Enquêtes sur les marchés publics

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Dossier PR-2022-037

Newland Canada Corporation

c.

Ministère de la Défense nationale

Décision et motifs rendus
le lundi 19 décembre 2022

 



EU ÉGARD À une plainte déposée par Newland Canada Corporation aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur;

ET À LA SUITE D’une décision d’enquêter sur la plainte aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur.

ENTRE

NEWLAND CANADA CORPORATION

Partie plaignante

ET

LE MINISTÈRE DE LA DÉFENSE NATIONALE

Institution fédérale

DÉCISION

Aux termes du paragraphe 30,14(2) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur détermine que la plainte est fondée en partie. Chaque partie assumera ses propres frais.

Cheryl Beckett

Cheryl Beckett

Membre présidant


 

Membres du Tribunal :

Cheryl Beckett, membre présidant

Personnel du Secrétariat du Tribunal :

Zackery Shaver, conseiller juridique
Charlotte Saintonge, stagiaire en droit
Kim Gagnon-Lalonde, agente du greffe

Partie plaignante :

Newland Canada Corporation

Institution fédérale :

Ministère de la Défense nationale

Conseiller juridique de l’institution fédérale :

Samantha Hargreaves
Brendan Morrison
Zachary Rosen

Veuillez adresser toutes les communications à :

La greffière adjointe
Téléphone : 613-993-3595
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

 


EXPOSÉ DES MOTIFS

RÉSUMÉ DE LA PLAINTE

[1] La plainte déposée par Newland Canada Corporation (Newland) concerne une demande de proposition (DP) (appel d’offres W8484-23-0296/A) publiée par le ministère de la Défense nationale (MDN) pour des services d’hébergement à Constanta, en Roumanie, pour le personnel du MDN.

[2] Il s’agit de la deuxième plainte déposée par Newland concernant le marché en cause. Dans la première plainte (PR-2022-027), le Tribunal a conclu que la plainte ne révélait pas, dans une mesure raisonnable, qu’il y a eu manquement à une obligation prévue dans les accords commerciaux[1].

[3] Dans cette deuxième plainte, après avoir découvert de nouveaux faits liés à l’affaire, Newland allègue que le MDN n’a pas accordé le contrat conformément aux modalités de la DP. Plus précisément, Newland allègue que la soumission gagnante n’était pas la soumission conforme la moins disante pour les raisons suivantes :

a) l’hôtel fourni par le soumissionnaire retenu, ainsi que le deuxième hôtel occupé par le personnel du MDN, ne satisfaisait pas à certaines des exigences obligatoires contenues dans la DP;

b) même si le contrat indiquait que le soumissionnaire retenu fournirait un logement dans un établissement, Newland prétend que le personnel du MDN séjournait en fait dans deux hôtels différents.

[4] À titre de mesure corrective, Newland demande à être indemnisée pour ses profits perdus. Newland demande en outre le remboursement des frais qu’elle a engagés pour déposer sa plainte.

[5] Après avoir déterminé que la plainte respectait les conditions énoncées au paragraphe 7(1) du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur[2] (Règlement), le Tribunal a décidé d’enquêter sur la plainte conformément au paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur[3] (Loi sur le TCCE).

[6] Le Tribunal a enquêté sur le bien-fondé de la plainte aux termes des articles 30.14 et 30.15 de la Loi sur le TCCE. Pour les motifs qui suivent, le Tribunal conclut que la plainte est fondée en partie.

CONTEXTE

Procédure de passation du marché public et octroi du contrat

[7] La DP en question a été publiée le 17 juin 2022 et a pris fin le 24 juin 2022[4]. Les chambres de l’hôtel étaient requises pour des dates variables entre le 4 juillet et le 15 août 2022. Le délai entre la date d’adjudication du contrat et la nécessité de respecter le contrat était serré : deux semaines à peine séparaient la date de clôture des soumissions de la première date à laquelle le personnel du MDN avait besoin de chambres d’hôtel.

