SUCRE RAFFINÉ

Enquêtes


SUCRE RAFFINÉ TIRÉ DE LA CANNE À SUCRE OU DE LA BETTERAVE SUCRIÈRE SOUS FORME DE GRANULES, DE LIQUIDE ET DE POUDRE, ORIGINAIRE OU EXPORTÉ DES ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE, DU DANEMARK, DE LA RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE D’ALLEMAGNE, DES PAYS-BAS, DU ROYAUME-UNI ET DE LA RÉPUBLIQUE DE CORÉE, ET DU SUBVENTIONNEMENT DU SUCRE RAFFINÉ TIRÉ DE LA CANNE À SUCRE OU DE LA BETTERAVE SUCRIÈRE SOUS FORME DE GRANULES, DE LIQUIDE ET DE POUDRE, ORIGINAIRE OU EXPORTÉ DES ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE ET DE L’UNION EUROPÉENNE
Renvoi no : RE-95-001

TABLE DES MATIERES


Ottawa, le lundi 8 mai 1995

EU ÉGARD À un renvoi fait, aux termes de l’alinéa 34(1)b) de la Loi sur les mesures spéciales d’importation, par la société Canadian Blending and Processing Inc., un producteur et un importateur, au Tribunal canadien du commerce extérieur;

ET EU ÉGARD À un avis donné par le Tribunal canadien du commerce extérieur aux termes de l’article 37 de la Loi sur les mesures spéciales d’importation;

AU SUJET DU dumping au Canada du sucre raffiné tiré de la canne à sucre ou de la betterave sucrière sous forme de granules, de liquide et de poudre, originaire ou exporté des États-Unis d’Amérique, du Danemark, de la République fédérale d’Allemagne, des Pays-Bas, du Royaume-Uni et de la République de Corée, et du subventionnement du sucre raffiné tiré de la canne à sucre ou de la betterave sucrière sous forme de granules, de liquide et de poudre, originaire ou exporté des États-Unis d’Amérique et de l’Union européenne.

A V I S

Le Tribunal canadien du commerce extérieur conclut par la présente que les éléments de preuve déposés auprès du sous-ministre du Revenu national indiquent, de façon raisonnable, que le dumping du sucre raffiné tiré de la canne à sucre ou de la betterave sucrière sous forme de granules, de liquide et de poudre, originaire ou exporté des États-Unis d’Amérique, du Danemark, de la République fédérale d’Allemagne, des Pays-Bas, du Royaume-Uni et de la République de Corée, et le subventionnement du sucre raffiné tiré de la canne à sucre ou de la betterave sucrière sous forme de granules, de liquide et de poudre, originaire ou exporté des États-Unis d’Amérique et de l’Union européenne, ont causé un dommage à la branche de production nationale. Le Tribunal canadien du commerce extérieur conclut également que les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, que le dumping et le subventionnement en question menacent de causer un dommage à la branche de production nationale.

Arthur B. Trudeau
_________________________ Arthur B. Trudeau
Membre présidant


Anthony T. Eyton
_________________________ Anthony T. Eyton
Membre


Lyle M. Russell
_________________________ Lyle M. Russell
Membre


Michel P. Granger
_________________________ Michel P. Granger
Secrétaire

Renvoi no : RE-95-001

Date de l’avis : Le 8 mai 1995

Membres du Tribunal : Arthur B. Trudeau, membre présidant
Anthony T. Eyton, membre
Lyle M. Russell, membre

Directeur de la recherche : Peter Welsh
Agent principal de la recherche : Paul Berlinguette

