TRICOTS LIESSE (1983) INC.

Enquêtes


TRICOTS LIESSE (1983) INC.
(FILS SIMPLES DE FIBRES ARTIFICIELLES DISCONTINUES)
Demande no TR-2006-002

Recommandation faite
le lundi 27 août 2007


TABLE DES MATIÈRES

Membres du Tribunal :

Serge Fréchette, membre présidant

 

James A. Ogilvy, membre

 

Meriel V. M. Bradford, membre

   

Directeur de la recherche :

Rose Ritcey

   

Gestionnaire de la recherche :

Paul R. Berlinguette

   

Conseiller juridique pour le Tribunal :

Alain Xatruch

   

Greffier adjoint :

Gillian E. Burnett

Veuillez adresser toutes les communications au :

Secrétaire
Tribunal canadien du commerce extérieur
Standard Life Centre
333, avenue Laurier Ouest
15e étage
Ottawa (Ontario)
K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel :

RAPPORT AU MINISTRE DES FINANCES

INTRODUCTION

1. Le 14 juillet 1994, le Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) a reçu du ministre des Finances (le ministre), aux termes de l’article 19 de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur 1 , le mandat2 de faire enquête sur les demandes présentées par des producteurs nationaux, qui souhaitent obtenir des allégements tarifaires sur les intrants textiles importés devant servir dans le cadre de leurs activités de fabrication, et de formuler des recommandations au ministre à propos de ces demandes.

2. Le 7 décembre 2006, conformément au mandat confié par le ministre, le Tribunal a reçu de Tricots Liesse (1983) Inc. (Liesse), de Montréal (Québec), une demande de suppression, pour une période indéterminée, des droits de douane sur les importations, en provenance de tous les pays, de fils simples de fibres artificielles discontinues destinés à la confection de tricots circulaires pour vêtements.

3. Le 21 mars 2007, convaincu que le dossier de la demande était complet, le Tribunal a publié un avis d’ouverture d’enquête3 , qui a été communiqué aux parties intéressées connues. Les fils visés par l’enquête ont été décrits dans l’avis d’ouverture d’enquête comme étant des « fils simples uniquement de fibres artificielles discontinues autres que les fibres d’acétate, ou mélangés uniquement avec au plus 15 p. 100 en poids de toute fibre naturelle, titrant moins de 210 décitex, de la sous-position no 5510.11, et de fils simples contenant au moins 50 p. 100 en poids de fibres artificielles discontinues autres que les fibres d’acétate, mélangés uniquement avec des fibres de coton, titrant moins de 210 décitex, de la sous-position no 5510.30, destinés à la confection de tricots circulaires pour vêtements » (les fils en question).

4. Dans le cadre de l’enquête, le Tribunal a fait parvenir des questionnaires aux producteurs nationaux potentiels de fils identiques ou substituables aux fils en question. Une demande de renseignements a également été expédiée aux utilisateurs et importateurs potentiels des fils en question. Une lettre a été envoyée à l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), demandant une description complète des caractéristiques physiques des échantillons déposés par Liesse, une opinion sur la possibilité d’administrer l’allégement tarifaire demandé et un libellé possible pour décrire les fils en question, dans l’éventualité où l’allégement tarifaire serait recommandé. Des lettres ont également été envoyées au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international et au ministère de l’Industrie pour obtenir des renseignements susceptibles d’aider le Tribunal dans son enquête.

5. Un rapport d’enquête du personnel, résumant les renseignements reçus de l’ASFC, de Liesse, d’Atlantic Yarns Inc. et d’Atlantic Fine Yarns Inc. (Atlantic), de FilSpec Inc. (FilSpec), de Manoir Inc. (Manoir), de Régitex Inc. (Régitex) et de HMH General Trading Co. Inc. (HMH), a été remis à ceux qui sont devenus parties à la procédure parce qu’ils ont déposé des avis de comparution dans le cadre de l’enquête. À la suite de la distribution du rapport d’enquête du personnel, Liesse a déposé un exposé auprès du Tribunal.

