LES INDUSTRIES BECO LTÉE

Enquêtes


APPORT AU
MINISTRE DES FINANCES
DEMANDES D’ALLÉGEMENT TARIFAIRE DÉPOSÉES PAR
LES INDUSTRIES BECO LTÉE
CONCERNANT
CERTAINS TISSUS IMPRIMÉS CONSTITUÉS DE COTON OU DE MÉLANGES DE FIBRES DE COTON ET DE POLYESTER
LE 4 JUILLET 1996

TABLE DES MATIERES


Demandes nos : TR-95-035, TR-95-043 et TR-95-044

Membres du Tribunal : Anthony T. Eyton, membre présidant
Robert C. Coates, c.r., membre
Lyle M. Russell, membre


Directeur de la recherche : Réal Roy


Gestionnaires de la recherche : Douglas Cuffley
John O’Neill


Avocat pour le Tribunal : Joël J. Robichaud


Agent à l’inscription et
à la distribution : Claudette Friesen

Adressez toutes les communications au :

Secrétaire
Tribunal canadien du commerce extérieur
Standard Life Centre
333, avenue Laurier ouest
15e étage
Ottawa (Ontario)
K1A 0G7

INTRODUCTION

Le 14 juillet 1994, le Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) a reçu du ministre des Finances (le Ministre), aux termes de l’article 19 de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur [1] , le mandat [2] de faire enquête sur les demandes présentées par les producteurs nationaux qui souhaitent obtenir des allégements tarifaires sur les intrants textiles importés dans le cadre de leurs activités de fabrication et de formuler des recommandations au Ministre concernant ces demandes.

Conformément au mandat confié par le Ministre, le Tribunal a reçu, le 14 juillet et le 16 août 1995, de la société Les Industries Beco Ltée (Beco), de Ville D’Anjou (Québec), trois demandes de suppression permanente des droits de douane sur les importations de :

1) tissu, contenant au moins 70 p. 100 mais moins de 85 p. 100 en poids de coton, mélangé à des fibres de polyester, imprimé, titrant en fils simples moins de 250 décitex, présentant des largeurs variant entre 170 et 240 cm et des masses surfaciques allant de 90 à 110 g/m2, destiné à être utilisé dans la fabrication de douillettes, de taies d’oreiller, de couvre-oreillers, de protège-lits, de tentures, de cantonnières, de nappes et de housses de couette (le tissu en question constitué de mélanges de coton et de polyester) (demande no TR-95-035);

2) tissu, uniquement de coton, imprimé, titrant en fils simples moins de 300 décitex, présentant des largeurs variant entre 170 et 240 cm et des masses surfaciques allant de 85 à 110 g/m2, destiné à être utilisé dans la fabrication de douillettes (le tissu de coton en question) (demandes nos TR-95-043 et TR-95-044).

Dans ses demandes, Beco allègue qu’elle ne peut se procurer les tissus en question de la production nationale. En ce qui concerne le tissu en question constitué de mélanges de coton et de polyester, Beco allègue que les producteurs canadiens connus de tissus de ce genre ou bien ne peuvent produire des tissus identiques ou substituables dans les largeurs requises, ou bien utilisent ces tissus pour leur propre production interne de produits finis et ne les vendent pas à d’autres fabricants concurrents comme Beco. Quant au tissu de coton en question, Beco soutient que son prix est si bas que les producteurs canadiens n’essaient pas de produire des tissus identiques ou substituables, puisqu’ils ne peuvent en produire qui soient rentables.

Le 16 novembre 1995, à la demande du Tribunal, Beco a fourni des renseignements supplémentaires en vue d’éclaircir et de compléter ses demandes d’allégement tarifaire. Après avoir reçu ces renseignements, le Tribunal a estimé que les dossiers des demandes étaient complets et a décidé de regrouper les trois demandes en une seule enquête. Le 13 décembre 1995, le Tribunal a publié un avis d’ouverture d’enquête qui a été diffusé et a paru dans la Partie I de la Gazette du Canada du 23 décembre 1995 [3] .

Dans le cadre de l’enquête, le personnel de la recherche du Tribunal a fait parvenir des questionnaires aux producteurs nationaux potentiels de tissus identiques ou substituables. Des questionnaires ont aussi été envoyés aux importateurs et utilisateurs connus des tissus identiques ou substituables aux tissus en question. Des lettres ont aussi été adressées au ministère du Revenu national (Revenu Canada) pour obtenir des renseignements sur le classement tarifaire des tissus en question, et des échantillons ont été fournis pour analyse en laboratoire. Des lettres ont aussi été expédiées à plusieurs autres ministères pour obtenir des renseignements et des avis.

Le 9 février 1996, un rapport d’enquête du personnel, résumant les données reçues des ministères susmentionnés, de Beco et d’autres entreprises ayant répondu aux questionnaires, a été remis aux parties qui avaient déposé des actes de comparution dans le cadre de la présente enquête, à savoir : Beco, C.S. Brooks Canada Inc. (C.S. Brooks), Les Industries Wink Ltée (Wink), Simplex Textiles (Canada) Inc. (Simplex), Doubletex Inc. (Doubletex) et l’Institut canadien des textiles (l’ICT).

Après la diffusion du rapport d’enquête du personnel, C.S. Brooks, Wink et Doubletex ont déposé des exposés auprès du Tribunal. L’ICT a également déposé un exposé mais, comme celui-ci a été reçu après la réponse définitive de Beco, il n’a pas été versé au dossier de l’enquête. Beco a répondu aux divers exposés. En raison du nombre important d’éléments de preuve contradictoires concernant la substituabilité des tissus nationaux aux tissus en question et la compétitivité des produits finis fabriqués à partir de ces tissus, le Tribunal a accepté de tenir une audience publique à la demande de C.S. Brooks. Cette audience a uniquement porté sur les points suivants :

• la substituabilité des tissus fabriqués par les producteurs canadiens aux tissus importés par Beco et la substituabilité entre les tissus de coton et les tissus constitués de mélanges de coton et de polyester;

• la concurrence que les produits finis de Beco et les produits finis produits par d’autres fabricants canadiens se livrent sur le marché;

• l’effet des nouvelles règles d’origine réglementant l’exportation, vers les États-Unis, de produits finis fabriqués avec les tissus en question.

