noirs;

  • améliorer les résultats sociaux et économiques au sein des communautés noires[5].

[11] L’appel de propositions énumère plusieurs critères d’éligibilité, notamment que les organismes candidats soient des organismes à but non lucratif ou des organismes de bienfaisance enregistrés[6].

[12] La période de présentation d’une demande a pris fin le 25 novembre 2022. À la suite de l’examen des demandes, EDSC prévoyait « rendre une décision en matière de financement au début de 2023[7] ».

[13] Le FPACN a présenté une proposition à EDSC et a publié un communiqué de presse qui en faisait l’annonce le 8 décembre 2022[8].

[14] Dans la proposition, le FPACN est décrit comme « un organisme de bienfaisance canadien enregistré, dirigé par la communauté. Organisme de bienfaisance enregistré #727678070 RR 0001[9] » [traduction]. Le FPACN est décrit comme « un nouveau type d’organisme philanthropique perturbateur[10] » [traduction].

[15] Le 27 janvier 2023, EDSC a informé le FPACN par courriel qu’après un examen approfondi, sa « demande de financement » ne serait pas retenue parce qu’elle avait obtenu une note basse pour l’élément « Résultats et incidence du projet[11] ». Le courriel indiquait que la décision était définitive mais que, si le FPACN avait des questions, il pouvait les poser par courriel.

[16] Le 30 janvier 2023, le FPACN a écrit à plusieurs ministres, dont la ministre des Familles, des Enfants et du Développement social, afin de « faire appel fermement et immédiatement » [traduction] de la décision d’EDSC de rejeter la proposition du FPACN. Le FPACN a demandé une explication écrite de la procédure d’examen, une réunion de compte rendu avec EDSC et le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux, ainsi qu’un examen indépendant de la « procédure de passation de marché » [traduction]. Le FPACN a également demandé qu’EDSC n’annonce pas l’identité de l’organisme retenu avant que toutes les questions qu’il avait soulevées n’aient été résolues[12].

[17] Le 6 février 2023, EDSC a proposé d’avoir une réunion de compte rendu avec le FPACN le 7 février 2023 pour discuter des questions soulevées par le FPACN[13].

[18] Le 8 février 2023, EDSC a annoncé par voie de communiqué qu’elle entamait des négociations sur la gestion du Fonds avec la Fondation pour les communautés noires, l’organisme retenu[14].

[19] Le FPACN a déposé sa plainte auprès du Tribunal le lendemain, et celle-ci a été réputée déposée le 27 février 2023. Les motifs de la plainte du FPACN peuvent être résumés ainsi :

(i) EDSC n’a pas fait preuve d’une « diligence raisonnable dans le cadre de la procédure de passation du marché qu’elle a suivie pour choisir un agent du Fonds de dotation philanthropique dirigé par les Noirs du gouvernement du Canada, d’une valeur de 200 millions de dollars » [traduction]. En particulier, le FPACN a contesté la décision d’EDSC de ne pas demander de renseignements au FPACN au sujet de sa proposition.

(ii) EDSC n’a pas mené un processus approfondi, rigoureux et transparent pour « choisir le gestionnaire du Fonds » et il est « très peu probable qu’EDSC ait pu choisir un soumissionnaire en seulement 8 semaines, compte tenu des vacances de Noël, et sans que les soumissionnaires aient été consultés au sujet de leur demande » [traduction]. En particulier, le FPACN a contesté l’absence de critères d’évaluation et de justification pour le rejet des propositions, notamment à la lumière de l’approbation par Statistique Canada des plans d’analyse de pré-mise en œuvre proposés par le FPACN.

(iii) Le rejet de la proposition en raison de lacunes pour l’élément « Résultats et incidence du projet » est « encore moins logique » [traduction] à la lumière du contenu de la proposition, qui, selon le FPACN, allait au-delà des exigences de l’appel de propositions.

[20] À titre de mesure corrective, le FPACN a demandé qu’un nouvel appel d’offres soit publié, que sa soumission soit réévaluée et que l’attribution du marché à la Fondation pour les communautés noires soit annulée.

ANALYSE

[21] Le Tribunal est une création d’ordre statutaire, ce qui signifie que la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur (Loi sur le TCCE)[15] prévoit quand le Tribunal peut accepter une plainte aux fins d’enquête.

[22] Le paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le TCCE prévoit que, sous réserve du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics (Règlement)[16], tout fournisseur potentiel peut déposer une plainte auprès du Tribunal concernant la procédure du marché public relative à un contrat spécifique et lui demander d’enquêter sur cette plainte.

