COUVERCLES, DISQUES ET BOCAUX

Questions d'intérêt public


COUVERCLES, DISQUES ET BOCAUX DESTINÉS À LA MISE EN CONSERVE DOMESTIQUE, IMPORTÉS SOIT SÉPARÉMENT OU CONDITIONNÉS ENSEMBLE, ORIGINAIRES OU EXPORTÉS DES ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE
No de l’examen en matière d’intérêt public : PB-95-001

TABLE DES MATIERES


Ottawa, le lundi 26 février 1996

COUVERCLES, DISQUES ET BOCAUX DESTINÉS À LA MISE EN CONSERVE DOMESTIQUE, IMPORTÉS SOIT SÉPARÉMENT OU CONDITIONNÉS ENSEMBLE, ORIGINAIRES OU EXPORTÉS DES ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE

CONSIDÉRATION PAR LE TRIBUNAL DE LA QUESTION DE L’INTÉRÊT PUBLIC

CONTEXTE

Le 20 octobre 1995, conformément au paragraphe 43(1) de la Loi sur les mesures spéciales d’importation [1] (la LMSI), le Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) a conclu que le dumping au Canada de couvercles, de disques et de bocaux destinés à la mise en conserve domestique, importés soit séparément ou conditionnés ensemble, originaires ou exportés des États-Unis d’Amérique, avait causé un dommage sensible à la branche de production nationale. Le Tribunal a également conclu que les exigences de l’alinéa 42(1)b) de la LMSI en matière de dumping massif n’avaient pas été satisfaites.

Au cours de l’enquête, Kerr Group, Inc. (Kerr) et le directeur des enquêtes et recherches, Bureau de la politique de concurrence, ministère de l’Industrie (le Directeur), désirant présenter des observations sur l’intérêt public, en ont fait la demande aux termes du paragraphe 45(2) de la LMSI. Le 28 juillet 1995, le Tribunal a avisé les avocats que si des conclusions de dommage étaient rendues, il considérerait la question de l’intérêt public conformément aux «Lignes directrices régissant les examens en matière d’intérêt public» préparées en février 1995 par le Tribunal. Le 20 octobre 1995, le Tribunal a avisé les avocats et les parties intéressées de la procédure à suivre pour présenter des observations sur l’intérêt public.

Le 17 novembre 1995, les avocats de Kerr ont demandé un report de la procédure relative à l’examen en matière d’intérêt public. Le 22 novembre 1995, le Tribunal a accepté de remettre la présentation des observations au 4 décembre 1995. Par la suite, le 30 novembre 1995, les avocats ont demandé un deuxième report de la procédure. Le 6 décembre 1995, le Tribunal a avisé les avocats et les parties que le report avait été accordé. Les parties intéressées en faveur d’un examen en matière d’intérêt public devaient déposer leurs observations au plus tard le 5 janvier 1996. Les personnes désirant répondre à ces observations devaient déposer leur réponse au plus tard le 19 janvier 1996. Le Tribunal a indiqué qu’après avoir considéré les observations, il se ferait une opinion sur la question de savoir si celles-ci prouvaient qu’il existait une question de l’intérêt public justifiant un examen plus poussé.

Kerr et le Directeur ont produit des exposés à l’appui d’un examen en matière d’intérêt public. Bernardin Ltée (Bernardin) et Consumers Packaging Inc. (ci-après désignée Consumers Glass) ont déposé un exposé dans lequel elles s’opposaient à un examen en matière d’intérêt public.

RÉSUMÉ DES EXPOSÉS

Les avocats de Kerr ont soutenu que trois aspects de l’intérêt public étaient touchés par l’imposition de droits antidumping : 1) l’intérêt pour les acheteurs canadiens d’avoir une autre source d’approvisionnement à partir de laquelle ils peuvent prendre leurs décisions d’achat; 2) l’intérêt pour les acheteurs et consommateurs canadiens de pouvoir se procurer, à des prix raisonnables et abordables, des produits pour la mise en conserve domestique; et 3) la santé et la sécurité des consommateurs de produits de mise en conserve domestique.

Les avocats de Kerr ont soutenu que l’imposition de droits antidumping créerait un monopole total dans le secteur de la production et de la distribution des couvercles, des disques et des bocaux au Canada. Les acheteurs ne pourraient se tourner vers aucune autre source d’approvisionnement pour régler leurs problèmes de livraison et de disponibilité. Quant aux consommateurs, ils n’auraient aucun choix de styles. En outre, l’imposition de droits antidumping ferait augmenter les prix, augmentation que les consommateurs de produits de mise en conserve domestique auraient de la difficulté à supporter. En effet, selon les avocats, ces consommateurs ont des moyens modestes et mettent des produits en conserve par souci d’économie. Sans compter que des prix plus élevés inciteraient certains consommateurs à adopter d’autres méthodes moins coûteuses et non sécuritaires pour entreposer et conserver les fruits et légumes.

