BUCKEYE INDUSTRIES

Enquêtes


RAPPORT AU
MINISTRE DES FINANCES
DEMANDE D’ALLÉGEMENT TARIFAIRE DÉPOSÉE PAR
BUCKEYE INDUSTRIES
CONCERNANT
CERTAINS TISSUS TEINTS
LE 19 DÉCEMBRE 1996

TABLE DES MATIERES


Demande no : TR-95-063

Membres du Tribunal : Arthur B. Trudeau, membre présidant
Desmond Hallissey, membre
Lyle M. Russell, membre

Directeur de la recherche : Réal Roy

Gestionnaire de la recherche : W. Douglas Kemp

Avocat pour le Tribunal : John L. Syme

Agent à l’inscription et
à la distribution : Claudette Friesen

Adresser toutes les communications au :

Secrétaire
Tribunal canadien du commerce extérieur
Standard Life Centre
333, avenue Laurier ouest
15e étage
Ottawa (Ontario)
K1A 0G7

INTRODUCTION

Le 14 juillet 1994, le Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) a reçu du ministre des Finances (le Ministre), aux termes de l’article 19 de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur [1] le mandat [2] de faire enquête sur les demandes présentées par les producteurs nationaux qui souhaitent obtenir des allégements tarifaires sur les intrants textiles importés dans le cadre de leurs activités de fabrication et de formuler des recommandations au Ministre concernant ces demandes.

Le 3 janvier 1996, le Tribunal a reçu de la société Buckeye Industries (Buckeye) une demande de suppression permanente des droits de douane sur les importations, en provenance des États-Unis, de trois tissus constitués d’un mélange de polyester et de coton (les tissus en question), produits par la société Graniteville Company de Warrenville (Caroline du Sud). Buckeye a également demandé un drawback des droits perçus sur les importations des tissus en question depuis 1992, l’année durant laquelle les tissus identiques ou substituables ont cessé d’être disponibles auprès des producteurs nationaux.

Le 3 juillet 1996, estimant que le dossier de la demande était complet, le Tribunal a publié un avis d’ouverture d’enquête qui a été diffusé et publié dans la Partie I de la Gazette du Canada du 13 juillet 1996 [3] .

Dans le cadre de l’enquête, le personnel de la recherche du Tribunal a envoyé des questionnaires aux producteurs et importateurs potentiels des tissus en question. Une lettre a été adressée au ministère du Revenu national (Revenu Canada) pour obtenir des renseignements sur le classement tarifaire des tissus en question, et des échantillons ont été fournis aux fins d’analyse en laboratoire. Des lettres ont également été envoyées à plusieurs autres ministères gouvernementaux en vue d’obtenir des renseignements et des avis sur les tissus en question.

Un rapport d’enquête du personnel, résumant les renseignements reçus des ministères gouvernementaux susmentionnés, de Buckeye et des autres sociétés qui ont répondu aux questionnaires du Tribunal, a été remis à Buckeye, à l’Institut canadien des textiles (l’ICT) et à la société Impressions permanentes de Montréal Ltée.

Aucune audience publique n’a été tenue dans le cadre de la présente enquête.

RENSEIGNEMENTS SUR LES PRODUITS

Pour faciliter l’administration de l’allégement tarifaire demandé, s’il est accordé, Revenu Canada a proposé, et Buckeye a accepté, une description générique des tissus en question. Revenu Canada a confirmé que les tissus en question sont présentement classés dans le numéro de classement 5514.22.00.10 de l’annexe I du Tarif des douanes [4] . Revenu Canada a également proposé que, si une recommandation favorable est rendue, la description soit associée à un nouveau code tarifaire afin de distinguer les tissus en question des autres tissus classés dans le même numéro tarifaire. La description proposée par Revenu Canada est la suivante :

Tissu teint, à armure sergé, dont le rapport d’armure n’excède pas 4, contenant au moins 63 p. 100 de fibres discontinues de polyester et au moins 35 p. 100 de coton, d’un poids d’au moins 165 g/m² mais n’excédant pas 290 g/m², destiné à être utilisé dans la confection de chemises et pantalons de travail.