[8] Le 28 juin 2022, le MDN a informé Newland que le contrat avait été adjugé à Travel Lodging Group (TLG) pour 531 426 €[5]. Le MDN a déclaré que, bien que la proposition de Newland ait répondu aux exigences obligatoires de l’appel d’offres, elle ne s’était pas classée première selon la méthode d’évaluation exposée dans la DP[6].

[9] Le 28 juin 2022, Newland a prié le MDN d’expliquer pourquoi elle n’avait pas été classée première, puisque sa soumission offrait un prix plus bas que celle retenue[7]. Le même jour, en réponse, le MDN a déclaré que la soumission retenue avait offert tous les logements demandés dans un établissement, tel qu’énoncé au point 4.2.1 de la DP, qui prévoyait que le contrat serait attribué en priorité aux propositions qui offraient tous les logements dans le même établissement[8]. Newland et le MDN ont échangé d’autres courriels ce jour-là, Newland ayant demandé des renseignements supplémentaires et soulevé des préoccupations au sujet du soumissionnaire retenu. Le 28 juin 2022, le MDN a informé Newland qu’il n’était pas en mesure de fournir les renseignements demandés, et le 4 juillet 2022, le MDN a confirmé qu’aucune modification n’avait été apportée à l’attribution du contrat par suite des préoccupations exprimées par Newland.

[10] Le 29 juin 2022, TLG a fait savoir au MDN qu’elle ne serait pas en mesure de satisfaire à l’exigence relative à l’hébergement de tout le personnel au même établissement. Le MDN a décidé d’annuler son contrat avec TLG et d’accepter la prochaine soumission qui offrait l’hébergement au même établissement[9].

[11] Le 30 juin 2022, G+ Industries a obtenu le contrat, le nouveau contrat étant évalué à 866 560 €[10]. Peu de temps après, le 2 juillet 2022, G+ Industries a fait savoir au MDN qu’elle ne serait pas en mesure d’obtenir toutes les chambres requises aux termes du contrat dans un seul établissement[11]. Comme cette nouvelle a été communiquée deux jours avant l’arrivée du premier groupe de membres du personnel du MDN et que le MDN avait fourni à G+ Industries un dépôt de 50 %, le MDN ne croyait pas être en mesure d’annuler le contrat avec G+ Industries et d’essayer de conclure un contrat avec le soumissionnaire le moins disant et qui offrait un hébergement dans plusieurs établissements[12].

[12] Le 6 juillet 2022, dans une lettre datée du 30 juin 2022, le MDN a informé Newland que le contrat avait été réattribué à un autre soumissionnaire en raison de « circonstances imprévues liées à la réservation[13] » [traduction].

[13] Le même jour, Newland a demandé au MDN si sa soumission était la moins disante, et elle a demandé des renseignements sur le nouveau soumissionnaire retenu[14]. En réponse, le MDN a fait renvoi aux points 4.2.1 et 4.2.2 de la DP pour expliquer que la proposition de Newland n’était pas la soumission conforme la moins disante parmi les soumissions faisant état de plusieurs établissements et que le contrat avait été attribué à un soumissionnaire qui offrait tous les logements demandés dans un établissement[15].

[14] Le 7 juillet 2022, Newland a de nouveau demandé des renseignements au sujet de sa soumission, et si le MDN avait apporté des modifications à la DP après l’annulation de la première attribution du contrat[16].

[15] Le 8 juillet 2022, le MDN a réitéré que la soumission de Newland n’était pas la soumission conforme la moins disante parmi les soumissions offrant plusieurs établissements et il a déclaré qu’il n’était pas en mesure de fournir des renseignements autres que le prix total de la soumission retenue. Le MDN a aussi confirmé qu’aucune modification n’avait été apportée à la DP après l’annulation de la première attribution du contrat[17].

