JONES APPAREL GROUP CANADA INC.

Enquêtes


RAPPORT AU
MINISTRE DES FINANCES
DEMANDES D’ALLÉGEMENT TARIFAIRE DÉPOSÉES PAR JONES APPAREL GROUP CANADA INC. CONCERNANT DES TISSUS DE RAYONNE ET POLYESTER
LE 8 JUILLET 1999

TABLE DES MATIÈRES


Demande no : TR-98-017

Membre du Tribunal : Anita Szlazak, membre présidant


Directeur de la recherche : Réal Roy


Agent de la recherche : Peter Rakowksi


Préposée aux statistiques : Lise Lacombe


Avocate pour le Tribunal : Michèle Hurteau


Agente à l’inscription et

à la distribution : Claudette Friesen

Adresser toutes les communications au :

Secrétaire
Tribunal canadien du commerce extérieur
Standard Life Centre
333, avenue Laurier ouest
15e étage
Ottawa (Ontario)
K1A 0G7

INTRODUCTION

Le 14 juillet 1994, le Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) [1] a reçu du ministre des Finances (le Ministre), aux termes de l’article 19 de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur [2] , le mandat de faire enquête sur les demandes présentées par les producteurs nationaux qui souhaitent obtenir des allégements tarifaires sur les intrants textiles importés dans le cadre de leurs activités de fabrication, et de formuler des recommandations au Ministre à propos de ces demandes.

Le 5 février 1999, conformément au mandat confié par le Ministre, le Tribunal a reçu de la société Jones Apparel Group Canada Inc. (Jones), de Vaughan, en Ontario, une demande de suppression, pour une période indéterminée, des droits de douanes sur les importations de tissus de rayonne et de polyester devant servir à la confection de vestons, blazers, robes, jupes, pantalons, shorts, jupes-culottes et gilets pour dames. Jones demandait aussi que cet allégement tarifaire soit rétroactif au 1er juillet 1998.

Le 12 mars 1999, convaincu que le dossier de la demande était complet, le Tribunal a publié un avis d’ouverture d’enquête qui a fait l’objet d’une large distribution et a paru dans la Partie 1 de la Gazette du Canada [3] du 20 mars 1999. Dans cet avis d’ouverture d’enquête, les tissus pour lesquels l’allégement tarifaire est demandé sont décrits comme des « tissus de rayonne/polyester, des numéros tarifaires 5408.32.90, 5408.33.90 et 5408.34.90, teints, imprimés ou faits de fils de diverses couleurs, contenant surtout des filaments de rayonne, mélangés uniquement avec des filaments de polyester, avec une torsion moyenne de fils d’au moins 1 500 tours par mètre dans la chaîne et dans la trame, d’un poids de 200 g/m2 ou plus, mais n’excédant pas 325 g/m2, évalués à 9 $/m2 ou plus, devant servir à la fabrication de vestes, blazers, robes, jupes, pantalons, shorts, jupes-culottes et gilets pour femmes (les tissus en question) ».

Dans le cadre de l’enquête, le personnel de la recherche du Tribunal a fait parvenir des questionnaires aux producteurs éventuels de tissus identiques ou substituables aux tissus en question. Des questionnaires ont également été expédiés aux importateurs et aux utilisateurs éventuels des tissus en question. Le Tribunal a fait parvenir au ministère du Revenu National (Revenu Canada) une lettre lui demandant son avis sur le classement tarifaire des tissus en question, ainsi qu’un échantillon de ces tissus pour que leurs caractéristiques techniques soient analysées. En outre, des renseignements à jour sur les restrictions quantitatives à l’importation pour les tissus en question ont été demandés au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (MAECI); le ministère de l’Industrie a été avisé de ces demandes et le Tribunal lui a demandé de fournir les renseignements et les avis pertinents. Le ministère des Finances a également été avisé de la demande.

Un rapport d’enquête, résumant les renseignements reçus de ces ministères, de Jones et d’autres parties intéressées, a été fourni aux parties ayant déposé un acte de comparution.

Il n’y a pas eu d’audience publique dans le cadre de la présente enquête.