6. Aucune audience publique n’a eu lieu pour cette enquête4 .

RENSEIGNEMENTS SUR LE PRODUIT

7. La demande d’allégement tarifaire vise les fils importés de tous les pays. Cinq des six échantillons déposés par Liesse avec sa demande d’allégement tarifaire étaient composés de fibres artificielles discontinues (bambou5 , rayonne viscose ou rayonne modal6 ), titrant 120, 197, 198 ou 204 décitex. Parmi ces derniers, deux contenaient 10 p. 100 en poids de poils fins d’animaux ou de soie. Depuis le 1er janvier 2007, ces fils, classés pour les besoins des douanes dans les numéros de classement 5510.11.00.11 (rayonne viscose et rayonne viscose/soie), 5510.11.00.19 (rayonne modal/poils fins d’animaux) ou 5510.11.00.29 (bambou) de l’annexe du Tarif des douanes 7 , sont passibles de droits de 8 p. 100 ad valorem en vertu du tarif de la nation la plus favorisée (NPF) et du tarif de préférence générale (TPG), et de 2 p. 100 en vertu du tarif du Costa Rica. Ils entrent en franchise de droits en vertu du tarif des États-Unis, du tarif des pays les moins développés, du tarif du Mexique, du tarif de l’Accord de libre-échange Canada-Israël et du tarif du Chili.

8. Le sixième échantillon était composé d’un mélange d’environ 50 p. 100 en poids de fibres artificielles discontinues (rayonne modal) et de 50 p. 100 en poids de coton, titrant 117 décitex. Depuis le 1er janvier 2007, ce fil, classé pour les besoins des douanes dans le numéro de classement 5510.30.00.00, est passible de droits de 8 p. 100 ad valorem en vertu du tarif NPF et du TPG, et de 2 p. 100 ad valorem en vertu du tarif du Costa Rica. Il entre en franchise de droits en vertu du tarif des États-Unis, du tarif des pays les moins développés, du tarif du Mexique, du tarif de l’Accord de libre-échange Canada-Israël et du tarif du Chili.

OBSERVATIONS

Branche de production de tricots

Liesse

9. Liesse produit des tricots sur des métiers circulaires au Canada depuis 1964. Elle se spécialise dans la production de tricots pour maillots de bain, mais produit également des tricots destinés à d’autres utilisations finales. Sa production se compose surtout de tricots monofontures et à deux fontures et sa gamme de produits inclut des tissus unis, rayés, jacquard et crochetés ainsi que des tissus à motifs et à surfaces de niveaux multiples.

10. Selon Liesse, la demande pour les fils spéciaux augmente et cette tendance est nourrie par ses clients nord-américains qui insistent pour obtenir des tissus novateurs et de conception unique.

11. Liesse a déclaré produire des milliers d’échantillons de tissus chaque année. Étant donné les préférences des clients et l’évolution rapide des styles, ces tissus exigent de plus en plus des fils spéciaux d’un prix élevé faits de types supérieurs de rayonne, par exemple rayonne modal et lyocell, et de fibres à valeur élevée comme la soie, le lin, le cachemire et le coton à fibres discontinues extra-longues. Ces fils sont produits surtout en Europe de l’Ouest.

12. Liesse a dit importer d’Europe et d’Asie en moyenne pour 2 millions de dollars environ chaque année de fils classés dans la position no 55.10 et que ces importations comprennent quelques fils de base (par exemple fil simple de rayonne viscose), dont elle achète des quantités importantes, et une vaste gamme de fils spéciaux, qu’elle achète en petites quantités. D’après Liesse, les fils de base sont offerts à des prix que ne peuvent égaler les producteurs nord-américains, tandis que les prix des fils spéciaux ne sont pas suffisamment élevés pour attirer de nouveaux fournisseurs.

13. Liesse a souligné que, par le passé, les États-Unis étaient le principal fournisseur des importations canadiennes des fils en question, mais qu’en raison du déclin du secteur de la filature dans ce pays, la disponibilité des fils spéciaux importés d’un pays producteur signataire de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA) a diminué. Elle a ajouté que, pour des motifs de livraison et de service, elle a, au cours des trois dernières années, acheté de 5 à 10 p. 100 de ses besoins en filés de fibres de rayonne classés dans la position no 55.10 de FilSpec Inc., un producteur canadien. À ce sujet, Liesse a affirmé que, dans le cas habituel où elle a besoin d’un fil spécial en très petite quantité pour produire des échantillons ou pour remplir une commande de tissus, la quantité ne justifie pas les coûts du démarrage de la production de ces fils au Canada. Liesse a affirmé que, dans les quelques cas où elle a besoin d’une quantité importante de filés de rayonne, les filatures canadiennes ne peuvent pas en général en offrir à des prix concurrentiels. Toutefois, Liesse a ajouté que, à supposer que l’allégement tarifaire soit accordé, elle ne prévoit pas acheter moins de fils de rayonne de production nationale.

