Enquêtes sur les marchés publics

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Dossier PR-2023-013

Military Travel Inc.

Décision prise
le mardi 13 juin 2023

Décision rendue
le jeudi 15 juin 2023

Motifs rendus
le lundi 26 juin 2023

 


EU ÉGARD À une plainte déposée aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur.

PAR

MILITARY TRAVEL INC.

CONTRE

LE MINISTÈRE DE LA DÉFENSE NATIONALE

DÉCISION

Aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur a décidé de ne pas enquêter sur la plainte, car celle-ci ne démontre pas, dans une mesure raisonnable, qu’il y a eu violation d’un accord commercial.

Frédéric Seppey

Frédéric Seppey
Membre présidant

L’exposé des motifs suivra à une date ultérieure.


EXPOSÉ DES MOTIFS

[1] En vertu du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur[1] (Loi sur le TCCE), tout fournisseur potentiel peut, sous réserve du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics[2] (Règlement), déposer une plainte auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur concernant la procédure des marchés publics suivie relativement à un contrat spécifique et lui demander d’enquêter sur cette plainte. En vertu du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le TCCE, après avoir jugé la plainte conforme au paragraphe 30.11(2) de la Loi sur le TCCE et sous réserve du Règlement, le Tribunal détermine s’il y a lieu d’enquêter.

RÉSUMÉ DE LA PLAINTE

[2] La présente plainte déposée par Military Travel Inc. (MTI) concerne une demande de proposition (DP) (appel d’offres W8476-236619/B) publiée par le ministère de la Défense nationale (MDN) en vue de la fourniture d’une « remorque pour l’équipe chargée de la sensibilisation et de l’attraction » (la remorque)[3].

[3] La plainte porte sur l’allégation selon laquelle le MDN a rejeté à tort la soumission de MTI au motif qu’elle ne répondait pas au critère technique obligatoire 3.32.1 énoncé dans la DP, lequel stipule que la « remorque doit être munie du système de freinage électrique standard du fabricant »[4].

[4] Selon ce que le Tribunal comprend des arguments évoqués dans la plainte, MTI fait principalement valoir qu’il n’était pas clairement indiqué dans la DP qu’il fallait fournir des « renseignements individuels » [traduction] pour chaque critère technique obligatoire[5]. MTI s’appuie en outre sur la matrice d’évaluation technique (la MET)[6] de la DP pour faire valoir que cette dernière « […] rend optionnelle la fourniture de certains renseignements demandés dans le tableau […][7] » [traduction]. Enfin, MTI soutient qu’une déclaration figurant dans sa soumission[8] ainsi que « le bon sens qui veut que les freins soient nécessaires[9] » [traduction] auraient dû être acceptés pour évaluation, car le tout permet de satisfaire au critère en question.

[5] Pour les motifs qui suivent, le Tribunal a décidé de ne pas enquêter sur la plainte, car elle ne démontre pas, dans une mesure raisonnable, qu’il y a eu violation d’un accord commercial.

CONTEXTE

[6] Le 13 décembre 2022, la DP visée par la présente plainte a été publiée et la date de clôture de l’appel d’offres a été fixée au 12 janvier 2023[10]. La date de clôture de l’appel d’offres a ensuite été prorogée, par voie de modification, au 24 janvier 2023, les conditions de la DP étant par ailleurs restées les mêmes[11]. MTI a présenté sa soumission le 23 janvier 2023[12].

[7] Le 9 mars 2023, MTI a reçu un courriel du MDN qui comprenait la demande de précision suivante concernant le critère technique obligatoire 3.32.1 : « Question pour vous : pouvez-vous s’il vous plaît m’indiquer où se trouvent dans votre soumission les renseignements concernant le critère 3.32.1 de la DP au sujet du système de freinage […][13] » [traduction].