[Traduction]

Buckeye importe présentement trois tissus différents qui répondent à la description susmentionnée : le tissu pour chemises Super Equestrian, utilisé dans la confection de chemises de travail durables à pressage permanent; le tissu à armure sergé Equestrian, un tissu plus lourd utilisé dans la confection de pantalons de travail à pressage permanent; le tissu à armure sergé Yankee, utilisé dans la confection de pantalons de travail robustes.

Les tissus classés dans le numéro de classement 5514.22.00.10 sont passibles de droits de douane de 19,0 p. 100 ad valorem en vertu du tarif NPF, de 20,2 p. 100 ad valorem en vertu du TPB, de 5,0 p. 100 ad valorem en vertu du tarif des États-Unis et de 17,5 p. 100 ad valorem en vertu du tarif du Mexique. En comparaison, les tissus importés aux États-Unis sont passibles de droits de douane de 16,6 p. 100 s’ils proviennent de pays désignés NPF, de 3,4 p. 100 s’ils proviennent du Canada et de 8,4 p. 100 s’ils proviennent du Mexique.

Selon les données de Statistique Canada, la valeur en douane des importations de tissus classés dans le numéro de classement 5514.22.00.10 était d’environ 11,7 millions de dollars en 1995. Les importateurs qui ont répondu aux questionnaires du Tribunal ont fait état de presque la même valeur en douane totale, ce qui indique une couverture pratiquement complète des importations.

OBSERVATIONS

Buckeye confectionne des vêtements de travail au Canada depuis 1912. Son usine est située à Hanover (Ontario) et ses bureaux des ventes, de distribution et d’administration se trouvent à Toronto (Ontario). La société fournit des chemises et des pantalons de travail aux principaux grands magasins et à d’autres détaillants dans l’ensemble du Canada.

Avant 1992, Buckeye confectionnait ses vêtements de travail avec des tissus de marques Ft. Yukon et Ft. George, faits au Canada par la société Dominion Textile Inc. (Dominion Textile). Le tissu Ft. Yukon était utilisé dans la confection de chemises alors que le tissu Ft. George, plus lourd, était destiné à la confection de pantalons. En 1992, Dominion Textile a cessé de produire ces tissus, et Buckeye, incapable d’en trouver chez un autre fournisseur national, s’est tournée vers les États-Unis pour trouver des tissus de remplacement. Cependant, les dépenses supplémentaires associées au taux de change, au transport et aux droits à l’importation ont sensiblement haussé le coût des marchandises produites à l’usine de Buckeye à Hanover et, par voie de conséquence, ont eu une incidence négative sur sa capacité d’être concurrentiel sur le marché national.

Pour améliorer sa compétitivité, Buckeye a demandé un allégement tarifaire sur ses importations des tissus en question en provenance des États-Unis. Elle a aussi demandé un drawback des droits perçus sur les importations des tissus en question depuis 1992. Si ces demandes sont accueillies, Buckeye s’attend à pouvoir établir, pour les chemises et les pantalons de travail qu’elle produit au Canada, des prix compétitifs par rapport aux produits importés au Canada en provenance de pays comme la République populaire de Chine (la Chine), de Taïwan, du Bangladesh et d’autres pays de l’Amérique du Sud et de l’Amérique centrale où prévalent de bas salaires.

Si l’allégement tarifaire demandé lui permet de récupérer une certaine part du marché, Buckeye s’attend à pouvoir maintenir le plein emploi à son usine de Hanover. De plus, bien qu’aucun investissement majeur dans l’usine ne soit prévu présentement, le relèvement soutenu du chiffre d’affaires exigera un tel investissement.

La société Richlu Sportswear, Division of Winnipeg Pants & Sportswear Mfg. Ltd. (Richlu), de Winnipeg (Manitoba), appuie la demande d’allégement tarifaire de Buckeye parce qu’elle aussi a commencé à importer les tissus en question des États-Unis lorsque Dominion Textile a cessé de produire des tissus identiques ou substituables. Richlu a demandé que la portée de l’enquête soit étendue pour inclure les tissus grèges et les tissus constitués d’un mélange de polyester à 50 p. 100 et de coton à 50 p. 100.

