Enquêtes sur les marchés publics

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Dossier PR‑2022‑055

ERANUM solutions numériques inc.

Décision prise
le vendredi 16 décembre 2022

Décision et motifs rendus
le jeudi 29 décembre 2022

 


EU ÉGARD À une plainte déposée aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur.

PAR

ERANUM SOLUTIONS NUMÉRIQUES INC.

CONTRE

LE MINISTÈRE DES TRANSPORTS

DÉCISION

Aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur a décidé de ne pas enquêter sur la plainte.

Georges Bujold

Georges Bujold
Membre présidant

 


EXPOSÉ DES MOTIFS

[1] En vertu du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur[1] (Loi sur le TCCE), tout fournisseur potentiel peut, sous réserve du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics[2] (Règlement), déposer une plainte auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur concernant la procédure des marchés publics suivie relativement à un contrat spécifique et lui demander d’enquêter sur cette plainte. En vertu du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le TCCE, après avoir jugé la plainte conforme au paragraphe 30.11(2) de la Loi sur le TCCE et sous réserve du Règlement, le Tribunal détermine s’il y a lieu d’enquêter.

RÉSUMÉ DE LA PLAINTE

[2] La présente plainte concerne une demande de proposition (DP) publiée le 12 mai 2022 par Transports Canada (TC) dans le cadre du Programme de numérisation de la médecine de l’aviation civile, en vue de la fourniture de services de numérisation de dossiers médicaux (appel d’offres T8080-210560)[3]. Entre autres conditions, la DP exigeait que le soumissionnaire démontre, dans sa proposition, sa capacité à conserver les dossiers pendant 60 jours après leur numérisation[4].

[3] La plaignante, Eranum solutions numériques inc. (Eranum), soutient que le rejet par TC de sa proposition au motif qu’elle n’avait pas démontré qu’elle avait la capacité de conserver les dossiers pendant 60 jours après leur numérisation était injustifié. Eranum semble également alléguer que, dans son évaluation, TC a incorrectement interprété et appliqué la version française du critère obligatoire en question. Elle prétend que TC a rejeté sa proposition en se fondant sur l’absence de démonstration de sa capacité à conserver des fichiers numériques au lieu des dossiers papier après leur numérisation. Eranum soutient que sa proposition a ainsi été injustement rejetée en raison d’une confusion dans les termes ou d’une erreur de rédaction de la part de TC.

[4] À titre de mesure corrective, Eranum demande que les soumissions soient réévaluées et qu’elle soit indemnisée[5].

[5] Pour les motifs qui suivent, le Tribunal a décidé de ne pas enquêter sur la plainte.

CONTEXTE

[6] Le 24 novembre 2022, Eranum a reçu de TC une lettre de refus, laquelle indiquait que sa proposition était jugée irrecevable parce qu’elle ne répondait pas à toutes les exigences obligatoires de la DP, notamment le critère technique obligatoire numéro 6 (CTO 6) selon lequel le soumissionnaire devait démontrer sa capacité à conserver les dossiers pendant 60 jours après leur numérisation[6]. La lettre de TC précise que « [l]a proposition mentionnait l’expédition des fichiers hors site afin de les détruire, mais elle ne mentionnait pas la période de conservation »[7].

[7] Le même jour, Eranum a présenté une opposition écrite à TC. Dans son courriel, Eranum indique que le deuxième paragraphe de sa proposition mentionne qu’elle a « une capacité d’entreposage de 16 750 boîtes » et elle demande à TC de revoir la proposition[8].

[8] TC a répondu le 29 novembre 2022, indiquant que « [b]ien qu’Eranum ait mentionné dans sa proposition qu’elle avait actuellement la capacité de conserver 16 750 boîtes, l’équipe d’évaluation n’a pas trouvé où il était démontré que l’Eranum [sic] avait la capacité de conserver les fichiers pendant la période de 60 jours après la numérisation des fichiers. Eranum peut-il [sic] indiquer où cela a été démontré dans la proposition? »[9].