[8] MTI a répondu par courriel le même jour que puisque le critère obligatoire en question n’était pas énuméré dans la MET[14], elle supposait qu’il était similaire aux autres critères obligatoires prévus dans la DP et qu’il pouvait être satisfait et pris en compte grâce à ce qui figurait dans sa soumission[15]. MTI a en outre indiqué ce qui suit : « Il y a plus de 100 exigences “obligatoires” alors que seulement 13 éléments clés ont été répertoriés dans la matrice de conformité; nous avons donc seulement apporté des précisions à ces éléments clés[16] » [traduction, nos caractères gras].

[9] Le 24 mai 2023, le MDN a envoyé une lettre de refus à MTI pour l’informer qu’un contrat avait été attribué à un autre soumissionnaire et que sa proposition avait été jugée non recevable parce qu’elle ne répondait pas au critère technique obligatoire 3.32.1[17]. Le même jour, MTI a présenté une opposition au MDN par courriel, demandant au MDN de reconsidérer sa décision étant donné qu’elle « […] a fourni une mention générale qui aurait dû être prise en compte pour cet élément[18] » [traduction]. N’ayant pas reçu de réponse, MTI a fait un suivi auprès du MDN le 26 mai 2023[19]. Le 29 mai 2023, le MDN a refusé la réparation demandée par MTI en lui répondant qu’elle « peut déposer une plainte [auprès du Tribunal] si [elle l’estime] nécessaire[20] » [traduction].

[10] Les 6 et 7 juin 2023, MTI a déposé sa plainte auprès du Tribunal, accompagnée de quelques documents à l’appui. Le 8 juin 2023, le Tribunal a demandé des renseignements supplémentaires aux termes du paragraphe 30.12(2) de la Loi sur le TCCE, avant que la plainte puisse être considérée comme déposée[21]. Le 9 juin 2023, MTI a fourni les renseignements demandés et la plainte a été considérée comme déposée[22].

ANALYSE

[11] Le Tribunal peut mener une enquête si toutes les conditions prescrites à l’égard de la plainte sont remplies. Parmi ces conditions, le Tribunal doit déterminer si les renseignements fournis démontrent, dans une mesure raisonnable, que la procédure du marché public n’a pas été suivie conformément aux accords commerciaux pertinents[23].

[12] En l’espèce, le Tribunal a tenu compte des dispositions pertinentes de l’Accord de libre-échange canadien[24] (ALEC) dans l’examen de la plainte de MTI[25]. L’ALEC prévoit que, pour être prise en considération en vue d’une adjudication, une soumission doit être conforme, au moment de son ouverture, aux prescriptions essentielles énoncées dans la documentation relative à l’appel d’offres[26]. Lorsqu’il examine si les soumissions sont évaluées conformément à cette exigence, le Tribunal applique le critère du caractère raisonnable et accorde généralement une grande déférence aux évaluateurs dans leur évaluation des soumissions[27].

[13] Les entités contractantes sont tenues d’évaluer de manière approfondie et stricte la conformité d’une soumission aux exigences obligatoires[28]. Le Tribunal a clairement établi qu’il incombe aux soumissionnaires de démontrer que leurs propositions répondent aux exigences ou aux critères obligatoires établis dans un appel d’offres. En d’autres termes, les soumissionnaires assument la responsabilité « d’établir les liens nécessaires » et doivent s’assurer que les documents à l’appui de leurs soumissions démontrent clairement la conformité. De plus, l’obligation de démontrer la conformité d’une soumission à tous les critères obligatoires ne peut être laconique ou laissée à la déduction[29].

[14] Compte tenu de ces principes, et après avoir examiné les éléments de preuve versés au dossier, le Tribunal conclut que les renseignements fournis dans la plainte ne démontrent pas, dans une mesure raisonnable, que l’évaluation de la soumission de MTI n’a pas été effectuée en conformité avec l’ALEC.

[15] La DP en cause énonçait les exigences auxquelles la remorque devait satisfaire[30], l’une d’entre elles étant le critère technique obligatoire 3.32.1[31].

[16] L’alinéa 3.1(C) de la DP, lequel est particulièrement pertinent en l’espèce, stipule ce qui suit[32] :

Les soumissionnaires doivent démontrer leur conformité à la pièce jointe 1 de la partie 4 intitulée Critères d’évaluation de la demande de soumissions en fournissant de l’information substantielle complète et détaillée qui décrit la façon dont l’exigence est respectée et traitée. Les soumissionnaires doivent fournir avec leur soumission technique, un document indiquant clairement à quel endroit se trouve l’information substantielle pour chacune des sections ci-dessous.

