GABARDINE ARMANI

Réexamens


RAPPORT AU
MINISTRE DES FINANCES
RÉEXAMEN DE LA RECOMMANDATION CONCERNANT
LES TISSUS CONNUS SOUS LE NOM DE « GABARDINE ARMANI »
LE 26 FÉVRIER 1998

TABLE DES MATIÈRES


Réexamen No : TA-97-001

Membres du Tribunal : Robert C. Coates, c.r., membre présidant
Arthur B. Trudeau, membre
Raynald Guay, membre


Directeur de la recherche : Réal Roy


Gestionnaire de la recherche : Richard Cossette


Avocat pour le Tribunal : Shelley Rowe


Agent à l’inscription
et à la distribution : Claudette Friesen

Adresser toutes les communications au :

Secrétaire
Tribunal canadien du commerce extérieur
Standard Life Centre
333, avenue Laurier Ouest
15e étage
Ottawa (Ontario)
K1A 0G7

INTRODUCTION

Le 21 octobre 1997, le Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) a donné avis qu’il procéderait à un réexamen de sa recommandation au ministre des Finances (le Ministre) concernant les demandes nos TR-94-011 et TR-94-019 (Les magasins Château du Canada Ltée et Productions Hémisphère Inc.), telle que mise en œuvre par le décret C.P. 1996-630 du 30 avril 1996, qui a ajouté le code 4263 [1] à l’annexe du Décret de 1988 sur la réduction ou la suppression des droits de douane, pris par le décret C.P. 1987-2738 du 31 décembre 1987 [2] . Le numéro tarifaire 5515.11.20 concerne les tissus, à armure satin, de cinq harnais, contenant 65 p. 100 en poids de fibres discontinues de polyester et 35 p. 100 en poids de fibres discontinues de rayonne viscose, avec une torsion excédant 1 000 tours par mètre, d’un poids de 255 g/m2 ou plus mais n’excédant pas 275 g/m2, devant servir à la fabrication de gilets, de pantalons, de jupes, de robes, de shorts et de vestes pour femmes, et de gilets, de pantalons et de vestons pour hommes (les tissus en question). Le numéro tarifaire 5515.11.20 vient à expiration le 30 avril 1998.

L’avis de réexamen a été diffusé et publié dans la Partie I de la Gazette du Canada du 1er novembre 1997 [3] .

Dans le cadre du réexamen, le personnel de la recherche du Tribunal a envoyé un questionnaire aux producteurs potentiels de tissus identiques ou substituables. Un questionnaire a aussi été envoyé aux entreprises recensées comme étant des importateurs et des utilisateurs des tissus en question. Une lettre a été adressée au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international pour obtenir des renseignements au sujet de toute restriction quantitative à l’importation sur les tissus en question. Des lettres ont également été envoyées à plusieurs autres ministères gouvernementaux en vue d’obtenir des renseignements et des avis.

Un rapport d’enquête du personnel, résumant les renseignements reçus des ministères susmentionnés et des entreprises qui ont répondu aux questionnaires du Tribunal, a été remis aux parties intéressées qui avaient déposé des actes de comparution dans le cadre du présent réexamen, c.-à-d. Les vêtements de sports Tribal Inc. (Tribal), l’Institut canadien des textiles (ICT), American Pant International Ltd. (American Pant) et Nygård International Ltd. Après la distribution du rapport d’enquête du personnel, Tribal et l’ICT ont déposé des exposés auprès du Tribunal.

Aucune audience publique n’a été tenue dans le cadre du présent réexamen.

RÉSUMÉ DE LA RECOMMANDATION DE 1995 DU TRIBUNAL

Dans le cadre des demandes nos TR-94-011 et TR-94-019 [4] , le Tribunal, dans son analyse, a d’abord déterminé si un tissu identique ou substituable était produit au Canada puis, l’incidence qu’aurait l’allégement tarifaire sur les producteurs nationaux.

Pour évaluer la « substituabilité des tissus », le Tribunal a retenu divers facteurs, notamment la description technique, l’acceptation par le marché, le prix et la capacité d’approvisionnement. Au sujet de la description technique, le Tribunal a observé que les tissus en question étaient produits à partir de fils à haute torsion, tandis que Consoltex Inc. (Consoltex), un important producteur national de textiles, ne fournissait pas un tissu produit à partir de fils à haute torsion. Les éléments de preuve indiquaient aussi que les caractéristiques de tombant et de toucher recherchées dans les tissus en question étaient dues aux fils à haute torsion.