14. Liesse a fait valoir que le marché des États-Unis représente plus des deux tiers de ses ventes de tissu et que ses clients américains, qui font face à la concurrence accrue des importations de maillots de bain provenant de la Chine, exigent des tissus uniques de plus en plus produits avec des fils spéciaux. Liesse a également mentionné que, bien qu’elle exporte une forte proportion de sa production totale de tissus vers les États-Unis, les droits qu’elle verse sur les fils ne sont pas recouvrables au moyen d’un drawback8 . Liesse a allégué que l’allégement tarifaire pour les fils en question améliorerait l’efficience économique dans l’environnement concurrentiel qui existe de nos jours et que d’autres producteurs de tricots circulaires qui utilisent ce genre de fils bénéficieraient aussi des avantages qui s’ensuivraient.

15. Dans son exposé en réponse, Liesse a dit avoir limité sa demande d’allégement tarifaire à la position no 55.10 afin d’exclure une vaste gamme de filés et de minimiser les incidences sur les filatures nationales. Liesse a allégué que, d’après les renseignements fournis, la mise en œuvre de cette petite demande n’aurait pas de « coût » important ni de conséquences négatives.

16. En ce qui concerne la disponibilité des sources de fils ALÉNA, Liesse a fait valoir que les données les plus récentes sur la valeur des expéditions des États-Unis confirment le déclin du secteur de la filature aux États-Unis. La faible valeur des exportations de fils canadiens classés dans les sous-positions nos 5510.11 et 5510.30 indique de plus que la disponibilité des fils en question est limitée au Canada.

17. Liesse a fait valoir que les ventes faites par FilSpec de fils soi-disant identiques à certains de ses clients ne seraient pas touchées par l’allégement tarifaire sur les fils en question, étant donné que la disposition relative à l’utilisation finale de la demande est limitée aux tricots circulaires. Liesse a ajouté que, si FilSpec produit un fil véritablement substituable aux fils en question et que la comparaison des prix est favorable, il y a toute raison de croire qu’elle ferait ses achats chez FilSpec, peu importe le tarif douanier.

18. Liesse a souligné que, bien que Régitex ait dit être en mesure sur le plan technique de produire des fils plus fins, le Tribunal a constamment maintenu que la capacité de production de biens identiques ou substituables ne suffit pas à justifier le maintien de droits sur les textiles. À ce sujet, Liesse a ajouté que Régitex n’a jamais communiqué avec elle pour lui offrir des fils identiques ou substituables.

Manoir

19. Manoir, un producteur de tricots circulaires de Terrebonne (Québec)9 , a appuyé la demande d’allégement tarifaire de Liesse. Elle a déclaré que les fils en question occupent une place dominante dans sa nouvelle gamme de produits et que les droits ont une incidence négative sur la possibilité de commercialiser des tissus confectionnés au moyen de ce genre de fils.

Branche de production de fils

Atlantic

20. Atlantic, de Mississauga (Ontario), a été créée en 2000 en vue de la production de fils par filature à anneaux à Pokemouche (Nouveau-Brunswick). Elle a dit avoir une capacité de production de 3 000 tonnes métriques par année de fils divers et la capacité technique nécessaire pour produire des fils identiques aux fils en question.

21. Atlantic s’est opposée à la demande d’allégement tarifaire de Liesse au motif de l’étendue de la portée des sous-positions nos 5510.11 et 5510.30. Toutefois, elle a dit ne pas s’opposer à un allégement tarifaire sur les fils expressément décrits dans la demande d’allégement et importés durant la période visée par l’enquête. À cet égard, elle a signalé que Liesse n’importe pas plus de 200 tonnes métriques de fils en question par année et qu’une « licence d’importation » renouvelable pourrait être délivrée à Liesse chaque année en fonction de l’utilisation qu’elle aura faite de la « licence » pour des volumes précis des fils en question.