RENSEIGNEMENTS SUR LES PRODUITS

L’échantillon de tissu en question constitué de mélanges de coton et de polyester analysé par Revenu Canada est fait de fils simples de fibres de coton dans la chaîne et de mélanges de fils simples de fibres de coton et de fibres de polyester dans la trame. Les fibres de coton représentent 82 p. 100 du poids de l’échantillon et les fibres de polyester, 18 p. 100 de ce poids. Les fils de chaîne titrent en fils simples 196 décitex et les fils de trame, 191 décitex. Dans la chaîne, on compte 330 fils par 10 cm et, dans la trame, 205 fils par 10 cm. Le tissu a une masse surfacique de 105 g/m2.

Beco a soutenu qu’un tissu substituable acceptable devrait contenir au moins 70 p. 100 mais moins de 85 p. 100 en poids de coton, mélangé à des fibres de polyester, être imprimé, titrer en fils simples moins de 250 décitex, et présenter une largeur d’au moins 170 cm mais n’excédant pas 240 cm et une masse surfacique d’au moins 90 g/m2 mais pas plus de 110 g/m2.

Le tissu en question constitué de mélanges de coton et de polyester est classé, aux fins des douanes, dans le numéro de classement 5210.51.00.00 de l’annexe I du Tarif des douanes [4] .

Ce classement englobe un grand éventail de tissus : les tissus de coton imprimés, à armure toile, contenant moins de 85 p. 100 en poids de coton, mélangés principalement ou uniquement avec des fibres synthétiques ou artificielles, d’un poids n’excédant pas 200 g/m2. Depuis le 1er janvier 1996, le tissu en question constitué de mélanges de coton et de polyester est passible de droits de douane de 19,0 p. 100 ad valorem en vertu du tarif NPF et du TPG, de 20,2 p. 100 ad valorem en vertu du TPB, de 14,2 p. 100 ad valorem en vertu des tarifs de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande, de 5,0 p. 100 ad valorem en vertu du tarif des É.-U. et de 17,5 p. 100 ad valorem en vertu du tarif du Mexique.

Les deux échantillons de tissu de coton en question sont des tissus de coton à 100 p. 100, imprimés. Selon leur poids, ils peuvent être classés dans l’un de deux numéros de classement. Ils sont tissés de fils de fibres de coton dans la chaîne et dans la trame.

En ce qui concerne l’échantillon de tissu de coton en question plus léger analysé par Revenu Canada, les fils titrent en fils simples, dans un sens, 223 décitex et, dans l’autre, 253 décitex. Dans un sens, on compte 209 fils par 10 cm et, dans l’autre, 179 fils par 10 cm. Le tissu a une masse surfacique de 98 g/m2.

Pour ce qui est de l’échantillon de tissu de coton en question plus lourd analysé par Revenu Canada, les fils titrent en fils simples, dans un sens, 227 décitex et, dans l’autre, 247 décitex. Dans un sens, on compte 209 fils par 10 cm et, dans l’autre, 199 fils par 10 cm. Le tissu a une masse surfacique de 101 g/m2.

Beco a soutenu qu’un tissu substituable acceptable devrait contenir des fibres de coton à 100 p. 100, titrer en fils simples moins de 300 décitex, présenter une largeur d’au moins 170 cm mais n’excédant pas 240 cm et avoir une masse surfacique d’au moins 85 g/m2 mais pas plus de 110 g/m2.

Le tissu de coton en question est classé dans le numéro de classement 5208.51.00.00 (100 g/m2 ou moins) ou 5208.52.90.90 (plus de 100 g/m2).

Ces deux classements englobent un large éventail de tissus : les tissus de coton imprimés, à armure toile, contenant au moins 85 p. 100 en poids de coton, d’un poids n’excédant pas 200 g/m2. Depuis le 1er janvier 1996, le tissu de coton en question est passible de droits de douane de 16,0 p. 100 ad valorem en vertu du tarif NPF et du TPG, de 15,7 p. 100 ad valorem en vertu du TPB, de 3,4 p. 100 ad valorem en vertu du tarif des É.-U. et de 12,2 p. 100 ad valorem en vertu du tarif du Mexique.

OBSERVATIONS

Beco fabrique des articles d’ameublement dans son usine. Ses principaux produits sont des articles de literie pour adultes et des produits connexes comme des douillettes et des ensembles de douillettes, des couvre-oreillers, des protège-lits, des housses de couette, des oreillers décoratifs et des ensembles complets pour lits. Beco a également une gamme d’articles de literie pour enfants et produit aussi des tentures, des cantonnières, des nappes, des sacs de couchage, des meubles de jardin, des matelas de remplacement, des parapluies et des housses de planches à repasser.

Le tissu en question constitué de mélanges de coton et de polyester

Beco a soutenu que sa demande d’allégement tarifaire visait uniquement à lui permettre de reprendre la place qu’elle occupait avant que ne soit impos?E9‚e la restriction aux remboursements des droits aux termes de l’Accord de libre-échange nord-américain [5] (l’ALÉNA). Elle a prétendu que, dans bien des cas, le gouvernement fédéral avait réduit ou supprimé les tarifs à l’importation pour d’autres industries dans la même situation, notamment l’industrie des pièces d’automobiles.

Beco a allégué que la production d’articles de literie pour adultes réalisée avec le tissu en question constitué de mélanges de coton et de polyester représente un important pourcentage de la production totale de son usine, que la plus grande partie de cette production est exportée aux États-Unis, que la plupart de ses employés sont affectés à cette ligne de production et qu’il est, par conséquent, essentiel pour ses affaires qu’elle soit concurrentielle sur le marché américain. Beco a, en outre, soutenu que ses exportations cesseront d’être compétitives sur le marché américain à cause des nouvelles dispositions de l’ALÉNA sur le remboursement des droits [6] qui sont entrées en vigueur le 1er janvier 1996 et qui ont sérieusement restreint sa possibilité de réclamer un remboursement total des droits sur plusieurs de ses produits finals.