RENSEIGNEMENTS SUR LES PRODUITS

Les tissus en question servent à la confection de vestons, blazers, robes, jupes, pantalons, shorts, jupes-culottes et gilets pour dames. Il s’agit de tissus faits de rayonne et de polyester, qui sont tissés à partir de filés de fibres très fins qui ont une haute torsion. Les tissus en question ont aussi un « toucher » particulier qui les rend infroissables. Ce sont des tissus quatre-saisons, mais relativement légers.

Revenu Canada a avisé le Tribunal que les tissus en question sont classés dans les numéros tarifaires 5408.32.90, 5408.33.90 et 5408.34.90, et sont actuellement passibles de droits de douane de 16 p. 100 ad valorem en vertu du tarif NPF, de 10 p. 100 ad valorem en vertu du tarif du Chili, et entrent en franchise en vertu des tarifs des États-Unis et du Mexique et de l’Accord Canada-Israël.

OBSERVATIONS

Jones

La société Jones, située à Vaughan, en Ontario, fait affaire aux États-Unis depuis 28 ans et au Canada, depuis 15 ans. Elle a soutenu qu’elle prend rapidement de l’expansion sur le marché canadien et que ses perspectives de croissance, pour ce qui est de l’emploi et des investissements au Canada, sont excellentes. Elle a de plus fait valoir que, pour que cette croissance se maintienne au Canada, il est important que sa production canadienne de vêtements soit aussi concurrentielle que possible. Les droits de douane sur des tissus qu’il est impossible de se procurer au Canada et aux États-Unis et qu’il faut acheter d’un petit nombre de filatures au Japon sont un facteur concurrentiel clé.

Jones a soutenu que les tissus en question sont tissés à partir de fils très fins exclusifs à une filature japonaise. Jones a mentionné qu’il est peut-être techniquement impossible aux usines canadiennes de tisser ces tissus ou de se procurer le fil essentiel à la fabrication de ces tissus pour les produire au Canada. La société a de plus soutenu que les tissus en question sont relativement chers, le coût à destination dépassant 9 $/m2.

Jones a maintenu que les tissus en question ont un « toucher » particulier qui les rend infroissables, une qualité en général associée aux tissus traités ou enduits. Jones a de plus fait valoir qu’elle a donné des échantillons de ce tissu aux sociétés Cleyn & Tinker Inc.( Cleyn & Tinker) et à Consoltex Inc. (Consoltex). Ces deux entreprises ont admis ne pas pouvoir fabriquer ce tissu.

Jones a allégué que les tissus de Consoltex occupent un créneau de marché plus restreint et sont techniquement différents des tissus en question. Jones a fait remarquer que les fils de chaîne et de trame des tissus en question ont une torsion de plus de 1 500 tours, alors que les tissus offerts par Consoltex ne sont aucunement semblables. Jones a ajouté que les tissus à haute torsion de Consoltex se vendent bien moins cher que les tissus en question et que, par conséquent, l’allégement tarifaire n’aurait pas de conséquences sur Consoltex parce que, même une fois les droits de douane supprimés, les tissus de Consoltex demeureraient beaucoup moins chers.

Jones a affirmé que, bien que les tissus de la présente affaire et ceux qui ont fait l’objet du réexamen no TA-97-001 [4] (c.-à-d. certains tissus teints faits de polyester et de rayonne) sont des tissus à haute torsion, la demande actuelle concerne des tissus à prix élevé, dont les fils de trame et de chaîne ont une torsion de plus de 1 500 tours, et qui sont destinés à une utilisation finale particulière. Jones a maintenu que le réexamen no TA-97-001 concernait des tissus ressemblant beaucoup plus, au niveau du prix et des spécifications techniques, aux tissus de Consoltex que de ceux de la présente affaire.

À propos des affirmations de Consoltex quant à l’exclusivité du fil, Jones a affirmé que le fait que Consoltex a pu trouver des fils comparables dans d’autres parties du monde indique qu’il n’y a pas d’exclusivité pour les fils utilisés dans la production des tissus en question et démontre la nature concurrentielle de ce marché. En réponse à l’affirmation voulant que Jones contrôle ses fournisseurs japonais, la société a déclaré que les faits n’appuient pas cette allégation et qu’il n’y a rien dans la définition du tissu qui implique l’exclusivité ou oblige à l’exclusivité.