Au sujet de l’acceptation par le marché, le Tribunal était d’avis que les ventes traditionnelles et prévues des tissus en question prouvaient l’existence d’une demande et d’une acceptation reconnue par le marché pour les tissus en question, tout à fait distinctes de la demande relative aux tissus prétendument substituables de fabrication nationale.

Au sujet du prix, le Tribunal a observé que le prix franco dédouané des tissus en question était sensiblement plus élevé que le prix des tissus fabriqués au pays. Il a aussi constaté une différence entre le prix des produits finals semblables, des jupes par exemple, contenant les tissus en question et celui d’un tissu de fabrication nationale. Le Tribunal a déclaré que le fait que les fabricants nationaux de vêtements soient disposés à payer davantage pour un tissu particulier semblait militer en faveur de l’argument voulant que les tissus de fabrication nationale ne soient pas directement substituables aux tissus en question.

Au sujet de la capacité d’approvisionnement, le Tribunal a observé que, pour disposer d’un motif suffisant pour ne pas accorder l’allégement tarifaire, il avait besoin de plus que de simples assertions de la part des producteurs nationaux quant à la capacité éventuelle d’assurer l’approvisionnement d’un certain tissu.

En résumé, le Tribunal a conclu que les tissus fabriqués au pays n’offraient qu’un degré limité de substituabilité aux tissus en question.

Le Tribunal a tenu compte de ce degré limité de substituabilité dans l’évaluation des avantages et des coûts associés à l’allégement tarifaire. Dans l’ensemble, le Tribunal était d’avis que les avantages estimatifs que procurerait l’allégement tarifaire, à court terme, seraient supérieurs, et de loin, à tous les coûts que l’industrie aurait à supporter si l’allégement tarifaire était accordé.

À la lumière de ce qui précède, le Tribunal a recommandé de supprimer pour une période de deux ans les droits de douane sur les importations des tissus en question.

RENSEIGNEMENTS SUR LES PRODUITS

Dans les demandes nos TR-94-011 et TR-94-019, les tissus en question ont été désignés comme étant de la « gabardine Armani ». L’expression « gabardine Armani » est uniquement utilisée dans l’industrie et n’a été créée que pour identifier ces tissus. Les utilisateurs des tissus susmentionnés ne se servent jamais du nom « Armani » dans les promotions destinées au public. Par ailleurs, Revenu Canada a déterminé que les tissus en question n’étaient pas, en fait, une gabardine, mais un tissu à armure satin.

Les qualités distinctes du polyester et de la rayonne se complètent les unes les autres lorsque ces deux fibres sont combinées. Les qualités du polyester aux plans de l’infroissabilité, de la rétention du pli et de la forme, et de la tolérance à l’humidité s’ajoutent aux qualités de la rayonne aux plans de la résistance de la fibre, du pouvoir d’absorption, de l’uniformité, de l’absence de collement électrostatique, de la versatilité, des propriétés d’emploi très similaires à un coton fin et de la grande réceptivité à une vaste gamme de teintures et d’apprêts spéciaux. L’utilisation de tissus faits de fils à haute torsion ajoute les avantages de la douceur du toucher et d’un meilleur tombant.

L’armure satin est une des armures de base, dans laquelle l’endroit du tissu se compose presque entièrement de flottés de chaîne ou de trame produits dans le rapport d’armure. Un tel effet est obtenu par un patron uniforme des points de croisement, les plus distants possible. Ce type d’armure donne un tissu lisse dont le nombre de fils d’endroit est considérablement plus élevé. L’armure satin donne des tissus lisses et brillants avec des flottés de chaîne relativement longs.

Les utilisateurs qui ont répondu au questionnaire du Tribunal ont indiqué que les tissus en question sont présentement utilisés dans la confection de pantalons, de jupes et de vestes pour femmes, ainsi que de pantalons de ville pour hommes.

