PRODUITS TEXTILES ET VÊTEMENTS

Importations en provenance de Chine — Désorganisation du marché — Enquêtes


PRODUITS TEXTILES ET VÊTEMENTS
Enquête de sauvegarde no CS-2005-002

Ordonnance rendue
le vendredi 6 octobre 2006

Motifs rendus
le mardi 24 octobre 2006


TABLE DES MATIÈRES

EU ÉGARD À une plainte déposée le 7 juillet 2005 par UNITE HERE Canada, en son propre nom, au nom de ses membres et au nom de Mme Radika Quansoon, de M. Carlos Costa et de Mme Christina Ling, aux termes des paragraphes 30.22(1) et 30.23(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur;

ET ATTENDU QUE UNITE HERE Canada demande que le Tribunal canadien du commerce extérieur ouvre une enquête de sauvegarde visant la Chine sur les questions de savoir si les produits textiles et vêtements importés originaires de la République populaire de Chine sont visés par une mesure qui cause ou menace de causer un important détournement des échanges vers le marché intérieur ou si de tels produits causent ou menacent de causer une désorganisation du marché pour les producteurs de marchandises similaires ou directement concurrentes.

PRODUITS TEXTILES ET VÊTEMENTS EN PROVENANCE DE LA RÉPUBLIQUE POPULAIRE DE CHINE

ORDONNANCE

Par la présente, le Tribunal canadien du commerce extérieur conclut que UNITE HERE Canada, en son propre nom, au nom de ses membres et au nom de Mme Radika Quansoon, de M. Carlos Costa et de Mme Christina Ling, n’a pas la qualité voulue pour déposer une plainte aux termes des paragraphes 30.22(1) et 30.23(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur. Par conséquent, le Tribunal canadien du commerce extérieur n’a pas compétence pour entendre et se prononcer sur la plainte.

Pierre Gosselin
Pierre Gosselin
Membre présidant

Elaine Feldman
Elaine Feldman
Membre

Serge Fréchette
Serge Fréchette
Membre

Hélène Nadeau
Hélène Nadeau
Secrétaire

L’exposé des motifs sera publié à une date ultérieure.

EXPOSÉ DES MOTIFS

CONTEXTE

1. Le 7 juillet 2005, aux termes des paragraphes 30.22(1) et 30.23(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur 1 , UNITE HERE Canada (UNITE HERE), en son propre nom, au nom de ses membres et au nom de Mme Radika Quansoon, de M. Carlos Costa et de Mme Christina Ling (collectivement appelés les parties plaignantes), a déposé une plainte dans laquelle elle demande au Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) d’ouvrir une enquête de sauvegarde visant la Chine sur les questions de savoir si les produits textiles et vêtements importés originaires de la République populaire de Chine (Chine) (les marchandises en question) sont visés par une mesure qui cause ou menace de causer un important détournement des échanges vers le marché intérieur ou si de tels produits causent ou menacent de causer une désorganisation du marché pour les producteurs de marchandises similaires ou directement concurrentes.

PRODUIT

2. Les parties plaignantes ont précisé 9 grandes catégories de produits qui font l’objet de la plainte : complets pour hommes et pour garçons; vestons et blazers pour hommes et pour garçons; manteaux pour hommes et pour garçons; pantalons pour hommes et pour garçons; chemises habillées tissées pour hommes et pour garçons; brassières pour femmes et pour filles; vestons et blazers pour femmes et pour filles; pantalons pour femmes et pour filles; jupes pour femmes et pour filles (les marchandises en question). Les catégories susmentionnées figurent dans 52 groupes de codes différents du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises. Les parties plaignantes n’ont déposé aucun autre renseignement plus précis sur le produit.

PRODUCTEURS NATIONAUX

3. D’après les parties plaignantes, les producteurs canadiens des marchandises en question comprennent les plaignants en plus des sociétés qui produisent des marchandises similaires ou directement concurrentes. UNITE HERE est un syndicat dont les membres comprennent des personnes qui œuvrent dans les industries du textile et du vêtement au Canada. Mme Quansoon et M. Costa travaillent dans l’industrie du vêtement. Mme Ling a travaillé dans l’industrie du vêtement jusqu’à ce qu’elle soit mise à pied à cause de la réduction des effectifs.