Tandis que Consoltex a soutenu qu’elle ne peut pas fabriquer les tissus parce qu’elle ne peut pas se procurer le fil à un prix concurrentiel, et qu’elle subit par conséquent un coüt de renonciation sous forme de marges et de ventes perdues, Jones a allégué que Consoltex ne peut pas alléguer de marges et de ventes perdues si elle ne peut pas fabriquer le produit.

Jones a fait valoir que, à sa connaissance, aucune usine canadienne de textiles ne fabrique de tissu de rayonne et de polyester à haute torsion dont les fils de chaîne et de trame ont plus de 1 500 tours le mètre. Selon Jones, la suppression des droits de douane profiterait aux fabricants de vêtements canadiens sans qu’il en coûte à l’industrie textile canadienne.

Finalement, Jones a réfuté l’argument de l’Institut canadien des textiles selon lequel la suppression des droits de douane permettrait aux tissus en question de faire concurrence aux tissus nationaux et importés utilisés en ce moment pour la fabrication des vêtements à prix plus abordables. Jones a soutenu que cela n’est pas vrai étant donné que la marque, la coupe ou l’étiquette du vêtement fini, à l’intérieur d’une certaine fourchette de prix, est le fondement de la segmentation dans les magasins.

Créations D’Oraz Ltée (D’Oraz)

D’Oraz a déclaré qu’elle n’utilise pas en ce moment les tissus des numéros tarifaires 5408.32.90, 5408.33.90 et 5408.34.90, et n’a pas répondu au questionnaire du Tribunal. Cependant, elle a fortement appuyé la demande d’allégement tarifaire, puisqu’elle pourrait utiliser, dans un avenir proche, ces tissus pour ses propres collections.

Louben Sportswear Inc. (Louben)

Bien que Louben ait affirmé ne pas importer actuellement les tissus en question et qu’elle n’ait pas répondu au questionnaire du Tribunal, elle a appuyé la demande d’allégement tarifaire, étant donné qu’il se peut qu’elle importe ces tissus à l’avenir.

Nygård International (Nygård)

Nygård a déclaré qu’elle ne fabrique pas de vêtements avec les tissus en question et qu’elle ne répondrait pas au questionnaire. Elle a aussi mentionné qu’elle ne ferait pas opposition à la demande d’allégement tarifaire.

Consoltex

Le siège social de Consoltex se trouve à Ville St-Laurent, au Québec; la société emploie environ 500 personnes.

Consoltex a affirmé avoir investi des sommes importantes pour le développement de produits et pour l’équipement nécessaire à la production de tissus faits de fils à haute torsion. Selon Consoltex, il y a 15 mois sa gamme de produits faits de fils à haute torsion ne comprenait que 4 tissus, tandis que la société en fabrique maintenant 18 et s’attend à ce que ce nombre augmente. Elle a soutenu que, jusqu’à présent, la réponse du marché a été bonne aux États-Unis et plus faible au Canada. Elle prévoit, pour 1999, une augmentation de ses prix moyens, qui refléteront la plus grande valeur des tissus récemment mis au point.

Consoltex a fait opposition à la demande d’allégement tarifaire pour ce qu’elle appelle un « tissu à haute torsion particulier » [traduction], parce qu’il s’agit d’une occasion importante d’augmenter ses ventes de tissus faits de fils à haute torsion, que l’entreprise vend activement depuis 1997. Consoltex a fait valoir qu’elle est extrêmement intéressée à fournir à Jones ce qu’elle considère comme des volumes importants. Elle a affirmé, à supposer que le fil soit disponible à un prix raisonnable, avoir confiance en sa capacité de réussir à produire un tissu identique.

Consoltex a allégué que le Tribunal a reconnu ses progrès dans son Rapport au ministre des Finances du réexamen no TA-97-001 [5] , lorsqu’il a mentionné que, selon les éléments de preuve au dossier, Consoltex a établi un approvisionnement commercial de fils à haute torsion, investi des sommes d’argent pour les installations de tissage de ces fils et produit quatre tissus à partir de ces fils. En outre, dans le même rapport, le Tribunal se dit également d’avis que Consoltex continuera, dans l’avenir proche, à concevoir et à mettre en vente d’autres tissus produits à partir de fils à haute torsion.