FilSpec

22. FilSpec, de Sherbrooke (Québec), produit des fils de fibres artificielles discontinues ou synthétiques et des fils de fibres naturelles depuis 2004. Elle emploie 170 personnes.

23. FilSpec s’est opposée à la demande d’allégement tarifaire de Liesse au motif qu’elle-même produit et vend des fils, y compris des fils spéciaux, identiques aux fils en question et que ces fils représentent une partie importante de ses activités. À ce sujet, elle a affirmé que la production de fils de fibres artificielles discontinues est une opération simple et qu’elle produit des fils au moyen de trois procédés différents, à savoir par filature à fibres libérées, à anneaux et à jet d’air.

24. FilSpec a allégué que l’allégement tarifaire sur les fils en question aurait de graves incidences sur sa viabilité parce qu’elle serait moins en mesure de soutenir la concurrence des autres producteurs de fils à faible coût. Quant aux allégations de Liesse selon lesquelles la petite quantité de fils spéciaux dont elle a besoin ne justifie pas les coûts du lancement de leur production au Canada, FilSpec a déclaré qu’elles sont dénuées de fondement. Elle a signalé que plus de 35 p. 100 de ses fils spéciaux sont produits en quantités inférieures à 1 000 kg par commande. Étant donné que la demande de fils spéciaux évolue à la hausse et qu’elle a fondé son avenir sur cette croissance, FilSpec a déclaré que l’allégement tarifaire sur les fils en question menacerait sa survie.

25. FilSpec a expliqué que ses clients importent déjà de gros volumes de fils à très bas prix et que la suppression des droits sur ces fils ne ferait que leur permettre de réaliser des profits supplémentaires. De plus, l’allégement tarifaire encouragerait certains de ses clients à importer des fils spéciaux, ce qui mettrait en péril les ventes qu’elle réalise pour ces types de fils. Elle a ajouté que la description des fils en question est trop large et va au-delà des caractéristiques des fils décrits dans la demande d’allégement de Liesse. Elle affirmé que l’allégement tarifaire sur les fils simples de fibres artificielles discontinues, tels qu’ils sont décrits dans l’avis d’ouverture d’enquête, mettrait en péril 80 p. 100 de son volume de production.

Régitex

26. Fondée en 1998, Régitex, de Saint-Joseph (Québec), crée et produit sur commande des filés de filature à anneaux en se servant d’une grande variété de fibres synthétiques et naturelles.

27. Régitex s’est opposée à la demande d’allégement tarifaire de Liesse au motif qu’elle produit et vend à l’heure actuelle des fils classés dans les sous-positions nos 5510.11 et 5510.30. Bien qu’elle ne produise pas de fils titrant moins de 210 décitex appartenant à ces sous-positions, Régitex a affirmé que sa capacité technique lui permettrait tout à fait de produire des fils plus fins. À ce propos, elle a dit produire et vendre des fils titrant moins de 210 décitex classés dans d’autres sous-positions.

28. Régitex a déclaré que les risques associés à la demande d’allégement tarifaire de Liesse sont bien plus grands que les économies éventuelles de 160 000 $ par année en droits de douane (en se fondant sur les importations annuelles de Liesse d’une valeur de 2 millions de dollars). D’après elle, la demande pour les fils de fibres artificielles discontinues est à la hausse, la suppression des droits sur les fils en question aurait une incidence négative sur ses ventes potentielles, et l’argent qu’elle a investi en recherche-développement serait perdu.

29. Régitex a affirmé que le Tribunal n’aurait pas dû examiner la demande d’allégement de Liesse car, comme l’indiquent les renseignements présentés par Liesse, celle-ci achète les mêmes fils auprès d’une source nationale. De plus, à la suite de la dernière enquête du Tribunal sur la disponibilité des fils produits par les fabricants canadiens, la protection tarifaire a été maintenue sur les fils en question sur la base de la production nationale déclarée10 .

Industrie de l’importation et de la distribution

HMH

30. HMH importe et distribue les fils en question. Elle importe les fils en question d’Autriche et du Portugal et les vend à Liesse. HMH a appuyé la demande d’allégement tarifaire de Liesse et a déclaré que la suppression des droits sur les fils en question rendrait ses clients plus concurrentiels au plan mondial. Par conséquent, ses ventes de fils augmenteraient.