[9] Eranum a répondu le même jour, réitérant qu’elle a la capacité d’entreposage requise mais ne mentionnant pas où, précisément, cette information est indiquée dans sa proposition[10]. Eranum a par ailleurs reproché à TC son utilisation du terme « fichier » dans sa correspondance du 29 novembre 2022 :

[…]

J’aimerais me faire indiquer à quel endroit où le devis parle de fichiers?

Je suis encore très surpris qu’avec cette confusion sur les dénominations des éléments, aucun représentant n’ait demandé une précision si tel était le cas (je vous invite également à relire la page 30 et 31 de votre devis qui parle clairement de dossiers papier et de données/sauvegarde quand c’est au format numérique).

Dans tous les cas, Eranum a une capacité d’entreposage numérique illimité étant donné qu’en 2022 l’espace de stockage n’est plus un enjeu. Pour votre information, 16 750 boîtes représentent au maximum 34 To ce qui n’est rien pour une entreprise de numérisation en espace disque. Nous avons plus de 1000 To d’espace pour nos projets de numérisation. Votre projet est pour un total de 2000 boîtes, nous parlons de 4 To…

Si la capacité d’entreposage numérique avait été évoquée, la question aurait été : De quel espace disque votre entreprise dispose-t-elle pour traiter et stocker un projet de 2000 boîtes pendant plus de 60 jours? […]

[10] Une réunion de compte rendu entre les parties a eu lieu par visioconférence le 2 décembre 2022, lors de laquelle Eranum a réitéré sa capacité à entreposer des boîtes et à héberger des fichiers. Selon Eranum, les représentants de TC ont également tenté d’expliquer, dans un français imparfait, la décision de déclarer sa proposition irrecevable. Elle soutient que TC aurait alors modifié le motif de ce rejet, passant de l’incapacité d’Eranum à héberger des fichiers numériques à son incapacité à conserver des boîtes de documents[11]. Au terme de cette réunion, TC a indiqué que le résultat de l’évaluation ne changerait pas.

[11] Le 13 décembre 2022, Eranum a déposé sa plainte auprès du Tribunal.

ANALYSE

[12] Aux termes des articles 6 et 7 du Règlement, après avoir reçu une plainte conforme au paragraphe 30.11(2) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal doit déterminer si les quatre conditions suivantes sont satisfaites avant d’entamer une enquête :

i) la plainte a été déposée dans les délais prescrits à l’article 6 du Règlement;

ii) le plaignant est un fournisseur potentiel;

iii) la plainte porte sur un contrat spécifique;

iv) les renseignements fournis démontrent, dans une mesure raisonnable, que la procédure du marché public n’a pas été suivie conformément aux accords commerciaux applicables.

[13] En l’espèce, les trois premières conditions sont remplies.

[14] Quant à la quatrième condition, le Tribunal doit déterminer si les renseignements fournis par la partie plaignante, ainsi que tout autre renseignement examiné par le Tribunal, démontrent, dans une mesure raisonnable, que la procédure du marché public n’a pas été suivie conformément aux accords commerciaux applicables énoncés dans cet alinéa. Le Tribunal a précédemment décrit le critère préliminaire de preuve à satisfaire comme suit :

Dans une plainte concernant les marchés publics, la partie qui allègue qu’un marché public n’a pas été passé en conformité avec les accords commerciaux applicables doit présenter certains éléments probants à l’appui de son allégation. Cela ne signifie pas qu’une partie plaignante dans un litige concernant un marché public aux termes d’un des accords doive démontrer tous les faits nécessaires comme une partie plaignante doit généralement le faire dans une action au civil. […] Cependant, la partie plaignante doit présenter suffisamment de faits ou arguments qui indiquent, d’une façon raisonnable, qu’il y a eu violation d’un des accords commerciaux[12].

[15] Pour les motifs qui suivent, le Tribunal conclut que la plainte ne démontre pas, dans une mesure raisonnable, que la procédure du marché public n’a pas été suivie conformément aux accords commerciaux applicables[13]. En fait, les éléments de preuve indiquent plutôt que TC a évalué la proposition d’Eranum selon les critères clairs énoncés dans la documentation relative à l’appel d’offres et n’a commis aucune erreur qui pourrait justifier l’intervention du Tribunal.

