VÊTEMENTS PEERLESS INC.

Enquêtes


RAPPORT AU
MINISTRE DES FINANCES
DEMANDE D’ALLÉGEMENT TARIFAIRE DÉPOSÉE PAR
VÊTEMENTS PEERLESS INC.
CONCERNANT
LES TISSUS DE LIN
LE 17 JANVIER 1996

TABLE DES MATIERES


Demande no : TR-94-012

Membres du Tribunal : Anthony T. Eyton, membre présidant
Robert C. Coates, c.r., membre
Lise Bergeron, membre


Directeur de la recherche : Marcel J.W. Brazeau


Gestionnaire de la recherche : André Renaud


Avocat pour le Tribunal : John L. Syme


Agent à l’inscription et
à la distribution : Claudette Friesen

Adresser toutes les communications au :

Secrétaire
Tribunal canadien du commerce extérieur
Standard Life Centre
333, avenue Laurier ouest
15e étage
Ottawa (Ontario)
K1A 0G7

INTRODUCTION

Le 14 juillet 1994, le Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) a reçu du ministre des Finances (le Ministre), aux termes de l’article 19 de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur [1] , le mandat de faire enquête sur les demandes présentées par les producteurs nationaux qui souhaitent obtenir un allégement tarifaire sur les intrants textiles importés dans le cadre de leurs activités de fabrication et de formuler des recommandations au Ministre concernant ces demandes.

Conformément au mandat confié par le Ministre, le Tribunal a reçu, le 6 mars 1995, de la société Vêtements Peerless Inc. (Peerless) de Montréal (Québec), une demande de suppression immédiate et permanente des droits de douane sur les importations de tissus de lin contenant au moins 50 p. 100 et moins de 85 p. 100 en poids de lin destinés à être utilisés dans la production de complets, de vestons sport, de gilets, de pantalons et de shorts de ville de confection soignée pour hommes.

Le 21 avril 1995, estimant que le dossier de la demande était complet, le Tribunal a publié un avis d’ouverture d’enquête qui a été diffusé et a paru dans la Partie I de la Gazette du Canada du 29 avril 1995 [2] .

Dans le cadre de l’enquête, le personnel de la recherche du Tribunal a fait parvenir des questionnaires aux producteurs potentiels de tissus identiques ou substituables. Des questionnaires ont également été envoyés aux utilisateurs et importateurs connus des tissus en question. Une lettre a été envoyée au ministère du Revenu national (Revenu Canada) afin d’obtenir des renseignements sur le classement tarifaire des tissus de lin, et des échantillons ont été fournis aux fins d’analyse en laboratoire. Des lettres ont aussi été expédiées à plusieurs autres ministères pour obtenir des renseignements et des avis.

Un rapport d’enquête du personnel, qui résume les données reçues des ministères susmentionnés, de Peerless et des entreprises ayant répondu aux questionnaires du Tribunal, a été remis aux parties qui avaient déposé des actes de comparution dans le cadre de la présente enquête [3] , soit Peerless, S. Cohen Inc. et l’Institut canadien des textiles (l’ICT) [4] .

L’ICT a déposé auprès du Tribunal un exposé auquel Peerless a répondu. Aucune audience publique n’a été tenue aux fins de la présente enquête. Le Tribunal convient que l’exposé de l’ICT a été déposé en retard. Néanmoins, après avoir hésité, le Tribunal a accepté l’exposé de l’ICT, jugeant que les renseignements fournis étaient d’une grande importance pour son enquête et que le fait de passer outre à ce retard ne cause aucun préjudice indu aux intérêts de Peerless et des autres parties. Le Tribunal rappelle cependant aux parties à l’enquête qu’il accorde une grande importance au respect des délais et que la décision prise dans la présente cause ne doit pas être vue comme un précédent pour les causes à venir.

RENSEIGNEMENTS SUR LE PRODUIT

Au début de l’enquête, Peerless a accepté de modifier la portée de sa demande pour qu’elle vise les tissus de lin contenant plus de 50 p. 100 et moins de 85 p. 100 en poids de lin destinés à être utilisés dans la production de complets, de vestons sport, de gilets, de pantalons et de shorts de ville de confection soignée pour hommes (les tissus en question) afin de satisfaire aux normes de classement de l’annexe I du Tarif des douanes [5] .