AUTRES RENSEIGNEMENTS

31. En vertu de l’Accord sur les textiles et les vêtements de l’Organisation mondiale du commerce, les restrictions quantitatives aux importations ont été supprimées le 1er janvier 2005. Le Canada n’impose donc pas de contingent sur les fils en question.

32. L’ASFC a indiqué que l’administration de l’allégement tarifaire sur les fils en question n’entraînerait pas de coûts supplémentaires en sus des coûts qu’elle supporte déjà.

ANALYSE

33. Aux termes de son mandat, le Tribunal est tenu d’évaluer l’incidence économique d’une réduction ou d’une suppression des droits de douane sur les producteurs nationaux de textiles et sur les entreprises en aval et, à cette fin, de tenir compte de tous les facteurs économiques pertinents, y compris, le cas échéant, de la possibilité de substituer un tissu importé à un tissu national et de la comparaison entre les prix nationaux et les prix étrangers. La décision du Tribunal de recommander ou non un allégement tarifaire est par conséquent fondée sur la mesure dans laquelle le Tribunal considère que cet allégement tarifaire maximiserait les gains économiques nets pour le Canada et pourrait être administré de manière efficace compte tenu des coûts.

Disponibilité d’intrants substituables

34. En ce qui concerne la question de la substituabilité, le Tribunal accepte les éléments de preuve présentés par FilSpec, selon lesquels cette société produit et vend actuellement des fils identiques ou substituables aux fils en question. À ce sujet, le Tribunal observe qu’au cours des trois dernières années, Liesse a acheté de 5 à 10 p. 100 des filés de rayonne de la position no 55.10 dont elle avait besoin de FilSpec.

35. Régitex a par ailleurs affirmé être en mesure sur le plan technique de produire des fils plus fins, puisqu’elle produit et vend des fils titrant moins de 210 décitex classés dans d’autres sous-positions. Régitex n’a toutefois pas, en l’instance, fourni d’éléments de preuve qui permettraient de conclure à une production imminente ou à la possibilité qu’elle puisse offrir sur les marchés canadiens des quantités commerciales de fils qui seraient acceptables pour Liesse et d’autres acheteurs potentiels. Comme l’a affirmé le Tribunal dans des affaires antérieures, il incombe aux producteurs nationaux de fournir des preuves, et non uniquement des affirmations ou des allégations, de leur capacité de produire des produits identiques ou substituables. De plus, le Tribunal n’a pas constaté que Régitex possédait une stratégie de commercialisation claire de fils substituables aux fils en question. Le Tribunal conclut donc que Régitex n’a pas prouvé, à la satisfaction du Tribunal, qu’elle pourra, dans un avenir proche, fournir à Liesse et à d’autres acheteurs potentiels des fils identiques ou substituables aux fils en question.

36. Atlantic n’a pas dit produire de fils identiques ou substituables aux fils en question, mais a dit uniquement qu’elle est en mesure de le faire sur le plan technique. Comme dans le cas de Régitex et pour des raisons similaires, le Tribunal conclut qu’Atlantic n’a pas prouvé qu’elle pourra satisfaire aux exigences de Liesse et à celles d’autres acheteurs potentiels.

Comparaison des prix nationaux et étrangers

37. Liesse a affirmé importer de grandes quantités de fils de base à des prix que les producteurs nord-américains ne peuvent pas concurrencer. Le Tribunal est d’avis que, même en l’absence d’allégement tarifaire, Liesse n’effectuerait pas une plus grande partie de ses achats chez FilSpec, à moins que FilSpec ne puisse offrir des fils à des prix concurrentiels. À ce propos, les éléments de preuve indiquent que FilSpec ne perdra vraisemblablement pas de ventes si l’allégement tarifaire est accordé puisque, pour la période de l’enquête, le prix rendu des fils de base en question, qui inclut tous les droits, est de beaucoup inférieur aux prix demandés par Filspec pour des fils similaires11 . Par contre, dans la mesure où FilSpec vend déjà des fils spéciaux identiques ou substituables à des prix qui seraient concurrentiels même sans les droits de douane, l’allégement tarifaire ne sapera vraisemblablement pas cet avantage ni n’aura d’incidence négative sur la capacité de FilSpec de vendre aux fabricants nationaux de tricots circulaires, dont Liesse.

