BIÈRE

Réexamens (article 76)


BOISSON DE MALT, COMMUNÉMENT APPELÉE BIÈRE, D'UNE TENEUR ALCOOLIQUE EN VOLUME D'AU MOINS 1 p. 100 ET D'AU PLUS 6 p. 100, EN BOUTEILLES OU EN BOÎTES D'AU PLUS 1 180 mL (40 oz), ORIGINAIRE OU EXPORTÉE DES ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE PAR PABST BREWING COMPANY, G. HEILEMAN BREWING COMPANY INC. ET THE STROH BREWERY COMPANY, LEURS SUCCESSEURS ET AYANTS DROIT, OU EN LEUR NOM, POUR UTILISATION OU CONSOMMATION DANS LA PROVINCE DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE
Réexamen no : RR-94-001

TABLE DES MATIÈRES


Ottawa, le vendredi 2 décembre 1994

Réexamen no : RR-94-001

EU ÉGARD À un réexamen, aux termes du paragraphe 76(2) de la Loi sur les mesures spéciales d'importation, des conclusions de préjudice sensible rendues par le Tribunal canadien du commerce extérieur le 2 octobre 1991, dans le cadre de l'enquête no NQ-91-002, concernant la :

BOISSON DE MALT, COMMUNÉMENT APPELÉE BIÈRE, D'UNE TENEUR ALCOOLIQUE EN VOLUME D'AU MOINS 1 p. 100 ET D'AU PLUS 6 p. 100, EN BOUTEILLES OU EN BOÎTES D'AU PLUS 1 180 mL (40 oz), ORIGINAIRE OU EXPORTÉE DES ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE PAR PABST BREWING COMPANY, G. HEILEMAN BREWING COMPANY INC. ET THE STROH BREWERY COMPANY, LEURS SUCCESSEURS ET AYANTS DROIT, OU EN LEUR NOM, POUR UTILISATION OU CONSOMMATION DANS LA PROVINCE DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE

O R D O N N A N C E

Conformément aux dispositions du paragraphe 76(2) de la Loi sur les mesures spéciales d'importation, le Tribunal canadien du commerce extérieur a procédé à un réexamen des conclusions de préjudice sensible qu'il a rendues le 2 octobre 1991, dans le cadre de l'enquête no NQ-91-002.

Aux termes du paragraphe 76(4) de la Loi sur les mesures spéciales d'importation, le Tribunal canadien du commerce extérieur annule par la présente les conclusions susmentionnées.

Robert C. Coates, c.r.
_________________________
Robert C. Coates, c.r.
Membre présidant


Charles A. Gracey
_________________________
Charles A. Gracey
Membre


Lyle M. Russell
_________________________
Lyle M. Russell
Membre


Michel P. Granger
_________________________
Michel P. Granger
Secrétaire

Loi sur les mesures spéciales d'importation - Déterminer s'il y a lieu d'annuler ou de proroger, avec ou sans modification, les conclusions de préjudice sensible rendues par le Tribunal canadien du commerce extérieur le 2 octobre 1991, dans le cadre de l'enquête no NQ-91-002.

Lieu de l'audience : Ottawa (Ontario)
Dates de l'audience : Du 26 au 28 septembre 1994
Date de l'ordonnance
et des motifs : Le 2 décembre 1994

Membres du Tribunal : Robert C. Coates, c.r., membre présidant
Charles A. Gracey, membre
Lyle M. Russell, membre

Directeur de la recherche : Marcel J.W. Brazeau

Gestionnaire de la recherche : Ken Campbell

Agents de la recherche : W. Douglas Kemp
Peter Rakowski

Directeur de la
recherche économique : Dennis Featherstone

Préposés aux statistiques : Margaret Saumweber
Joanne Halliday

Avocat pour le Tribunal : John L. Syme

Agent à l'inscription et à
la distribution : Joël Joyal


Participants : Peter Clark
C.J. Michael Flavell, c.r.
pour Molson Breweries, Division de l'Ouest
Labatt Breweries of British Columbia
Pacific Western Brewing Company,
A Division of Pacific Pinnacle
Investments Ltd.
Association des brasseurs du Canada

(producteurs-autre)
John T. Morin, c.r.
Michael J.W. Round
Bill Alberger
pour G. Heileman Brewing Company Inc.

Paul D. Burns
Allan H. Turnbull
pour The Stroh Brewery Company

P. John Landry, Me Greg A. Tereposky
pour Pabst Brewing Company

James L. Shields
Graham E.S. Jones
pour Directeur des enquêtes et recherches,
Loi sur la concurrence
(exportateurs-autre)

Témoins :

Gordon Hall
Gestionnaire, Recherche intégrée et élaboration des politiques
Direction générale de la distribution des alcools
Ministère du Procureur général de la Colombie-Britannique

Barry Seims
Expert-conseil
Pacific Western Brewing Company, A Division of Pacific Pinnacle Investments Ltd.