Les tissus en question sont importés de pays bénéficiant du tarif NPF, comprenant l’Italie, la France, l’Espagne et Taiwan, et de ceux qui bénéficient du TPG, notamment Hong Kong.

Revenu Canada a indiqué au Tribunal qu’un échantillon des tissus en question présenté par Peerless contenait 64 p. 100 en poids de lin et 36 p. 100 en poids de fibres discontinues de rayonne viscose et que, en tant que tel, il est classé dans le numéro tarifaire 5309.29.00 de l’annexe I du Tarif des douanes. En 1995, les marchandises classées dans le numéro tarifaire 5309.29.00 étaient passibles de droits de douane de 16,9 p. 100 ad valorem en vertu du tarif NPF, de 14,0 p. 100 ad valorem en vertu du TPG, de 6,4 p. 100 ad valorem en vertu du tarif des É.-U. et étaient admises en franchise en vertu du tarif du Mexique.

Peerless taille et coud les tissus en question pour produire certains vêtements pour hommes dans son usine à Montréal. Quatre-vingt-quinze pour cent de sa production de ces vêtements est destiné au marché américain. D’autres utilisateurs canadiens indiquent qu’ils taillent et cousent les tissus en question en vue de produire des vêtements pour hommes, notamment des chemises pour hommes, ainsi que des vêtements pour femmes.

L’enquête du Tribunal a révélé qu’il n’existe aucune production canadienne des tissus en question. Cependant, Cleyn & Tinker Inc. (Cleyn & Tinker) produit des mélanges de tissus qu’elle estime substituables aux tissus en question. Certains des mélanges renferment jusqu?92'à 36 p. 100 en poids de lin. À ce jour, Cleyn & Tinker n’a pas vendu de ces mélanges de lin au Canada pour l’utilisation finale précise mentionnée dans la demande. De même, West Coast Woollen Mills (1986) Ltd. (West Coast Mills) produit des tissus contenant du lin, mais les vend à des fabricants de vêtements pour femmes. Le troisième producteur canadien, Consoltex Inc. (Consoltex), qui ne produit pas actuellement les tissus en question, a déclaré qu’elle était en mesure de le faire. Par conséquent, le marché canadien des tissus en question est évalué en fonction des importations.

Les utilisateurs et les importateurs des tissus en question prévoyaient qu’en 1995, le total des importations serait inférieur à 100 000 mètres linéaires. La plus grande partie de ces importations provenait de pays bénéficiant du tarif NPF. Selon les estimations, le marché apparent des tissus en question utilisés par les producteurs nationaux de certains vêtements pour hommes destinés à la vente au Canada se situe, en 1995, entre 10 000 et 15 000 mètres linéaires. Le reste des tissus en question sont taillés et cousus pour confectionner certains vêtements pour hommes, qui sont exportés aux États-Unis.

OBSERVATIONS

Peerless, qui a été fondée en 1919, est le plus important producteur canadien de vêtements pour hommes de confection soignée. En 1994, Peerless a obtenu une licence exclusive de commercialisation de deux marques américaines bien connues, à savoir «Chaps» et «Ralph» de Ralph Lauren, utilisant les tissus en question pour produire une gamme de vêtements décontractés (c.-à-d. ayant un style moins habillé).

La demande de Peerless a soulevé plusieurs questions à l’égard de son besoin d’un allégement tarifaire, notamment des questions sur la politique tarifaire et l’impossibilité d’obtenir les tissus en question de producteurs nationaux. L’objet de la demande est de permettre à Peerless de profiter des tendances de la mode qui favorisent l’utilisation du lin dans les vêtements pour hommes, spécialement aux États-Unis, tout en demeurant concurrentielle par rapport aux producteurs américains qui peuvent importer les tissus en question à des taux de droits très peu élevés [6] .

À cet égard, Peerless a déclaré que, si l’allégement tarifaire ne lui est pas accordé, la suppression progressive du Programme de drawbacks sur les droits entre le 1er janvier 1996 et le 1er janvier 1998 [7] , jointe aux écarts de taux tarifaires entre le Canada et les États-Unis pour les tissus en question, la mettront dans une situation désavantageuse concernant les prix par rapport à ses concurrents américains. Peerless a ajouté que le montant total des droits payables sera exagéré à tous les niveaux de majorations de prix du secteur de l’habillement. Elle a soutenu qu’à cause de cela, non seulement elle ne serait pas concurrentielle sur le marché américain, mais qu’elle serait, en outre, [traduction] «incapable d’offrir (au Canada) des prix identiques à ceux établis pour les importations de marchandises similaires en provenance des États-Unis».