Beco a soutenu que les producteurs canadiens de tissus riches en coton [7] constitués de mélanges de coton et de polyester fabriquent ces tissus uniquement pour leur propre utilisation. C.S. Brooks et Wink, qui sont capables de produire de tels tissus, sont de sérieux concurrents de Beco sur le marché d’utilisation finale. Beco a, en outre, soutenu que, pour pouvoir l’approvisionner, Wink aurait à modifier l’ensemble de sa production de manière à produire un mélange de coton et de polyester à 80/20, ce qui ne serait pas pratique, et que C.S. Brooks n’avait pas, dans le passé, approvisionné les fabricants. Selon Beco, Consoltex Inc. (Consoltex) produit un tissu constitué de mélanges de coton et de polyester, mais seulement dans une largeur de 60 po, alors que dans sa production de douillettes, Beco utilise des tissus d’une largeur d’au moins 90 po mais pas plus de 94 po, selon la dimension des lits. Dans le cas des autres produits, Beco a besoin de largeurs d’au moins 66 po. Enfin, Beco a soutenu que Doubletex ne produit pas de tissus et n’a pas la capacité de produire un tissu imprimé, ce qui signifie que, pour être en mesure d’utiliser les produits de Doubletex, Beco aurait à modifier totalement ses activités.

Beco a soutenu que, même si un mélange particulier de coton et de polyester n’est pas un facteur qui influe réellement sur les décisions d’achat des consommateurs canadiens, elle a trouvé et occupe un créneau du marché aux États-Unis pour les douillettes fabriquées avec un tissu riche en coton constitué de mélanges de coton et de polyester. Par conséquent, Beco allègue que ses ventes dépendent du fait qu’elle puisse se procurer des tissus riches en coton abordables. Comme ces tissus ne sont pas utilisés pour fabriquer des produits destinés au marché canadien, Beco allègue, en outre, que ses produits finals ne seront pas en concurrence avec les produits fabriqués par C.S. Brooks et par Wink. Beco a également fait remarquer que les douillettes faites avec un tissu riche en coton entrent aux États-Unis à un taux tarifaire fortement réduit.

Pour avoir la certitude que les tissus en question ne servent pas à produire des marchandises destinées à être vendues sur le marché canadien, Beco a proposé que l’allégement tarifaire porte exclusivement sur ses importations des tissus en question. Enfin, Beco a soutenu qu’il n’est pas nécessaire de supprimer totalement les droits de douane. Elle demande plutôt que les droits soient réduits à un niveau qui la place dans la même position du point de vue des coûts que celle où elle se trouvait avant l’élimination du Programme de drawbacks sur les droits.

Le tissu de coton en question

Beco a allégué qu’elle utilise le tissu de coton en question pour fabriquer sa gamme de douillettes de promotion, qui représente une importante proportion de la production de son usine. Elle a, en outre, soutenu qu’au cours des trois dernières années, elle avait investi des montants importants dans du matériel spécialisé en vue d’automatiser cette chaîne de production, ce qui l’avait hissée au premier rang des fabricants canadiens de douillettes.

Beco a soutenu qu’aucun producteur national ne produit de tissus identiques ou substituables. Comme le tissu de coton en question est si bon marché, les producteurs canadiens n’essaient pas de produire des tissus identiques ou substituables, puisqu’ils ne peuvent les produire de façon rentable à un prix aussi bas. Beco a souligné que les tissus prétendument substituables selon les producteurs nationaux étaient tous constitués de mélanges de coton et de polyester.

Beco a déclaré que les douillettes de promotion ou économiques sont des produits offerts aux plus bas prix cibles possibles qui ne sont fabriqués par aucun autre producteur canadien et qui ne concurrencent pas les douillettes dans d’autres segments du marché. En outre, Beco a soutenu qu’il ne serait pas approprié d’utiliser le tissu de coton en question pour fabriquer des douillettes dans les autres segments du marché.

Enfin, Beco a affirmé que l’allégement tarifaire pourrait ne viser que le tissu de coton en question utilisé dans la production de douillettes économiques (ou de douillettes économiques offertes aux plus bas prix cibles possibles) de manière à ne pas soumettre à une concurrence plus vive les gammes de douillettes produites par d’autres fabricants canadiens qui utilisent des tissus produits ou apprêtés au pays.

GIII Ltd., installée à Winnipeg (Manitoba), est un fabricant de douillettes et d’autres articles d’ameublement. Elle achète les tissus en question aux importateurs. GIII Ltd. a affirmé que les tissus en question ne pouvaient être obtenus de la production canadienne et que l’allégement tarifaire lui permettrait d’être plus concurrentielle sur le marché américain.

La société Les Industries Lenrod Ltée (Lenrod), installée à Ville Saint-Laurent (Québec), est un ennoblisseur et distributeur de tissus et de nontissés synthétiques qui dessert les secteurs du meuble, de la literie et du vêtement. Elle importe le tissu en question constitué de mélanges de coton et de polyester et approvisionne actuellement Beco et d’autres sociétés dans le secteur des articles d’ameublement.

En plus d’appuyer les demandes d’allégement tarifaire de Beco, Lenrod estime qu’un tel allégement devrait être accordé sur les tissus constitués de mélanges de coton et de polyester ayant une masse surfacique inférieure à 170 g/m2, actuellement classés dans les numéros de classement 5513.21.00.20-Teints, 5513.41.00.20-Imprimés et 5513.11.00.22-Blanchis. Elle a soutenu que l’octroi de l’allégement tarifaire permettrait aux fabricants canadiens du secteur des articles d’ameublement de concurrencer plus avantageusement les importations à prix inférieurs.

Lubertex Inc. (Lubertex), installée à Montréal (Québec), est un importateur de tissus imprimés, teints et blanchis, constitués de mélanges de coton et de polyester destinés à être revendus aux fabricants nationaux d’articles d’ameublement, de vêtements et de produits institutionnels et industriels.