Procédure de la plainte

[16] Le 21 juillet 2022, Newland a déposé sa première plainte auprès du Tribunal. Le 26 juillet 2022, le Tribunal a décidé de ne pas enquêter sur cette première plainte, car elle ne révélait pas, dans une mesure raisonnable, qu’il y a eu manquement à une obligation prévue dans les accords commerciaux[18].

[17] Entre le 12 et le 15 août 2022, un représentant de Newland s’est rendu à Constanta, en Roumanie, et a obtenu ce qu’il estimait être la preuve que le soumissionnaire retenu exécutait le contrat en hébergeant le personnel du MDN dans deux établissements différents, ce qui, selon Newland, remettait en question l’évaluation des soumissions par le MDN et l’adjudication subséquente[19].

[18] Le 17 août 2022, Newland a déposé sa deuxième plainte auprès du Tribunal[20].

[19] Le 22 août 2022, le Tribunal a informé Newland et le MDN que la présente plainte avait été acceptée pour enquête le 19 août 2022[21].

[20] Le 4 octobre 2022, après avoir demandé une prorogation pour déposer son rapport de l’institution fédérale (RIF), le MDN a déposé auprès du Tribunal des versions publiques et confidentielles de son RIF[22].

[21] Le 14 novembre 2022, Newland a déposé ses commentaires sur le RIF[23].

ANALYSE

Respect des délais pour le dépôt de la plainte de Newland

[22] Le MDN soutient que Newland n’a pas déposé la plainte conformément aux délais prescrits par l’article 6 du Règlement. Le MDN prétend que Newland a eu connaissance des motifs de la plainte le 6 juillet 2022 et que, le même jour, Newland a fait une objection formelle et s’est vu refuser une mesure corrective. Par conséquent, le MDN soutient que Newland avait jusqu’au 18 juillet 2022 pour déposer sa plainte, mais ne l’a fait que le 17 août 2022.

[23] Aux termes des paragraphes 6(1) et 6(2) du Règlement, la partie plaignante dispose de 10 jours ouvrables suivant la date où elle a découvert ou aurait dû vraisemblablement découvrir les faits à l’origine de la plainte afin de présenter à l’institution fédérale une opposition ou déposer une plainte auprès du Tribunal. Si une partie plaignante présente à l’institution fédérale une opposition dans les délais prévus, la partie plaignante peut déposer une plainte auprès du Tribunal dans les 10 jours ouvrables après avoir pris connaissance, directement ou par déduction, du refus de réparation.

[24] Le MDN prétend que Newland a pris connaissance des deux motifs de plainte le 6 juillet 2022, mais le Tribunal conclut que Newland a pris connaissance des motifs de la plainte – c’est-à-dire le fait que le personnel du MDN était logé dans deux établissements et que ces établissements ne répondaient pas à toutes les exigences de la DP – lorsque son représentant s’est rendu en Roumanie entre le 12 août et le 15 août 2022[24]. Le Tribunal fait observer que, avant cette date, Newland n’aurait pas pu raisonnablement savoir quel hôtel était utilisé par le soumissionnaire retenu, puisque le MDN avait indiqué qu’il ne communiquait normalement pas ces renseignements après l’adjudication du contrat[25].

[25] La plainte de Newland a été jugée déposée auprès du Tribunal le 17 août 2022 et, par conséquent, elle a été déposée deux jours ouvrables après avoir déterminé quels hôtels avaient obtenu le contrat, ce qui correspondait bien aux délais fixés par le Règlement.

Évaluation des soumissions par le MDN

[26] Le paragraphe 30.14(1) de la Loi sur le TCCE exige que, dans son enquête, le Tribunal limite son étude à l’objet de la plainte. Le Tribunal détermine la validité de la plainte en fonction des critères et procédures établis par règlement pour le contrat spécifique. L’article 11 du Règlement prévoit que le Tribunal doit décider si la procédure du marché public a été suivie conformément aux accords commerciaux applicables, en l’occurrence l’Accord de libre-échange canadien (ALEC).

