Enquêtes sur les marchés publics

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Dossier PR-2023-025

MLVX Technologies Inc.

Décision prise
le vendredi 4 août 2023

Décision rendue
le mardi 8 août 2023

Motifs rendus
le vendredi 18 août 2023

 


EU ÉGARD À une plainte déposée aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur.

PAR

MLVX TECHNOLOGIES INC.

CONTRE

LE MINISTÈRE DES TRAVAUX PUBLICS ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX

DÉCISION

Aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur a décidé de ne pas enquêter sur la plainte.

Randolph W. Heggart

Randolph W. Heggart
Membre présidant

L’exposé des motifs suivra à une date ultérieure.

 


EXPOSÉ DES MOTIFS

[1] En vertu du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur[1] (Loi sur le TCCE), tout fournisseur potentiel peut, sous réserve du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics[2] (Règlement), déposer une plainte auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur concernant la procédure des marchés publics suivie relativement à un contrat spécifique et lui demander d’enquêter sur cette plainte. En vertu du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le TCCE, après avoir jugé la plainte conforme au paragraphe 30.11(2) de la Loi sur le TCCE et sous réserve du Règlement, le Tribunal détermine s’il y a lieu d’enquêter.

RÉSUMÉ DE LA PLAINTE

[2] La plainte concerne un appel de propositions (AP) (appel d’offres EN578-23IS11) publié sur AchatsCanada[3] le 21 mars 2023 par le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (TPSGC) au nom du ministère de l’Industrie (Innovation, Sciences et Développement économique Canada) et d’autres ministères participants.

[3] Selon les modalités de l’appel d’offres et par l’intermédiaire du programme Solutions innovatrices Canada – Volet mise à l’essai, un programme de recherche et de développement (R. et D.)[4], TPSGC a cherché à acquérir, à tester et à évaluer des biens et des services précommerciaux de R. et D. en phase finale de développement afin de répondre à certaines exigences opérationnelles du gouvernement regroupées sous l’appellation « sujets des énoncés de problème[5] ».

[4] L’AP était expressément réservé aux petites entreprises dans le cadre du programme de marchés réservés aux petites entreprises. Pour être admissibles, les soumissionnaires devaient, entre autres, être des entreprises à but lucratif employant au plus 499 personnes à temps plein[6].

[5] La plaignante, MLVX Technologies Inc. (MLVX), allègue[7] que le libellé de l’une des questions de la section Critères de présélection cotés de l’AP était trompeur et que l’évaluation de sa proposition par TPSGC au regard de ce critère était inéquitable parce qu’elle n’était pas conforme à la grille d’évaluation. MLVX demande une réévaluation de sa soumission et le report de l’attribution du contrat.

CONTEXTE

[6] Le 18 avril 2023, soit la date de clôture de l’appel d’offres, MLVX a déposé une proposition[8].

[7] Le 9 juin 2023, TPSGC a informé MLVX que sa proposition n’avait pas été retenue[9] parce qu’elle n’avait pas démontré qu’elle disposait de ressources financières suffisantes et d’une stratégie financière crédible pour exécuter son plan de lancement commercial, comme l’exigeaient le critère de présélection coté 4 et ses critères d’évaluation[10], lesquels étaient rédigés ainsi :

CP4 : Capacité financière

Le Soumissionnaire doit démontrer qu’il possède suffisamment de ressources financières et une stratégie financière crédible pour exécuter son plan de lancement commercial, sans contrat potentiel du volet Mise à l’essai de SIC.

Pour déterminer la crédibilité d’un plan financier, les évaluateurs prennent en compte : les sources de financement, la quantité de fonds garantis par rapport aux fonds non garantis, le niveau de risque et la mesure dans laquelle les risques sont raisonnables ou suffisamment atténués selon le contexte du secteur. La crédibilité, les risques potentiels et l’applicabilité pour soutenir les coûts de mise en marché devraient également être considérés.

Les ressources financières doivent démontrer la capacité à commercialiser l’innovation proposée.

0 point

• Le Soumissionnaire n’a pas démontré qu’il possède suffisamment de fonds pour commercialiser l’innovation proposée; OU

• Le Soumissionnaire n’a pas de plan crédible pour obtenir les fonds nécessaires, ou les coûts sont considérablement sous-estimés; OU

• La stratégie financière fournie est inadéquate, peu réaliste ou incomplète.

8 points

Minimum

• Le Soumissionnaire a démontré qu’il dispose de fonds en place, et qu’il a la capacité financière d’assurer la production et la réalisation de l’innovation proposée; OU

• Le Soumissionnaire a une stratégie financière crédible et les fonds résiduels non garantis n’entraveront pas appréciablement la commercialisation de l’innovation proposée.