Lubertex a appuyé les demandes d’allégement tarifaire et a affirmé qu’il devrait être accordé pour tous les tissus constitués de mélanges de coton et de polyester destinés aux mêmes utilisations finales (c.-à-d. douillettes, taies d’oreiller, etc.), qu’il s’agisse de tissus composés à 50/50 ou à 65/35 de coton et de polyester respectivement, du moment qu’ils sont dans la catégorie de poids (utilisation finale inférieure) des tissus qui, selon elle, ne sont pas tissés au Canada.

Lubertex a déclaré que l’allégement tarifaire permettrait aux importateurs comme elle-même et Beco de concurrencer les produits finis en provenance des États-Unis et d’autres pays étrangers. Elle a, en outre, soutenu que les nouveaux détaillants géants au Canada demandent chaque année aux fabricants des prix de plus en plus bas, et que cette pression exercée sur les prix, jointe à l’augmentation des coûts, crée une situation compétitive très difficile pour les fabricants, et que leur survie est en jeu. Pour Lubertex, par conséquent, tout allégement tarifaire est jugé être un pas dans la bonne direction.

Richmond Quilting Ltd. (Richmond Quilting), installée à Richmond (Colombie-Britannique), est un fabricant d’articles d’ameublement. Elle achète les tissus en question qui sont importés de l’Inde et du Pakistan. Richmond Quilting a appuyé les demandes d’allégement tarifaire et demandé qu’un allégement soit accordé sur les importations qu’elle utilise. Elle a soutenu que la récente pénurie mondiale de coton et la hausse des prix rendraient ses produits non concurrentiels face aux importations de produits finis. Richmond Quilting a soutenu que, si l’allégement tarifaire est accordé, elle pourra concurrencer les importations et maintenir son niveau de production, voire même l’accroître.

Simplex, installée à Montréal, est un importateur de tissus. Elle approvisionne le segment manufacturier du secteur des articles d’ameublement qui fabrique des articles de literie.

Simplex a soutenu que, vu la conjoncture actuelle, les demandes d’allégement tarifaire de Beco étaient plus que justifiées, particulièrement en ce qui concerne le tissu de coton en question, et qu’un tel allégement tarifaire ne causerait de dommage à aucun producteur national.

C.S. Brooks, installée à Magog (Québec), est un producteur intégré qui fabrique des tissus et des articles de literie. La plus grande partie de sa production de tissus sert à sa propre fabrication de literie, qui est vendue par Springs Canada, Inc. (Springs Canada), son agent de vente. Springs Canada est une filiale de Springs U.S., le plus gros fabricant de literie aux États-Unis.

C.S. Brooks a soutenu qu’elle produit des tissus identiques ou substituables aux tissus en question. Elle produit des tissus de coton à 100 p. 100 et des tissus constitués de mélanges de coton et de polyester à 50/50, présentant des largeurs variant entre 116 et 307 cm et titrant en fils simples moins de 300 décitex. Les masses surfaciques de ces tissus varient entre 90 et 200 g/m2.

En ce qui concerne les tissus constitués de mélanges de coton et de polyester, C.S. Brooks a soutenu que les caractéristiques techniques ou distinctives du tissu en question constitué de mélanges de coton et de polyester ne diffèrent en rien de celles des tissus qu’elle produit. C.S. Brooks a déclaré que le prix du tissu en question constitué de mélanges de coton et de polyester est plus bas mais que, en l’absence d’autres différences, cela ne suffit pas pour conclure à la non-substituabilité. C.S. Brooks a allégué que les circonstances dans la présente affaire sont différentes de celles d’autres affaires dans lesquelles le Tribunal a recommandé que l’allégement tarifaire soit accordé en utilisant le prix comme facteur déterminant,

principalement dû au fait que le prix du tissu en question constitué de mélanges de coton et de polyester est déjà plus bas que celui des tissus fabriqués au pays. Dans ce genre de situation, a-t-il été soutenu, il y a bien plus de risques de causer un dommage aux producteurs nationaux.

En réponse aux affirmations de Beco selon lesquelles les seuls fournisseurs nationaux de tissus identiques ou substituables étaient ses concurrents sur le marché d’utilisation finale, C.S. Brooks a fait valoir que la substituabilité ne peut être déterminée en fonction de la réticence d’une entreprise à faire des affaires avec un fournisseur en particulier, même si le fournisseur est aussi un concurrent. Enfin, elle a déclaré qu’il n’y a aucune façon d’être certain que, si l’allégement tarifaire est accordé, le tissu en question constitué de mélanges de coton et de polyester sera utilisé uniquement pour produire des douillettes destinées au marché américain et qu’il y a de fortes chances que ce tissu soit détourné pour servir à la production de douillettes destinées à être vendues sur le marché canadien, en concurrence directe avec les gammes de douillettes de C.S. Brooks.

En ce qui concerne le tissu de coton en question et l’affirmation de Beco selon laquelle elle avait besoin de l’allégement tarifaire pour combattre l’incidence de prix plus élevés du coton, C.S. Brooks a souligné que tous les producteurs étaient touchés par les augmentations du prix du coton.

C.S. Brooks a allégué que, selon la disponibilité des tissus et tenant compte du prix de ceux-ci, les acheteurs de tissus abandonneront le coton à 100 p. 100 au profit de mélanges de coton et de polyester à 70/30 ou de coton et de polyester à 50/50. C.S. Brooks a soutenu que, en général, les consommateurs potentiels d’articles de promotion ne font aucune différence entre les produits constitués de mélanges de coton et de polyester ou de coton à 100 p. 100. C.S. Brooks a également affirmé que les témoignages entendus au cours de l’audience appuient cette affirmation, que le prix et l’apparence sont les deux principaux facteurs dans le secteur promotionnel ou sur le marché bas de gamme et que, en outre, ces tissus à prix plus bas peuvent être utilisés pour fabriquer des produits qui seront vendus à des prix cibles plus élevés, qui font directement concurrence aux gammes de produits de C.S. Brooks. Cette dernière a également prétendu que le prix des douillettes économiques de Beco avait une incidence sur le prix qu’elle pouvait obtenir pour ses propres douillettes dans les segments du marché à prix cibles plus élevés.

Wink, installée à Saint-Léonard (Québec), qui est également un producteur intégré, fabrique aussi bien des tissus que des articles de literie. Elle vend également certains de ses tissus à d’autres fabricants de literie.