Avocats pour le Tribunal : John L. Syme
Heather A. Grant

EXPOSÉ DES MOTIFS

Le 17 mars 1995, le sous-ministre du Revenu national (le Sous-ministre), saisi d’un dossier complet soumis par l’Institut canadien du sucre (l’ICS), a ouvert une enquête sur le présumé dumping dommageable au Canada du sucre raffiné tiré de la canne à sucre ou de la betterave sucrière sous forme de granules, de liquide et de poudre, originaire ou exporté des États-Unis d’Amérique, du Danemark, de la République fédérale d’Allemagne, des Pays-Bas, du Royaume-Uni et de la République de Corée, et sur le présumé subventionnement dommageable du sucre raffiné tiré de la canne à sucre ou de la betterave sucrière sous forme de granules, de liquide et de poudre, originaire ou exporté des États-Unis d’Amérique et de l’Union européenne. Le Sous-ministre était d’avis que les éléments de preuve indiquaient, de façon raisonnable, que les présumés dumping et subventionnement «[ont] causé un dommage [...] ou [menacent] de causer un dommage à la production de marchandises similaires au Canada [1] ».

Le 7 avril 1995, la société Canadian Blending and Processing Inc., qui s’est décrite comme un producteur de certaines marchandises en question et un importateur des marchandises en question, a saisi le Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal), aux termes de l’alinéa 34(1)b) de la Loi sur les mesures spéciales d’importation [2] (la LMSI), de la question de savoir si [traduction] «les éléments de preuve indiquent que le présumé dumping ou le présumé subventionnement, ou les deux, des marchandises en question originaires des États-Unis ou de l’Union européenne ou de tout État membre nommé de l’Union européenne, ont causé un dommage sensible ou un retard ou menacent de causer un dommage sensible [3] ». La société E.D. & F. Man (Sugar) Ltd., un exportateur des marchandises en question, a appuyé la demande faite par la société Canadian Blending and Processing Inc.

Aux termes de l’alinéa 37b) de la LMSI, le Tribunal doit donner son avis sur la question, sans audience, en se fondant sur les renseignements dont disposait le Sous-ministre pour en arriver à une décision ou conclusion, et dès qu’il est saisi mais, au plus tard, dans les 30 jours suivant la date où il est saisi.

Les marchandises en question sont définies comme du sucre raffiné tiré de la canne à sucre ou de la betterave sucrière sous forme de granules, de liquide et de poudre et comprennent, notamment :

1) le sucre blanc granulé;

2) le sucre liquide, y compris le sucre inverti [4] ;

3) les sucres spéciaux (le sucre mou roux et la cassonade, le sucre à glacer, le sucre de démérara et d’autres sucres).

Le sucre est un hydrate de carbone dont le nom chimique est le saccharose. Le saccharose est présent dans la plupart des plantes, mais existe en plus grande quantité dans la canne à sucre et la betterave sucrière. Bien que le sucre raffiné tiré de la canne à sucre et celui tiré de la betterave sucrière soient identiques (sauf que le sucre mou roux et la cassonade ne peuvent habituellement être tirés de la betterave sucrière), le processus de production de chaque type de sucre raffiné diffère.

La production de sucre de canne comporte habituellement deux étapes : la production de sucre brut tiré de la canne et le raffinage du sucre brut jusqu’à l’obtention du degré de pureté requis. Le sucre brut est produit (partiellement raffiné) dans les pays où l’on cultive et récolte la canne à sucre. Le sucre de canne est en gén?E9‚ral exporté à l’état brut, le raffinage final ayant lieu dans le pays importateur. Au cours des étapes initiales du raffinage, le sucre brut est partiellement décoloré et certaines des substances aromatiques en sont extraites pour fabriquer des sucres mous spécialisés comme la cassonade, le sucre roux et le sucre de démérara. Les raffineries de sucre de canne canadiennes importent du sucre de canne brut de plusieurs pays, y compris l’Australie et les Caraïbes. Le sucre brut est transporté en vrac dans des navires de charge jusqu’aux raffineries situées à proximité des ports de mer. Les quatre raffineries de sucre de canne canadiennes sont situées à Saint John (Nouveau-Brunswick), Montréal (Québec), Toronto (Ontario) et Vancouver (Colombie-Britannique). Environ 90 p. 100 du sucre raffiné produit au Canada vient du sucre de canne brut.