Gains économiques nets pour le Canada

38. La décision du Tribunal de recommander la réduction ou la suppression de droits de douane doit être fondée sur la mesure dans laquelle le Tribunal considère que cet allégement maximiserait les gains économiques nets pour le Canada. Le Tribunal reconnaît le bien-fondé de l’argument de Liesse selon lequel, compte tenu de l’importance de ses activités sur le marché des États-Unis, de plus en plus concurrentiel, elle a été obligée de se procurer des fils à moindre coût et des fils spéciaux auprès de fournisseurs étrangers. Dans ce contexte, le Tribunal est d’avis que Liesse fait face à une forte concurrence et est vulnérable aux pressions du marché.

39. FilSpec a allégué que l’allégement tarifaire sur les fils en question aurait une incidence négative sur sa viabilité et entraînerait des pertes d’emploi dans sa société. Régitex a affirmé que cet allégement tarifaire aurait une incidence négative sur ses ventes éventuelles et que l’argent investi dans la recherche et le développement serait perdu.

40. Comme il a été mentionné précédemment, FilSpec a vendu certaines quantités de fil à Liesse et le Tribunal est d’avis que, même si l’allégement tarifaire était accordé, les circonstances ne changeraient pas dans l’avenir proche. Si l’allégement tarifaire était accordé, le prix des fils nationaux et importés resterait tel que Liesse n’effectuerait pas une plus grande partie de ses achats chez FilSpec, et on peut douter, de l’avis du Tribunal, que FilSpec perdrait des emplois ou que sa marge bénéficiaire brute diminuerait, comme elle l’a fait valoir. Le Tribunal observe également que les fils que FilSpec a allégué être identiques ou substituables ne représentent pas une portion importante des ventes totales de cette entreprise12 . De plus, selon les renseignements fournis, ces ventes incluent les ventes de fil à des sociétés qui ne produisent pas de tricots circulaires13 . En d’autres mots, ces ventes ne sont pas touchées par la présente demande d’allégement tarifaire, puisque la disposition relative à l’utilisation finale de la demande est limitée aux tricots circulaires pour vêtements. Le Tribunal croit donc que le risque éventuel pour FilSpec est minime.

41. Le Tribunal est d’avis que, si FilSpec pouvait offrir des produits directement substituables aux fils en question, à des prix concurrentiels et en quantité commerciale, elle serait bien placée pour obtenir une part du marché. La même conclusion s’appliquerait à Régitex si celle-ci choisissait d’examiner les possibilités de faire affaire avec Liesse. En ce qui concerne Atlantic, le Tribunal considère que l’information fournie est insuffisante et ne permet pas d’évaluer si l’allégement tarifaire aurait une incidence négative sur la production éventuelle de fils identiques ou substituables.

42. Régitex a allégué que, puisque le Tribunal a recommandé de maintenir la protection tarifaire pour les numéros 5510.11.00 et 5510.30.00 à la suite de son enquête sur la production au Canada de certaines fibres et de certains fils et tissus pour vêtements, la demande de Liesse n’aurait pas dû être examinée. À ce sujet, le Tribunal fait remarquer que le mécanisme approprié pour l’examen au cas par cas de demandes d’allégement tarifaire précises est la saisine sur les textiles.

43. D’après les renseignements fournis au Tribunal, l’allégement tarifaire entraînerait des avantages annuels directs de plus de 125 000 $ pour les importateurs des fils en question. Les gains éventuels ont été calculés à partir du taux de droit de douane du tarif NPF et du TPG pour 2007, c’est-à-dire 8 p. 100 ad valorem. De plus, les avantages pour les utilisateurs sous forme de coûts réduits pourraient leur permettre de mieux se positionner pour la vente de tissus dans leurs marchés d’exportation, en particulier aux États Unis. À la lumière des éléments prouvant que le tarif douanier actuel n’offre pas de protection efficace, le Tribunal considère que le coût pour les producteurs nationaux de fils sera minime si l’allégement tarifaire est accordé. Comme il existe certains indices que la branche de production nationale peut fournir certains fils spéciaux à des prix concurrentiels, l’allégement tarifaire ne devrait pas réduire la possibilité pour la branche de production nationale de saisir des occasions d’affaires avec les producteurs de tricots circulaires pour vêtements.