[27] Les dispositions pertinentes de l’ALEC soulevées par les allégations de Newland peuvent être résumées comme suit :

· L’alinéa 507(3)b) prévoit qu’une entité contractante effectue son évaluation sur la base des conditions qu’elle a spécifiées à l’avance dans ses avis d’appel d’offres ou sa documentation relative à l’appel d’offres;

· Le paragraphe 515(4) prévoit que pour être considérée en vue d’une adjudication, une soumission est conforme aux prescriptions essentielles énoncées dans les avis d’appel d’offres et dans la documentation relative à l’appel d’offres.

[28] Lorsqu’il examine si les soumissions ont été évaluées en conformité avec ces dispositions, le Tribunal applique le critère du caractère raisonnable et respecte habituellement l’évaluation des propositions faite par le comité d’évaluation. Le Tribunal ne substitue donc généralement pas son jugement à celui des évaluateurs, sauf si ces derniers ne se sont pas appliqués à bien évaluer une proposition, n’ont pas tenu compte de renseignements d’importance cruciale contenus dans une proposition, ont fondé leur évaluation sur des critères non divulgués ou n’ont pas procédé à une évaluation équitable sur le plan de la procédure. La détermination de l’institution fédérale sera considérée comme raisonnable si elle est fondée sur une explication défendable, même si elle n’est pas convaincante aux yeux du Tribunal[26].

Motif 1 : L’évaluation des soumissions par le MDN n’a pas été effectuée conformément aux termes de la DP

[29] Newland fait valoir que les deux hôtels utilisés par le personnel du MDN, comme elle l’a découvert, ne satisfaisaient pas à certaines des exigences obligatoires de la DP. Plus précisément, Newland affirme que ni l’un ni l’autre des hôtels n’a fourni d’installations appropriées qui permettraient au personnel de préparer lui-même ses repas, que l’hôtel Parc ne fournissait pas d’espace de conférence répondant aux exigences de la DP et que l’hôtel utilisé pour le groupe F n’avait pas de centre sportif ou de conditionnement physique.

[30] Le MDN soutient que G+ Industries n’a informé le MDN que deux jours avant l’arrivée du premier groupe de personnel du MDN qu’elle ne serait pas en mesure d’accueillir les six groupes dans un seul établissement. Le MDN a répondu à ces exigences opérationnelles en acceptant de modifier les commandes subséquentes aux termes desquelles il a confirmé l’hébergement dans des hôtels pour couvrir les groupes A à E dans le cadre du contrat avec G+ Industries. Le MDN a pris la décision de loger le groupe F dans des locaux différents, payés par ATF-Romania, une entité contractante locale des Forces armées canadiennes, en dehors de la portée du contrat avec G+ Industries[27]. Le MDN fait valoir que l’adjudication du contrat pour le groupe F a été effectuée séparément du marché public en cause et que le Tribunal ne devrait examiner que la conformité de l’hôtel Parc, qui était l’établissement fourni par G+ Industries aux termes du contrat désigné.

[31] Le MDN soutient en outre que le Tribunal n’a pas compétence pour enquêter sur ces irrégularités parce que les modifications apportées au contrat après l’adjudication de contrat se rapportaient uniquement à l’exécution du contrat et n’ont pas amené le MDN à accepter des services si différents des exigences obligatoires de la DP qu’ils constituent un nouveau marché public. De même, la modification du contrat envisagée par le MDN concernait le travail que G+ Industries devait effectuer après l’adjudication du contrat.

[32] En ce qui a trait à l’hébergement du groupe F, le Tribunal traitera de cette question dans le deuxième motif de plainte et axera son analyse dans la présente partie sur la conformité de l’hôtel Parc aux exigences obligatoires. Cette partie de la plainte de Newland se limite donc à déterminer s’il était raisonnable pour le MDN de conclure que la soumission de G+ Industries était conforme aux exigences obligatoires concernant l’espace de conférence et la fourniture d’installations pour que le personnel soit autonome en ce qui concerne les repas.