OBSERVATIONS

Demandeurs initiaux

Un des demandeurs initiaux de l’allégement tarifaire sur les tissus en question, Les magasins Château du Canada Ltée (Le Château), a informé le Tribunal, durant le réexamen, qu’il se retirait de la procédure. Le Château a fait savoir qu’au moment où elle a initialement demandé l’allégement tarifaire, elle importait une grande quantité des tissus en question, et elle croyait que la demande vigoureuse à l’endroit des tissus en question persisterait. Elle a ajouté que, même si l’allégement tarifaire a été accordé, il l’a été trop tard, c.-à-d. après qu’elle eut mis fin à ses importations. Le Château ne prévoit pas se servir des tissus en question.

La société Productions Hémisphère Inc. (Hémisphère) a été l’autre demandeur initial de l’allégement tarifaire sur les tissus en question. Au cours du réexamen, elle a fait savoir qu’elle n’avait aucun intérêt à demander la prorogation de l’allégement tarifaire, puisqu’elle ne se sert plus des tissus en question.

Tribal

Tribal, un designer et fabricant de vêtements sport pour femmes, déclare qu’elle serait prête à utiliser des tissus de fabrication nationale de mêmes propriétés physiques et de mêmes prix que les tissus en question. Cependant, à son avis, aucun producteur national ne peut présentement produire un tissu similaire dont le toucher, le tombant et le prix sont les mêmes que ceux des tissus en question.

Tribal fait valoir que le rétablissement des droits de douane entraînera des coûts plus élevés pour ses clients et pour les consommateurs. En outre, il se traduira certainement par une hausse des coûts à l’exportation aux États-Unis des vêtements confectionnés avec les tissus en question.

Tribal est en faveur de la prorogation de l’allégement tarifaire et ajoute que l’allégement tarifaire lui a permis d’offrir à ses clients au Canada et aux États-Unis de meilleurs prix sur les produits fabriqués en utilisant les tissus en question. Elle avance également que l’allégement tarifaire a eu une incidence positive sur la production nationale de Tribal elle-même et sur celle de sous-traitants externes, ce qui a augmenté le nombre d’emplois au pays et l’investissement dans l’économie canadienne.

Tribal soutient que, si l’allégement tarifaire est prorogé au-delà du 1er avril 1998, elle prévoit le maintien d’une incidence positive sur l’économie du Canada grâce à l’emploi accru. Par ailleurs, si l’allégement tarifaire est supprimé, Tribal affirme que le prix des tissus en question augmentera et que les consommateurs au Canada et aux États-Unis paieront les vêtements plus cher. De même, Tribal soutient qu’elle ne sera pas aussi compétitive, ce qui aura une incidence négative sur sa production et sur le nombre d’emplois qu’elle représente.

En réponse à l’argument de l’ICT quant à l’absence d’affirmation par les utilisateurs de l’existence d’une demande à la consommation spécifique aux tissus en question, Tribal soutient que la plupart de ses clients, de fait, demandent les tissus en question durant toute l’année, ce qui indique l’existence d’une demande au niveau du consommateur. Tribal conteste aussi les arguments présentés par l’ICT selon lesquels tout déficit des ventes des marchandises fabriquées en utilisant les tissus en question sera compensé par l’augmentation des ventes d’autres tissus par la même société ou par d’autres sociétés. Tribal répond que, dans le segment du marché qu’elle exploite, les clients sont très sensibles au prix et à la qualité et que tout changement à la hausse du prix ou à la baisse de la qualité aura une incidence néfaste sur ses ventes. En outre, étant donné que Tribal n’a pas encore trouvé un tissu similaire aux tissus en question, elle ne prévoit pas pouvoir compenser une perte de ventes des tissus en question en augmentant les ventes d’autres tissus. Tribal ne voit pas comment d’autres sociétés pourront compenser toute demande qu’elle ne peut approvisionner.

American Pant

American Pant, un importateur et petit fabricant de pantalons de ville, soutient que sa survie dépend de la prorogation de l’allégement tarifaire sur les tissus en question. Elle souligne que les tissus en question sont utilisés dans la production de vêtements pour la plupart de ses clients. Si l’allégement tarifaire n’est pas prorogé, elle soutient qu’elle se retrouvera dans une position financière pénible, puisque ses prix augmenteront, et qu’elle sera de ce fait éliminée du marché.