4. Les parties plaignantes ont nommé 23 sociétés qui, selon elles, ont appuyé leur plainte. Six de ces sociétés ont écrit au Tribunal pour lui faire savoir qu’elles appuyaient la plainte.

QUALITÉ POUR DÉPOSER UNE PLAINTE

5. Avant de déterminer si le dossier de la plainte est complet et si l’information qu’il contient indique de façon raisonnable l’existence d’une désorganisation du marché ou d’un important détournement des échanges, le Tribunal doit être convaincu que les parties plaignantes ont la qualité pour agir voulue pour déposer une plainte. Dans le cas contraire, le Tribunal n’a pas compétence pour connaître de la plainte.

Position des parties plaignantes

6. Les parties plaignantes ont soutenu avoir la qualité pour agir voulue pour déposer une plainte soit à titre de « producteurs nationaux » soit à titre de « toute personne ou association le[s] représentant ». Elle a fait valoir que la Loi sur le TCCE ne définit pas l’expression « producteur national ».

7. Les parties plaignantes ont invoqué l’article 12 de la Loi d’interprétation 2 , pour faire valoir que le Tribunal doit interpréter la Loi sur le TCCE d’une façon large, libérale et fondée sur son objet. Elle a aussi invoqué la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans Clarke c. Clarke 3 et les règles d’interprétation énoncées dans Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes 4 .

8. Les parties plaignantes ont soutenu que « le mot “producteur”, dans son sens ordinaire, comprend les « travailleurs », et qu’il est défini de façon soutenue comme incluant à la fois les personnes et les organisations qui produisent, fabriquent ou cultivent des marchandises, des denrées ou des services dans le but de les vendre » [traduction]. Elle a soutenu que les travailleurs jouent un rôle essentiel et nécessaire dans le procédé de production des marchandises en question.

9. Le partie plaignante a ajouté qu’il existe de profondes raisons de politique de considérer les travailleurs et les syndicats comme des « producteurs » aux fins de la Loi sur le TCCE dans le contexte de la mondialisation. Elle a ajouté que les « travailleurs » sont les plus vulnérables aux effets des importations en quantité accrue et que, dans le contexte des industries du textile et du vêtement, l’espèce présente un argument d’égalité fondé sur la Charte canadienne des droits et libertés, étant donné la forte proportion de femmes au sein des travailleurs de ces industries.

Analyse

10. Les sections pertinentes de la Loi sur le TCCE qui traitent des mesures de sauvegarde visant la Chine découlent de la Loi modifiant certaines lois en conséquence de l’accession de la République populaire de Chine à l’Accord instituant l’Organisation mondiale du commerce 5 , qui a été sanctionnée le 13 juin 2002. Cette loi donne effet aux droits du Canada dans le cadre du Protocole d’accession de la République populaire de Chine à l’Organisation mondiale du commerce, en vigueur depuis le 11 décembre 2001, en incorporant les articles 30.2 à 30.26 dans la Loi sur le TCCE sous l’intertitre « MESURES DE SAUVEGARDE VISANT LA CHINE ».

11. Les enquêtes de sauvegarde visant la Chine sont ouvertes selon l’une des deux façons suivantes : sur saisine du Tribunal par le gouverneur en conseil aux fins d’une enquête aux termes du paragraphe 30.21(1) de la Loi sur le TCCE, ou sur dépôt direct d’une plainte auprès du Tribunal par un producteur national de marchandises similaires ou directement concurrentes aux marchandises en question ou par toute personne ou association le représentant, aux termes des paragraphes 30.22(1) ou 30.23(1). Le Tribunal n’a pas compétence pour ouvrir de sa propre initiative une enquête de sauvegarde visant la Chine.