Exigence technique 2.1.5 : Installations permettant au personnel d’être autonome en ce qui concerne les repas

[33] En ce qui a trait à l’exigence technique 2.1.5, qui exigeait des aménagements pour fournir au personnel du MDN des installations leur permettant d’être autonome en ce qui concerne les repas (self-catering facilities), le Tribunal conclut que, dans leur évaluation de la soumission technique de G+ Industries, les évaluateurs n’ont pas appliqué une interprétation raisonnable de l’expression « self-catering facilities ». Selon le dictionnaire Cambridge, le fait d’avoir accès à de telles installations est défini comme « disposer d’installations de cuisine pour préparer soi-même ses repas plutôt que de se les faire servir[28] » [traduction]. Lorsque l’on réserve un hébergement, le terme « self-catering facilities », selon l’interprétation courante que l’on en fait, signifie l’accès à une cuisine, comme celle qui pourrait être incluse dans une suite d’hôtel. Les évaluateurs ont commis une erreur en acceptant la soumission de G+ Industries comme étant conforme à cette exigence, car la soumission ne contenait pas d’accès à des installations de cuisine ou à une cuisine pour le personnel du MDN afin de cuisiner ses propres repas. Par conséquent, le Tribunal conclut que l’évaluation par le MDN de l’exigence relative à de telles installations n’était pas raisonnable.

[34] Le Tribunal fait observer que Newland, dans sa soumission, n’a pas non plus démontré qu’elle se conformait à cette exigence, étant donné que l’un des hôtels qu’elle a proposés donnait accès à un restaurant sur place, ce qui ne correspond pas à la définition de « self-catering facilities »[29]. Le MDN a aussi accepté la soumission de Newland comme conforme; par conséquent, l’évaluation de cette exigence par le MDN n’a pas entraîné d’iniquité quant à l’évaluation de la soumission de Newland.

[35] Afin d’éviter toute confusion dans les demandes de soumissions futures, le Tribunal invite le MDN à décrire plus clairement ses besoins et avertit le MDN d’éviter d’utiliser des exigences qu’il n’a pas l’intention d’évaluer comme obligatoires.

Exigence technique 2.7.1 : Espace de conférence

[36] En ce qui a trait à l’exigence technique 2.7.1 exigeant un espace de conférence disponible, il semble que les renseignements contenus dans la soumission de G+ Industries satisfaisaient à cette exigence, mais qu’ils comportaient également une erreur typographique à l’égard des installations fournies[30]. Cette erreur est distincte de l’allégation de Newland selon laquelle les installations fournies à l’hôtel Parc ne satisfaisaient pas aux exigences de la DP et ne semble pas avoir été prise en considération par le MDN dans son évaluation. À la suite d’une enquête plus approfondie de Newland sur les installations de l’hôtel Parc, elle a allégué qu’en fait l’hôtel Parc ne satisfaisait pas aux exigences, même si la soumission de G+ Industries indiquait qu’il y satisfaisait.

[37] Le Tribunal a déjà conclu qu’au moment de procéder à l’évaluation des propositions et d’adjuger le contrat, l’institution fédérale est en droit de se fonder sur les renseignements fournis dans les soumissions pour évaluer la conformité aux exigences obligatoires[31]. Si, après l’adjudication du marché et après la fin du processus de passation du marché, il devient connu que l’adjudicataire n’est pas en mesure de satisfaire aux exigences de la DP ou qu’il a fourni des biens ou des services autres que ceux requis, la question en devient une d’administration du marché et ne relève pas de la compétence du Tribunal. En ce qui a trait à l’exigence technique 2.7.1, le Tribunal conclut que l’évaluation effectuée par le MDN était raisonnable à la lumière des renseignements contenus dans la soumission de G+ Industries.