Pour Peerless, le style lin est à la mode, et elle doit produire des vêtements pour hommes ayant cette apparence. Les tissus de lin sont aussi différents des autres tissus, par exemple la laine, que les tissus de laine le sont du coton ou de la soie. Cela est vrai, individuellement, pour chacun de ces quatre tissus. Un tissu de lin se froisse, se teint facilement et respire. Si d’autres fibres sont ajoutées à sa composition, de la viscose par exemple, le lin perd alors certaines de ses caractéristiques propres. Certains clients préfèrent des vêtements faits de lin à 100 p. 100 parce qu’ils refusent de porter tout ce qui est synthétique. D’autres clients, moins difficiles, mais qui veulent quand même avoir le style lin, acceptent des vêtements confectionnés avec des tissus contenant surtout des fibres de lin, comme les tissus en question.

Peerless et six autres fabricants canadiens [8] de vêtements pour hommes qui appuient la demande de Peerless ont indiqué implicitement ou explicitement qu’ils avaient été incapables de trouver des tissus identiques, substituables ou similaires produits au Canada.

Peerless et les autres utilisateurs identifiés des tissus en question économiseraient en droits, selon les estimations, entre 140 000 $ et 160 000 $ par an, défalcation faite de tout drawback sur les droits.

Dans son exposé préliminaire, l’ICT a mis en doute plusieurs des déclarations de Peerless concernant la non-disponibilité au Canada de tissus identiques ou substituables et concernant la politique tarifaire canadienne, y compris les écarts de taux tarifaires entre le Canada et les États-Unis.

Dans l’exposé qu’il a soumis après avoir reçu le rapport d’enquête du personnel du Tribunal, l’ICT a indiqué que la branche de production canadienne des textiles, en général, et Cleyn & Tinker, en particulier, étaient capables de produire, sur commande, un vaste éventail de tissus, dont des mélanges de lin, qui sont substituables sur le marché aux tissus en question. L’ICT a ajouté que la santé économique de la branche de production tient aux taux tarifaires statutaires en vigueur.

L’ICT a répété certaines des observations qu’il avait faites dans son exposé préliminaire, à savoir que les vêtements pour hommes constitués de mélanges de lin bénéficient de taux de droits NPF américains bien inférieurs à ceux des vêtements pour hommes en général, et que cet avantage tarifaire est accentué par les règles d’origine de l’ALÉNA moins rigoureuses à l’égard de ce genre de vêtements. Du point de vue de l’ICT, Peerless n’a pas indiqué les raisons pour lesquelles il faudrait bonifier ces avantages existants par l’ajout d’un autre avantage créé artificiellement et qui consiste à accorder un traitement tarifaire en franchise de droits pour les tissus provenant de l’étranger. L’ICT a aussi fait remarquer que l’allégement mettra en danger les marges, la viabilité et la production de certains tissus actuellement fabriqués au Canada. L’ICT a rappelé également qu’en plus de débouchés extérieurs, l’ALÉNA comportait certaines obligations consistant à promouvoir le commerce en Amérique du Nord, commerce qui ne sera jamais favorisé par une suppression permanente du tarif.

Dans la section du rapport d’enquête du personnel qui traite des avantages commerciaux et des coûts, le Tribunal a présenté trois scénarios possibles [9] . L’ICT a qualifié le premier scénario d’irréaliste, du fait que les effets externes pécuniaires de la réduction tarifaire sont calculés pour chaque tissu indépendamment de l’effet sur des tissus similaires. Dans le cas du deuxième scénario, même s’il y est tenu compte de l’incidence d’une réduction des prix sur la production de tissus substituables de Cleyn & Tinker, selon l’ICT, la perte de l’occasion de pouvoir peut-être un jour fabriquer de tels tissus n’a pas ?E9‚té prise en considération. L’ICT trouvait également à redire à la logique sous-jacente à ce scénario. D’abord, parce qu’il n’avait pas été tenu compte de la perte de recettes douanières et, deuxièmement, parce qu’il était supposé que les marges perdues par les producteurs de textiles en raison de la suppression des tarifs seraient exactement compensées par les avantages aux utilisateurs. De l’avis de l’ICT, seul le troisième scénario était réaliste du fait que la demande d’allégement tarifaire entraînerait la cessation de la production de certains tissus au Canada. L’ICT soulignait que le coût commercial net serait supérieur à l’avantage commercial net dont les premier et deuxième scénarios faisaient état.