Quant aux produits finals, Richlu a fait observer qu’elle confectionne des vestons assortis pour former un ensemble avec les chemises et pantalons de travail que fabrique Buckeye. Puisque ces marchandises doivent être fidèlement assorties aux vêtements de travail de Buckeye, Richlu a aussi demandé que la portée de l’enquête soit étendue pour inclure les vestons, les anoraks, les vestes, les combinaisons et les salopettes de travail.

La société Louis Hébert Uniforme inc. (Louis Hébert), de Laval (Québec), comme les autres utilisateurs nationaux des tissus en question, a commencé à s’approvisionner aux États-Unis en 1992, lorsque la production nationale a pris fin. Cependant, les contraintes liées au volume minimum des commandes, les longs délais de livraisons, les frais de courtage, d’entreposage et de change ainsi que les droits à l’importation ont fait grimper le prix des tissus en question à un point tel qu’il devient difficile pour Louis Hébert de faire concurrence aux produits finis des États-Unis ou importés de la Chine ou du Pakistan.

Malgré ces coûts supplémentaires, Louis Hébert n’a pas encore importé de chemises ni de pantalons de travail finis. Cependant, pour demeurer compétitive et abaisser ses coûts, la société envisage la possibilité d’importer des marchandises finies en provenance de la Chine, du Pakistan, de Cuba et d’autres pays.

Louis Hébert est d’avis que l’allégement tarifaire favorisera la production nationale et permettra une juste concurrence. Elle sollicite la suppression des droits sur les importations des tissus en question en provenance des États-Unis pour la période du 1er janvier 1995 au 1er janvier 1998. Comme Buckeye, Louis Hébert aimerait que soit aussi accordé un drawback des droits perçus entre septembre 1992 et le 1er janvier 1995.

De l’avis de Louis Hébert, l’allégement tarifaire sur les tissus en question lui permettrait d’accroître sa production nationale et de faire concurrence aux entreprises qui importent davantage de produits qu’elles n’en fabriquent au Canada. La réduction des coûts et l’amélioration du fonds de roulement qu’on peut prévoir résulter de l’allégement tarifaire, s’il est accordé, amélioreraient aussi la position concurrentielle de Louis Hébert sur d’autres marchés canadiens et d’exportation.

La société Uniformes Canadiens Limitée (Uniformes Canadiens), de Toronto (Ontario), est issue de la fusion, en 1964, de trois plus petites entreprises de confection de vêtements de travail. Elle fabrique et distribue une vaste gamme de vêtements de travail et de textiles utilisés en milieu de travail, y compris des chemises, des pantalons, des combinaisons, des blouses, des robes et des tabliers-blouses de travail. Uniformes Canadiens vend ses produits principalement à l’industrie de la blanchisserie industrielle, ainsi que, dans une faible mesure, à des utilisateurs finals et à des détaillants.

Uniformes Canadiens produit ces marchandises à une usine de Hawkesbury (Ontario), où elle emploie 90 personnes. Elle fait également appel à plusieurs entrepreneurs de diverses régions du pays qui emploient un total d’environ 360 personnes. Comme Buckeye, elle a acheté des tissus identiques ou substituables uniquement de Dominion Textile jusqu’à ce que cette dernière mette fin à la production de ces tissus en 1992. En réalité, avant même que Dominion Textile ne mette fin à sa production, Uniformes Canadiens achetait aux États-Unis des tissus de plus grandes dimensions qui lui permettaient d’atteindre une rentabilité plus élevée; Dominion Textile ne voulait ou ne pouvait pas produire ces tissus.