44. Le Tribunal remarque aussi que, selon l’ASFC, l’administration de l’allégement tarifaire sur les fils en question n’entraînerait pas de coûts supplémentaires en sus des coûts qu’elle supporte déjà.

45. Par conséquent, même si le gouvernement renonce aux droits correspondants, estimés à plus de 125 000 $ par année, le Tribunal considère que la suppression des droits de douane sur l’importation des fils en question occasionnerait peu de coûts commerciaux directs pour les producteurs nationaux de fils.

46. En résumé, le Tribunal est d’avis que les avantages éventuels pour Liesse et les autres utilisateurs des fils en question l’emportent sur les coûts éventuels pour les producteurs nationaux de fils. Les revenus auxquels le gouvernement renoncera seront peu élevés. En résumé, le Tribunal conclut que l’allégement tarifaire demandé par Liesse entraînerait des gains économiques nets pour le Canada.

RECOMMANDATION

47. À la lumière de ce qui précède, le Tribunal recommande par la présente au ministre d’accorder un allégement tarifaire, pour une période indéterminée, sur les importations, en provenance de tous les pays, de fils simples faits uniquement de fibres artificielles discontinues, autres que les fibres d’acétate, ou mélangés uniquement avec au plus 15 p. 100 en poids de toute fibre naturelle, titrant moins de 210 décitex, de la sous-position no 5510.11, et de fils simples contenant au moins 50 p. 100 en poids de fibres artificielles discontinues autres que les fibres d’acétate, mélangés uniquement avec des fibres de coton, titrant moins de 210 décitex, de la sous-position no 5510.30, destinés à la confection de tricots circulaires pour vêtements.

Serge Fréchette
Serge Fréchette
Membre présidant

James A. Ogilvy
James A. Ogilvy
Membre

Meriel V. M. Bradford
Meriel V. M. Bradford
Membre

Hélène Nadeau
Hélène Nadeau
Secrétaire


1 . L.R.C. 1985 (4e supp.), c. 47.

2 . 27 octobre 2005.

3 . Gaz. C. 2007.I.732.

4 . Aux termes de l’article 25 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur, D.O.R.S./91-499, le Tribunal est autorisé à tenir une audience sur pièces.

5 . Liesse a affirmé qu’un des échantillons était fait de fibres de bambou. L’ASFC a indiqué que, à l’échelle microscopique, les fibres paraissent très semblables à des fibres de rayonne viscose.

6 . D’après le Fairchild’s Dictionary of Textiles, 1996, « modal » s’applique à une catégorie générique britannique de fibres désignant les fibres artificielles de cellulose à point de rupture élevé et à haut module à l’état mouillé (fibre de rayonne qui présente une résistance à la déformation plus élevée à l’état mouillé que la rayonne viscose ordinaire).

7 . L.C. 1997, c. 36.

8 . Les fils non-ALÉNA qui servent à la fabrication de tissus exportés vers les États-Unis sont en général admissibles au remboursement des droits de douane, à moins que les tissus ne soient exportés selon les niveaux de préférence tarifaire les faisant bénéficier de droits nuls.

9 . Dans sa réponse du 13 avril 2007, Manoir a dit avoir restructuré son modèle d’entreprise et fermé deux de ses principales usines situées à Saint-Laurent (Québec). L’entreprise est maintenant exploitée en partenariat avec certains spécialistes des tricots et/ou de la teinture et de l’apprêtage choisis afin d’offrir des tricots aux fabricants de vêtements nord-américains.

10 . Dans la saisine no MN-2004-002, le Tribunal a recommandé de conserver la protection tarifaire pour les numéros tarifaires 5510.11.00 et 5510.30.00 en se fondant sur la production déclarée par FilSpec.

11 . Pièce du Tribunal TR-2006-002-24 (protégée), dossier administratif, vol. 2.1 aux pp. 12, 13.

12 . Pièce du Tribunal TR-2006-002-17.01 (protégée), dossier administratif, vol. 4 à la p. 5.

13 . Ibid. à la p. 2.