[23] La question fondamentale en l’espèce est de savoir si la plainte du FPACN porte sur un « contrat spécifique » tel que défini par la Loi sur le TCCE et le Règlement.

[24] L’expression « contrat spécifique » est définie l’article 30.1 de la Loi sur le TCCE comme suit :

contrat spécifique Contrat relatif à un marché de fournitures ou services qui a été accordé par une institution fédérale — ou pourrait l’être — , et qui soit est précisé par règlement, soit fait partie d’une catégorie réglementaire.

[Caractères gras et italiques dans l’original]

[25] Le paragraphe 3(1) du Règlement est rédigé ainsi :

Pour l’application de la définition de contrat spécifique à l’article 30.1 de la Loi, est un contrat spécifique tout contrat relatif à un marché de fournitures ou de services ou de toute combinaison de ceux-ci, accordé par une institution fédérale — ou qui pourrait l’être — et visé, individuellement ou au titre de son appartenance à une catégorie, à l’article II de l’Accord sur les marchés publics, à l’article Kbis-01 du chapitre Kbis de l’ALÉCC, à l’article 1401 du chapitre quatorze de l’ALÉCP, à l’article 1401 du chapitre quatorze de l’ALÉCCO, à l’article 16.02 du chapitre seize de l’ALÉCPA, à l’article 17.2 du chapitre dix-sept de l’ALÉCH, à l’article 14.3 du chapitre quatorze de l’ALÉCRC, à l’article 19.2 du chapitre dix-neuf de l’AÉCG, à l’article 504 du chapitre cinq de l’ALÉC, à l’article 10.2 du chapitre dix de l’ALÉCU ou à l’article 15.2 du chapitre quinze du PTP.

[Nos caractères gras; italiques dans l’original]

[26] Par conséquent, le Tribunal n’a compétence pour enquêter que si la plainte porte sur un marché de biens ou de services passé par une institution fédérale, conformément aux divers accords commerciaux énumérés au paragraphe 3(1) du Règlement.

[27] La plainte du FPACN ne mentionne pas d’accord commercial applicable. Néanmoins, le Tribunal a pris en considération les dispositions de tous les accords commerciaux applicables énumérés au paragraphe 3(1) du Règlement, y compris l’Accord de libre-échange canadien (ALEC)[17], qu’il considère comme l’accord commercial le plus pertinent en l’espèce parce que, dans la mesure où le FPACN est un fournisseur, il est un fournisseur canadien.

[28] L’expression « marché couvert » est définie à l’article 504(2) de l’ALEC comme un marché de biens et de services qui n’est pas exclu par ailleurs du champ d’application de l’ALEC.

[29] Les articles 504(11)c) et i)v) de l’ALEC prévoient les exclusions suivantes :

11. Le présent chapitre ne s’applique pas :

[…]

c) à toute forme d’aide, y compris les dons, les prêts, les participations au capital social, les garanties et les incitations fiscales;

[…]

i) aux marchés de produits ou services, selon le cas :

[…]

v) passés avec des établissements philanthropiques, des organismes sans but lucratif, des personnes incarcérées ou des personnes physiques handicapées,

[Nos italiques]

[30] Par conséquent, le chapitre de l’ALEC sur les marchés publics exclut spécifiquement de son champ d’application l’achat de biens ou de services auprès, entre autres, d’organismes philanthropiques et à but non lucratif.

[31] Toute forme d’aide gouvernementale (subventions, prêts, garanties et incitatifs fiscaux) est également exclue. De même, le Tribunal fait remarquer que tous les autres accords commerciaux énumérés au paragraphe 3(1) du Règlement limitent de façon similaire l’application de leurs chapitres respectifs sur les marchés publics afin d’exclure l’aide gouvernementale et de créer une exception pour les mesures relatives aux biens et services achetés auprès d’organismes philanthropiques[18].

[32] En l’occurrence, les critères d’éligibilité de l’appel de propositions indiquent clairement que les seuls organismes habilités à soumissionner sont ceux qui sont soit des organismes à but non lucratif[19], soit des organismes de bienfaisance enregistrés. L’appel de propositions s’inscrit parfaitement dans l’exclusion énumérée dans l’ALEC et est lié à l’exception philanthropique dans tous les autres accords commerciaux.