Premier motif : l’évaluation faite par TC de la proposition d’Eranum relativement au CTO 6

[16] La DP contient six critères obligatoires techniques[14]. Le sixième, qui est en cause en l’espèce, se rapporte à la capacité de conserver les dossiers après leur numérisation :

CTO 6

Le soumissionnaire doit démontrer la capacité à conserver les dossiers pendant 60 jours après leur numérisation, puis à les détruire.

 

[17] Eranum allègue qu’elle a bel et bien démontré dans sa proposition sa capacité à conserver les dossiers pendant 60 jours après leur numérisation et que cette démonstration a été faite à la première page de sa proposition, où il est écrit qu’elle a la capacité d’entreposer 16 750 boîtes.[15] Eranum soutient en conséquence que sa proposition était conforme au CTO 6 de la DP et donc que TC a fait erreur en la déclarant irrecevable.

[18] Il est de jurisprudence constante qu’il incombe au soumissionnaire de démontrer clairement que sa proposition satisfait aux critères obligatoires d’une demande de proposition. Dans l’affaire Falcon Environmental Inc. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux[16], le Tribunal a indiqué ce qui suit :

Le Tribunal a aussi clairement indiqué qu’il incombe aux soumissionnaires de démontrer que leur proposition satisfait aux critères obligatoires d’un appel d’offres. Autrement dit, les soumissionnaires ont la responsabilité de s’assurer que tous les documents à l’appui de leur soumission démontrent clairement sa conformité. À cet égard, le Tribunal encourage les évaluateurs à ne pas faire de suppositions à propos d’une soumission, et, ultimement, il incombe au soumissionnaire de faire preuve de diligence raisonnable dans la préparation de sa proposition et de veiller à ce que celle-ci soit claire et bien comprise par les évaluateurs.

[Notes omises]

[19] De plus, le Tribunal fait généralement preuve de déférence à l’égard des évaluateurs pour ce qui est de leur évaluation des propositions. Par conséquent, il a indiqué à maintes reprises qu’il interviendra relativement à une évaluation uniquement dans les cas où elle serait réputée déraisonnable et qu’il ne substituera pas son jugement à celui des évaluateurs à moins que les évaluateurs ne se soient pas appliqués à évaluer la proposition d’un soumissionnaire, qu’ils aient donné une interprétation erronée de la portée d’une exigence, qu’ils n’aient pas tenu compte de renseignements cruciaux fournis dans une soumission, qu’ils aient fondé leur évaluation sur des critères non divulgués ou que l’évaluation n’ait pas été effectuée d’une manière équitable du point de vue de la procédure[17].

[20] La DP de TC était précise et ne laissait aucune équivoque quant à la manière de démontrer la conformité aux critères d’évaluation :

Dans leur soumission technique, les soumissionnaires devraient démontrer leur compréhension des exigences contenues dans la demande de soumissions et expliquer comment ils répondront à ces exigences. Les soumissionnaires devraient démontrer leur capacité et décrire l’approche de façon complète, concise et claire pour effectuer les travaux.

La soumission technique devrait traiter clairement et de manière suffisamment approfondie des points faisant l’objet des critères d’évaluation en fonction desquels la soumission sera évaluée. Il ne suffit pas de reprendre simplement les énoncés contenus dans la demande de soumissions. Afin de faciliter l’évaluation de la soumission, le Canada demande que les soumissionnaires reprennent les sujets dans l’ordre des critères d’évaluation, sous les mêmes rubriques. [...][18]

[Nos italiques]

[21] À la lumière de l’information au dossier, rien n’indique au Tribunal que les évaluateurs aient conclu, de manière déraisonnable, que la proposition d’Eranum était non-conforme au critère CTO 6. En fait, de l’avis du Tribunal, Eranum n’a manifestement pas suivi les instructions de la DP dans sa proposition. Le Tribunal observe qu’elle n’a pas présenté l’information dans sa soumission selon la structure décrite dans la DP. Il n’y a d’ailleurs aucune rubrique ou section portant sur le CTO 6 dans la proposition d’Eranum, ni de renseignement précis portant sur la période de conservation des dossiers qu’elle est en mesure d’offrir après leur numérisation et avant leur destruction. Quoiqu’il en soit, concernant le CTO 6, le Tribunal considère que la proposition d’Eranum n’a pas respecté l’exigence de « traiter clairement et de manière suffisamment approfondie [d’un] des points faisant l’objet des critères d’évaluation en fonction desquels la soumission sera évaluée ».