L’ICT a mentionné Consoltex et Doubletex comme fabricants possibles de tissus identiques ou substituables aux tissus en question. Des questionnaires du Tribunal ont été envoyés aux sociétés susmentionnées, mais seule Consoltex a répondu et présenté des observations directes s’opposant à la prorogation de l’allégement tarifaire. L’ICT, par l’intermédiaire de son conseiller, a participé au réexamen et a présenté des observations au nom de ses membres.

Consoltex

Consoltex s’oppose à toute prorogation de l’allégement tarifaire sur les importations des tissus en question. Elle soutient que les ventes et la production des tissus, qu’elle a identifiés en 1995 comme étant substituables aux tissus en question, sont soumises à une incidence néfaste depuis l’application de la mesure tarifaire. Consoltex ajoute qu’elle a investi en matériel et en développement de produits pour produire de nouveaux tissus faits de fils à haute torsion [5] . Selon Consoltex, le développement de ces nouveaux tissus subira un dommage si l’allégement tarifaire n’expire pas comme prévu.

ICT

L’ICT soutient que toute prorogation de l’allégement tarifaire en l’espèce est injustifiée et néfaste. L’ICT soutient que les demandeurs initiaux (c.-à-d. Le Château et Hémisphère) n’ont pas tiré profit de la suppression des droits et ne prévoient pas utiliser les tissus en question à l’avenir, comme le démontre leur retrait de la procédure de réexamen.

L’ICT fait valoir que les utilisateurs actuels n’ont pas affirmé que les clients exigent les tissus en question, ni que ces derniers sont des tissus mode ou des tissus indispensables qui font l’objet d’une demande distincte autre que saisonnière.

L’ICT soutient qu’il existe maintenant des tissus pour vêtements faits de fils à haute torsion de source nationale. Par exemple, Consoltex œuvre au développement, au lancement, à la production et à la vente de tissus faits de fils à haute torsion. De même, la disponibilité de tels tissus de source nationale est favorisée du fait que d’autres numéros tarifaires permettent aux sociétés canadiennes, comme Doubletex et d’autres, d’importer des tissus grèges de ce genre dans le but de les teindre et de les apprêter au Canada.

Quant au prix, un facteur jugé important par le Tribunal dans sa recommandation de 1995 au Ministre, l’ICT fait valoir que les fourchettes de prix des tissus à haute torsion importés et des tissus substituables de source nationale se recoupent maintenant et qu’il est probable que la variation des taux de change compense la majeure partie du coût associé au rétablissement des droits tarifaires.

En ce qui a trait à la capacité d’approvisionnement, un autre facteur jugé important par le Tribunal en 1995, l’ICT soutient que, depuis 1995, Consoltex a mis en place un approvisionnement commercial de fils à haute torsion, a investi pour faciliter l’utilisation des fils susmentionnés en tissage et a lancé de nouveaux tissus à haute torsion. En outre, le nombre de tissus à haute torsion devrait s’accroître dans un proche avenir. Par conséquent, l’ICT soutient que la capacité de Consoltex de fournir des tissus faits de fils à haute torsion n’est plus objet de doute.

L’ICT soutient de plus que Consoltex est par ailleurs empêché de lancer des tissus identiques ou qui ressemblent de près aux tissus en question. Elle soutient que l’allégement tarifaire donne lieu à une « zone d’exclusion » pour les créateurs de tissus nationaux simplement parce qu’il est impossible d’atteindre des marges bénéficiaires normales sur tout nouveau produit facilement remplaçable par des importations en franchise.

L’ICT conteste certains éléments de la partie du rapport préparé par le personnel qui traite des coûts et avantages. En premier lieu, elle soutient que les ventes de vêtements par les utilisateurs et les ventes par les producteurs ne peuvent simplement obéir à un mécanisme de compensation réciproque. Plutôt, l’ICT soutient que le gain des ventes pour Consoltex, advenant l’expiration de l’allégement tarifaire, sera réalisé entièrement à partir de la production canadienne, tandis que toute vente potentielle perdue par Consoltex, advenant la prorogation de l’allégement tarifaire, sera entièrement remplacée par des importations.