A.L. (LeRoy) Peterson
Contrôleur
Molson Breweries, Division de l'Ouest

John R. Winter
Vice-président, Affaires publiques
Molson Breweries, Division de l'Ouest

Robert J. Kemble
Directeur général
Labatt Breweries of British Columbia

B.J. (Barry) Dixon
Contrôleur provincial
Labatt Breweries of British Columbia

Adresser toutes les communications au :

Secrétaire
Tribunal canadien du commerce extérieur
Standard Life Centre
333, avenue Laurier ouest
15e étage
Ottawa (Ontario)
K1A 0G7

EXPOSÉ DES MOTIFS

CONTEXTE

Il s'agit d'un réexamen, aux termes du paragraphe 76(2) de la Loi sur les mesures spéciales d'importation [1] (la LMSI), des conclusions de préjudice sensible rendues par le Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) le 2 octobre 1991, dans le cadre de l'enquête no NQ-91-002, concernant la boisson de malt, communément appelée bière, d'une teneur alcoolique en volume d'au moins 1 p. 100 et d'au plus 6 p. 100, en bouteilles ou en boîtes d'au plus 1 180 mL (40 oz), originaire ou exportée des États-Unis d'Amérique par Pabst Brewing Company, G. Heileman Brewing Company Inc. et The Stroh Brewery Company, leurs successeurs et ayants droit, ou en leur nom, pour utilisation ou consommation dans la province de la Colombie-Britannique.

Conformément au paragraphe 76(2) de la LMSI, le Tribunal a procédé à un réexamen des conclusions et a publié un avis de réexamen [2] le 25 mai 1994. Cet avis a été envoyé à toutes les parties intéressées connues.

Dans le cadre de ce réexamen, le Tribunal a envoyé des questionnaires à l'Association des brasseurs du Canada (l'Association), aux producteurs de la Colombie-Britannique, aux exportateurs et à la Direction générale de la distribution des alcools (la DGDA) du ministère du Procureur général de la Colombie-Britannique, l'importateur des marchandises en question. À partir des réponses à ces questionnaires et de renseignements obtenus d'autres sources, le personnel de la recherche du Tribunal a préparé des rapports public et protégé préalables à l'audience. Dans le cadre de son travail, le personnel de la recherche du Tribunal a rencontré des producteurs nationaux en Colombie-Britannique, de même que les représentants de la DGDA, pour répondre aux questions au sujet des questionnaires. En outre, le dossier du présent réexamen contient tous les documents pertinents, y compris les conclusions, l'avis de réexamen et les parties publiques et confidentielles des réponses aux questionnaires. Toutes les pièces publiques ont été mises à la disposition des parties intéressées, tandis que les pièces protégées n'ont été distribuées qu'aux avocats et au procureur indépendants qui avaient déposé auprès du Tribunal un acte de déclaration et d'engagement.

Des audiences publiques et à huis clos ont été tenues à Ottawa (Ontario), les 26, 27 et 28 septembre 1994.

Les producteurs, Molson Breweries, Division de l'Ouest (Molson), Labatt Breweries of British Columbia (Labatt) et Pacific Western Brewing Company, A Division of Pacific Pinnacle Investments Ltd. (PWB), étaient représentés à l'audience par des avocats et un procureur, ont produit des éléments de preuve et ont plaidé en faveur de la prorogation des conclusions. L'Association était représentée par un avocat et un procureur, mais n'a pas assisté à l'audience.

G. Heileman Brewing Company Inc. (Heileman), The Stroh Brewery Company (Stroh) et Pabst Brewing Company (Pabst), trois exportateurs des États-Unis, étaient représentés par des avocats à l'audience. Ils ont plaidé en faveur de l'annulation des conclusions.

Le directeur des enquêtes et recherches, Loi sur la concurrence (le Directeur), était représenté par des avocats à l'audience et a plaidé en faveur de l'annulation des conclusions.

PRODUIT

Le produit visé par le présent réexamen est défini comme la boisson de malt, communément appelée bière, d'une teneur alcoolique en volume d'au moins 1 p. 100 et d'au plus 6 p. 100, en bouteilles ou en boîtes (ci-après désignées «canettes») d'au plus 1 180 mL (40 oz), originaire ou exportée des États-Unis d'Amérique par Pabst Brewing Company, G. Heileman Brewing Company Inc. et The Stroh Brewery Company, leurs successeurs et ayants droit, ou en leur nom, pour utilisation ou consommation dans la province de la Colombie-Britannique.

La définition du produit comprend l'ale, la bière basse, le stout et le porter, mais non la bière en fûts ou en contenants d'une capacité supérieure à 1 180 mL, normalement appelée bière pression dans le commerce. La définition englobe la bière non pasteurisée ou filtrée à froid, qui peut être désignée bière pression, en emballages d'au plus 1 180 mL, mais non la bière panachée.