[22] En effet, lue dans son ensemble, la proposition technique d’Eranum ne traite qu’implicitement, au mieux, de sa capacité à conserver les dossiers. En effet, à plusieurs endroits[19], la proposition laisse entendre qu’Eranum a la capacité d’entreposer des dossiers avant leur destruction, et ce, selon les besoins du client. Par exemple, à la première page de sa proposition, il est écrit qu’elle a la capacité d’entreposer 16 750 boîtes. Cependant, à aucun endroit n’est-il précisé explicitement qu’Eranum a la capacité d’entreposer les dossiers pendant 60 jours après leur numérisation, tel qu’exigé par le CTO 6 énoncé dans la DP. De l’avis du Tribunal, la conclusion de TC, selon laquelle Eranum, dans sa proposition, n’a pas clairement établi sa conformité à l’exigence de faire la démonstration d’une capacité à conserver les dossiers pendant cette période, est donc bien fondée.

[23] Tel qu’indiqué ci-dessus, les soumissionnaires ont la responsabilité de s’assurer que tous les documents à l’appui de leur proposition démontrent clairement sa conformité aux critères obligatoires énoncés dans une DP, et il ne revient pas aux évaluateurs de faire des suppositions ou de tirer des inférences pour pallier, en faveur des soumissionnaires, le manque de clarté ou aux lacunes d’une proposition. À cet égard, le Tribunal a déjà indiqué ce qui suit :

La norme d’évaluation des soumissions par rapport aux critères obligatoires n’est pas fondée sur la prépondérance des probabilités. Comme mentionné au début de la présente analyse, la conformité des soumissions doit être évaluée de façon rigoureuse et minutieuse. Il ne suffit pas que la soumission « pourrait avoir été » conforme ou qu’il « était plus probable » qu’elle le soit. Une soumission est soit conforme, soit non conforme.

Ainsi, une conclusion selon laquelle il n’est pas clair si une soumission est conforme est une conclusion selon laquelle la soumission n’est pas conforme. Le fardeau de prouver la conformité incombe au soumissionnaire; il n’incombe pas aux institutions fédérales d’accorder le bénéfice du doute aux soumissionnaires lorsque la conformité ne peut être établie clairement, et elles n’en ont pas le droit[20].

[Italiques dans l’original]

[24] Le Tribunal est d’avis que la proposition d’Eranum était tout simplement défaillante et incomplète quant à la démonstration de sa conformité au CTO 6. Malgré la présence d’énoncés généraux qui suggèrent que l’entreprise possède une capacité de conserver ou d’entreposer les dossiers ou les documents une fois la numérisation effectuée, il n’y a pas d’éléments qui établissent nettement et sans ambiguïté que cette capacité s’étend jusqu’à 60 jours après leur numérisation, comme l’exigeait le critère CTO 6. En l’absence de mention et, surtout, de détails concernant la période de conservation des dossiers dans sa proposition, Eranum n’a pas fait la démonstration requise concernant la durée dans le temps de sa capacité de conservation[21]. Par exemple, elle aurait pu fournir des exemples précis de contrats précédents à l’égard desquels elle avait conservé des documents qu’elle avait numérisés pendant au moins 60 jours.

[25] Bref, puisqu’il ne ressortait pas nettement du contenu de la proposition d’Eranum qu’elle était conforme au CTO 6, la conclusion des évaluateurs selon laquelle elle ne l’était pas était justifiée et appuyée par une explication défendable dans les circonstances. Encore une fois, les évaluateurs sont tenus d’évaluer les soumissions de façon rigoureuse et minutieuse et ne peuvent pas accorder le bénéfice du doute aux soumissionnaires. Le Tribunal conclut que les évaluateurs ont respecté ces principes en l’espèce. Ainsi, il était raisonnable pour les évaluateurs de TC de conclure que la proposition d’Eranum était irrecevable pour le motif invoqué.