Consoltex a allégué avoir fourni à Jones des échantillons de plusieurs tissus fabriqués à partir de fils à haute torsion, mais a mentionné que Jones n’a pas passé de commande, ou en a peu passé. Consoltex a également déposé cinq échantillons de tissus auprès du Tribunal, pour démontrer sa capacité de produire des tissus faits de fils à haute torsion.

Consoltex a de plus soutenu que, étant donné le chiffre d’affaires potentiel pour les tissus en question, elle a obtenu des cotations de prix et de livraison pour un fil ayant une torsion d’au moins 1 600 tours le mètre qui pourrait être utilisé pour la fabrication de tissus identiques. Consoltex a affirmé que le prix qui lui a été cité était cependant irréaliste et que se procurer ce fil aurait été presque aussi coûteux que se procurer le tissu importé.

Cleyn & Tinker

Cleyn & Tinker a répondu que la présente affaire ne l’intéressait pas et que l’entreprise ne déposerait pas de réponse au questionnaire.

Institut canadien des textiles (l’ICT)

L’ICT a affirmé que la fabrication des tissus en question est contrôlée à l’extérieur du pays au moyen d’ententes d’approvisionnement exclusif, que Jones semble avoir l’exclusivité des droits canadiens pour les tissus en question et que supprimer les droits NPF au Canada ne ferait qu’augmenter davantage les profits de la société Jones. L’ICT a maintenu que les droits de douane ne devraient pas être supprimés et qu’il ne faudrait pas renoncer aux revenus des douanes simplement parce qu’un concurrent étranger restreint l’approvisionnement en matières essentielles à une industrie au Canada, ou en limite la disponibilité.

L’ICT a soutenu que les tissus en question seront probablement importés en plus grande quantité à l’avenir si le tarif NPF est supprimé. La suppression du tarif permettrait par conséquent aux tissus en question de faire concurrence aux tissus utilisés en ce moment pour la confection de vêtements à prix plus abordables.

Selon l’ICT, Jones a rejeté la possibilité de remplacer les tissus en question par des tissus canadiens et a exprimé des doutes quant à la compétence de la branche de production nationale pour fabriquer des tissus à prix élevé. L’ICT a soutenu que cette attitude est inacceptable étant donné que le prix des tissus de Consoltex augmente.

L’ICT a soutenu que la description du produit qui se trouve dans l’avis d’ouverture d’enquête comprend deux numéros tarifaires pour lesquels ni échantillon ni élément de preuve n’ont été fournis. Selon l‘ICT, la branche de production nationale court donc le risque de perdre la protection tarifaire pour des numéros tarifaires importants pour elle et, plus précisément, pour Consoltex.

L’ICT a ajouté que, dans la présente affaire, le Tribunal doit décider si un producteur national compétent faisant état de réussites récentes dans la production de tissus fabriqués à partir de fils à haute torsion sera en mesure de concurrencer ses compétiteurs dans un environnement tarifaire normal, ou s’il perdra cette possibilité dans un environnement tarifaire où un allégement aura été accordé pour que les profits de Jones et de ses fournisseurs étrangers augmentent.

Pour ces motifs, l’ICT demande avec insistance au Tribunal de rejeter la demande d’allégement tarifaire.

L’Institut canadien des manufacturiers du vêtement (ICMV)

L’ICMV a déposé un exposé au nom des membres de la Fédération canadienne du vêtement (FCV). La FCV appuie totalement la position du demandeur, à savoir que les fabricants nationaux de textiles ne produisent pas de tissus identiques ou substituables aux tissus en question, et que l’allégement tarifaire devrait être accordé pour les tissus en question.

La FCV a allégué que le prix des tissus en question, soit environ 9 $/m2, est très élevé (beaucoup plus que le coût de tissus comparables produits par des fabricants canadiens de textiles), qu’ils sont uniques et qu’il est impossible de se les procurer au Canada.