Pour toutes ces raisons, l’ICT était donc d’avis que l’allégement tarifaire demandé ne devrait pas être accordé.

Dans sa réponse à l’exposé de l’ICT, Peerless a d’abord passé en revue certains des principaux points du rapport d’enquête du personnel touchant à la description du produit, à sa disponibilité et à sa substituabilité, à l’incidence économique de l’allégement tarifaire et à des questions tarifaires.

Peerless a ensuite répondu en détail à l’exposé de l’ICT en soulignant d’abord que, même si l’ICT soutenait que la branche de production des textiles a la capacité de produire d’autres tissus sur commande pour l’utilisation finale précise et que, en ce sens, les tissus canadiens étaient des substituts sur le marché aux tissus en question, en fait la branche de production n’a pas produit les tissus en question. En outre, Consoltex a elle-même déclaré qu’elle ne pourrait produire de façon rentable tous et chacun des tissus désirés par tous les fabricants de vêtements. Deuxièmement, en ce qui a trait à l’acceptation par le marché, Peerless a fait valoir que, même si les producteurs nationaux de textiles produisent des tissus qui sont utilisés dans la production de complets pour hommes, cela ne signifie pas que ces complets sont des [traduction] «substituts sur le marché» de complets riches en lin (c.-à-d. confectionnés avec les tissus en question). Un complet riche en laine, par exemple, n’est pas un substitut d’un complet riche en lin.

Peerless a également contesté les points suivants :

• Le taux de droit américain moins élevé sur les vêtements pour hommes n’est pas un avantage, contrairement à ce qu’affirme l’ICT. En outre, ce sont les taux de droits asymétriques sur les tissus en question et non ceux sur les produits finals qui sont en cause.

• La demande ne vise pas à obtenir [traduction] «un autre avantage», comme l’ICT le soutient, mais cherche simplement à maintenir le statu quo.

• Puisque les tissus en question peuvent actuellement, grâce aux drawbacks sur les droits, être importés pratiquement en franchise de droits, l’affirmation de l’ICT selon laquelle la demande [traduction] «met en danger les marges, la viabilité et la production de certains tissus actuellement fabriqués au Canada», ne repose sur aucun fondement.

• Les deuxième et troisième scénarios, dans la section du rapport d’enquête du personnel du Tribunal consacrée aux avantages commerciaux et aux coûts, se fondent sur l’hypothèse en vertu de laquelle des tissus substituables peuvent être obtenus de la production canadienne, mais cette hypothèse n’a été ni confirmée ni réalisée. Absolument rien n’indique que des ventes de tissus substituables sont effectuées et, cela étant, l’octroi de l’allégement tarifaire ne coûterait rien à la branche de production nationale des textiles.

Peerless conclut que, si l’allégement tarifaire sur les tissus riches en lin n’est pas accordé, non seulement sa rentabilité diminuera mais, surtout, elle perdra sa capacité de faire quelque vente que ce soit.

Le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international a informé le Tribunal que le Canada impose actuellement des contingents sur les tissus de filaments de polyester et les tissus de laine peignée importés d’un certain nombre de pays. Ces restrictions frappent, entre autres, les tissus de lin de la sous-position no 5309.29, qui sont mélangés principalement ou uniquement avec des filaments de polyester ou de la laine peignée, dont des poils fins. Il a également fait remarquer qu’aucun tissu de lin, mélangé principalement ou uniquement avec des filaments de polyester ou de la laine peignée de la sous-position no 5309.29, n’est actuellement importé d’un pays assujetti à des restrictions.

Le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international a également indiqué au Tribunal que l’entrée en marge du contingent des intrants textiles serait considérée dans les cas où le Tribunal aurait recommandé de supprimer le tarif pour motif de non-disponibilité. Le traitement en marge du contingent est accordé seulement dans les cas où il peut être prouvé que l’utilisation des produits faisant l’objet du contingent est assortie de frais supplémentaires ou lorsque les marchandises ne sont pas disponibles au Canada.

Selon Revenu Canada, l’application de l’allégement tarifaire, s’il est accordé, ne lui imposerait pas de coûts s’ajoutant à ceux qu’il supporte déjà.