12 points

Le Soumissionnaire a démontré qu’il possède suffisamment de fonds garantis et une stratégie financière crédible pour réussir la commercialisation de l’innovation proposée.

[8] TPSGC n’a attribué aucun point à MLVX pour le CP4[11].

[9] Le même jour, MLVX a écrit à TPSGC pour s’opposer à la conclusion de ce dernier selon laquelle la soumission n’était pas recevable. MLVX a expliqué qu’elle trouvait la question 5 du CP4 trompeuse.

[10] La question 5 du CP4 demandait aux soumissionnaires de « fournir des détails relatifs aux sources de financement garanties (existantes ou restantes) de leur entreprise, ainsi qu’aux sources de financement non garanties au moment du dépôt de la proposition, afin de démontrer que les capitaux sont suffisants pour exécuter leur plan de lancement commercial[12] » [traduction]. Les soumissionnaires étaient également priés de ne pas inclure les revenus découlant d’un éventuel contrat avec Solutions innovatrices Canada pour la mise à l’essai.

[11] MLVX a expliqué à TPSGC qu’elle avait compris que le soumissionnaire devait démontrer comment il était prévu de couvrir les coûts exacts du plan de lancement commercial, et que c’est la raison pour laquelle elle n’avait indiqué que les sources de financement qui correspondaient exactement à ces coûts. MLVX a ajouté que si l’objectif était plutôt de demander au soumissionnaire de démontrer son financement au-delà du montant alloué au plan de lancement commercial, alors TPSGC pouvait porter son attention vers les chiffres complets et actualisés en annexe qui, selon elle, satisfaisaient cette interprétation de la question 5[13].

[12] Le 16 juin 2023, TPSGC a rappelé les critères d’évaluation du CP4 (voir le par. 6 ci-dessus) et a invité MLVX à se reporter à la section 3.3.2 de la Partie 3 – Directives de préparation des propositions[14] :

3.3.2 Les évaluateurs doivent préserver l’intégrité de l’évaluation en tenant seulement compte des renseignements présentés dans la proposition avant la date et l’heure de clôture de la sollicitation. Aucun renseignement ne sera déduit, et les connaissances ou croyances personnelles n’interviendront pas dans l’évaluation.

[13] TPSGC a expliqué qu’à moins que ce n’était explicitement indiqué dans la proposition, les évaluateurs ne pouvaient pas supposer que les coûts de commercialisation prévus par MLVX incluaient les sommes destinées à l’atténuation des risques, ni prendre en compte les informations supplémentaires que MLVX a fournies dans son courriel du 9 juin 2023. De plus, comme la proposition ne mentionnait pas « le degré de risque et si les risques étaient raisonnables ou suffisamment atténués » [traduction], les évaluateurs ont déterminé que le plan de la proposition était incomplet.

[14] Le 16 juin 2023, MLVX a répondu à TPSGC et a notamment demandé à ce dernier de « rectifier la note attribuée pour la question du CP4 » [traduction] à la lumière des renseignements supplémentaires fournis[15].

[15] Le 23 juin 2023, TPSGC a confirmé qu’il « demanderait à l’équipe d’évaluation de réexaminer le critère qui n’a pas été respecté[16] » [traduction]. TPSGC a également indiqué que même si cela ne changeait pas le résultat final, cela permettrait à MLVX de mieux comprendre pourquoi la proposition ne répondait pas à l’exigence en question.

[16] Le 21 juillet 2023, TPSGC a informé MLVX qu’à la suite d’un réexamen par l’équipe d’évaluation de sa proposition par rapport à ses commentaires des 9 et 16 juin 2023, les résultats de l’évaluation demeuraient inchangés. Cependant, TPSGC a transmis des commentaires supplémentaires de l’équipe d’évaluation à des fins de précision, commentaires qu’il a jugés comme mettant un terme au processus de compte rendu.

[17] Le 27 juillet 2023, MLVX a déposé sa plainte auprès du Tribunal.

ANALYSE

[18] Aux termes des articles 6 et 7 du Règlement, le Tribunal peut enquêter sur une plainte si toutes les conditions suivantes sont satisfaites :

i) la plainte a été déposée dans les délais prescrits à l’article 6 du Règlement;

ii) le plaignant est un fournisseur potentiel;

iii) la plainte porte sur un contrat spécifique[17];

iv) les renseignements fournis démontrent, dans une mesure raisonnable, que la procédure du marché public n’a pas été suivie conformément aux accords commerciaux applicables.