Les avocats de Kerr ont fait valoir que les droits antidumping devraient être totalement éliminés, dans l’intérêt public. À tout le moins, les droits antidumping devraient être réduits à un niveau qui permettrait de supprimer le dommage.

Le Directeur a soutenu que l’imposition de droits antidumping sur les marchandises en question ferait disparaître toute concurrence dans le secteur de l’approvisionnement en couvercles, en disques et en bocaux au Canada, ce qui serait au détriment des consommateurs, car ceux-ci seraient ainsi privés des avantages de la concurrence au niveau des prix de ces marchandises et des services connexes. Le Directeur a fait remarquer que des fournisseurs nationaux et étrangers s’étaient récemment retirés du secteur des marchandises en question, que ce marché avait atteint la maturité et que les coûts d’entrée y étaient élevés. Ajoutés à l’imposition de droits antidumping, ces facteurs élimineraient toute concurrence à l’importation sur le marché intérieur, et il est peu probable que de nouveaux producteurs nationaux ou étrangers pénètrent dans ce marché.

Le Directeur a prétendu que la libre concurrence était dans l?92'intérêt public, que c’était là la caractéristique déterminante de la présente cause et que cet intérêt jouissait de l’appui de la loi et de déclarations de principe judiciaires. À son avis, il est dans l’«intérêt public» que les intérêts des producteurs nationaux soient contrebalancés par ceux des consommateurs et des utilisateurs. Le Directeur a fait valoir que si le Tribunal ne rend pas une conclusion selon laquelle les droits antidumping doivent être totalement supprimés, il doit obtenir des exposés en vue de déterminer s’il est ou non approprié de réduire les droits antidumping à un niveau où la concurrence au niveau des prix pourrait s’exercer de façon non dommageable.

En réponse aux exposés de Kerr et du Directeur, les avocats de Bernardin et de Consumers Glass ont soutenu qu’il n’existe pas une question de l’intérêt public probante pour justifier un examen. Par contre, il existe une question de l’intérêt public probante pour maintenir les droits antidumping au plein montant, afin de conserver la production, de soutenir les nouveaux investissements et de garder les emplois directs et indirects liés au fonctionnement des usines des parties plaignantes.

Les avocats de Bernardin et de Consumers Glass ont indiqué que les consommateurs pouvaient conserver les produits alimentaires de diverses autres façons, par exemple en les séchant et les congelant, méthodes qui font concurrence aux produits utilisés en toute sécurité pour la mise en conserve domestique. En outre, les avocats ont affirmé qu’il existait des fournisseurs potentiels des marchandises en question autres que Kerr. Des couvercles et des disques, par exemple, sont produits en Italie, et il existe également d’autres fournisseurs potentiels de verre au Canada, aux États-Unis et au Mexique. En outre, Anchor Glass Container Corp. (Anchor), un fournisseur des marchandises en question installé aux États-Unis, pourrait se réintéresser au marché canadien si les prix tombaient à un niveau plus alléchant. Vu les bas prix pratiqués par Anchor aux États-Unis, selon les avocats, cette entreprise peut s’attendre à des valeurs normales plus favorables que celles de Kerr.

De l’avis des avocats de Bernardin et de Consumers Glass, l’imposition de droits antidumping à leur plein montant n’empêcherait pas nécessairement Kerr de continuer à faire partie du marché canadien. Les avocats ont souligné que les nouvelles installations de production de Kerr devraient améliorer son efficacité manufacturière et diminuer ses coûts, faisant ainsi baisser sa marge de dumping. De plus, la marque de qualité reconnue de Kerr ainsi que les préférences des détaillants devraient permettre à Kerr de continuer à approvisionner le marché canadien de l’ouest. Kerr pourrait acquérir une réputation identique de producteur de marque de qualité sur le marché canadien de l’est.

Les avocats de Bernardin et de Consumers Glass ont soutenu que la mise en conserve domestique n’est pas limitée aux personnes à faible revenu, que des ménages de tous les paliers de revenu en font et que le plus gros volume de mise en conserve est effectué dans des ménages à revenu moyen. Ils ont également prétendu qu’une augmentation des prix aurait pour résultat une meilleure sensibilisation des consommateurs à la dimension sécuritaire de la mise en conserve domestique.