[33] Quoi qu’il en soit, l’appel de propositions lu dans son ensemble révèle qu’EDSC, en tant que ministère responsable du financement, n’est pas à la recherche d’un fournisseur de biens ou de services[20]. Au contraire, le gouvernement du Canada, par l’intermédiaire d’EDSC, fournit une aide gouvernementale de 200 millions de dollars pour combattre le racisme envers les Noirs et améliorer les résultats sociaux et économiques dans les communautés noires et sollicite, par le biais de l’appel de propositions, les services d’un organisme à but non lucratif dirigé par des Noirs pour recevoir les fonds d’aide et les distribuer à des organismes dirigés par des Noirs.

[34] À ce titre, l’appel de propositions tombe également sous le coup de l’exclusion de l’aide gouvernementale prévue par tous les accords commerciaux et n’est donc pas un « marché public » visé par ceux-ci. Par conséquent, le Tribunal conclut que la plainte ne porte pas sur un « contrat spécifique » comme le stipule le paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le TCCE. L’affaire ne relève donc pas de la compétence du Tribunal.

DÉCISION

[35] Aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal a décidé de ne pas enquêter sur la plainte.

Cheryl Beckett

Cheryl Beckett
Membre présidant

 



[1] Bien que le FPACN ait fourni une copie PDF de l’« appel de propositions » le 27 février 2023, certains des menus « déroulants » n’étaient pas inclus et le Tribunal a donc exercé son pouvoir discrétionnaire pour examiner le matériel en ligne comme il était affiché à la date ou vers la date à laquelle le FPACN a déposé des documents de plainte auprès du Tribunal, en ligne : <https://www.canada.ca/fr/emploi-developpement-social/services/financement/fonds-philanthropique-dirige-noirs.html>.

[2] Pièce PR-2022-068-01 à la p. 4.

[3] Pièce PR-2022-068-01.A à la p. 2.

[4] Ibid.

[5] Ibid. à la p. 3.

[6] Ibid. à la p. 4.

[7] Ibid. aux p. 2, 5, 19.

[8] Pièce PR-2022-068-01 à la p. 233. Voir, de manière générale, la plainte du FPACN et les pièces jointes à la pièce PR-2022-068-01. Les faits exposés ci-dessous sont extraits de la plainte et des pièces jointes.

[9] Pièce PR-2022-068-01 à la p. 15.

[10] Ibid. à la p. 23.

[11] Ibid. à la p. 227.

[12] Ibid. à la p. 225.

[13] Pièce PR-2022-068-01.A à la p. 24. Les renseignements fournis par le FPACN ne permettent pas de savoir si la réunion du 7 février 2023 a eu lieu et, dans l’affirmative, sur quoi elle portait.

[15] L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.).

[16] DORS/93-602.

[17] En ligne : Secrétariat du commerce intérieur <https://www.cfta-alec.ca/wp-content/uploads/2023/01/ALEC-Codification-administrative-31-janvier-2023.pdf> (entré en vigueur le 1er juillet 2017).

[18] Articles II(3)b) et III(2)d) de l’Accord sur les marchés publics; articles Kbis-01(2) et Kbis 16(2)d) du chapitre Kbis de l’Accord de libre-échange Canada-Chili; articles 1401(2)a) et 1402(2)d) du chapitre quatorze de l’Accord de libre-échange Canada-Pérou; articles 1401(2)a) et 1402(2)d) du chapitre quatorze de l’Accord de libre-échange Canada-Colombie; articles 16.02(2)b) et 16.03(2)d) du chapitre seize de l’accord de libre-échange Canada-Panama; les articles 17.2(3)b) et 17. 3(2)d) du chapitre dix-sept de l’Accord de libre-échange Canada-Honduras; l’article 14.3 du chapitre quatorze de l’Accord de libre-échange Canada-Corée; les articles 19.2(3)b) et 19.3(2)d) du chapitre dix-neuf de l’Accord économique et commercial global; les articles 504(11)(c) et 504(11)(i)(v) du chapitre cinq de l’ALEC; les articles 10.2(3)b) et 10.4(2)d) du chapitre dix de l’Accord de libre-échange Canada-Ukraine; articles 15.2(3)b) et 15.3(1)d) du chapitre quinze de l’Accord de Partenariat transpacifique global et progressiste.

[19] Le Tribunal considère que les termes « sans but lucratif » et « à but non lucratif » sont interchangeables dans les circonstances, et ces termes sont utilisés de manière interchangeable dans l’appel de propositions.

[20] Par exemple, l’appel de propositions décrit l’aide au moyen des termes « financement » et « subvention » à la pièce PR-2022-068-01.A aux p. 2–6, 9–14, 17, 19–21.

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