Présentement, Uniformes Canadiens achète tous ses tissus aux États-Unis, à l’exception des tissus pour poches; elle est cependant d’avis que les tissus d’Asie, qui bénéficient du faible coût des matières premières et d’une main-d’œuvre très peu dispendieuse, pourraient offrir aux producteurs nationaux un avantage concurrentiel encore plus grand face aux entreprises de confection de vêtements de travail finis des États-Unis. Pour les motifs susmentionnés, Uniformes Canadiens a demandé que l’allégement tarifaire soit accordé sur les tissus en question importés des pays désignés NPF. Uniformes Canadiens est d’avis que la suppression des droits sur les tissus en question en provenance de sources NPF, combinée à leur maintien sur les vêtements finis, permettraient que le coût inférieur des tissus en question compense pour le coût plus élevé de la main-d’œuvre au Canada, ce qui améliorerait la compétitivité des marchandises produites au Canada tout en diminuant la menace que représente la concurrence de marchandises en provenance des États-Unis visées par l’ALÉNA, et particulièrement celles qui bénéficient de l’accès aux programmes 807/ 807A.

Uniformes Canadiens a proposé que l’utilisation finale incluse dans la description du tissu soit 9‚tendue de «chemises et pantalons de travail» à «vêtements de travail», puisque les tissus en question peuvent également servir à fabriquer des tabliers-blouses, des tabliers de chef, des blouses pour le service au comptoir, des tabliers de boucher, des blouses ou sarraus de laboratoire, des combinaisons, des salopettes de travail et ainsi de suite. De même, Uniformes Canadiens a demandé que l’allégement tarifaire, s’il est accordé, s’applique sur tous les tissus importés sous le numéro de classement 5514.22.00.10.

Selon l’exposé d’Uniformes Canadiens, la principale menace à l’industrie nationale émane des importations de vêtements finis en provenance tant des États-Unis que de l’Asie. Lorsque les droits de douane sur les vêtements en provenance des États-Unis seront supprimés dans deux ans, les coûts de main-d’œuvre plus élevés au Canada réduiront sérieusement la capacité de l’industrie nationale de faire face à la concurrence, particulièrement alors que l’industrie des États-Unis bénéficiera d’un avantage supplémentaire, soit la diminution de ses coûts par le traitement à l’extérieur en application des programmes 807/807A de perfectionnement passif.

Uniformes Canadiens prévoit que, si l’allégement tarifaire est accordé sur les importations en provenance de tous les pays désignés NPF, elle pourrait diminuer son coût global de production en important de ces pays et ainsi confectionner des combinaisons de travail à un prix compétitif par rapport aux produits de l’Asie. L’allégement tarifaire lui permettrait aussi d’augmenter son effectif et de diminuer ses stocks, ce qui réduirait davantage les coûts et améliorerait la qualité du service.

La société Anchor Textiles (Anchor), de Toronto, est la division de confection de Work Wear Corporation of Canada Ltd., qui fait principalement affaire dans le secteur de la location de vêtements industriels. Présentement, Anchor importe les tissus en question dans une variété de couleurs et les transforme en vêtements finis, à savoir des vestons, des pantalons, des combinaisons-pantalons, des combinaisons et d’autres vêtements pour usages industriels, qu’elle produit depuis 1962. Anchor est d’accord avec l’affirmation de Buckeye, selon laquelle on ne peut pas obtenir au Canada de tissus identiques ou substituables et, par conséquent, ne fait pas opposition à la demande.

Anchor soutient que, pour qu’un tissu soit substituable aux tissus en question, il faut qu’il soit constitué d’un mélange de polyester à 65 p. 100 et de coton à 35 p. 100, soit pré-rétréci et uniformément teint dans la masse. La résistance au retrait et l’uniformité des coloris sont des facteurs très importants pour les clients d’Anchor. Même si elle soutient que la société Impressions permanentes de Montréal Ltée a manifesté un certain intérêt de lui fournir un tissu substituable, cette dernière ne peut pas encore fournir, en quantité voulue, un tissu doté des caractéristiques recherchées.