En deuxième lieu, l’ICT soutient que les ventes globales de vêtements ne changeront pas, quel que soit le scénario. Par exemple, toute vente perdue par Tribal, en tant qu’utilisateur des tissus en question, fera l’objet d’approvisionnement par les autres fabricants de vêtements. Par conséquent, les prévisions sur les avantages afférents aux ventes des utilisateurs actuels, advenant la prorogation de l’allégement tarifaire, ne tiennent pas compte du facteur de compensation susmentionné et sont donc exagérées.

En troisième lieu, l’ICT soutient qu’il ne faut pas attribuer toutes les économies de droits de douane aux utilisateurs, mais qu’il faut plutôt les répartir et en attribuer certaines à des joueurs comme des exportateurs et des importateurs, qui ne sont pas des utilisateurs.

Enfin, l’ICT soutient que le personnel, en présentant les prévisions des coûts et des avantages pour la période de 12 mois se terminant le 29 avril 1999, a sous-estimé la perte d’opportunité que Consoltex a évalué pour toute l’année 1999.

L’ICT conclut que, en tenant compte de tous les facteurs susmentionnés, les coûts aux producteurs l’emportent de loin sur les avantages aux utilisateurs dans le scénario d’une prorogation de l’allégement tarifaire.

Le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international a informé le Tribunal que le Canada impose présentement un contingent sur le tissu de polyester et de rayonne, composé de mélanges de fibres discontinues de polyester et de rayonne ou de fibres de filaments (sous-catégorie 37.1), importé de Taiwan. L’accord bilatéral qui prévoit la restriction susmentionnée a été conclu entre le gouvernement du Canada et la Taiwanese Textile Federation et est en vigueur depuis 1987.

ANALYSE

Dans l’étude de la question de savoir si l’allégement tarifaire doit être prorogé, avec ou sans modification, le Tribunal examinera d’abord si tous les facteurs pertinents qui ont donné lieu à sa recommandation d’un allégement tarifaire continuent de s’appliquer et, deuxièmement, si la prorogation de l’allégement tarifaire dans un tel contexte continuerait de procurer un gain économique net au Canada.

Lorsqu’il a recommandé d’accorder l’allégement tarifaire sur les tissus en question, en 1995, le Tribunal a conclu que les tissus fabriqués au pays n’offraient qu’un degré limité de substituabilité aux tissus en question et qu’un allégement tarifaire procurerait, à court terme, de réels avantages économiques.

En résumé, le Tribunal a tiré sa conclusion concernant le degré limité de substituabilité en se fondant sur les caractéristiques distinctes des tissus en question faits de fils à haute torsion et l’absence d’approvisionnement national de tels tissus, la demande distincte et l’acceptation par le marché relativement aux tissus en question et le fait que le prix franco dédouané des tissus en question était sensiblement supérieur aux prix des tissus nationaux prétendument substituables. Au sujet de la capacité d’approvisionnement, le Tribunal n’a pas été convaincu que les assertions des producteurs nationaux concernant la capacité éventuelle d’assurer l’approvisionnement d’un certain tissu constituaient un motif suffisant pour ne pas accorder l’allégement tarifaire.

À cet effet, les éléments de preuve indiquaient que Le Château avait demandé à Consoltex de lui fournir des tissus à haute torsion similaires aux tissus en question, mais que cette dernière ne disposait pas d’un approvisionnement de fils à haute torsion. Doubletex, par contre, a dit produire plusieurs tissus substituables. Le Tribunal a cependant fait observer qu’aucun des tissus identifiés par Doubletex n’était de même construction que les tissus en question, et qu’ils ne se situaient pas non plus dans l’éventail de poids incluse dans la définition du produit.

D’importants changements sont survenus depuis la recommandation du Tribunal, notamment le fait que des tissus pour vêtements substituables de source nationale sont maintenant disponibles. En vérité, Consoltex a récemment commencé à développer, à produire et à vendre des tissus utilisant des fils à haute torsion. De même, la disponibilité de tels tissus auprès de la production nationale est favorisée par l’existence d’autres numéros tarifaires en vertu desquels les sociétés canadiennes, comme Doubletex, peuvent importer des tissus grèges similaires dans le but de les teindre et de les apprêter au Canada [6] .