[Nos caractères gras]

[17] La « pièce jointe 1 de la partie 4 intitulée Critères d’évaluation » fait référence à un document intitulé Matrice d’évaluation technique Remorque, Équipe chargée de la sensibilisation et de l’attraction, ou la MET, comme indiqué ci-dessus[33].

[18] De plus, l’alinéa 4.1.1(A) de la DP, lequel est également pertinent en l’espèce, stipule ce qui suit : « Les critères d’évaluation technique obligatoires sont inclus dans la pièce jointe 1 de la partie 4 intitulée Critères d’évaluation[34] ».

[19] Quant à l’alinéa 4.2(A) de la DP, il stipule ce qui suit : « Une soumission doit respecter les exigences de la demande de soumissions et satisfaire à tous les critères d’évaluation techniques obligatoires pour être déclarée recevable. La soumission recevable avec le prix évalué le plus bas sera recommandée pour attribution d’un contrat[35] » [nos caractères gras].

[20] Le Tribunal conclut que, à la simple lecture des modalités de la DP soulignées ci-dessus, les soumissionnaires étaient tenus de fournir de l’information substantielle démontrant la conformité aux critères techniques énumérés dans la MET au moment de la clôture de l’appel d’offres, laquelle comprenait le critère technique 3.32.1.

[21] Pour des raisons qu’elle seule connaît, et de son propre aveu[36], MTI a fourni dans sa soumission technique une description de la manière dont elle entendait satisfaire à tous les critères techniques énumérés dans la MET, à l’exception du critère technique 3.32.1[37]. Bien que MTI ait soutenu, dans sa correspondance avec le MDN, que le critère technique obligatoire 3.32.1 n’était pas énuméré dans la MET[38], le Tribunal fait remarquer que l’affirmation de MTI à cet égard est inexacte. Le critère technique obligatoire 3.32.1 figurait spécifiquement dans la MET, bien qu’il soit le dernier de la liste et le seul à figurer à la troisième page de la MET[39]. Force est de constater que soit MTI n’a pas remarqué le critère en question, soit elle a oublié de le justifier dans sa soumission technique.

[22] Aussi regrettable que cela puisse être, le MDN ne peut être blâmé pour le fait que MTI n’a pas fourni de l’information substantielle démontrant la conformité au critère technique obligatoire 3.32.1, étant donné les modalités très claires de la DP. Dans ces circonstances, le MDN n’avait d’autre choix que de considérer la soumission de MTI comme non recevable. Procéder autrement et permettre à MTI de fournir des renseignements supplémentaires après la date de clôture de l’appel d’offres aurait été injuste pour les autres soumissionnaires et aurait constitué une modification inadmissible de soumission[40].

[23] Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal estime que l’évaluation par le MDN de la soumission de MTI au regard du critère technique obligatoire 3.32.1 était raisonnable.

DÉCISION

[24] Aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal a décidé de ne pas enquêter sur la plainte. La plainte ne démontre pas, dans une mesure raisonnable, qu’il y a eu violation d’un accord commercial.

Frédéric Seppey

Frédéric Seppey
Membre présidant

 



[1] L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.).

[2] DORS/93-602.

[3] Pièce PR-2023-013-01 aux p. 12–65.

[4] Ibid. aux p. 52, 65.

[5] Ibid. à la p. 6.

[6] La MET se trouve à l’annexe C de la DP; pièce PR-2023-013-01 aux p. 6265.

[7] Ibid. à la p. 6. Plus précisément, MTI semble faire référence à la phrase suivante qui figure dans la MET : « Le soumissionnaire doit indiquer le nom/titre du document et le numéro de page où se trouvent les renseignements substantiels. » [italiques et caractères gras dans l’original]; pièce PR-2023-013-01 à la p. 63.