La société Pro Safety Accessories Inc. (Pro Safety), de Brampton (Ontario), confectionne des chemises, des pantalons, des combinaisons et des sacs de transport pour répondre à la demande militaire et fournit des vêtements de protection à l’industrie forestière depuis 1983. Présentement, elle achète les tissus en question de Buckeye. De 1992 à 1995, Pro Safety a acheté les tissus en question de la société Graniteville Company des États-Unis. Avant 1992, Pro Safety achetait tous les tissus dont elle avait besoin de Dominion Textile. Comme les autres utilisateurs et importateurs, elle soutient qu’il n’est pas possible de se procurer de tissus identiques ou substituables à partir de la production nationale et elle appuie la demande de Buckeye parce que l’allégement tarifaire signifierait pour elle une baisse des prix. Elle n’appuie pas la demande de Buckeye quant à l’effet rétroactif de l’allégement tarifaire dans la mesure où elle croit que tous les remboursements seraient gardés par Buckeye et non transmis à ses clients.

Pro Safety a discuté de la possibilité d’acheter des tissus de Doubletex Inc. (Doubletex), mais Doubletex n’offre pas un tissu substituable et ne peut pas dire quand elle pourra en offrir. Doubletex aurait indiqué qu’elle examine le problème mais, jusqu’à présent, les seuls tissus qu’elle est en mesure de fournir sont des tissus légers en rouleaux, sans apprêt spécial. Pro Safety achète environ 25 000 mètres linéaires de tissu chaque année et indique que, si les droits étaient supprimés, elle économiserait environ 5 000 $. Selon l’exposé de Pro Safety, cette économie aurait peu d’incidence sur le nombre de travailleurs qu’elle emploie, sur sa production et sur ses efforts d’investissement.

La société J.P. Hammill & Son Limited (Hammill), de Guelph (Ontario), appuie la demande de Buckeye parce qu’il ne se produit au Canada aucun tissu identique ou substituable depuis 1992. Selon son exposé, un tissu substituable acceptable devrait être fait à partir d’un tissu grège dont les caractéristiques demeurent constantes et tissé selon les prescriptions précisées dans la demande de Buckeye. Hammill a aussi indiqué que, pour obtenir un tissu acceptable, le tissage et l’apprêt devraient être effectués par un même fournisseur. On pourrait ainsi compter sur la continuité dans les méthodes d’apprêt et obtenir la meilleure précision possible de coloris dans les longues séries de production.

L’exposé de Hammill indique également que les procédés d’apprêt en lots ou en semi-continu ne conviennent pas parce que la teinture doit être faite dans la masse afin de résister aux lavages vigoureux, à domicile ou en milieu industriel. Selon l’exposé, on peut facilement obtenir des tissus dotés de telles caractéristiques des usines des États-Unis, mais aucune usine canadienne n’en offre présentement.

Hammill dit avoir tenté de se procurer des tissus identiques ou substituables à partir de la production nationale, mais ses tentatives se sont révélées vaines. Aucun fournisseur national ne pouvait offrir un approvisionnement stable de tissus grèges convenables à un prix concurrentiel, et le procédé de teinture en lots utilisé par les entreprises canadiennes produit des différences de coloris inacceptables entre les lots. Hammill a ajouté qu’aucune des entreprises nationales ne pouvait fournir de tissu d’un poids convenant à la confection de pantalons. De même, Hammill a récemment tenté de s’approvisionner au Canada en tissus légers destinés à la confection de chemises à armure popeline, mais aucune entreprise n’a été en mesure de fournir un tissu acceptable teint dans la masse.

La société Codet Inc. (Codet), de Coaticook (Québec), a indiqué qu’elle achetait à l’origine des tissus identiques ou substituables de Dominion Textile. Quand cette source a disparu, Codet n’a pas pu trouver d’usine au Canada qui lui fournirait, en quantité voulue, un tissu possédant la résistance nécessaire à un usage industriel; elle a dû se tourner vers les États-Unis pour approvisionner sa production. Selon l’exposé de Codet, l’allégement tarifaire lui permettrait de mieux concurrencer les produits finis en provenance des États-Unis et d’Asie.