[26] En conséquence, le premier motif de la plainte ne démontre pas, dans une mesure raisonnable, que la procédure du marché public n’a pas été suivie conformément aux accords commerciaux applicables.

Deuxième motif : l’ambiguïté et l’iniquité alléguée relativement à la version française du CTO 6

[27] Tel que précité, Eranum semble alléguer qu’il y avait un problème de rédaction dans la DP qui a pu mener à un problème d’interprétation par TC. Elle allègue plus précisément qu’il y a eu confusion entre les termes « dossiers physiques » et « dossiers numériques » dans la version française de la DP et la correspondance subséquente. Selon Eranum, il aurait été plus équitable envers les soumissionnaires que TC ait exigé que toutes les propositions soient remplies en anglais uniquement.

[28] Plus précisément, Eranum réfère notamment à l’emploi du terme « dossier » au CTO 6 alors que le terme « fichier » est employé dans la lettre de refus. Dans sa correspondance avec TC, Eranum semble prendre la position que, contrairement aux explications fournies par TC pour justifier le rejet de sa proposition, la DP n’emploie pas le terme « fichier » pour désigner des dossiers physiques (c’est-à-dire des dossiers papier)[22]. Eranum semble déduire de l’usage du terme « fichier » par TC que sa proposition pourrait avoir été rejetée en raison d’une incapacité à conserver des fichiers numériques, ce qui n’était pas l’objet du CTO 6.

[29] Pour les motifs qui suivent, le Tribunal est d’avis que les renseignements au dossier ne démontrent pas, dans une mesure raisonnable, que la version française du CTO 6 était ambiguë ou inéquitable envers les soumissionnaires qui ont répondu à la DP en français. En outre, le Tribunal considère que l’usage par TC du terme « fichier » au lieu de « dossier » dans la lettre expliquant le motif du rejet de la proposition d’Eranum pour non-conformité au CTO 6 est une faute mineure, sans conséquence, qui n’indique pas que TC ait mal interprété le CTO 6 ou erronément rejeté la proposition d’Eranum en se fondant sur des lacunes dans sa proposition quant à sa capacité de conserver des dossiers numériques.

[30] En effet, compte tenu de l’ensemble des éléments de preuve et des termes de la DP, l’emploi du terme « fichiers » par TC dans la lettre de refus et en réponse à l’opposition voulait manifestement dire « dossiers » dans le contexte des échanges entre les parties. En particulier, il est clair que lorsqu’elle a utilisé le terme « fichiers » dans toute sa correspondance et ses échanges avec Eranum, TC faisait référence à l’absence de démonstration par Eranum d’une capacité de conservation des dossiers papier pendant 60 jours, et non d’une remise en question de la capacité d’Eranum à numériser et à conserver des fichiers numériques, pour expliquer le rejet de sa proposition. En fait, même l’opposition d’Eranum indique qu’elle avait bien compris que TC faisait référence aux dossiers papier, c’est-à-dire aux documents sources à numériser, pour expliquer le fondement du rejet de sa proposition :

[…] nous avons beaucoup de difficulté à comprendre comment le gouvernement en vient à la conclusion que nous n’avons pas la capacité de conserver les documents pendant 60 jours quand le deuxième paragraphe de notre proposition mentionne que nous avons une capacité d’entreposage de 16 750 boîtes.