[38] En résumé, le Tribunal conclut que l’évaluation des soumissions par le MDN n’était pas raisonnable en ce qui a trait à l’exigence relative aux installations permettant au personnel d’être autonome en ce qui concerne les repas de l’appel d’offres, étant donné que l’évaluation de cette exigence par le MDN n’était pas conforme aux modalités de la DP. En ce qui a trait à l’espace de conférence, d’après les renseignements contenus dans la soumission de G+ Industries, le Tribunal conclut que l’évaluation du MDN était raisonnable.

Motif 2 : La décision du MDN de fournir un hébergement au groupe F dans un contrat distinct relevait de l’administration des marchés

[39] Newland fait également valoir que le MDN n’a pas accordé le contrat conformément aux modalités de la DP, qui stipulait que la soumission la moins disante serait retenue et que la priorité serait accordée aux soumissions offrant tout l’hébergement à un seul établissement[32].

[40] Le MDN fait valoir qu’il avait le droit de se fier au contenu de la soumission de G+ Industries pour décider de l’adjudication du contrat et que sa décision d’héberger le groupe F dans un deuxième établissement, aux termes d’un contrat distinct, relevait de l’administration des marchés. Quand il a appris, le 2 juillet 2022 – c’est-à-dire après l’adjudication du contrat et seulement deux jours avant que le premier groupe de personnel du MDN n’ait besoin d’un hébergement en Roumanie – que G+ Industries ne serait pas en mesure d’accueillir tout le personnel du MDN dans un établissement, il a soutenu que le court délai ne lui permettait pas de choisir un autre soumissionnaire pour l’exécution du contrat.

[41] Comme il a été expliqué ci-dessus, le Tribunal convient que le MDN avait le droit de se fier aux renseignements fournis dans la soumission au moment de l’évaluation des propositions, sauf s’il y avait une raison claire de croire le contraire. À première vue, la soumission de G+ Industries fournissait l’hébergement à un établissement et a obtenu le contrat du marché public pour cette raison. À la lumière des éléments de preuve dont il est saisi, le Tribunal conclut que le MDN n’a pas commis d’erreur en acceptant la soumission de G+ Industries telle quelle et en accordant le contrat au motif qu’il s’agissait de la soumission conforme la moins disante. Cette conclusion est conforme à la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans Double N Earthmovers Ltd., où il a été conclu que les entités contractantes n’ont aucune obligation de vérifier les renseignements et les certifications soumis par les fournisseurs potentiels[33].

[42] Le Tribunal fait remarquer que la DP ne demandait pas aux soumissionnaires de fournir la confirmation que les chambres étaient réservées par l’hôtel. Par conséquent, la DP n’exigeait pas que TLG (l’adjudicataire initial) ou G+ Industries présentent des pièces justificatives ou des renseignements prouvant que les chambres avaient été réservées. Le Tribunal invite le MDN à se demander si l’exigence de confirmer les réservations en attendant l’évaluation des soumissions pourrait lui permettre d’éviter de telles difficultés dans les marchés futurs lorsqu’il apprend à la dernière minute que les soumissionnaires ne sont finalement pas en mesure d’exécuter le marché comme prévu.

[43] En outre, le Tribunal fait observer que le MDN composait avec des délais serrés et a appris que G+ Industries ne serait pas en mesure de satisfaire aux exigences de la DP deux jours avant que les services d’hébergement ne soient nécessaires. Il n’était pas déraisonnable pour le MDN, en raison des contraintes de temps et du dépôt qu’il avait déjà payé[34], d’aller de l’avant avec le contrat adjugé à G+ Industries.