La société Baker Textiles Inc., de Montréal (Québec), est une société importatrice des tissus en question. Elle soutient qu’aucun tissu identique ou substituable n’est fabriqué au Canada et appuie la demande d’allégement tarifaire de Buckeye, dans la mesure où un tel allégement ne serait pas octroyé uniquement à Buckeye. Elle fait observer qu’elle importe les tissus en question et les revend aux entreprises de confection comme Buckeye et qu’elle devrait, par conséquent, être admissible au même allégement tarifaire que cette dernière, pour demeurer concurrentielle.

L’ICT indique qu’il a, de concert avec Buckeye, établi le libellé de la description du tissu qui conviendrait à la fois à la demande de Buckeye ainsi qu’à l’ICT et à ses membres, facilitant d’autant le traitement de la question pour toutes les parties. Les deux parties se sont mises d’accord, sur un point clé, à savoir que Buckeye ne demande un allégement tarifaire que sur certains tissus en provenance des États-Unis. Cette question, selon l’ICT, revêt une importance considérable parce que les producteurs canadiens tiennent à ce que les droits ne soient pas supprimés sur des tissus en question en provenance de tout autre pays. De même, l’ICT fait observer que la disposition visant l’utilisation finale, telle qu’elle est énoncée dans l’avis d’ouverture d’enquête, c.-à-d. la confection de chemises et pantalons de travail, ne peut être administrée sous sa forme actuelle et devrait faire l’objet d’une définition plus précise. L’ICT propose de la définir plutôt en termes de chemises pour hommes et de pantalons pour hommes.

Quant à la question de savoir si le Tribunal devrait examiner le bien-fondé de recommander l’allégement tarifaire sur les importations des tissus en question en provenance de tous les pays désignés NPF, l’ICT soutient que la demande de Buckeye ne visait que les importations en provenance des États-Unis et que cette société n’a pas demandé au Tribunal de considérer l’allégement tarifaire sur les importations en provenance des pays NPF. L’ICT soutient qu’aux termes de son mandat, le Tribunal peut recommander l’allégement tarifaire relativement aux États-Unis seulement et que le gouverneur en conseil est autorisé à mettre en œuvre une telle recommandation.

La société Consoltex Inc. (Consoltex), de Ville Saint-Laurent (Québec), fabrique sept tissus (quatre à armure sergé et trois à armure toile) qu’elle vend principalement pour des fins de confection d’uniformes. Elle fabrique aussi quatre autres tissus qu’elle vend dans le cadre de sa gamme normale de produits et qui ne sont pas destinés strictement à la confection d’uniformes. Consoltex soutient que sa position à l’égard de l’allégement tarifaire sur les tissus en question dépend entièrement des pays visés par l’allégement tarifaire, s’il est accordé. Consoltex ne fait pas opposition à la demande de Buckeye si l’allégement tarifaire n’est accordé que sur les importations en provenance des États-Unis, puisque les tissus en question entreront au Canada en franchise à compter du 1er janvier 1998, aux termes de l’ALÉNA. Cependant, Consoltex s’oppose à la demande si l’allégement tarifaire vise les importations des tissus en question en provenance de tout autre pays, parce qu’elle produit et vend des tissus constitués de mélanges de polyester et de coton, et d’autres tissus, qui font directement concurrence aux tissus en question dans l’industrie de la confection d’uniformes. Consoltex a allégué que l’octroi d’un allégement tarifaire pour des tissus en question en provenance de pays autres que les États-Unis nuirait à ses ventes de tissus identiques ou substituables.

Le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international a informé le Tribunal que le Canada impose des contingents sur les importations de tissus constitués de mélanges de polyester et de coton en provenance de la Chine, de Hong Kong, de la République de Corée et de Taïwan. La majeure partie des importations des tissus en question en provenance de ces pays provient de la Chine, qui ne s’est servie que d’un peu plus de la moitié du contingent fixé en 1995.