La FCV a fait remarquer que, bien que Consoltex pr?E9‚tende avoir la capacité nécessaire pour fabriquer des tissus identiques, ce n’est qu’à condition que le producteur de fil lui vende les fils nécessaires. La FCV a soutenu qu’il est évident que les fabricants nationaux n’ont pas été capables de répondre à la demande du marché pour les tissus en question et qu’ils ne sont pas en mesure de le faire en ce moment. La FCV a en outre affirmé que si les détaillants n’arrivent pas à se procurer ce qu’ils veulent au Canada, ils vont déménager leur entreprise dans d’autres pays, ce qui entraînera la perte d’emplois canadiens.

La FCV a allégué qu’aux termes du mandat du Ministre, les répercussions économiques sur les producteurs nationaux de textiles ainsi que sur les producteurs en aval (en fonction des coûts et des avantages commerciaux) de la réduction du tarif doivent être évaluées. La FCV a aussi fait valoir que d’autres facteurs, tels que la capacité des producteurs nationaux de desservir les industries canadiennes en aval (compte tenu de choses comme la livraison et d’autres exigences techniques) doivent également être pris en compte. Par conséquent, la FCV a fait valoir que, avant de rejeter la présente demande, le Tribunal devrait être convaincu que Consoltex possède la capacité de fabriquer des tissus identiques aux tissus en question ou qui peuvent remplacer les tissus en question, en quantité commerciale, à un prix qui les rendrait acceptables par le marché. La FCV a prétendu qu’aucun élément de preuve ne confirme que c’est le cas.

En ce qui a trait aux affirmations de Consoltex selon lesquelles elle perdrait une occasion d’affaire, la FCV a fait valoir que, si le Tribunal accepte l’argument relatif au coût de renonciation avancé par l’ICT, tous les fabricants de textiles n’ont qu’à mentionner une mise en production « prévue » produire et faire valoir le coût de renonciation des attentes non réalisées pour convaincre le Tribunal de refuser toute demande d’allégement tarifaire. Une décision de ce genre créerait un précédent sérieux, grâce auquel toutes les demandes d’allégement aux termes du mandat pourraient être refusées en raison d’occasions éventuelles ou pour des motifs semblables. Selon la FCV, la notion de coût de renonciation devrait être rejetée parce qu’accorder l’allégement tarifaire ne coûte rien aux fabricants nationaux et apporterait des profits importants à Jones. La FCV soutient donc que l’allégement tarifaire devrait être accordé jusqu’à ce que la branche de production nationale soit en mesure de fournir le marché.

ANALYSE

Aux termes du mandat qu’il a reçu, le Tribunal est tenu d’évaluer les répercussions économiques d’une réduction ou d’une suppression des droits de douane sur les producteurs nationaux de textiles et les entreprises en aval et, ce faisant, de considérer tous les facteurs pertinents, y compris la possibilité de substituer des tissus nationaux aux tissus en question et la capacité des producteurs nationaux de desservir les industries canadiennes en aval. Par conséquent, toute décision de recommander un allégement tarifaire dépend de la mesure dans laquelle, de l’avis du Tribunal, cet allégement tarifaire apporterait des gains économiques nets au Canada.

La demande de la société Jones concerne un type précis de tissus, soit un tissu de rayonne et de polyester dont les fils de chaîne et de trame ont une torsion moyenne d’au moins 1 500 tours, dont le poids est de 200 g/m2 ou plus, mais ne dépasse pas 325 g/m2, et dont la valeur en douane est d’au moins 9 $/m2. Ces tissus servent à la fabrication de vêtements de qualité pour dames. Jones a allégué qu’il n’existe pas de tissus nationaux identiques ou pouvant remplacer les tissus en question et que Consoltex ainsi que Cleyn & Tinker ont admis ne pas fabriquer ce tissu en ce moment. Jones a également fait valoir que supprimer le tarif l’aiderait à demeurer concurrentielle et à maintenir des emplois au Canada. La FCV a de plus appuyé cette demande en se fondant sur le fait que les fabricants nationaux ne produisent pas les tissus en question.