Wink s’est opposée aux demandes d’allégement tarifaire. Elle a prétendu que ses produits finis, constitués de mélanges de coton et de polyester à 50/50, offrent au consommateur le même choix que les produits de Beco fabriqués avec le tissu en question constitué de mélanges de coton et de polyester. Selon Wink, tous ces produits sont perçus par le consommateur comme identiques et sont substituables. Wink a également soutenu que, sur le marché canadien, les acheteurs de douillettes ne font pas de différence entre les tissus constitués de mélanges de coton et de polyester et les tissus de coton à 100 p. 100, et que les produits de Wink fabriqués avec les tissus constitués de mélanges de coton et de polyester concurrencent, au niveau des prix, les produits de Beco fabriqués avec le tissu de coton en question. Wink a fait valoir que, dans une gamme de douillettes, elle avait perdu au moins un gros client au profit des produits de Beco. Pour donner encore plus de poids à son argument sur la concurrence que se font les produits, Wink a fait remarquer que les éléments de preuve indiquent que la douillette économique de Beco pour grand lit avait les mêmes dimensions que la douillette de Wink pour lit à deux places et que son prix était identique ou légèrement inférieur à celui du produit de Wink.

Wink a soutenu que les tissus de coton à 100 p. 100 et les tissus constitués de mélanges de coton et de polyester étaient tous concurrentiels sur le marché canadien et que c’était seulement sur le marché américain qu’il existait une différence entre les tissus de coton à 100 p. 100 et ceux constitués de mélanges de coton et de polyester. En outre, étant donné que les exportations de Wink sur le marché américain ne sont pas importantes, il a été allégué que tout allégement tarifaire sur les tissus en question se répercutera directement sur la position concurrentielle de Wink par rapport à Beco sur ce marché. Wink a également déclaré que, même si Beco avait affirmé qu’elle exporterait aux États-Unis tous ses produits finis fabriqués avec le tissu en question constitué de mélanges de coton et de polyester, l’allégement tarifaire proposé s’appliquerait également aux autres fabricants canadiens qui importent les tissus en question et vendent leurs produits finis sur le marché canadien.

Wink a allégué qu’elle était capable d’approvisionner Beco en tissus produits au pays et disposée à le faire, et que les deux sociétés avaient déjà abordé, dans le passé, la question de l’approvisionnement en tissus. Ces discussions, selon Wink, ont échoué essentiellement à cause du prix, et non à cause du mélange de fibres, du contenu élevé en coton ou de tout autre facteur. Enfin, Wink a soutenu que l’affirmation de Beco selon laquelle elle ne veut pas acheter ses tissus d’un concurrent prouve bien que les produits des deux entreprises se concurrencent les uns les autres sur le marché.

Consoltex, installée à Ville Saint-Laurent, est le principal fabricant canadien de tissus synthétiques et artificiels. Sa division Ameublement approvisionne les fabricants de rideaux, de tentures et de nappes. Un des principaux clients de Consoltex est l’une de ses propres divisions, Maison Condelle, un fabricant de rideaux, de tentures et d’articles pour chambres à coucher.

Consoltex a soutenu que les demandes d’allégement tarifaire de Beco menacent les intérêts de deux de ses divisions, à savoir Ameublement et Maison Condelle. Elle s’est opposée aux demandes d’allégement tarifaire pour les raisons suivantes :

1) les tissus en question peuvent être obtenus de la production nord-américaine;

2) en ce qui concerne en particulier les rideaux et les tentures, un accès en franchise aux tissus en question causera vraisemblablement un dommage aux deux divisions de Consoltex :

• Ameublement, à titre de producteur qui fournit des tissus identiques ou substituables aux fabricants de rideaux et de tentures;

• Maison Condelle, à titre de fabricant de rideaux et de tentures finis.

Parmi les tissus à rideaux offerts par la division Ameublement, on trouve deux tissus, à savoir le Basic Trevira F.R. et le Sedura, constitués de polyester à 100 p. 100, qui sont utilisés pour fabriquer des tentures imprimées. Ces tissus, selon Consoltex, font directement concurrence aux tissus en question.

Consoltex a également soutenu que les importantes réductions tarifaires déjà accordées en vertu des négociations commerciales multilatérales (NCM), de l’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis [8] et de l’ALÉNA présentent un défi majeur aux fabricants canadiens de textiles qui sont en train de s’ajuster à ces changements. Elle a prétendu qu’une suppression totale et unilatérale des droits sur les tissus en question nuirait à sa capacité de relever ces défis et l’empêcherait de tirer parti des possibilités créées par l’ALÉNA.

Rayonese Textile Inc. (Rayonese), installée à Saint-Jérôme (Québec), produit une gamme de tissus utilisés dans la fabrication d’articles d’ameublement. En outre, elle teint et imprime à commission des tissus grèges importés. Elle fabrique quatre qualités différentes de tissus constitués de mélanges de coton et de polyester et un tissu de polyester et de viscose qui sont, à son avis, substituables aux tissus en question en ce qui concerne le secteur des articles d’ameublement.

Rayonese s’est opposée aux demandes d’allégement tarifaire pour les raisons suivantes :

1) ses tissus sont substituables aux tissus en question;

2) la baisse de la demande dans le secteur de la vente au détail et l’augmentation de la part du marché des tissus importés ont fortement fait diminuer la production de ses tissus en 1995;

3) l’avantage permanent donné aux importations en provenance de pays producteurs à faibles salaires continuera à miner ses ventes de tissus et irait à l’encontre de l’esprit et de l’interprétation de l’ALÉNA.

Doubletex a soutenu que ses tissus destinés aux articles d’ameublement sont substituables aux tissus en question. En outre, elle a prétendu que des tissus substituables pouvaient être obtenus des producteurs nationaux, des entreprises d’ennoblissement ou des producteurs de tissus dans l’un des pays parties à l’ALÉNA et a allégué que, dans le secteur des articles d’ameublement, le prix est en général l’élément qui détermine le sourçage, étant donné que cette industrie utilise des tissus de base. Selon Doubletex, le secteur des articles d’ameublement est en général beaucoup moins exigeant que celui des vêtements pour ce qui est des tissus. Elle a également soutenu qu’en décidant d’acheter des tissus, les consommateurs accordent moins d’importance au tissu et à la composition du tissu qu’à la couleur, à l’emballage et à la commercialisation.