Revenu Canada a confirmé que l’administration de l’allégement tarifaire sur les tissus en question, si on se sert de sa définition proposée, n’entraînerait aucun coût supplémentaire. Toutefois, s’il est fait mention de la résistance à la traction, la résistance à la déchirure, le rétrécissement, la douceur, la résistance à l’abrasion, la résistance au glissement de la couture et la résistance au boulochage, les essais supplémentaires alors nécessaires pour chacun des types de tissu entraîneraient un coût additionnel de 900 $ pour chaque importation.

ANALYSE

Aux termes de son mandat, le Tribunal est tenu d’évaluer l’incidence économique d’une réduction ou d’une suppression des droits de douane sur les producteurs nationaux de textiles et les entreprises de confection de vêtements en aval. Par conséquent, la décision du Tribunal de recommander ou non l’allégement tarifaire est fondée sur la mesure dans laquelle il considère qu’un tel allégement entraînerait des gains économiques nets au Canada.

Dans la présente cause, la décision du Tribunal a été facilitée par une entente intervenue entre Buckeye et l’ICT sur une description mutuellement acceptable des tissus en question et sur la condition que l’allégement tarifaire ne viserait que les tissus en provenance des États-Unis.

Dans sa demande, Buckeye a soutenu que, jusqu’en 1992, elle achetait les tissus identiques ou substituables de Dominion Textile. Lorsque Dominion Textile a cessé de fabriquer les tissus en 1992, Buckeye a tenté de trouver, en vain, un autre fournisseur national. Par conséquent, elle a commencé à acheter les tissus en question d’un fournisseur des États-Unis, comme l’ont fait tous les utilisateurs et importateurs des tissus en question qui ont répondu aux questionnaires du Tribunal. Bien que certains éléments au dossier indiquent que de petites quantités de tissus identiques ou substituables pourraient être disponibles en provenance des producteurs nationaux par l’entremise de sociétés comme Consoltex, Doubletex et Impressions permanentes de Montréal Ltée, tous les utilisateurs et importateurs qui ont répondu aux questionnaires du Tribunal ont soutenu que, lorsque Dominion Textile a cessé de produire des tissus identiques ou substituables, ils n’ont pas pu trouver de sources nationales capables de leur fournir la qualité et la quantité de tissus dont ils avaient besoin et se sont vu contraints d’importer les tissus en question des États-Unis.

Le Tribunal note que Consoltex a été le seul fournisseur national d’un tissu prétendument identique ou substituable à présenter des observations sur la demande de Buckeye. Consoltex ne s’oppose pas à la demande de Buckeye à condition que la recommandation d’allégement tarifaire du Tribunal ne s’applique uniquement que sur les importations des tissus en question en provenance des États-Unis.

En résumé, il n’existe aucun élément de preuve au dossier qu’un producteur national de tissus ou une entreprise d’ennoblissement nationale ait produit ou offert un tissu d’une qualité comparable aux tissus en question, en provenance des États-Unis, en quantité suffisante pour les utilisateurs nationaux depuis que Dominion Textile a cessé de les produire en 1992.

Par conséquent, le Tribunal détermine que le gain économique net qui résulterait de l’allégement tarifaire demandé correspondrait à la valeur des droits qui, si ce n’était de l’allégement tarifaire, auraient été perçus sur les importations des tissus en question en provenance des États-Unis. Selon les prévisions, la valeur des droits sur les importations des tissus en question sera de 290 000 $ en 1997 et deviendra nulle le 1er janvier 1998, lorsque les droits dont sont passibles les importations des tissus en provenance des États-Unis seront entièrement supprimés.

Étant donné l’absence apparente de production nationale de tissus identiques ou substituables, le Tribunal est d’avis que l’allégement tarifaire n’entraînera aucun coût pour les producteurs nationaux de tissus. De même, le Tribunal est aussi d’avis que l’allégement tarifaire sur les tissus en question aidera toutes les entreprises de confection des vêtements finis à faire concurrence aux importations de telles marchandises finis en provenance de pays où prévalent de moindres coûts de main-d’œuvre et des intrants.