12. La Loi sur le TCCE est une loi de réglementation économique qui, en partie, met en œuvre les obligations du Canada en matière de commerce international. L’objet des mesures de sauvegarde visant la Chine énoncées aux articles 30.2 à 30.26 de la Loi sur le TCCE est de conférer un mandat pour l’imposition de mesures de sauvegarde visant à protéger les industries canadiennes contre la désorganisation du marché ou la menace de désorganisation du marché causée par l’importation de marchandises originaires de la Chine en quantité accrue, ou contre un important détournement des échanges causé par une mesure de sauvegarde visant les importations originaires de la Chine prise par d’autres membres de l’OMC.

13. Les articles 30.2 à 30.26 de la Loi sur le TCCE prévoient la mise en œuvre du régime canadien de mesures de sauvegarde visant la Chine. Les paragraphes 30.22(1) et 30.23(1) prévoient les conditions qui doivent être satisfaites pour qu’un producteur national puisse déposer une plainte visant une mesure de sauvegarde contre les importations originaires de la Chine; ils sont énoncés comme il suit :

30.22(1) Lorsqu’il estime que certaines marchandises originaires de la République populaire de Chine sont importées en quantité tellement accrue ou dans des conditions telles que leur importation cause ou menace de causer une désorganisation du marché pour les producteurs nationaux de marchandises similaires ou directement concurrentes, chacun de ces producteurs ou toute personne ou association le représentant peut déposer devant le Tribunal une plainte écrite à cet effet.

30.23(1) Lorsqu’il estime qu’une mesure visant certaines marchandises cause ou menace de causer un important détournement des échanges vers le marché intérieur, chacun des producteurs nationaux de marchandises similaires ou directement concurrentes ou toute personne ou association le représentant peut déposer devant le Tribunal une plainte écrite à cet effet.

14. L’expression « chacun de ces producteurs nationaux de marchandises similaires ou directement concurrentes [à certaines marchandises originaires de la République populaire de Chine] ou toute personne ou association le représentant » et plus précisément l’expression « producteurs nationaux » qui s’y trouve sont d’une importance cruciale pour le Tribunal. Ces mots veulent décrire les personnes qui, selon le législateur, ont l’intérêt nécessaire pour déposer une plainte devant le Tribunal qui pourrait déboucher sur l’ouverture d’une enquête de sauvegarde visant les importations originaires de la Chine. Ni la phrase complète ni l’expression spécifique « producteurs nationaux » qu’elle contient ne sont définies dans la Loi sur le TCCE. Il est toutefois clair d’après les termes susmentionnés que le Parlement a posé deux conditions qui doivent être remplies pour que soit ouverte une enquête de sauvegarde visant les importations originaires de la Chine : la plainte doit être déposée par un « producteur » ou une « personne ou association le représentant »; ce producteur doit être un producteur national.

15. Le Tribunal accepte d’emblée que Mme Quansoon, M. Costa et Mme Ling ont qualité de personnes « nationales », en ce sens qu’elles travaillent ou ont travaillé dans l’industrie du vêtement au Canada. La question dont le Tribunal est saisi est celle de savoir si ces personnes et UNITE HERE sont des producteurs, ou si UNITE HERE est une association représentant des producteurs.

16. Le point de départ en interprétation des lois est clairement établi dans la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans Re Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. 6 Dans cette décision, la Cour a cité le passage suivant, tiré de Construction of Statutes, comme résumant le mieux la méthode qu’elle privilégiait :

Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur 7 .

Sens grammatical et ordinaire

17. D’après The Canadian Oxford Dictionary 8 , la principale signification du mot « producer » (producteur) se rapporte à « a person, company, country, etc. that produces goods or materials » (une personne, société ou pays, etc., qui produit des marchandises ou des matières)9 . Le verbe « produce » (produire) signifie « bring (something) into existence » (faire exister ce qui n’existe pas encore), « manufacture (goods) from raw materials, etc. » (fabriquer des marchandises à partir de matières premières, etc.)10 . À la lumière de ces deux définitions, il semble raisonnable d’interpréter le mot « producteur » comme signifiant, dans son sens ordinaire, « une personne, une société ou un pays, etc., qui fabrique des marchandises ou des matières ».