Habituellement, le sucre de betterave est produit suivant un seul processus au terme duquel les betteraves brutes sont transformées en sucre blanc granulé pur. La betterave sucrière est cultivée dans des zones où le climat est tempéré. Au Canada, la récolte a lieu en septembre et en octobre, et les betteraves sont stockées avant l’arrivée des grands froids et de la neige. Les deux raffineries de sucre de betterave canadiennes sont situées à Winnipeg (Manitoba) et Taber (Alberta), à proximité d’importants centres de production de betteraves.

Les éléments de preuve fournis au Tribunal par le ministère du Revenu national (Revenu Canada) comprenaient le dossier complet d’une plainte déposée par l’ICS, une analyse de cas préparée par les fonctionnaires de Revenu Canada et un exemplaire de l’énoncé des motifs de Revenu Canada en date du 17 mars 1995.

Le Tribunal constate que le Sous-ministre, sur la foi de renseignements fournis par l’ICS, a estimé que les marchandises en question étaient sous-évaluées selon des marges moyennes pondérées de 43 p. 100 dans le cas des exportations des États-Unis; de 31 p. 100, de 32 p. 100, de 33 p. 100 et de 32 p. 100 dans le cas, respectivement, des exportations du Danemark, de la République fédérale d’Allemagne, des Pays-Bas et du Royaume-Uni; et de 40 p. 100 dans le cas des exportations de la République de Corée. Le Sous-ministre a conclu, en se fondant sur sa propre analyse, que les marges de dumping estimatives étaient une indication valable des niveaux de dumping pratiqués tout au long de l’année 1994. Le Tribunal fait également remarquer que le Sous-ministre est convaincu que le fait que les exportateurs puissent vendre les marchandises en question au Canada à des prix bien inférieurs à leur coût estimatif étaye la thèse de l’ICS qui prétend que les branches de production du sucre des États-Unis et de l’Union européenne bénéficient de subventions dans le cadre de programmes.

Le Tribunal constate également que, selon les renseignements versés au dossier du Sous-ministre, les importations totales de sucre raffiné ont augmenté, passant d’environ 99 000 tonnes métriques en l990 à plus de 158 000 tonnes métriques en 1993, puis ont baissé pour passer à environ 147 000 tonnes métriques en 1994. L’augmentation au cours de la période allant de 1990 à 1993 était pour la plus grande partie attribuable aux augmentations des importations en provenance des États-Unis. Les importations en provenance des pays visés ont augmenté selon un taux annuel moyen de 15,8 p. 100 au cours de la période allant de 1990 à 1994. La part des importations totales détenue par les pays visés était de 98 p. 100 en 1994 comparativement à 81 p. 100 en 1990. La part du marché de la branche de production nationale a régressé de 3 points de pourcentage entre 1990 et 1994. La part du marché détenue par les importations en provenance des pays visés a augmenté, passant de 8,3 p. 100 en 1990 à 12,9 p. 100 en 1994.

Selon les éléments de preuve fournis par l’ICS, l’arrivée d’importations sous-évaluées ou subventionnées, ou les deux, en provenance des pays visés a entraîné la réduction et la compression des marges. À cet égard, la branche de production a fourni des éléments de preuve selon lesquels les marges nettes des producteurs nationaux par tonne métrique de sucre brut ont baissé au cours de la période allant de 1990 à 1994, ce qui a entraîné, prétendument, la baisse des profits au cours de cette même période. En outre, la présence d’importations prétendument sous-évaluées ou subventionnées, ou les deux, sur le marché canadien a forcé les producteurs nationaux à augmenter les escomptes pour conserver leur bassin de clients. L’ICS a fourni des exemples de clients qui ont reçu des prix proposés inférieurs, ce qui a entraîné la perte de contrats ou forcé la branche de production à réduire ses prix de vente pour conserver ses clients. Il ressort également des éléments de preuve qu’il y a un surplus de sucre qui continue de s’accumuler et qui ne peut être vendu aux États-Unis et dans l’Union européenne.