Après que le Tribunal a diffusé son avis d’ouverture d’enquête, un certain nombre de parties ont demandé que la portée de l’enquête soit étendue pour inclure des tissus et des utilisations finales dont il n’était pas fait mention dans l’avis d’ouverture d’enquête du Tribunal. En outre, certaines parties ont demandé que le Tribunal examine le bien-fondé de recommander un allégement tarifaire sur les importations en provenance des pays désignés NPF plutôt qu’uniquement sur les importations en provenance des États-Unis. Le Tribunal a décidé de ne pas étendre la portée de l’enquête. Pour en arriver à cette décision, le Tribunal a tenu compte du fait que l’avis d’ouverture d’enquête définissait de façon précise le type de tissu et l’utilisation finale visés par la demande d’allégement tarifaire de Buckeye. L’avis indiquait aussi que Buckeye n’avait demandé l’allégement tarifaire que sur les tissus en provenance des États-Unis.

De l’avis du Tribunal, étendre sensiblement la portée de l’enquête, après avoir publié son avis d’ouverture d’enquête, serait injuste, et pourrait porter préjudice envers les personnes qui, sur la foi de l’avis, ont choisi de ne pas participer à l’enquête parce qu’elles croyaient n’y avoir aucun «intérêt». Étant donné le morcellement et la spécialisation caractéristiques aux industries du tissu et du vêtement, il est probable que certaines parties auraient choisi d’intervenir dans l’enquête, si l’avis d’ouverture d’enquête avait inclus les tissus, les utilisations finales et les sources de tissus supplémentaires que les parties intéressées ont demandé au Tribunal d’examiner.

Toute partie qui souhaite obtenir un allégement tarifaire sur les tissus non visés par le présent rapport peut, bien sûr, déposer une demande dont le dossier est complet.

Quant à la demande de Buckeye visant un allégement tarifaire avec effet rétroactif, le Tribunal est d’avis qu’il n’existe pas de circonstances de concurrence extraordinaire sur le marché national qui justifient une telle recommandation. Cependant, le Tribunal recommande au Ministre que la mise en œuvre de sa recommandation entre en vigueur à la date du présent rapport.

RECOMMANDATION

Compte tenu des renseignements susmentionnés et des éléments de preuve mis à la disposition du Tribunal dans cette affaire, le Tribunal recommande au Ministre, par la présente, de supprimer pour une période indéterminée les droits de douane sur les importations des tissus suivants en provenance et importés des États-Unis :

1) Tissus teints, à armure sergé, dont le rapport d’armure n’excède pas 4, classés dans le numéro tarifaire 5513.22.00 ou 5514.22.00, contenant 65 p. 100 en poids de fibres discontinues de polyester et 35 p. 100 en poids de coton, ayant au moins 415 fils de chaîne au 10 cm et au moins 240 fils de trame au 10 cm, d’un poids d’au moins 160 g/m² mais n’excédant pas 190 g/m², destinés à être utilisés dans la confection de chemises pour hommes.

2) Tissus teints, à armure sergé, dont le rapport d’armure n’excède pas 4, classés dans le numéro tarifaire 5514.22.00, contenant 65 p. 100 en poids de fibres discontinues de polyester et 35 p. 100 en poids de coton, ayant au moins 425 fils de chaîne au 10 cm et au moins 165 fils de trame au 10 cm, d’un poids d’au moins 260 g/m² mais n’excédant pas 290 g/m², destinés à être utilisés dans la confection de pantalons pour hommes.

Le Tribunal recommande en outre au Ministre que l’allégement tarifaire entre en vigueur à la date du présent rapport.

Arthur B. Trudeau
_________________________
Arthur B. Trudeau
Membre présidant


Desmond Hallissey
_________________________
Desmond Hallissey
Membre


Lyle M. Russell
_________________________
Lyle M. Russell
Membre


1. L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.).

2. Les 20 mars et 24 juillet 1996, le ministre des Finances a révisé ledit mandat.

3. Vol. 130, no 28 à la p. 1913.

4. L.R.C. (1985), ch. 41 (3e suppl.).


[ Table des matières]

Publication initiale : le 19 décembre 1996