Doubletex s’est opposée aux demandes d’allégement tarifaire parce que, si un allégement tarifaire est accordé sur les tissus en question, qui sont substituables à toute une gamme de tissus teints et imprimés, un grand nombre des produits fabriqués par Doubletex seront abandonnés au profit des tissus en question meilleur marché. D’autres fabricants de literie suivront, prétendument, la voie tracée par Beco en raison des avantages de prix que l’allégement tarifaire procurera. Doubletex a souligné que le Tarif des douanes ne fait aucune différence entre les tissus destinés à être utilisés dans des produits qui seront vendus sur le marché canadien et ceux qui seront utilisés dans des produits destinés à être vendus sur les marchés d’exportation et, par conséquent, que l’allégement tarifaire, s’il est accordé, pourrait avoir comme effet de remplacer les tissus produits ou apprêtés au pays par des importations en franchise dans les produits vendus sur le marché canadien. En outre, Doubletex a déclaré que les tissus en question coûtaient déjà moins cher que les tissus produits au pays et qu’un allégement tarifaire n’avait jamais été accordé jusqu’ici dans une telle situation.

Doubletex a également soutenu qu’il serait inhabituel et contradictoire au regard d’une politique d’intérêt public équilibrée de supprimer les droits de douane sur les tissus en question sans les supprimer sur les tissus grèges (non blanchis ou blanchis), parce que cela dissuaderait quiconque d’ajouter de la valeur au Canada et donnerait à l’industrie l’impression que le gouvernement fédéral fait la promotion des importations plutôt que de la production nationale. Par conséquent, Doubletex a demandé au Tribunal que s’il recommande que l’allégement tarifaire soit accordé sur les tissus en question, qu’il recommande également qu’il soit accordé sur les tissus grèges de même description.

L’ICT, représentant les fabricants canadiens de textiles, s’est opposé aux demandes d’allégement tarifaire. Il a donné son appui aux exposés des fabricants de textiles qui ont présenté des observations au Tribunal sur cette question. Il a soutenu qu’il ne serait pas indiqué de recommander un allégement tarifaire sur le tissu de coton en question, dont le prix est déjà moins élevé que celui de tissus similaires et substituables produits au pays. L’ICT a soutenu que la simple raison pour laquelle aucune usine de textiles canadienne, voire même nord-américaine, ne produit un tissu de coton à 100 p. 100 identique est que ce tissu peut être obtenu de l’étranger à un prix très bas.

L’ICT a également fait valoir que les fibres de polyester étaient conçues pour imiter les fibres de coton et être substituables au coton dans de nombreuses applications et que, en vertu de leur conception même, les mélanges de coton et de polyester sont substituables au coton à 100 p. 100. En outre, selon l’ICT, le témoignage des détaillants a confirmé que les tissus constitués de mélanges de coton et de polyester sont substituables aux tissus de coton à 100 p. 100, particulièrement dans les applications visées par les demandes d’allégement tarifaire.

Dans sa conclusion, l’ICT a allégué que l’allégement tarifaire demandé ne repose sur aucun fondement raisonnable et que l’allégement ne ferait qu’accentuer les inquiétudes de ceux qui investissent dans la production textile.

Le ministère de l’Industrie a informé le Tribunal que les industries textiles canadienne et américaine produisent des tissus larges de coton à 100 p. 100 et de coton et de polyester pour la fabrication de toute la gamme d’articles d’ameublement visés par les demandes d’allégement tarifaire. Il a recommandé que le Tribunal tienne compte, en rendant sa recommandation, des diverses règles de l’ALÉNA touchant l’origine des marchandises, les niveaux de préférence tarifaire, le régime de remboursement des droits, la


façon dont ces éléments de l’ALÉNA influent sur la réussite d’une entreprise aux États-Unis et au Mexique et l’avantage qu’il y aurait à inciter une entreprise à chercher de plus en plus un sourçage nord-américain pour obtenir des tissus semblables destinés aux articles d’ameublement.

ANALYSE

Dans la présente enquête, le Tribunal doit se pencher sur plusieurs questions : d’abord, celle de la disponibilité des tissus identiques ou substituables produits au Canada, deuxièmement, l’incidence que l’allégement tarifaire aurait sur les producteurs nationaux et, enfin, les répercussions économiques nettes de l’octroi de l’allégement tarifaire.

En ce qui concerne le tissu en question constitué de mélanges de coton et de polyester, Beco a soutenu qu’elle ne pouvait acheter de tissus substituables aux producteurs canadiens, puisque les deux seules sources éventuelles étaient également des concurrents sur le marché des produits finals. Beco a, en outre, soutenu que, puisque ses importations du tissu en question constitué de mélanges de coton et de polyester étaient uniquement utilisées pour fabriquer des articles de literie exportés aux États-Unis, les producteurs canadiens n’auraient aucun coût à supporter si l’allégement tarifaire était accordé.

Des éléments de preuve clairs et non contestés indiquent que des tissus constitués de mélanges de coton et de polyester sont produits au Canada par C.S. Brooks et Wink, bien que pas dans les proportions de 80/20 de coton et de polyester recherchées par Beco, et qu’ils sont utilisés pour fabriquer des articles de literie qui font directement concurrence sur le marché intérieur aux produits de Beco et d’autres producteurs utilisant le tissu en question constitué de mélanges de coton et de polyester. Plusieurs témoins ont confirmé à l’audience que les acheteurs de douillettes ne font pas la différence entre des mélanges de coton et de polyester à 80/20 et à 50/50 ou tout autre mélange [9] , et qu’aucun mélange en particulier ne procure un avantage.