[Nos italiques]

[31] De toute façon, il convient de mentionner que la preuve révèle que, lors de la réunion du 2 décembre 2022, les représentants de TC ont ultimement clarifié que le CTO 6 faisait référence aux dossiers physiques, c’est-à-dire aux documents papier à numériser dont la conservation par le soumissionnaire gagnant pendant 60 jours était exigée, et que la proposition d’Eranum par rapport à ce critère a été évaluée sur cette base. Cette interprétation semble conforme à la compréhension originale du CTO 6 par Eranum, qui, tel que précité, allègue que sa soumission démontre sa capacité à conserver les dossiers physiques tel qu’exigé par le CTO 6. Il n’y a donc aucune confusion possible quant à l’interprétation (correcte) donnée par TC du CTO 6 et au fondement du rejet de sa proposition. Contrairement à l’allégation d’Eranum, il n’y a pas eu de changements dans le motif invoqué par TC pour déclarer sa proposition irrecevable. Il n’a jamais été question de la capacité d’Eranum à conserver des fichiers numériques[23].

[32] Par ailleurs, plusieurs éléments dans la DP ainsi que les amendements[24] subséquents établissent que le CTO 6 fait référence aux dossiers papier à numériser et que ces derniers sont parfois désignés par le terme « fichiers » dans les documents de l’appel d’offres en français. Puisque la documentation pertinente emploie parfois le terme « fichiers » pour référer aux dossiers papier, l’usage de ce terme par TC dans ces échanges avec Eranum ne sème pas véritablement la confusion et ne signifie certainement pas que TC ait modifié le sens du CTO 6, qui traite de la capacité de conservation de dossiers papier, pour en faire une exigence de conservation de fichiers numériques, afin de rejeter la proposition d’Eranum.

[33] En effet, et contrairement à ce qui a été suggéré par Eranum, les termes « fichiers » et « dossiers » ont été employés de manière interchangeable (ou, du moins de la façon dont elles ont été traduites en français) dans les amendements à la demande de proposition, tant par TC que par les soumissionnaires qui ont posé des questions à l’autorité contractante avant la date de clôture de la DP, pour faire référence aux documents papier à numériser.

[34] Par exemple, la question et réponse 32 de l’annexe A de l’amendement 9, publié le 25 juillet 2022, prévoit ce qui suit :

Question 32 :

En termes de destruction (dans l’annexe « B » en haut de la page 33), est-ce que 100 % des documents devront être déchiquetés? (C’est-à-dire que 750 boîtes représentent-elles la totalité des 5,4 millions de pages)?

Réponse 32 :

Comme nous l’avons mentionné précédemment, nous avons augmenté le nombre de fichiers à numériser à près de 18,7 millions de pages. Nous pourrions être amenés à revoir ce chiffre en fonction du prix. Nous pouvons par exemple décider de ne numériser que 5,4 millions de pages. Quel que soit le nombre de pages numérisées, la totalité devra être détruite par le fournisseur après que la médecine aéronautique civile aura reçu et effectué l’assurance qualité des fichiers numérisés. Nous aurons besoin d’une fenêtre de 60 jours pour effectuer cette opération. Veuillez fournir des estimations pour la numérisation (avec OCR) et la destruction de 5,4 millions et 18,7 millions de pages[25].

[Nos italiques]

[35] Il ressort clairement de la réponse de TC que l’emploi du terme « fichiers » signifie « pages » ou « dossier papier » à numériser et que la préoccupation de l’autorité contractante est que les dossiers papier ne soient pas détruits avant l’expiration de la période de 60 jours pour assurer le contrôle de la qualité de la numérisation ou des « fichiers numérisés ».

[36] De surcroît, l’énoncé des travaux annexé à la DP ne laisse planer aucun doute quant à la signification de ce critère et la raison pour laquelle les soumissionnaires devaient démontrer leur capacité à conserver les dossiers papier pendant 60 jours après la numérisation. En effet, il est clairement indiqué que l’objectif visé par le délai de conservation est le contrôle de la qualité[26].

[37] Cette conclusion est également étayée par la terminologie employée à la question et réponse 12 de l’annexe A-1 de l’amendement 2, publié le 14 juin 2022[27], ainsi qu’à la question et réponse 43 de l’annexe A de l’amendement 10, publié le 27 juillet 2022[28], et à la question et réponse 77 de l’annexe A de l’amendement 14, publié le 26 août 2022[29]. Il ressort de ces échanges que, dans le cadre de la procédure de passation de ce marché public, les termes « fichiers », « pages » et « documents » ont parfois été utilisés soit par les soumissionnaires ou par TC pour faire référence aux dossiers papier à numériser.