18. Un syndicat, comme UNITE HERE, est une organisation qui représente les travailleurs aux fins de leurs relations ouvrières avec leur employeur dans les industries du textile et du vêtement. Rien dans les faits qui ont été portés à l’attention du Tribunal par les parties plaignantes n’établit que l’organisation elle-même produise, d’une manière ou d’une autre, des textiles ou des vêtements au sens de l’une des définitions du dictionnaire mentionnée au paragraphe précédent. Toutefois, chacun des travailleurs représentés par le syndicat, y compris Mme Quansoon et M. Costa, travaille au sein de l’industrie du vêtement. De ce fait, leurs services s’appliquent à des activités de production de textiles et de vêtements au Canada. En ce sens, le Tribunal est convaincu que ces deux personnes, en vendant leurs services à leur employeur, contribuent à la production de produits textiles et vêtements. Ainsi, elles sont des « producteurs » au sens ordinaire de ce terme. UNITE HERE représente ses membres et est donc une association qui représente des producteurs nationaux.

19. Toutefois, comme l’a déclaré la Cour suprême du Canada dans Rizzo, l’interprétation législative ne peut pas être fondée sur le seul sens ordinaire et grammatical des mots compris dans le libellé d’un texte de loi considérés isolément. Il faut lire les mots dans leur contexte global, d’une façon qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur. Il incombe donc au Tribunal de déterminer si les mots examinés lus dans leur contexte global, à la lumière de l’objet de la Loi sur le TCCE ou de l’intention du législateur sont de nature à modifier son avis préliminaire selon lequel Mme Quansoon, M. Costa et Mme Ling sont des producteurs nationaux et UNITE HERE est une association représentant des producteurs nationaux.

Contexte, objet et intention

20. Dans son analyse, le Tribunal a porté son attention surtout sur le paragraphe 30.22(1) de la Loi sur le TCCE, qui traite de la désorganisation du marché, mais il est d’avis que son analyse s’applique aussi au paragraphe 30.23(1), qui traite du détournement des échanges. Ces paragraphes doivent être lus à la lumière du contexte des autres dispositions pertinentes aux mesures de sauvegarde visant la Chine, les articles 30.2 à 30.26, ainsi qu’en tenant compte des dispositions de sauvegarde générale de la Loi sur le TCCE, qui traitent du dépôt des plaintes devant le Tribunal.

21. Plus particulièrement, le paragraphe 30.22(3) de la Loi sur le TCCE autorise le Tribunal à ouvrir une enquête seulement si la plainte remplit les conditions énoncées au paragraphe 30.22(2), à savoir :

(2) La plainte doit comporter les éléments suivants :

a) un énoncé raisonnablement détaillé des faits sur lesquels elle se fonde;

b) une estimation du pourcentage, par rapport à la production canadienne de marchandises similaires ou directement concurrentes, de celle des producteurs nationaux par qui ou au nom de qui la plainte est déposée;

c) les renseignements ou documents dont dispose le plaignant et qui sont de nature à étayer les faits visés à l’alinéa a) et l’estimation visée à l’alinéa b);

d) tous les autres renseignements exigibles en application des règles du Tribunal;

e) toute autre observation jugée utile en l’espèce par le plaignant.