La situation du marché américain est quelque peu différente. Aux États-Unis, Beco a repéré et occupe un créneau de marché pour les douillettes faites avec un tissu riche en coton et, cela étant, n’utilise pas d’autres tissus que celui qui contient plus de 51 p. 100 de coton. Le Tribunal accepte l’affirmation des producteurs nationaux de textiles selon laquelle ceux-ci peuvent produire et vendre à Beco des tissus riches en coton et que la substituabilité d’un tissu ne peut être déterminé par la prétendue réticence d’une entreprise à faire des affaires avec un fournisseur, m?EAˆme si celui-ci est un concurrent sur le marché d’utilisation finale. Autrement, ce serait comme une punition imposée aux producteurs à intégration verticale en raison du bon rendement qu’ils ont réalisé par cette intégration. En outre, il est évident que Beco pourrait utiliser des tissus constitués de mélanges de coton et de polyester produits au pays pour sa gamme d’articles de literie, s’ils étaient offerts à des prix concurrentiels.

Même si C.S. Brooks, Wink et d’autres producteurs canadiens de textiles ne pouvaient fournir à Beco les tissus dont elle a besoin, des tarifs réduits sur le tissu en question constitué de mélanges de coton et de polyester accroîtraient la compétitivité de ce tissu sur le marché canadien aux dépens des tissus produits ou finis au pays et vendus aux fabricants de literie. De plus, le tissu en question constitué de mélanges de coton et de polyester qui coûte moins cher renforcerait la compétitivité des fabricants de literie qui s’en servent, ce qui nuirait aux fabricants de literie canadiens qui utilisent des tissus produits au pays pour leur production. Ainsi, les producteurs à intégration verticale comme C.S. Brooks et Wink subiraient des contrecoups au niveau à la fois de la production des textiles et de la fabrication des articles de literie.

Pour éviter de nuire à l’industrie textile canadienne, Beco a proposé que l’allégement tarifaire soit limité au tissu en question constitué de mélanges de coton et de polyester utilisé dans les produits vendus à l’exportation. Cependant, les règles de l’ALÉNA interdisent au Canada d’accorder un allégement tarifaire qui viserait uniquement les tissus utilisés dans la fabrication de marchandises destinées aux marchés de l’ALÉNA. Le Tribunal fait remarquer que, même si le tissu en question constitué de m?E9‚langes de coton et de polyester était utilisé pour la production destinée à l’exportation, un allégement tarifaire accordé uniquement en fonction des exportations se répercuterait négativement sur les activités de Wink sur le marché américain, où celle-ci fait directement concurrence à Beco, y vendant des douillettes produites avec des tissus canadiens [10] . De plus, bien qu’il soit clair que Beco utilise au moins la majorité de ses importations du tissu en question constitué de mélanges de coton et de polyester pour produire des douillettes destinées au marché américain, les éléments de preuve présentés au cours de l’enquête du Tribunal indiquent que certaines de ces importations ont été utilisées pour fabriquer des douillettes vendues sur le marché canadien, même si l’on a admis qu’il s’agissait d’une erreur [11] . En outre, d’autres importateurs pourraient utiliser le tissu en question constitué de mélanges de coton et de polyester en vue de produire des douillettes pour le marché canadien, faisant directement concurrence aux douillettes fabriquées avec des tissus produits au pays.

Le Tribunal estime que l’octroi de l’allégement tarifaire aurait de graves implications pour l’industrie textile canadienne. Les articles d’ameublement, comme les articles de literie, représentent la très grosse part du volume de production annuelle de C.S. Brooks et de Wink. Or, C.S. Brooks et Wink ont déclaré qu’elles fourniraient à Beco des tissus pour la fabrication de ses articles de literie [12] . En effet, des représentants de Wink ont déclaré qu’ils avaient discuté avec Beco de la possibilité de lui fournir un tissu constitué de mélanges de coton et de polyester que Beco utiliserait pour produire des douillettes, mais que ces discussions avaient échoué à cause du prix, et du prix seulement [13] .

Il est certain que la suppression des dispositions sur le remboursement des droits entraînera des hausses de coûts pour Beco, mais il convient de souligner que l’élimination des remboursements des droits et les augmentations de coûts qui en découleraient sont déjà et continueraient d’être compensées, dans une certaine mesure, par les réductions progressives des taux tarifaires NPF.

Par conséquent, le Tribunal conclut que le tissu en question constitué de mélanges de coton et de polyester concurrence les tissus fabriqués au Canada, que les produits finals fabriqués avec le tissu en question constitué de mélanges de coton et de polyester concurrencent les produits finals fabriqués par C.S. Brooks et Wink avec des tissus produits au pays et que les coûts découlant de l’allégement tarifaire dépasseront de beaucoup tous les avantages qui en découleraient.

Le Tribunal fait remarquer que les producteurs nationaux n’offrent pas de tissus de coton à 100 p. 100 similaires au tissu de coton en question destiné à être utilisé dans la production de douillettes. Cependant, les éléments de preuve indiquent que, pour les consommateurs, il n’y a pas de différence entre les tissus de coton à 100 p. 100 et les tissus constitués de mélanges de coton et de polyester [14] . Par ailleurs, le témoignage non contredit de plusieurs témoins indique clairement que les facteurs qui comptent le plus dans l’achat d’une douillette économique sont le prix et l’apparence, et non pas le contenu en fibres du tissu [15] . De plus, le contenu en fibres du tissu n’est pas précisé sur l’emballage de la douillette économique de Beco [16] , mais seulement le genre de matériel de rembourrage, ce qui permet de conclure que le fait que le tissu soit de coton à 100 p. 100 n’est pas important pour le consommateur. Ainsi, le Tribunal conclut que même si les tissus constitués de mélanges de coton et de polyester produits au pays sont vendus à des prix plus élevés que le tissu de coton en question, ils sont néanmoins physiquement substituables au tissu de coton en question.

En fait, plusieurs fabricants canadiens de literie utilisent des tissus constitués de mélanges de coton et de polyester produits au Canada pour fabriquer des douillettes. Beco a soutenu que ses douillettes économiques ne concurrencent pas directement les autres douillettes en raison des dimensions plus petites de ses douillettes économiques et du faible prix cible auquel elles sont vendues. Quoi qu’il en soit, il est intéressant de souligner que la douillette économique pour grand lit de Beco a les mêmes dimensions que la douillette pour lit à deux places de Wink et que, lorsque la douillette de Wink fait l’objet d’une «promotion» au niveau de la vente au détail (c.-à-d. est offerte en solde), son prix est très près de celui de la douillette pour grand lit de Beco [17] .