[44] À la lumière de ce qui précède, le Tribunal conclut que, lorsque le MDN a décidé de séparer l’hébergement du groupe F du contrat désigné, le processus de marché public était terminé et le MDN gérait simplement le contrat au fur et à mesure de son exécution. Il s’agit donc d’une question d’administration des marchés qui ne relève pas de la compétence du Tribunal. Par conséquent, il n’est pas pertinent de savoir si l’hébergement pour le groupe F satisfaisait à toutes les exigences techniques obligatoires indiquées dans la DP.

Conclusion

[45] Pour les motifs qui précèdent, le Tribunal conclut que la plainte est fondée en partie, en ce qui concerne le motif de plainte relatif à l’évaluation de l’exigence relative aux installations permettant au personnel d’être autonome en ce qui concerne les repas.

MESURE CORRECTIVE

[46] Pour recommander une mesure corrective, le Tribunal se fonde sur le paragraphe 30.15(3) de la Loi sur le TCCE, qui prévoit ce qui suit :

(3) Dans sa décision, le Tribunal tient compte de tous les facteurs qui interviennent dans le marché de fournitures ou services visé par le contrat spécifique, notamment des suivants :

a) la gravité des irrégularités qu’il a constatées dans la procédure des marchés publics;

b) l’ampleur du préjudice causé au plaignant ou à tout autre intéressé;

c) l’ampleur du préjudice causé à l’intégrité ou à l’efficacité du mécanisme d’adjudication;

d) la bonne foi des parties;

e) le degré d’exécution du contrat.

[47] En l’espèce, la soumission de Newland n’était pas la moins disante derrière G+ Industries et, par conséquent, Newland n’aurait pas obtenu le contrat si le MDN n’avait pas commis une erreur. Dans le même ordre d’idée, la soumission de Newland aurait également été jugée non conforme si l’expression « self-catering facilities » avait été appliquée de la manière décrite ci-dessus. Par conséquent, Newland n’a pas été lésée par l’évaluation de cette exigence par le MDN et, par conséquent, le Tribunal conclut que Newland n’a pas droit à ses profits perdus ni à toute autre mesure corrective prévue par la Loi sur le TCCE.

FRAIS

[48] Newland et le MDN ont tous les deux demandé une indemnité pour les frais qu’ils ont engagés pour répondre à la plainte.

[49] Conformément aux Lignes directrices sur la fixation des frais dans une procédure de plainte portant sur un marché public[35] et étant donné que chacune des parties n’a obtenu gain de cause que partiellement, le Tribunal ne voit pas de motif d’adjuger des frais dans l’affaire. En vertu de son pouvoir discrétionnaire de cour d’archives et de maître de sa propre procédure[36], le Tribunal estime qu’il est approprié que chaque partie assume ses propres frais.

DÉCISION

[50] Aux termes du paragraphe 30.14(2) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal détermine que la plainte est fondée en partie. Chaque partie assumera ses propres frais.

 

 

Cheryl Beckett

Cheryl Beckett
Membre présidant

 



[1] Voir Newland Canada Corporation c. Ministère de la Défense nationale (26 juillet 2022), PR-2022-027 (TCCE).

[2] DORS/93-602.

[3] L.R.C., 1985, ch. 47 (4e supp.).

[5] La lettre de refus semble être erronée, puisque la soumission et les communications entre Travel Lodging Group et le MDN indiquent des montants en euros.

[6] Pièce PR-2022-037-01.A à la p. 62.

[7] Pièce PR-2022-037-03 à la p. 25.

[8] Ibid. à la p. 24.

[9] Pièce PR-2022-037-15.A au par.17.

[10] Ibid. à la p. 123.

[11] Ibid. au par. 24.

[12] Ibid. aux par. 24–28.

[13] Pièce PR-2022-037-01.A à la p. 63.

[14] Ibid. à la p. 66.

[15] Ibid. à la p. 65.

[16] Ibid. aux p. 64–65.

[17] Ibid. à la p. 64.

[18] Pièce PR-2022-037-05 au par. 4.

[19] Pièce PR-2022-037-01 à la p. 1.