[38] Il ressort donc nettement du contexte, lorsque la totalité de la documentation de la DP est consultée, qu’il n’y a aucune confusion possible : le CTO 6 est une exigence de conservation des dossiers papier après leur numérisation pendant 60 jours avant leur destruction. C’est ainsi que l’autorité contractante a défini, clarifié et interprété le critère, ainsi que la seule façon dont il pouvait être compris par les soumissionnaires, même si les termes « fichiers » et « dossiers » ont parfois été utilisés de manière interchangeable dans la documentation fournie aux soumissionnaires. Le Tribunal n’est donc pas convaincu par les arguments d’Eranum selon lesquels sa proposition a été rejetée en raison d’une ambiguïté dans les termes employés dans la version française de la DP ou d’une erreur d’interprétation du critère CTO 6 de la part de TC.

[39] Ainsi, le Tribunal est d’avis que le deuxième motif de la plainte ne démontre pas, dans une mesure raisonnable, que la procédure du marché public n’a pas été suivie conformément aux accords commerciaux applicables.

DÉCISION

[40] Aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal a décidé de ne pas enquêter sur la plainte.

Georges Bujold

Georges Bujold
Membre présidant


 

ANNEXE 1 : EXTRAITS D’AMENDEMENTS À LA DEMANDE DE PROPOSITION

 

ADDENDA 2

 

[…]

 

Question 12:

Transports Canada a-t-il l’intention d’émettre une autorisation formelle d’élimination, ou le soumissionnaire supposera-t-il que la destruction du dossier est autorisée par défaut après une période d’assurance de la qualité de 60 jours ?

 

Réponse 12:

Oui, une fois que Transports Canada aura terminé le processus de contrôle de la qualité (dans les 60 jours suivant la réception des dossiers), l’autorisation officielle de détruire les dossiers sera émise.

 

[…]

 

ADDENDA 10

 

[…]

 

Question 43:

Addendum 4, réponse 15 - " La priorité de Transports Canada est que 313 000 fichiers puissent être numérisés entre l’attribution de ce contrat et la fin du contrat le 31 mars 2023 " (corrigé au 31 mars 2024 dans l’addendum 6, réponse 23) - et référence à l’annexe B - Base de paiement - 5 400 000 " Ce montant est une estimation seulement et doit être utilisé à des fins d’évaluation et ne devrait pas être interprété comme un engagement ou une attente de la part du Canada ".

Veuillez préciser quel est le volume total de pages estimées qui doivent être terminées à la fin prévue du contrat (31 mars 2024) ainsi que sur une base mensuelle.

 

Réponse 43:

Nous aimerions viser 165 000 dossiers d’ici le 31 mars 2023, ce qui représente 5,4 millions de pages. Pour le 31 mars 2024, nous demanderons qu’un maximum de 313 000 fichiers, soit 18,7 millions de pages, soient numérisés.

 

[…]

 

ADDENDA 14

 

[…]

 

Question 77 :

Compte tenu des modifications apportées à la Base de paiement dans le dernier addendum 12, pouvez-vous confirmer que les 165 000 fichiers comprennent 25 documents par fichier? Cela porterait le total estimé d’images à 4 097 000? Si c’est le cas, nous devrons mettre à jour les prix de 1 à 4 pour qu’ils soient par image, et non par fichier. Veuillez confirmer, comme ci-dessous:

Quantité 165 000 dossiers (4 097 000 images)

 

Réponse 77:

Les chiffres fournis pour le nombre de pages par fichier sont des estimations. Le chiffre de 32 feuilles par fichier est plus proche d’une estimation correcte.

 



[3] Pièce PR-2022-055-01.A aux p. 31–134. Cette DP a fait l’objet de 14 amendements; pièce PR-2022-055-01.A aux p. 81–134.

[4] Pièce PR-2022-055-01.A à la p. 42.

[5] Pièce PR-2022-055-01 à la p. 6.

[6] Pièce PR-2022-055-01.A aux pp. 135–36.

[7] Pièce PR-2022-055-01.A à la p. 135.