En réponse aux exposés du Directeur, les avocats de Bernardin et de Consumers Glass ont affirmé que l’un des buts de la Loi sur la concurrence [2] est de veiller à ce que les petites et moyennes entreprises aient une chance équitable de participer à l’économie canadienne. Les droits antidumping sont, par conséquent, nécessaires pour garantir l’existence de règles de jeu équitables et supprimer toute concurrence injuste en l’occurrence. Les avocats ont, en outre, allégué que lorsqu’une entreprise prenait des mesures pour restreindre indûment la concurrence ou pour abuser d’une position prédominante, la Loi sur la concurrence prévoyait les mesures de réparation appropriées. Il a, en outre, été soutenu qu’en concluant que les droits antidumping causeraient une perte nette à l’économie canadienne, le Directeur n’a pas analysé correctement les faits.

Enfin, les avocats de Bernardin et de Consumers Glass ont indiqué qu’il n’y a aucun producteur en aval dont la production serait affectée par les droits antidumping. Ils ont aussi maintenu que le volume et la valeur du marché des marchandises en question sont peu importants pour l’ensemble de l’économie canadienne. De l’avis des avocats, si le Tribunal donnait satisfaction aux demandeurs, il ouvrirait du même coup la porte à des examens en matière d’intérêt public pour pratiquement toutes les causes, ce qui dissuaderait les petites branches de production canadiennes de se prévaloir de la procédure de la LMSI en raison de l’incertitude des recours et des coûts connexes.

CONSIDÉRATIONS DE L’INTÉRÊT PUBLIC

Aux termes du paragraphe 45(1) de la LMSI, dans le cas où après avoir rendu des conclusions de dommage sensible, le Tribunal estime que l’assujettissement, total ou partiel, des marchandises aux droits antidumping serait ou pourrait être contraire à l’intérêt public, il transmet un rapport au ministre des Finances énonçant son opinion, faits et motifs à l’appui.

Le Tribunal fait remarquer que l’objet principal de la LMSI est de protéger les producteurs canadiens contre le dommage causé par les importations de marchandises sous-évaluées ou subventionnées échangées à des prix inéquitables. Pour procéder à un examen en matière d’intérêt public après avoir rendu des conclusions de dommage sensible, le Tribunal doit être convaincu de l’existence de circonstances probantes ou spéciales rendant nécessaire un examen en matière d’intérêt public.

En considérant la question de l’intérêt public, le Tribunal a soigneusement examiné les observations résumées ci-dessus, ainsi que les éléments de preuve et les témoignages recueillis au cours de l’enquête menée aux termes de l’article 42 de la LMSI. Le Tribunal est d’avis que s’il existait une question de l’intérêt public dans la présente cause, la question porterait sur les allégations selon lesquelles l’imposition de droits antidumping créerait un monopole dans le secteur de la production et de la distribution des couvercles, des disques et des bocaux au Canada, une augmentation des prix se répercuterait de façon disproportionnée sur les Canadiens à faible revenu et des prix plus élevés pourraient encourager les consommateurs à utiliser des méthodes de mise en conserve non sécuritaires.

En abordant la question de l’intérêt public, le Tribunal a jugé opportun d’examiner le marché des marchandises en question. Les couvercles, les disques et les bocaux sont des produits saisonniers qui ne sont achetés que par un nombre limité de consommateurs en vue de répondre à des besoins précis dans une année donnée. Les bocaux sont réutilisables pour de longues périodes. Le marché des couvercles, des disques et des bocaux est petit. Par ailleurs, quelle que soit l’année choisie, les achats de couvercles, de disques et de bocaux ne représentent qu’une petite proportion de l’ensemble des dépenses de consommation. En outre, le Tribunal souligne que, dans la présente cause, les branches de production en aval n’achètent qu’un volume limité des marchandises en question.

Les avocats de Kerr et le Directeur ont allégué qu’il n’existe aucune autre source d’approvisionnement des marchandises en question et que, par conséquent, l’imposition de droits antidumping donnerait à la branche de production nationale une position monopolistique. À cet égard, le Tribunal n’est pas convaincu qu’il n’existe pas d’autres fournisseurs de couvercles, de disques et de bocaux. Les éléments de preuve montrent qu’un troisième producteur des marchandises en question installé aux États-Unis, à savoir Anchor, était auparavant présent sur le marché canadien [3] et continue d’être présent sur le marché américain des prix bas de gamme [4] . Si les prix augmentaient sur le marché canadien, Anchor pourrait s’intéresser une fois de plus au marché intérieur. En outre, le Tribunal fait remarquer que d’autres fabricants de contenants en verre au Canada, aux États-Unis et au Mexique ont la capacité de fournir des bocaux, attendant que le marché offre des occasions rentables [5] . Enfin, comme les avocats de Bernardin et de Consumers Glass l’ont souligné, les couvercles et les disques, dont une des parties composantes est un coût de transport raisonnable, sont produits à l’heure actuelle dans au moins un autre pays non visé et pourraient bientôt être produits dans plusieurs autres pays [6] .