22. Ces dispositions indiquent que l’objet du mécanisme législatif est de donner un moyen d’enquêter sur les effets des importations originaires de la Chine sur les marchandises nationales qui sont directement concurrentes à ces importations. Ce mécanisme est destiné à protéger la position concurrentielle des marchandises nationales vis-à-vis des importations originaires de la Chine. Il se rapporte à la « désorganisation du marché » et au « détournement des échanges » dans la mesure où il y a incidence sur la production nationale de marchandises. Il vise à permettre l’application de mesures frontalières sur les marchandises importées qui annuleront les effets dommageables des marchandises importées sur les marchandises nationales. De l’avis du Tribunal, les producteurs qui sont en concurrence commerciale avec les importations originaires de la Chine sont ceux qui organisent et gèrent la production des marchandises, détiennent les titres de propriété de telles marchandises, possèdent les capitaux nécessaires à la poursuite des activités commerciales afférentes et, finalement, tirent des profits ou essuient des pertes dans le cadre du procédé de fabrication. Cet avis du Tribunal se trouve corroboré par certains passages des articles 30.22 et 30.23 de la Loi sur le TCCE. La nature des renseignements qui doivent être déposés, et qui doivent convaincre le Tribunal d’ouvrir une enquête aux termes de l’article 30.22 ou 30.23, relève de l’information qui serait normalement détenue par une partie ayant des liens très étroits avec les marchandises similaires ou directement concurrentes aux marchandises originaires de la Chine qui sont importées au Canada, par exemple la production totale canadienne de marchandises similaires ou directement concurrentes des producteurs nationaux, de l’information à l’appui révélant une désorganisation du marché ou un détournement des échanges, et une preuve fiable que la plainte est déposée par des producteurs nationaux de la majorité de la production nationale de marchandises similaires ou directement concurrentes. Ces conditions amènent fortement à penser que les producteurs qui peuvent déposer une plainte sont des producteurs qui détiennent l’information sur la production et les aspects financiers directement pertinents à la production des marchandises en question. Seuls les producteurs nationaux qui ont un intérêt économique direct ont normalement accès à une telle information pour appuyer leurs plaintes, et non pas les employés.

23. En outre, le Tribunal trouve éloquente la définition de l’expression « désorganisation du marché » au sens de l’article 30.2 de la Loi sur le TCCE. La « désorganisation du marché » y est définie ainsi : « Accroissement rapide de la quantité de marchandises importées, en termes absolus ou par rapport à la production nationale de ces marchandises, qui constitue une cause importante de dommage sensible ou de menace de dommage sensible à l’industrie nationale de marchandises similaires ou directement concurrentes » (soulignement ajouté). Le Tribunal est d’avis que ce libellé indique que le mot « producteur » n’englobe pas les employés, puisque le mot « industrie » n’est d’une façon générale pas compris comme incluant les employés11 .

24. Le Tribunal est donc d’avis qu’une lecture du mot « producteur » dans le contexte global qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur n’englobe pas les employés. La notion de « producteur » aux articles 30.22 et 30.23 de la Loi sur le TCCE exige un intérêt économique plus immédiat à l’endroit de la production et des marchandises similaires ou directement concurrentes. Selon le Tribunal, les employés ne sont pas des « producteurs nationaux de marchandises similaires ou directement concurrentes aux marchandises originaires de la République populaire de Chine importées au Canada » au sens des articles 30.22 et 30.23.

25. Le libellé à l’étude est identique au libellé employé au paragraphe 23(1) de la Loi sur le TCCE, qui traite de l’ouverture d’un recours visant une mesure de sauvegarde en vertu des dispositions de sauvegarde plus générales de la Loi sur le TCCE. Au cours du débat en comité du projet de loi C-11012 , en 1988, il a été reconnu que, même si une plainte pouvait être déposée par ou au nom des producteurs nationaux (expression non définie), il n’était pas prévu d’accès direct au Tribunal pour une entreprise employant des travailleurs qui produisent les marchandises en cause ou tout syndicat représentant de tels travailleurs13 . Le Parlement a rejeté une motion visant à modifier le projet de loi C-110 pour permettre un tel accès direct au Tribunal, au motif qu’elle aurait pour effet d’enlever au gouverneur en conseil le pouvoir de définir par règlement l’expression « producteurs nationaux » dans le Règlement sur le Tribunal canadien du commerce extérieur 14,15 .

26. Les débats des comités ne sont pas en soi une source de droit; toutefois, d’après la jurisprudence, il peut être tenu compte des débats et des discours parlementaires dans l’appréciation de l’objet d’une loi et de l’intention du législateur16 . En l’espèce, une disposition « sœur » de la loi, la disposition qui prescrit les conditions donnant la qualité pour agir voulue pour mettre en œuvre une mesure de sauvegarde en vertu du régime de sauvegarde général de la Loi, a été comprise comme ne permettant pas aux syndicats représentant les travailleurs de mettre en œuvre une mesure de sauvegarde générale. Un libellé identique à celui examiné par le Parlement dans le cadre des dispositions de sauvegarde générale en 1988 est repris dans les dispositions de 2002 sur les sauvegardes visant la Chine. Le Tribunal y voit une autre indication que les producteurs nationaux ayant la qualité pour agir voulue pour déposer une plainte de sauvegarde visant la Chine ne comprennent pas les employés ou les syndicats qui les représentent.