ANALYSE

Le Tribunal a étudié tous les faits mis à jour par l’enquête ainsi que la position des parties à la lumière de son mandat.

La première question consiste à déterminer si des tissus identiques ou substituables sont produits et vendus au Canada. Compte tenu des renseignements présentés par les producteurs nationaux de textiles, le Tribunal constate que des tissus contenant du lin sont actuellement produits au Canada par Cleyn & Tinker et par West Coast Mills et que Consoltex est aussi en mesure de produire de tels tissus. En outre, le Tribunal reconnaît que Cleyn & Tinker produit et vend des tissus contenant jusqu’à 36 p. 100 en poids de lin destinés à être utilisés seulement dans la production de vêtements pour femmes. Par ailleurs, Cleyn & Tinker a affirmé qu’elle tisse des tissus constitués de mélanges de fibres autres que le lin qu’elle vend aux producteurs de complets, de vestons sport, de gilets, de pantalons et de shorts de ville de confection soignée pour hommes. Un autre producteur national, West Coast Mills, a choisi de ne pas participer à la présente enquête puisqu’elle n’utilise que les tissus contenant moins de 50 p. 100 en poids de lin utilisés dans la production de vêtements pour femmes. Le Tribunal conclut donc qu’aucun tissu identique aux tissus en question n’est actuellement produit au Canada et, qu’à sa connaissance, aucune production de ce genre n’a existé au Canada au cours des dernières années.

Le fait que Consoltex ait soumis au Tribunal une proposition de prix de vente pour les tissus en question indique, néanmoins, selon lui, qu’il existe un potentiel de production nationale. Cependant, comme il est indiqué dans son mandat, le Tribunal doit, en formulant ses recommandations, tenir compte, entre autres, de la part de marché et des structures d’approvisionnement de la branche de production, de l’évolution passée du chiffre d’affaires de l’entreprise, de ses antécédents en matière de commercialisation et de service, des renouvellements de commandes, des exigences de livraison et d’autres conditions d’ordre technique, des plans d’investissement et d’exploitation des fournisseurs actuels et éventuels. Dans le cas de la production actuelle, ces éléments sont inexistants. En ce qui a trait à la production potentielle, le Tribunal s’en remet généralement à des éléments de preuve liés à des investissements et à des plans d’entreprise, attestant l’établissement imminent d’une production. Ni Consoltex ni l’ICT n’a su démontrer, de façon à convaincre le Tribunal, que les producteurs nationaux de textiles avaient des plans concrets de production des tissus en question dans un avenir prévisible.

Ainsi, la question portant sur les tissus substituables et non identiques est d’une importance capitale dans la décision que doit rendre le Tribunal, et cette question doit être tranchée avant l’examen des coûts et des avantages commerciaux associés à l’octroi de l’allégement tarifaire demandé. Le Tribunal doit donc déterminer dans quelle mesure des tissus constitués de mélanges de laine peignée, de fibres naturelles ou de fibres synthétiques ou artificielles produits par Cleyn & Tinker, et dont certains renferment 36 p. 100 ou moins en poids de lin, peuvent être considérés comme substituables aux tissus en question. Le fait que des mélanges de tissus produits au Canada sont utilisés dans la production de complets, de vestons sport, de gilets, de pantalons et de shorts de ville de confection soignée pour hommes ou que des m?E9‚langes de lin sont utilisés pour produire des vêtements pour femmes confirme la disponibilité commerciale des mélanges, mais n’est qu’un des facteurs que le Tribunal juge important dans la présente cause dans son évaluation de la possibilité que des tissus produits au Canada soient substituables aux tissus en question. À son avis, les autres questions qui consistent à déterminer si ces mélanges font directement concurrence aux tissus en question et s’ils sont acceptés par le marché, comme cela est précisé dans le mandat, sont importantes également. De l’avis du Tribunal, le fait que le marché exige que certains vêtements pour hommes soient confectionnés avec des tissus contenant plus de 50 p. 100 en poids de fibres naturelles comme le lin, tissu qui se froisse, se teint facilement et respire, porte le Tribunal à conclure qu’il n’existe pas actuellement au Canada de production de tissus substituables directement concurrents et acceptés par le marché. Peerless a dû importer les tissus en question pour fabriquer certains vêtements pour hommes destinés au marché américain dans le cadre de sa licence exclusive de commercialisation avec Ralph Lauren. Comme le Tribunal l’a souligné dans ses recommandations faites dans les demandes nos TR-94-011 et TR-94-019 [10] , le fait qu’il existe un marché distinct définissable de tissus riches en lin a été un facteur déterminant l’ayant amené à conclure que les tissus offerts au Canada ne sont pas substituables aux tissus en question. Par conséquent, du point de vue de la description technique et de l’acceptation par le marché, le Tribunal conclut qu’il n’existe pas au Canada de production de tissus substituables aux tissus en question.