Les témoins du secteur de la vente au détail ont déclaré qu’il n’existe pas de lien direct entre les prix des douillettes économiques et les prix des douillettes dont les prix cibles sont plus élevés. Néanmoins, les témoins de Springs Canada et de Wink ont déclaré que les détaillants ont souvent exercé sur eux des pressions au niveau des prix en fonction des niveaux de prix à d’autres prix cibles [18] et que l’écart entre les prix cibles doit demeurer à l’intérieur d’une certaine fourchette. Le Tribunal accepte l’argument avancé par C.S. Brooks et Wink selon lequel, si Beco peut offrir ses douillettes économiques à des prix cibles plus bas grâce aux coûts moins élevés que procurerait l’allégement tarifaire, alors ces prix plus bas auront une incidence sur le prix que C.S. Brooks et Wink ainsi que d’autres producteurs de douillettes peuvent obtenir dans les secteurs à prix cibles plus élevés qui utilisent des tissus faits au pays dans leurs produits. En d’autres termes, le Tribunal estime qu’il existe un lien implicite entre les prix des produits offerts à différents prix cibles et que, bien qu’il n’y ait peut-être pas de lien fixe au niveau des prix entre les prix cibles, l’écart entre les prix cibles doit demeurer à l’intérieur d’une certaine fourchette. De plus, le tissu de coton en question peut être utilisé par Beco et par d’autres fabricants pour produire des douillettes de dimensions normales qui concurrenceraient directement les douillettes fabriquées avec des tissus produits au pays.

Beco a soutenu qu’elle avait besoin de l’allégement tarifaire pour annuler les effets de la hausse des prix du coton, alors que d’autres parties ont souligné que tous les producteurs, étrangers et nationaux, sont touchés par le coût plus élevé des matières premières, y compris le coût du coton. Quoi qu’il en soit, les éléments de preuve indiquent que les prix du coton se sont stabilisés et devraient diminuer dans un proche avenir.

Le Tribunal conclut, par conséquent, que les tissus constitués de mélanges de coton et de polyester produits au pays sont substituables au tissu de coton en question destiné à être utilisé dans la fabrication de douillettes économiques. De plus, le prix auquel les douillettes économiques peuvent être obtenues sur le marché influe sur le prix que d’autres fabricants de douillettes peuvent obtenir. Par conséquent, le fait d’accorder un allégement tarifaire sur le tissu de coton en question nuira considérablement aux producteurs nationaux de textiles et aux fabricants de douillettes qui utilisent des tissus produits au pays. Le coût financier que ces deux niveaux de production auraient éventuellement à supporter excède de beaucoup les avantages que l’allégement tarifaire, s’il était accordé, procurerait à Beco et à d’autres importateurs du tissu de coton en question.

RECOMMANDATION

Compte tenu des renseignements susmentionnés et des éléments de preuve déposés auprès du Tribunal dans le cadre de la présente affaire, le Tribunal recommande au Ministre, par les présentes, de ne pas accorder l’allégement tarifaire sur les importations du tissu en question constitué de mélanges de coton et de polyester visé par la demande no TR-95-035 ni sur les importations du tissu de coton en question visé par les demandes nos TR-95-043 et TR-95-044.

Anthony T. Eyton
_________________________
Anthony T. Eyton
Membre présidant


Robert C. Coates, c.r.
_________________________
Robert C. Coates, c.r.
Membre


Lyle M. Russell
_________________________
Lyle M. Russell
Membre


1. L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.).

2. Le 20 mars 1996, le ministre des Finances a révisé ledit mandat.

3. Vol. 129, no 51 à la p. 4309.

4. L.R.C. (1985), ch. 41 (3e suppl.).

5. Signé à Ottawa (Ontario), les 11 et 17 décembre 1992, à Mexico, D.F., les 14 et 17 décembre 1992 et à Washington, D.C., les 8 et 17 décembre 1992 (en vigueur au Canada le 1 er janvier 1994).

6. Dans le cas des échanges canado-américains, un «régime de remboursement des droits» a remplacé, le 1 er janvier 1996, le Programme de drawbacks sur les droits. Le remboursement est égal au moindre des deux montants suivants : a) les droits payés sur l’intrant textile importé d’un pays non partie à l’ALÉNA pour fabriquer le tissu; ou b) les droits payés sur le tissu au moment de son exportation aux États - Unis. Le régime de remboursement des droits sera progressivement éliminé au fur et à mesure de la mise en œuvre du régime d’admission en franchise prévu par l’ALÉNA. Lorsque les droits de douane auront été complètement supprimés, le régime de remboursement des droits n’existera plus. Dans le cas de vêtements exportés vers des pays non parties à l’ALÉNA, les remboursements des droits continueront de s’appliquer indéfiniment.

7. Signifie un produit contenant au moins 51 p. 100 en poids de coton.

8. Recueil des traités du Canada , 1989 (R.T.C.), signé le 2 janvier 1988.

9. Transcription de la session publique , le 8 mai 1996 aux pp. 21-22, 27, 33-34 et 73.

10. Ibid. aux pp. 224-25 et 234.

11. Supra note 9 aux pp. 178 - 84; et pièce du producteur B-10, dossier administratif, vol. 9.

12. Pièce du Tribunal TR-95-035-41 à la p. 10, dossier administratif, vol. 5; et supra note 9 aux pp. 221-23.

13. Supra note 9 aux pp. 222-23.

14. Supra note 9.

15. Ibid. aux pp. 27-29, 33-34, 82 et 92-93.

16. Pièce du producteur B - 10, dossier administratif, vol. 9.

17. Public Staff Investigation Report , le 5 février 1996, pièce du Tribunal TR-95-035-28, tableau 5, dossier administratif, vol. 1; et supra note 9 à la p. 133.

18. Supra note 9 aux pp. 199-202, 212 et 219; et Transcription de la session à huis clos , le 8 mai 1996 à la p. 9.


[ Table des matières]

Publication initiale : le 15 octobre 1996