27. Les parties plaignantes n’ont pas convaincu le Tribunal qu’elles sont des « producteurs nationaux » au sens des articles 30.22 ou 30.23 de la Loi sur le TCCE. Mme Quansoon, M. Costa et Mme Ling n’ont pas établi l’existence de l’intérêt économique nécessaire à l’appui de leur allégation qu’ils sont des producteurs. UNITE HERE représente des personnes qui travaillent dans les industries du textile et du vêtement. Sa qualité pour agir aux fins du dépôt d’une plainte est tributaire de la qualité pour agir de tels employés. Puisque le Tribunal a conclu ci-dessus que les employés n’ont pas la qualité pour agir voulue pour déposer une plainte, UNITE HERE n’a donc pas non plus cette qualité.

28. Dans la mesure où les parties plaignantes ont fait valoir l’appui de certains fabricants de produits textiles et vêtements, le Tribunal ne conclut pas que cet appui à leur plainte signifie qu’UNITE HERE est une association qui représente ces fabricants. Aucun des fabricants n’a indiqué qu’UNITE HERE est autorisée à les représenter, et UNITE HERE n’a pas affirmé agir en leur nom. Il existe une différence importante entre l’expression par une partie de son appui à une action d’une autre personne et l’autorisation de la représenter accordée à cette personne par cette partie.

29. En ce qui a trait à l’argument fondé sur la Charte canadienne des droits et libertés avancé par les parties plaignantes, ces dernières ne l’ont ni élaboré ni poursuivi et le Tribunal n’en a donc pas traité.

30. Par conséquent, le Tribunal n’est pas convaincu que les parties plaignantes sont des « producteurs nationaux » ou constitue une « personne ou association le[s] représentant] » au sens des articles 30.22 et 30.23 de la Loi sur le TCCE. Le Tribunal conclut donc qu’UNITE HERE, en son propre nom, au nom de ses membres et au nom de Mme Quansoon, M. Costa et Mme Ling, n’a pas la qualité pour agir voulue pour déposer une plainte aux termes des paragraphes 30.22(1) et 30.23(1) de la Loi sur le TCCE. Le Tribunal n’a donc pas compétence pour connaître de la plainte.


1 . L.R.C. 1985 (4e supp.), c. 47 [Loi sur le TCCE].

2 . L.R.C. 1985, c. I-21.

3 . [1990] 2. R.C.S. 795.

4 . Ruth Sullivan, 4e éd., Toronto, Butterworths, 2002 à la p. 383.

5 . L.C. 2002, c. 19.

6 . [1998] 1 R.C.S. 27 au para. 21 [Rizzo]; voir également R. c. Hydro–Québec, [1997] 3 R.C.S. 213.

7 . Elmer A. Driedger, 2e éd., Toronto, Butterworths, 1983 à la p. 87.

8 . 2e éd., Toronto: Oxford University Press, 2004.

9 . Ibid à la p. 1154.

10 . Ibid.

11 . Le Canadian Oxford Dictionary définit le mot « industry » (industrie) ainsi : « 1 a) a branch of trade or manufacture. b) trade and manufacture collectively; c) any commercial undertaking that provides services. » (1 a) une branche de commerce ou de production; b) le commerce et la fabrication considérés collectivement; c) toute entreprise commerciale qui offre des services).

12 . Sanctionné le 13 septembre 1988, L.C.1988, c. 56.

13 . Débats de la Chambre des communes, volume XIV, 1988 (12 juillet 1988) à la p. 17475.

14 . Ibid. à la p. 17486.

15 . D.O.R.S./89-35 [Règlement du TCCE].

16 . Bande d’Eastmain c. Canada (Administrateur fédéral), [1993] 1 C.F. 501 (C.A.).