Comme l’a fait remarquer Consoltex dans son exposé, elle ne produit pas et ne peut pas produire de façon rentable tous les tissus désirés par tous les fabricants canadiens. Consoltex et d’autres producteurs nationaux choisissent, pour des raisons économiques, de concentrer leur production dans un domaine et d’abandonner la production dans un autre. Ce n’est pas une question de capacité d’approvisionnement. Dans la présente cause, les éléments de preuve indiquent que les producteurs canadiens ont abandonné la production de tissus riches en lin, présumément parce que leur production d’autres tissus leur donne un meilleur rendement et leur permet d’approvisionner un plus grand nombre de marchés. Toutefois, il convient de souligner que, même s’il s’est développé au Canada un marché pour la fabrication de certains vêtements de lin pour hommes, s’il n’y avait pas de marché d’exportation, la demande pour les tissus riches en lin d’origine canadienne destinés à l’utilisation finale précise serait beaucoup plus restreinte. C’est peut-être la raison pour laquelle les producteurs canadiens ne se sont pas engagés plus fermement sur le marché canadien des vêtements pour hommes fabriqués à partir des tissus riches en lin.

Compte tenu des circonstances, puisque aucun tissu identique ou substituable n’est produit au Canada, c’est à la question des avantages économiques et non pas à celle des coûts qu’il convient de répondre. Le Tribunal retient l’argument de Peerless selon lequel celle-ci cherche uniquement à maintenir le statu quo et non à se procurer un nouvel avantage. En ce qui a trait aux tissus en question, les droits de douane perçus en 1995 s’élevaient à 160 000 $, dont 80 p. 100 à 85 p. 100 étaient admissibles au drawback sur les exportations de vêtements pour hommes produits à partir des tissus en question.

Ainsi, les producteurs canadiens de vêtements pour hommes pourraient continuer d’être compétitifs sur les marchés d’exportation au lieu d’avoir à absorber des droits intérieurs de 16,9 p. 100 en 1995, droits qui chuteront éventuellement à 14,0 p. 100 en 2004, lorsque des tissus identiques ou substituables ne sont pas disponibles sur le marché canadien. En outre, Peerless pourrait maintenir ses ventes à l’exportation et accroître le nombre de ses employés à plein temps.

RECOMMANDATION

Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal recommande au Ministre, par la présente, de supprimer pour une période indéfinie les droits de douane NPF sur les importations, en provenance de tous les pays,

de tissus de lin contenant plus de 50 p. 100 et moins de 85 p. 100 en poids de lin du numéro tarifaire 5309.29.00 destinés à être utilisés dans la production de complets, de vestons sport, de gilets, de pantalons et de shorts de ville de confection soignée pour hommes.

Si le Ministre accordait un allégement tarifaire conformément à la recommandation du Tribunal et qu’un producteur canadien commençait à produire des tissus riches en lin, ce producteur pourrait demander qu’une enquête soit ouverte aux fins d’obtenir une recommandation visant la modification de l’ordonnance.

Entre-temps, le Tribunal estime important d’accorder l’allégement tarifaire pour permettre aux exportateurs canadiens de vêtements de préserver leurs avantages actuels dans le cadre du Programme de drawbacks sur les droits, de manière à éviter des coûts d’intrants supplémentaires liés aux textiles non disponibles au Canada.

Il est important de souligner que, malgré l’octroi de l’allégement tarifaire tel qu’il est recommandé, les tissus de lin contenant 50 p. 100 ou moins en poids de lin, notamment les tissus produits par Cleyn & Tinker et par West Coast Mills, continueront d’?EAˆtre visés par le numéro tarifaire 5309.29.00. Il convient également de souligner que les tissus contenant au moins 85 p. 100 en poids de lin destinés à être utilisés dans la production de vêtements peuvent être admis en franchise en vertu du code 4390 de l’annexe II du Tarif des douanes lorsqu’ils sont importés de pays bénéficiant du tarif NPF et du TPG.