Quand aux prix relatifs, le Tribunal a conclu, en 1995, que le prix des tissus en question importés était plus élevé que le prix des tissus de source nationale que Consoltex considérait comme étant substituables et que cet écart des prix semblait démontrer au Tribunal que les deux tissus n’étaient pas des substituts directs l’un de l’autre. Depuis la recommandation du Tribunal, le prix moyen à l’exportation, en provenance de Taiwan, a suivi une tendance à la baisse et d’autres baisses sont prévues, étant donné la dépréciation de la monnaie taiwanaise. Les importations en provenance de la République populaire de Chine et d’autres pays sont aussi entrées au Canada à des prix bien inférieurs aux prix des marchandises taiwanaises. Entre-temps, les ventes de la production nationale ont été faites à des prix cibles plus élevés. Il en est résulté que les fourchettes de prix des tissus à haute torsion importés et des tissus nationaux substituables se recoupent maintenant. Cette disparition de l’écart des prix est un indicateur qui porte le Tribunal à croire que les deux tissus sont maintenant substituables.

Un autre changement qui est survenu se rattache à la capacité de l’industrie nationale de fournir des tissus substituables. Les éléments de preuve montrent que Consoltex a : 1) établi un approvisionnement commercial de fils à haute torsion importés d’Extrême-Orient; 2) investi [7] dans des installations de tissage de tels fils; 3) mis sur le marché quatre tissus faits de tels fils à haute torsion. De plus, les éléments de preuve convainquent le Tribunal que Consoltex continuera à développer et à mettre en vente d’autres tissus faits de fils à haute torsion dans un proche avenir.

Le marché canadien apparent des tissus en question et des tissus prétendument substituables a été évalué, en 1994, à environ 2,8 millions de mètres linéaires, les importations alors prévues pour 1995 dépassant sensiblement celles de 1994. L’augmentation prévue de la demande des utilisateurs des tissus en question ne s’est pas concrétisée. En fait, le marché estimatif actuel, selon les renseignements disponibles au dossier, est inférieur au marché de 1994 [8] . Pour ce qui est des demandeurs initiaux, Le Château et Hémisphère, leurs prévisions visant leur propre demande et leurs ventes ne se sont pas réalisées, comme en témoigne leur retrait de la procédure et le fait qu’elles n’importent plus et ne vendent plus de vêtements fabriqués avec les tissus en question.

Le Tribunal a examiné les effets prévus d’une prorogation de l’allégement tarifaire durant la période de 12 mois suivant la date d’expiration du numéro tarifaire 5515.11.20. L’avantage direct principal d’une prorogation de l’allégement tarifaire durant la période susmentionnée, d’après les niveaux traditionnels des importations des tissus en question et les prévisions des utilisateurs des tissus en question, se chiffrerait à environ un million de dollars, compte tenu du taux de droits NPF applicable et en supposant qu’il n’y aurait aucun autre changement de volume d’importation et de prix chez les importateurs qui n’ont pas soumis de données précises sur les importations projetées.

Cependant, en contrepartie des avantages d’une prorogation de l’allégement tarifaire, il en résulterait d’importantes pertes pour les producteurs nationaux de tissus substituables. Dans sa recommandation de 1995, en s’appuyant sur un scénario de degré limité de substituabilité, le Tribunal a considéré que de telles pertes pour les producteurs nationaux seraient de loin inférieures aux avantages attendus pour les utilisateurs. Cependant, comme il a déjà été indiqué, l’approvisionnement national a sensiblement évolué. La capacité de Consoltex de fournir des tissus faits de fils à haute torsion n’est plus en doute.

Consoltex soutient que, advenant la prorogation de l’allégement tarifaire, elle subirait des pertes importantes sous forme de réduction des ventes et de réduction des marges bénéficiaires sur les ventes des tissus à haute torsion qu’elle vient de développer ainsi que sur sa gamme « survivante » d’autres tissus mode pour l’année 1998. Elle soutient aussi qu’elle ferait face à une perte complète des ventes d’autres nouveaux tissus à haute torsion qu’elle prévoit lancer et vendre au cours de l’année civile 1999.