Consoltex est le seul fabricant national qui fasse opposition à cette demande. Consoltex est le plus important des producteurs canadiens de textiles synthétiques et produit des tissus de nylon, de polyester, de polyester et coton, de polyester et nylon, de polyester et rayonne, de nylon et coton, d’acétate et rayonne, et d’autres mélanges pour le marché des vêtements, ainsi que pour des marchés autres que le marché des vêtements, le marché des produits domestiques et le marché industriel. La société a surtout allégué qu’elle pouvait produire un tissu identique aux tissus en question, ou qui serait substituable aux tissus en question, à condition d’obtenir le fil, et que le fait d’octroyer la demande signifierait pour Consoltex une importante occasion d’affaire perdue qui pourrait résulter, à l’avenir, en marges et en ventes perdues.

L’ICT, au nom de l’industrie canadienne du textile, a incité le Tribunal à rejeter la demande, étant donné que Jones semble détenir les droits exclusifs pour les tissus en question, et qu’il ne devrait pas éliminer des tarifs et renoncer à des revenus de douane simplement parce qu’un concurrent étranger restreint l’approvisionnement en matières essentielles à une industrie au Canada, ou en limite la disponibilité. Selon l’ICT, accorder la demande d’allégement tarifaire entraînerait pour la branche de production nationale (c.-à-d. Consoltex) un coût de renonciation et ne servirait qu’à améliorer les profits de Jones et de ses fournisseurs étrangers.

Au sujet de l’affirmation de Consoltex selon laquelle cette société peut produire un tissu identique, le Tribunal remarque que cette fabrication dépend de la possibilité que Consoltex se procure le fil à un prix raisonnable. Bien que Consoltex ait prouvé qu’elle pourrait se procurer le fil, elle n’a pu démontrer son affirmation que le prix de ce fil serait « raisonnable » [traduction] ou qu’elle pourrait tisser les fils pour en faire un tissu identique ou substituable. En fait, Consoltex a allégué avoir obtenu pour ce fil une cotation si irréaliste que le fil aurait été presque aussi cher que le tissu importé.

Dans plusieurs affaires antérieures [6] , le Tribunal a mentionné qu’il incombait aux producteurs nationaux de fournir des preuves, et non simplement des affirmations, de leur capacité de produire des tissus identiques ou substituables. Par conséquent, en l’absence de preuves supplémentaires, le Tribunal n’est pas persuadé que Consoltex est en ce moment capable de fournir les quantités commerciales de produits fabriqués au Canada identiques aux tissus en question, ou pouvant leur être substitués. Pour ce motif, le Tribunal n’accepte pas l’assertion de Consoltex concernant une perte d’occasions, sous forme de marges bénéficiaires et de ventes futures perdues, si la demande est accordée. Néanmoins, si l’allégement tarifaire est accordé, le Tribunal serait prêt à considérer une future demande de réexamen si Consoltex peut fournir la preuve de sa capacité de produire et de vendre des quantités commerciales de tissus identiques ou substituables aux tissus en question.

Consoltex a également soutenu être déjà établie dans le marché des tissus faits de fils à haute torsion, comme l’a mentionné le Tribunal dans le réexamen no TA-97-001. Le Tribunal admet que Consoltex peut produire des tissus à partir de fils à haute torsion, et qu’elle le fait, mais note qu’aucun des échantillons à haute torsion que Consoltex a fournis pour la présente affaire ne respecte les spécifications des tissus en question décrites dans l’avis d’ouverture d’enquête (c.-à-d. au moins 1 500 tours le mètre pour les fils de chaîne comme pour les fils de trame). Par conséquent, le Tribunal est d’avis que Consoltex n’a pas fait la preuve de sa capacité de produire des tissus identiques aux tissus en question, ou pouvant leur être substitués.

En ce qui a trait à l’analyse de rentabilité, Consoltex a soutenu qu’accorder l’allégement tarifaire pourrait occasionner des coûts de renonciation importants, sous forme de marges bénéficiaires et de ventes perdues. Comme il a déjà été mentionné, le Tribunal rejette cet argument jusqu’à ce que Consoltex puisse démontrer sa capacité de production de tissus identiques ou substituables aux tissus en question. Par conséquent, le Tribunal conclut que les affirmations de Consoltex au sujet des coûts de l’allégement tarifaire ne sont pas fondées.