[8] Pièce PR-2022-055-01.C à la p. 107.

[9] Pièce PR-2022-055-01.C à la p. 108.

[10] Pièce PR-2022-055-01.C aux pp. 109–10.

[11] Pièce PR-2022-055-01.A à la p. 137.

[13] Le Tribunal considère que l’Accord de libre-échange canadien (ALEC) s’applique, au minimum, et a tenu compte des dispositions pertinentes dans son examen de la plainte, notamment les paragraphes 509(7), 515(1) et 515(4). À cet égard, l’ALEC exige que l’institution fédérale évalue les soumissions, et adjuge les marchés, selon les critères énoncés dans la documentation relative à l’appel d’offres. L’ALEC exige également que toutes les soumissions soient ouvertes et traitées selon des procédures qui garantissent l’équité et l’impartialité.

[14] Pièce PR-2022-055-01.A à la p. 42; voir également la p. 57 où l’exigence est répétée dans la description de tâches.

[15] Pièce PR-2022-055-01 à la p. 5.

[16] (11 janvier 2021), PR-2020-034 (TCCE) au par. 64; demande de contrôle judiciaire rejetée, 2022 CAF 76.

[17] Saskatchewan Institute of Applied Science and Technology c. Ministère des affaires étrangères, du commerce et du développement (9 janvier 2014), PR-2013-013 (TCCE) au par. 58; décision maintenue par la Cour d’appel fédérale, 2015 CAF 16.

[18] Pièce PR-2022-055-01.A à la p. 39.

[19] Eranum a déposé plusieurs documents à l’appui de sa plainte dans lesquels plusieurs paragraphes pertinents à l’analyse du Tribunal ont été désignés comme étant « confidentiels ». De l’avis du Tribunal, une désignation confidentielle n’était pas justifiée à l’égard de certains paragraphes. Le Tribunal tient à rappeler que des désignations confidentielles injustifiées à l’égard d’allégations et de faits clés qui étayent une plainte peuvent nuire à la capacité du Tribunal de rendre des motifs de décisions qui divulguent publiquement tous les renseignements pertinents sur lesquels ses décisions sont fondées. Des motifs publics complets et bien documentés sont un élément essentiel à la transparence du processus décisionnel du Tribunal. Nonobstant ses réserves par rapport à leur confidentialité, le Tribunal s’est limité à une discussion générale de ces éléments. De plus, le Tribunal tient à préciser que rien dans ces éléments prétendument confidentiels ne démontre explicitement ou nettement qu’Eranum a la capacité de conserver les dossiers pendant 60 jours après la numérisation. En définitive, les éléments de preuve indiquent que les évaluateurs se sont appliqués à évaluer la proposition d’Eranum et n’ont pas omis de tenir compte de renseignements fournis dans cette proposition.

[20] Valcom Consulting Group Inc. (14 juin 2017), PR-2016-056 (TCCE) aux par. 69-70.

[21] Bien que la plainte mentionne qu’une capacité de conserver les dossiers pendant 60 jours nécessite une capacité d’entreposer 2 000 boîtes, ce qui est largement inférieur à 16 750 boîtes, le Tribunal fait remarquer que cette explication n’est pas incluse dans la proposition d’Eranum.

[22] Voir pièce PR-2022-055-01.C aux p. 109-10, reproduite au par. 9 des présents motifs.

[23] Pour cette raison, les arguments d’Eranum concernant sa « capacité d’entreposage numérique » et son « espace disque illimité » ne sont pas pertinents.

[24] Dans la documentation pertinente, le terme « addenda » a été utilisé par TC pour désigner les amendements.

[25] Pièce PR-2022-055-01.A à la p. 104.

[26] Pièce PR-2022-055-01.A aux p. 57‑58.

[27] Pièce PR-2022-055-01.A à la p. 86, reproduit à l’annexe 1 des présents motifs.

[28] Pièce PR-2022-055-01.A à la p. 108, reproduit à l’annexe 1 des présents motifs.

[29] Pièce PR-2022-055-01.A à la p. 134, reproduit à l’annexe 1 des présents motifs.

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