Les avocats de Kerr et le Directeur ont également soutenu que l’imposition de droits antidumping priverait les consommateurs de prix concurrentiels. De l’avis du Tribunal, il est probable que les prix augmentent sur le marché intérieur. C’est même une conséquence normale de conclusions de dommage. Cependant, plusieurs facteurs auront tendance à limiter le montant de toute hausse de prix qui pourrait être enregistrée. Premièrement, les prix ne peuvent être augmentés à un niveau trop élevé sans que cela incite de nouveaux producteurs à entrer sur le marché, comme cela a été expliqué ci-dessus. Deuxièmement, Bernardin et Consumers Glass vendent, dans une grande mesure, à d’importants détaillants qui exerceront sans aucun doute leurs gros atouts dans la négociation des prix. Troisièmement, il est probable que les consommateurs résistent aux hausses de prix dans un marché qui est déj?E0… réputé être à maturité ou en déclin, vu que les consommateurs ont accès à d’autres méthodes de conservation des aliments, notamment la congélation, et vu que le public canadien peut déjà aisément se procurer, à de bons prix, des produits alimentaires mis en conserve, à des points de vente. Le Tribunal ne doute pas que ces facteurs auront pour effet de limiter le niveau de toute augmentation des prix que voudraient imposer les fournisseurs.

Le Tribunal a également examiné l’argument selon lequel une augmentation des prix des couvercles, des disques et des bocaux frappera de façon disproportionnée les familles à faible revenu. Cet argument a été présenté par les avocats de Kerr qui s’appuyaient sur un échantillon non aléatoire de personnes qui faisaient de la mise en conserve domestique en 1992 [7] . Par comparaison, les résultats de la recherche menée par le témoin de Bernardin indiquaient qu’il fallait tirer une conclusion contraire [8] . Le Tribunal estime que la mise en conserve domestique est effectuée par des personnes de tous les paliers de revenu et que le souci d’économie n’est qu’une des nombreuses raisons de la mise en conserve domestique.

Enfin, le Tribunal a examiné l’argument voulant qu’une augmentation des prix des couvercles, des disques et des bocaux poussera certains consommateurs à utiliser des méthodes de mise en conserve moins coûteuses et non sécuritaires. Les éléments au dossier montrent [9] qu’une certaine proportion des consommateurs ont utilisé, dans le passé, d’autres méthodes de mise en conserve domestique peut-être non sécuritaires. Cependant, le Tribunal n’est pas convaincu qu’une augmentation des prix de ces produits fera croître le nombre des personnes qui utilisent des méthodes de remplacement non sécuritaires. Le coût des couvercles, des disques et des bocaux n’est pas une grosse dépense pour le consommateur et, comme il a déjà été expliqué, il y a une limite à l’augmentation de prix qui peut être enregistrée. En outre, le Tribunal fait remarquer qu’en recourant à de la publicité éducative et à du matériel promotionnel, Bernardin cherche à informer les consommateurs sur les méthodes sécuritaires de mise en conserve domestique. Le Tribunal estime qu’il est probable que Bernardin intensifie davantage ses efforts de sensibilisation des consommateurs s’il obtient un meilleur rendement sur ses ventes. En effet, il est dans l’intérêt de Bernardin d’agir ainsi en vue d’accroître le volume de ses ventes.

Pour les raisons susmentionnées, le Tribunal n’est pas convaincu qu’il existe une question de l’intérêt public probante pour justifier un examen plus poussé. Par conséquent, aucun rapport ne sera présenté au ministre des Finances.

Robert C. Coates, c.r.
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Robert C. Coates, c.r.
Membre présidant


Desmond Hallissey
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Desmond Hallissey
Membre


Lise Bergeron
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Lise Bergeron
Membre


1. L.R.C. (1985), ch. S-15, modifiée par L.C. 1994, ch. 47.

2. L.R.C. (1985), ch. C-34.

3. Transcription de la session publique , vol. 1, le 26 septembre 1995 à la p. 192.

4. Transcription de la session publique , vol. 1, le 26 septembre 1995 aux pp. 283-86.

5. Transcription de la session publique , vol. 2, le 27 septembre 1995 aux pp. 500-2.

6. Transcription de la session publique , vol. 1, le 26 septembre 1995 aux pp. 21-22 et 136.

7. Pièce du fabricant A-46 (protégée), dossier administratif, vol. 10.1.

8. Transcription de la session publique , vol. 1, le 26 septembre 1995 aux pp. 177-78.

9. Pièce du fabricant A-46 (protégée), dossier administratif, vol. 10.1.


[ Table des matières]

Publication initiale : le 28 août 1996