Les avantages de l’octroi de l’allégement tarifaire pourraient dépasser 200 000 $ par année. Cela permettrait à Jones de prendre de l’expansion et de maintenir des emplois au Canada. De plus, D’Oraz et Louben ont toutes deux appuyé la demande d’allégement tarifaire, compte tenu de la possibilité qu’elles importent ces tissus dans un avenir proche, et Nygård ne s’est pas opposée à la demande. Par conséquent, le Tribunal conclut que l’allégement tarifaire entraînerait des gains économiques nets positifs pour le Canada.

Enfin, concernant l’allégation de l’ICT que le Tribunal a élargi la portée de la demande en incluant trois numéros tarifaires dans la description du produit, plutôt que le seul numéro tarifaire couvert par l’échantillon fourni par Jones, et que l’industrie pourrait perdre les avantages offerts par ces trois numéros tarifaires, le Tribunal fait remarquer ce qui suit : 1) ces numéros tarifaires sont mentionnés dans la demande de Jones; 2) ils concernent des marchandises similaires qui sont teintes, imprimées ou faites à partir de fils de diverses couleurs et 3) ils seront soumis aux mêmes restrictions, à l’importation, que les autres tissus assujettis à la recommandation du Tribunal (c.-à-d. la composition, le numéro tarifaire, le facteur de torsion, le poids, le prix et l’utilisation finale). Le Tribunal est donc d’avis que cette recommandation n’entraînera pas pour l’industrie la perte des avantages offerts par ces numéros tarifaires existants.

En ce qui a trait à la demande d’allégement rétroactif de Jones, le Tribunal a établi dans des affaires antérieures qu’il n’étudiera la possibilité d’accorder un allégement rétroactif que dans des circonstances exceptionnelles. Jones n’a pas fourni de preuves à l’appui d’une telle demande. Le Tribunal n’est, par conséquent, pas persuadé que les circonstances actuelles sont si exceptionnelles qu’elles justifient une recommandation d’allégement rétroactif.

RECOMMANDATION

À la lumière de ce qui précède, le Tribunal recommande par la présente au Ministre d’accorder l’allégement tarifaire, pour une période indéterminée, sur les importations, en provenance de tous les pays, de tissus de rayonne/polyester, des numéros tarifaires 5408.32.90, 5408.33.90 et 5408.34.90, teints, imprimés ou faits de fils de diverses couleurs, contenant surtout des filaments de rayonne, mélangés uniquement avec des filaments de polyester, avec une torsion moyenne de fils d’au moins 1 500 tours par mètre dans la chaîne et dans la trame, d’un poids de 200 g/m2 ou plus, mais n’excédant pas 325 g/m2, évalués à 9 $/m2 ou plus, devant servir à la fabrication de vestes, blazers, robes, jupes, pantalons, shorts, jupes-culottes et gilets pour femmes.

Anita Szlazak
_________________________
Anita Szlazak
Membre présidant


1. Les 20 mars et 24 juillet 1996, et le 26 novembre 1997, le ministre des Finances a révisé ledit mandat.

2. L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.).

3. Vol. 133, no 12 à la p. 774.

4. Rapport au ministre des Finances - Réexamen de la recommandation concernant les tissus connus sous le nom de « gabardine Armani », le 26 février 1998.

5. Ibid à la p. 7.

6. Voir, par exemple, Rapport au ministre des Finances : Demande d'allégement tarifaire déposée par Camp Mate Limited concernant certains tissus constitués de fils continus de nylon non texturés, demande no TR-95-051, le 10 juin 1996; Rapport au ministre des Finances : Demandes d'allégement tarifaire déposées par Lady Americana Sleep Products Inc. et Ameublements El Ran Lée concernant certains tricots chaîne et liés par couture, demandes nos TR-95-064 et TR-95-065, le 12 février 1997; et Rapport au ministre des Finances : Demande d'allégement tarifaire déposée par Cambridge Industries concernant des filet, demande no TR-98-001, le 12 février 1999; Rapport au ministre des Finances : Demande d'allégement tarifaire déposée par Helly Hansen concernant des tricots trame enduits, demandes nos TR-97-015,, TR-97-06 et TR-97-020, le 26 février 1998.


[ Table des matières]

Publication initiale : le 8 juillet 1999