[8] MTI se réfère à ce qu’elle qualifie de « mention générale » [traduction] dans sa proposition, qui est libellée comme suit : « En plus de répondre à toutes les spécifications énumérées dans le dossier d’appel d’offres, nous avons également lu la matrice de conformité et, pour faciliter l’évaluation par rapport aux critères obligatoires, nous fournissons les justifications et attestations suivantes : […] » [traduction]; pièce PR-2023-013-01.C à la p. 2.

[9] Pièce PR-2023-013-01 à la p. 7.

[10] Pièce PR-2023-013-01 aux p. 12–65.

[11] Ibid. aux p. 69–71.

[12] Pièce PR-2023-013-01.C aux p. 1–9, 67–123, 128.

[13] Ibid. à la p. 132.

[14] La référence de MTI à la « matrice de conformité » s’entend d’une référence à la MET de la DP.

[15] Pièce PR-2023-013-01.C à la p. 131.

[16] Ibid.

[17] Pièce PR-2023-013-01 aux p. 75, 77.

[18] Ibid. aux p. 76–77.

[19] Ibid. à la p. 76.

[20] Ibid.

[21] Pièce PR-2023-013-02.

[22] Pièce PR-2023-013-01.C; pièce PR-2023-013-01.D (protégée); pièce PR-2023-013-03.

[23] Alinéa 7(1)c) du Règlement.

[24] En ligne : Secrétariat du commerce intérieur <https://www.cfta-alec.ca/wp-content/uploads/2021/09/ALEC-Codification-administrative-24-septembre-2021.pdf> (entré en vigueur le 1er juillet 2017).

[25] La description de l’appel d’offres sur AchatsCanada.canada.ca, en ligne : <https://canadabuys.canada.ca/fr/occasions-de-marche/appels-d-offres/pw-22-01017124>, indique que l’ALEC s’applique à ce marché public. Voir aussi la pièce PR-2023-013-01 à la p. 67.

[26] Paragraphe 515(4) de l’ALEC.

[27] Krav Maga Ottawa (1er juin 2022), PR-2022-010 (TCCE) au par. 24; Samson & Associates c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (13 avril 2015), PR-2014-050 (TCCE) au par. 35.

[28] Falcon Environmental Inc. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (11 janvier 2021), PR-2020-034 (TCCE) [Falcon Environmental] au par. 63; Siemens Westinghouse Inc. c. Canada (Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2000 CanLII 15611 (CAF) au par. 18.

[29] Rohde & Schwarz Canada Inc. (6 décembre 2021), PR-2021-053 (TCCE) au par. 21; Falcon Environmental aux par. 63–64; Falcon Environmental Inc. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (22 octobre 2020), PR-2020-009 et PR-2020-022 (TCCE) au par. 55. Voir aussi Madsen Power Systems Inc. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (29 avril 2016), PR-2015-047 (TCCE) au par. 41, notamment par rapport au principe selon lequel l’exigence de démontrer la conformité ne peut être laissée à la déduction.

[30] Les exigences en question se trouvent à l’annexe A de la DP, dans un document intitulé « Description d’achat pour remorque, équipe chargée de la sensibilisation et de l’attraction »; pièce PR-2023-013-01 aux p. 37, 39–61.

[31] Pièce PR-2023-013-01 à la p. 52.

[32] Ibid. à la p. 19.

[33] Ibid. aux p. 24 et 62–65.

[34] Ibid. à la p. 23.

[35] Ibid.

[36] Pièce PR-2023-013-01.C à la p. 131.

[37] Ibid. aux p. 1–4; pièce PR-2023-013-01.A (protégée) aux p. 52–54, 58–61.

[38] Pièce PR-2023-013-01.C à la p. 131.

[39] Pièce PR-2023-013-01 à la p. 65; pièce PR-2023-013-01.D (protégée) aux p. 52–54.

[40] Francis H.V.A.C. Services Ltd. c. Canada (Travaux publics et Services gouvernementaux), 2017 CAF 165 (CanLII) au par. 22; Madsen Power Systems Inc. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (29 avril 2016), PR-2015-047 (TCCE) au par. 52.

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