Aux termes de l’article 34 de la LMSI, le Tribunal doit donner son avis sur la question de savoir si les éléments de preuve déposés auprès du Sous-ministre indiquent, de façon raisonnable, que le dumping ou le subventionnement des marchandises en question a causé un dommage ou menace de causer un dommage [5] . Après avoir examiné les éléments de preuve déposés auprès du Sous-ministre dans la présente cause, le Tribunal note une corrélation apparente entre plusieurs des indicateurs de dommage et le dumping ainsi que le subventionnement des marchandises en question. Il estime que cette corrélation indique, de façon raisonnable, que le dumping et le subventionnement ont causé un dommage. Le Tribunal estime également que les éléments de preuve concernant la compression des prix causée par les importations en provenance des pays visés indiquent, de façon raisonnable, que les prétendus dumping et subventionnement menacent de causer un dommage aux producteurs canadiens de marchandises similaires. Sa conclusion est étayée davantage par les éléments de preuve relatifs au surplus de sucre qui continue de s’accumuler et qui ne peut être vendu aux États-Unis et dans l’Union européenne. Ce n’est toutefois qu’en menant une enquête que le Tribunal pourra examiner à fond la relation de causalité et déterminer si le dumping et le subventionnement des importations en question causent un dommage ou menacent de causer un dommage.

L’ICS a fait valoir qu’en raison de l’augmentation des prix du sucre brut suivant un taux supérieur à celui de l’augmentation des prix du sucre raffiné au cours de la période visée, les marges des producteurs ont diminué considérablement. Si la présente cause fait l’objet d’une enquête, le Tribunal devra examiner à fond la relation entre les prix du sucre brut et ceux du sucre raffiné, notamment parce que cette dernière influe sur les marges et la rentabilité. En outre, dans son exposé écrit, la branche de production a fait allusion aux effets des substituts concurrentiels comme étant un facteur influant sur l’évolution du marché. Bien que la branche de production n’ait pas attribué le dommage qu’elle subit aux succédanés du sucre, le Tribunal, lors de son enquête, devra examiner de façon approfondie le rôle que ces derniers ont joué sur le marché.

Par conséquent, le Tribunal conclut, aux termes de l’article 37 de la LMSI, que les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, que le dumping du sucre raffiné tiré de la canne à sucre ou de la betterave sucrière sous forme de granules, de liquide et de poudre, originaire ou exporté des États-Unis d’Amérique, du Danemark, de la République fédérale d’Allemagne, des Pays-Bas, du Royaume-Uni et de la République de Corée, et le subventionnement du sucre raffiné tiré de la canne à sucre ou de la betterave sucrière sous forme de granules, de liquide et de poudre, originaire ou exporté des États-Unis d’Amérique et de l’Union européenne, ont causé un dommage à la branche de production nationale. Le Tribunal conclut également que les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, que le dumping et le subventionnement en question menacent de causer un dommage à la branche de production nationale.


1. Ministère du Revenu national, Énoncé des motifs ,le 17 mars 1995 à la p. 10.

2. L.R.C. (1985), ch. S-15, modifiée par L.C. 1994, ch. 47, art. 164.

3. Lettre de renvoi en date du 7 avril 1995 adressée par la société Grey, Clark, Shih and Associates, Limited au Tribunal.

4. Pour répondre aux demandes des clients, le sucre peut être livré dissous dans l'eau lorsque l'utilisation finale des clients est compatible avec cette forme. Le sucre liquide est vendu en deux grandes catégories : le saccharose pur et l'eau (le saccharose liquide), et un mélange de saccharose, de glucose, de fructose et d'eau (le sucre liquide inverti).

5. Aux termes du paragraphe 2(1) de la LMSI, le terme «dommage» s'entend du dommage sensible causé à une branche de production nationale.


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Publication initiale : le 20 septembre 1996