Anthony T. Eyton
_________________________
Anthony T. Eyton
Membre présidant


Robert C. Coates, c.r.
_________________________
Robert C. Coates, c.r.
Membre


Lise Bergeron
_________________________
Lise Bergeron
Membre


1. L.R.C. (1985), ch. 47 (4 e suppl.).

2. Vol. 129, n o 17 à la p. 1276.

3. Le rapport d’enquête du personnel devait être distribué le 19 juin 1995, mais n’a pu l’être que le 18 août 1995 du fait que des échantillons appropriés de tissus de lin n’avaient pas été fournis. Les retards subséquents imputables aux parties ont empêché le Tribunal de publier ses recommandations dans les 120 jours de l’ouverture de l’enquête.

4. L’ICT a représenté les producteurs nationaux de textiles qui s’opposaient à la demande d’allégement tarifaire, en l’occurrence, les sociétés suivantes : Cleyn & Tinker Inc. de Huntingdon (Québec), West Coast Woollen Mills (1986) Ltd. de Vancouver (Colombie-Britannique) et Consoltex Inc. de Montréal.

5. L.R.C. (1985), ch. 41 (3 e suppl.).

6. En 1995, les tissus en question sont passibles de droits de douane de 16,9 p. 100 ad valorem en vertu du tarif NPF au Canada et de 2,7 p. 100 ad valorem en vertu du tarif NPF aux États-Unis, tarifs qui seront réduits à 14,0 p. 100 et à la franchise, respectivement, en 2004, au terme de la mise en œuvre par étapes des concessions tarifaires issues des négociations commerciales multilatérales d’Uruguay.

7. Dans le cas des échanges canado-américains, un «régime de remboursement des droits» remplacera, le 1 er janvier 1996, le Programme de drawbacks sur les droits. Le remboursement sera établi en fonction du moins élevé des deux facteurs suivants : a) les droits payés sur un tissu importé pour confectionner des vêtements; ou b) les droits payés sur les vêtements finis au moment de leur exportation vers les États-Unis. En d’autres termes, le régime de remboursement des droits sera progressivement éliminé au fur et à mesure de la mise en œuvre du régime d’admission en franchise prévu par l’ALÉNA. Un remboursement total des droits continuera néanmoins de s’appliquer, et ce indéfiniment, aux exportations vers les États-Unis de vêtements canadiens assujettis au plein montant des taux de droits NPF, une fois les niveaux de préférence tarifaire pleinement utilisés. Dans le cas de vêtements exportés vers des pays non parties à l’ALÉNA, les remboursements des droits continueront de s’appliquer indéfiniment.

8. Les six sociétés sont : Lou Myles Disegnatore de Vaughan (Ontario), et La Corporation de Vêtements SFI de Montréal, qui importent actuellement les tissus en question destinés à être utilisés dans la production de vêtements; The Coppley Noyes & Randall Limited de Hamilton (Ontario); S. Cohen Inc. de Montréal; Ballin Inc. de Montréal; et Freed & Freed International Ltd. de Winnipeg (Manitoba).

9. Le premier scénario décrivait les avantages et les coûts d'une réduction tarifaire uniquement pour les tissus identiques aux tissus en question qui, en l'occurrence, ne comportaient des données que pour les tissus en question. Les deuxième et troisième scénarios envisageaient la production de prétendus substituts par le producteur national, Cleyn & Tinker. Dans le deuxième scénario, le calcul des coûts était fondé sur des pertes de marges brutes attribuables à des prix moins élevés, tandis que dans le troisième scénario, les coûts estimatifs correspondaient à la perte de la marge sectorielle et des profits, au cas où une portion de la production de tous les mélanges de tissus substituables, dont ceux avec un contenu de lin, était abandonnée. Selon ces trois scénarios, les répercussions de l'allégement tarifaire demandé varieraient entre un avantage net de 160 000 $ et un coût net qualifié d'important par l'ICT.

10. Rapport au ministre des Finances : Demandes d'allégement tarifaire déposées par Les Magasins Château du Canada Ltée et Productions Hémisphère Inc. concernant la gabardine Armani , le 19 septembre 1995.


[ Table des matières]

Publication initiale : le 15 octobre 1996