[19] Le terme « contrat spécifique » est défini à l’article 30.1 de la Loi sur le TCCE comme étant un « [c]ontrat relatif à un marché de fournitures ou services qui a été accordé par une institution fédérale — ou pourrait l’être — , et qui soit est précisé par règlement, soit fait partie d’une catégorie réglementaire ».

[20] Le paragraphe 3(1) du Règlement prévoit en outre qu’est un « contrat spécifique » tout contrat relatif à un marché de fournitures ou de services ou de toute combinaison de ceux-ci, comme décrit dans les accords commerciaux applicables.

[21] Pour les motifs qui suivent, le Tribunal conclut que la plainte ne porte pas sur un contrat spécifique et que, par conséquent, les conditions d’enquête ne sont pas remplies.

À l’exception de l’Accord de libre-échange canadien, les accords commerciaux applicables excluent, expressément ou non, les marchés publics de services de recherche et de développement du champ d’application de leurs chapitres sur les marchés publics

[22] Comme il est mentionné précédemment, le Tribunal ne peut enquêter sur une plainte que lorsque certaines conditions sont remplies. L’une de ces conditions est que le marché public en cause doit porter sur un bien ou un service visé par l’un des accords commerciaux énumérés dans le Règlement.

[23] Selon les modalités du marché public en cause, TPSGC cherchait à acquérir, à tester et à évaluer des biens et des services précommerciaux de recherche et de développement (R. et D.) en phase finale de développement. L’annexe 2 de l’AP définit les innovations précommerciales comme « celles qui se situent en phases de recherche et de développement, soit avant la commercialisation[18] ». Comme il est indiqué précédemment, cet objectif devait être atteint par le biais du programme Solutions innovatrices Canada – Volet mise à l’essai, défini dans I’AP comme un programme de R. et D. Le Tribunal conclut que l’objectif global de l’AP était de se procurer des services de R. et D.

[24] Le fait que l’objectif de l’AP était de se procurer des services de R. et D. est appuyé par la section 1.6 de l’AP, qui énumère expressément les accords commerciaux énoncés dans le Règlement et précise, entre autres, qu’ils ne couvrent pas l’acquisition de services de R. et D.[19]

[25] À l’exception de l’Accord de libre-échange canadien (ALEC), les procédures de passation des marchés publics pour l’acquisition de services de R. et D. sont exclues, expressément ou non, du champ d’application des accords commerciaux énumérés au paragraphe 3(1) du Règlement.

[26] Plus précisément, les activités de R. et D. sont expressément exclues du champ d’application des accords suivants : Accord de libre-échange Canada-Chili (annexe Kbis-01.1-4 Services, section B), Accord de libre-échange Canada-Colombie (annexe 1401-4 Services, section B, partie 1), Accord de libre-échange Canada-Corée (annexe 14-C), Accord de libre-échange Canada-Panama (annexe 5, section B), Accord de libre-échange Canada-Pérou (annexe 1401.1-4, section B, partie I-A) et Accord de libre-échange Canada-Honduras (annexe 17.4, section B, partie I).

[27] En outre, l’Accord sur les marchés publics de l’Organisation mondiale du commerce (appendice 1, annexe 5), l’Accord économique et commercial global (AECG) entre le Canada et l’Union européenne (annexe 19-5), l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste (annexe 15A, section E), l’Accord de libre-échange Canada-Ukraine (annexe 10-4) et l’Accord de continuité commerciale Canada–Royaume-Uni (conformément à l’annexe 19-5 de l’AECG), adoptent une approche de liste positive pour les règles relatives aux services dans leurs chapitres respectifs sur les marchés publics (c.-à-d seuls les articles énumérés entrent dans le champ d’application et la couverture de l’accord). Dans chaque cas, les services de R. et D. ne figurent pas sur la liste et sont donc exclus du champ d’application de l’accord.

[28] Le marché public en cause n’est donc pas couvert par les accords commerciaux susmentionnés.

L’article 504(13) de l’ALEC prévoit que l’accord ne s’applique pas aux marchés publics qui font partie d’un programme de marchés réservés aux petites entreprises, à condition que le programme soit équitable, ouvert et transparent et qu’il n’établisse pas de discrimination fondée sur l’origine des produits, des services ou des fournisseurs, ou sur leur emplacement à l’intérieur du Canada

[29] Contrairement aux accords précédents, l’ALEC semble couvrir spécifiquement l’acquisition de services de R. et D. dans le cadre de ses règles de passation de marchés[20].