Le Tribunal n’est pas convaincu que les tissus mode « survivants » que Consoltex fabrique à partir de fils qui ne sont pas à haute torsion soient susceptibles d’être gravement affectés par une prorogation de l’allégement tarifaire et ce, pour les mêmes motifs qu’il a énoncés dans sa recommandation de 1995. Cependant, le Tribunal est convaincu que la prorogation de l’allégement tarifaire entraînera pour Consoltex des pertes réelles et éventuelles importantes quant aux ventes de la nouvelle génération de tissus faits de fils à haute torsion. Dans l’ensemble, les coûts estimatifs globaux pour Consoltex de la prorogation de l’allégement tarifaire, relativement aux tissus de fils à haute torsion récemment mis au point et aux tissus projetés également faits de fils à haute torsion, l’emportent sur tous les gains que retireraient de l’allégement tarifaire les utilisateurs des tissus en question.

En résumé, le Tribunal conclut que l’industrie nationale a consacré d’importants efforts à la mise au point et à la production de tissus substituables aux tissus en question et qu’elle planifie la mise au point et la production d’autres tissus substituables à court terme. Étant donné que la prorogation de l’allégement tarifaire entraînerait des coûts importants pour l’industrie nationale des textiles, le Tribunal est d’avis qu’une telle mesure ne maximiserait pas le gain économique net pour le Canada. Par conséquent, le Tribunal recommande que l’allégement tarifaire, prévu dans le numéro tarifaire 5515.11.20, ne soit pas prorogé au-delà du 30 avril 1998.

RECOMMANDATION

À la lumière de ce qui précède, le Tribunal recommande, par la présente, que ne soit pas prorogé, au-delà du 30 avril 1998, l’allégement tarifaire sur les importations en provenance de tous les pays des tissus, à armure satin, de cinq harnais, contenant 65 p. 100 en poids de fibres discontinues de polyester et 35 p. 100 en poids de fibres discontinues de rayonne viscose, avec une torsion excédant 1 000 tours par mètre, d’un poids de 255 g/m2 ou plus mais n’excédant pas 275 g/m2, devant servir à la fabrication de gilets, de pantalons, de jupes, de robes, de shorts et de vestes pour femmes, et de gilets, de pantalons et de vestons pour hommes.

Robert C. Coates, c.r.
_________________________
Robert C. Coates, c.r.
Membre présidant


Arthur B. Trudeau
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Arthur B. Trudeau
Membre


Raynald Guay
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Raynald Guay
Membre


1. Le code 4263 a été remplacé, le 1er janvier 1998, par le numéro tarifaire 5515.11.20 de l’annexe du Tarif des douanes.

2. Le libellé du décret diffère quelque peu du libellé proposé par le Tribunal. Par exemple, le coefficient de torsion a été rehaussé dans le décret (1 000 c. 960). De même le mot « fabric » (« tissu ») a été remplacé par le mot « fabrics » (« tissus »).

3. Vol. 131, no 44 à la p. 3457.

4. Rapport au ministre des Finances : Demandes d’allégement tarifaire déposées par Les magasins Château du Canada Ltée et Productions Hémisphère Inc. concernant la gabardine Armani, Tribunal canadien du commerce extérieur, le 19 septembre 1995.

5. Ces produits récemment mis au point sont faits de fibres de polyester ou de fibres de polyester et de rayonne, et ont un coefficient de torsion excédant 1 000 tours par mètre. Il sont connus sous les noms Aristocrat, Regency, Infinity et Gateway.

6. Certains de ces tissus, blanchis ou écrus, sont visés dans le numéro tarifaire 5515.11.10, auparavant le code 4416, qui a mis en œuvre la recommandation présentée par le Tribunal dans son Rapport au ministre des Finances : Demandes d'allégement tarifaires déposées par Doubletex concernant les tissus écrus ou blanchis, demandes nos TR-95-057 et TR-95-058, le 24 octobre 1996.

7. Le chiffre exact est un renseignement protégé.

8. Étant donné le nombre limité de participants sur le marché, le marché estimatif global pour la période de 14 mois, se terminant le 30 juin 1997, est un renseignement protégé.


[ Table des matières]

Publication initiale : le 27 février 1998