[20] Newland a déposé des documents les 16 et 17 août 2022. La plainte a été considérée comme ayant été déposée le 17 août 2022.

[21] Pièces PR-2022-037-02 et PR-2022-037-08.

[22] Pièce PR-2022-037-15.A.

[23] Pièce PR-2022-037-18.B. Newland a déposé des versions antérieures de ses commentaires sur le RIF, qui ont dû être révisées et soumises de nouveau parce qu’elles contenaient des références à des communications privilégiées.

[24] Pièce PR-2022-037-01.A à la p. 8.

[25] Pièce PR-2022-037-15.A à la p. 128.

[26] Toromont Material Handling, a division of Toromont Industries Ltd. (11 mars 2020), PR-2019-063 (TCCE) au par. 19; Heiltsuk Horizon Maritime Service Ltd. et Horizon Maritime Services Ltd. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (18 octobre 2019), PR-2019-020 (TCCE) au par. 47; Joint Venture of BMT Fleet Technology Limited et NOTRA Inc. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (5 novembre 2008), PR-2008-023 (TCCE) au par. 25; Northern Lights Aerobatic Team, Inc. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (7 septembre 2005), PR-2005-004 (TCCE) au par. 52; J.A. Larue inc. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (7 août 2020), PR‑2020-004 (TCCE) au par. 26; Enveloppe Concept au par. 19, citant Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247 au par. 55.

[27] Pièce PR-2022-037-15.A au par. 28.

[29] Pièce PR-2022-037-01.A à la p. 27.

[30] Pièce PR-2022-037-15.C à la p. 213 (protégée).

[31] Airsolid Inc. (12 mars 2010), PR-2009-089 (TCCE) [Airsolid], aux par. 11–12 et 16. Voir aussi 3202488

Canada Inc. o/a Kinetic Solutions (3 mars 2011), PR-2010-089 (TCCE) aux par. 18–19; SoftSim Technologies Inc. c. Ministère de la Défense nationale (19 décembre 2018), PR-2018-032 (TCCE) aux par. 36–37.

[32] Pièce PR-2022-037-01.A à la p. 39. Voir paragraphes 4.2, 4.2.1 et 4.2.2 de la DP.

[33] Double N Earthmovers Ltd. v. Edmonton (Ville), [2007] 1 RCS 116, 2007 CSC 3 (CanLII) [Double N Earthmovers Ltd.]. Dans cet arrêt, même s’il a été conclu que le soumissionnaire retenu avait eu une intention trompeuse, ce que la Ville d’Edmonton n’a découvert qu’après l’adjudication du contrat, ce sont ses intentions au moment de l’acceptation de sa soumission qui étaient pertinentes. Par conséquent, la Ville n’a pas manqué à ses obligations de traiter tous les soumissionnaires équitablement; voir aussi SoftSim Technologies Inc. c. Ministère de la Défense nationale (19 décembre 2018), PR-2018-032.

[34] Le Tribunal fait observer que, dans une plainte distincte déposée auprès du Tribunal par Newland (PR-2022-050) au sujet du même marché public, Newland a soulevé comme motif de plainte que le MDN a agi à l’encontre des modalités de la DP lorsqu’il a versé un acompte de 50 % à G+ Industries. Le Tribunal a décidé de ne pas enquêter sur ce motif de plainte parce qu’il n’a pas été déposé dans les délais prescrits à l’article 6 du Règlement. Le Tribunal fait également remarquer que la décision du MDN de verser un acompte a été prise au moment où le contrat était exécuté et géré, après la fin du processus de passation du marché public et, par conséquent, ne relève pas de la compétence du Tribunal, puisqu’il s’agit d’une question d’administration des marchés.

[36] Pacific Northwest Raptors Ltd. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (21 février 2022), PR-2021-046 (TCCE) au par. 72; Francis H.V.A.C. Services Ltd. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (2 septembre 2016), PR-2016-003 (TCCE) au par. 53.

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