[30] Toutefois, aux termes de l’article 504(13), l’ALEC « ne s’applique pas aux marchés visés par un programme de marchés réservés aux petites entreprises, à condition que le programme en question soit équitable, ouvert et transparent, et qu’il n’établisse pas de discrimination fondée sur l’origine des produits, services ou fournisseurs, ou sur leur emplacement à l’intérieur du Canada ».

[31] Bien que l’exception relative aux marchés réservés aux petites entreprises ne soit pas définie à l’article 504(13) de l’ALEC, une simple lecture de cet article suggère que l’exception s’applique lorsque le programme de marchés réservés aux petites entreprises en cause est équitable, ouvert, transparent et non discriminatoire[21].

[32] La section 1.3 de l’AP indique expressément que le marché était « réservé aux petites entreprises dans le cadre du Marché réservé aux petites entreprises pour aider à faire croître les petites entreprises canadiennes et leur offrir des occasions de conclure des contrats avec le gouvernement du Canada[22] ».

[33] Par conséquent, dans la mesure où le programme est équitable, ouvert, transparent et non discriminatoire, l’exception prévue à l’article 504(13) de l’ALEC s’applique.

[34] Dans sa plainte, MLVX conteste l’évaluation de sa proposition et le libellé de la question 5 du CP4. MLVX ne prétend pas que le programme de marchés réservés aux petites entreprises n’était pas ouvert, équitable ou transparent, ni qu’il n’établissait une discrimination fondée sur l’origine des biens, des services ou des fournisseurs, ou sur leur emplacement à l’intérieur du Canada.

[35] Bien que le déroulement d’un marché en particulier dans le cadre d’un programme de marchés réservés aux petites entreprises puisse éventuellement indiquer que le programme lui-même n’est pas équitable, rien dans la présente plainte ne suggère de telles préoccupations plus larges en l’espèce. Le Tribunal conclut qu’il ne dispose d’aucune preuve lui permettant d’affirmer que le programme de marchés réservés aux petites entreprises en cause présente un problème systémique tel que celui envisagé à l’article 504(13).

[36] Par conséquent, l’exception relative aux marchés réservés aux petites entreprises prévue au paragraphe 504(13) s’applique et le marché public en cause n’est pas assujetti à l’ALEC.

[37] Comme aucun accord commercial ne s’applique au marché public en cause, le Tribunal conclut que la plainte ne porte pas sur un « contrat spécifique » comme l’exige le paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le TCCE. À ce titre, le Tribunal n’a pas compétence pour enquêter.

[38] Il convient de souligner que, même si le Tribunal avait compétence en l’espèce, il est d’avis que la conduite des évaluateurs et leur interprétation du sens et de l’objet du critère d’évaluation en question n’étaient pas déraisonnables dans les circonstances. Il n’est pas déraisonnable qu’une évaluation de la capacité financière prenne en compte les risques et les éventualités et aille au-delà du budget proposé.

DÉCISION

[39] Aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal a décidé de ne pas enquêter sur la plainte.

Randolph W. Heggart

Randolph W. Heggart
Membre présidant

 



[1] L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.).

[2] DORS/93-602.

[4] Une initiative conçue pour stimuler la recherche technologique, le développement et la commercialisation des innovations canadiennes. Pour en savoir plus, voir https://ised-isde.canada.ca/site/solutions-innovatrices-canada/fr.

[5] Pièce PR-2023-025-01.A, p. 13.

[6] Ibid., p. 16.

[7] Pièce PR-2023-025-01.C, p. 5.

[8] Pièce PR-2023-025-01.D, p. 1.

[9] Pièce PR-2023-025-01.C, p. 134–135.

[10] Pièce PR-2023-01.A, p. 46.

[11] Pièce PR-2023-025-01.C, p. 7.

[12] Pièce PR-2023-025-01.D, p. 66.

[13] Pièce PR-2023-025-01.C, p. 134–135.

[14] Ibid., p. 133–134; voir aussi la pièce 2023-025-01.A, p. 26.

[15] Pièce PR-2023-025-01.C, p. 132–133.

[16] Ibid., p. 131–132.

[17] Alinéa 7(1)b) du Règlement.

[18] Pièce PR-2023-025-01.A, p. 52.

[19] Ibid., p. 17–20.

[20] Voir, par exemple, l’article 513f) de l’ALEC.

[21] Voir Miwayawin Health Care Solutions Ltd. (23 novembre 2018), PR‑2018‑041 (TCCE), où le Tribunal a brièvement examiné cette exception dans une remarque incidente.

[22] Pièce PR-2023-025-01.A, p. 15.

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