Les principaux ingrédients de la bière sont : 1) l'eau, 2) des succédanés, comme le houblon, le maïs ou le riz pour le goût, et l'amidon, et 3) la levure pour la fermentation. Dans le processus du brassage, le malt est mélangé avec de l'eau purifiée et le tout est chauffé dans des conditions rigoureusement contrôlées de sorte que les amidons dans le malt sont transformés en sucres. De l'amidon provenant d'autres céréales est ajouté selon le type de bière produite. L'épais mélange de maische est filtré et le liquide ambré ainsi obtenu, appelé moût, est mis dans des chaudières en cuivre ou en acier inoxydable où il est porté à ébullition, puis refroidi rapidement. Pendant ce processus, du houblon est ajouté pour accentuer le goût et le bouquet du brassin.

Une fois refroidi, le moût est transféré dans des cuves de fermentation et la levure est alors ajoutée. La levure décompose les sucres dans le moût et les transforme en gaz carbonique et en alcool. Après environ sept jours de fermentation, la levure et le résidu sont extraits et la bière est refroidie jusqu'à ce qu'elle atteigne presque le point de congélation. Elle est ensuite entreposée dans des cuves de maturation. Le vieillissement dure d'une à plusieurs semaines pendant lesquelles la bière est filtrée un certain nombre de fois et gazéifiée.

Après avoir subi des contrôles de la qualité, la bière est prête à être mise en bouteilles, en canettes ou en fûts. Les bouteilles ou les canettes pleines sont ensuite pasteurisées pour prolonger la durée de conservation. Les bouteilles et les canettes étiquetées sont inspectées électroniquement, puis emballées dans des cartons aux fins d'entreposage et d'expédition aux entrepôts et, ultérieurement, aux points de vente au détail.

INDUSTRIE DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE

En Colombie-Britannique, trois brasseries principales produisent la bière en question. Ce sont Labatt, Molson et PWB. Ces trois sociétés représentent 97 p. 100 de la production en Colombie-Britannique. Le reste de la production provient d'un certain nombre de microbrasseries et de brasseries-bistrots.

Labatt est une unité d'exploitation de Labatt Breweries of Canada, qui est une division de La compagnie de brassage Labatt Limitée, elle-même propriété exclusive de John Labatt Limitée, de London (Ontario). Labatt, dont le siège social est situé à Vancouver (Colombie-Britannique), exploite deux brasseries dans cette province, l'une à New Westminster et l'autre à Creston.

Molson est une filiale en propriété exclusive de Molson Breweries, une société en nom collectif de l'Ontario, qui groupe Les Compagnies Molson Limitée, société canadienne ouverte, Les Brasseries Carling O'Keefe du Canada Limitée (Carling O'Keefe), une filiale en propriété exclusive de Foster's Brewing Group Limited (anciennement Elders IXL Limited d'Australie), et Miller Brewing of Canada Ltd.

Le plus petit des trois producteurs, PWB, exploite une brasserie à Prince George (Colombie-Britannique). PWB était une unité d'exploitation d'International Potter Distilling Corporation (Potter) de Vancouver avant le 28 février 1991, date où Potter a vendu sa brasserie de Prince George à Pacific Pinnacle Investments Ltd., une société de Vancouver.

DISTRIBUTION DU PRODUIT

La DGDA est le seul importateur des marchandises en question en Colombie-Britannique. Elle se charge de l'importation, de la distribution et de la vente au détail de la bière importée dans la province. Bien que la DGDA soit l'importateur de toutes les marchandises en question, d'autres sociétés ou mandataires, qui agissent au nom des exportateurs, sont responsables de leurs propres activités administratives et publicitaires liées à l'importation et à la revente des marchandises en question.

La DGDA exploite 2 entrepôts et environ 220 magasins gouvernementaux des alcools disséminés dans toute la province. L'entrepôt principal se trouve à Vancouver et l'autre, à Kamloops. En plus d'exploiter les magasins des alcools, le gouvernement autorise 135 points de vente au détail privés (agents ruraux) à agir comme mandataires de la DGDA. Plus de 6 400 établissements détiennent un permis de vente de bière à consommer sur place, dont 740 ont aussi un permis de vente au comptoir de bière conditionnée à emporter (titulaires de permis). En 1985, ces titulaires de permis ont été autorisés à demander un permis d'exploitation d'un magasin de détail adjacent à leur établissement. Il y a actuellement 270 de ces magasins de détail qui appartiennent à des titulaires de permis, communément appelés magasins de bière froide et de vin.

Les brasseurs de la Colombie-Britannique livrent directement de leurs usines à tous les détaillants. Molson et Labatt utilisent le parc de camions de leur coentreprise, Pacific Brewers Distributors Limited.

Avant septembre 1993, la bière importée n'était livrée qu'à partir des deux entrepôts de la DGDA aux magasins gouvernementaux des alcools. La DGDA possède son propre parc de véhicules de livraison dans la région métropolitaine de Vancouver et retient les services de transporteurs publics à qui elle confie ses expéditions vers toutes les autres localités de la province. La DGDA exploite également, à l'entrepôt de Vancouver, un magasin réservé exclusivement aux titulaires de permis. Elle en exploite un deuxième à Victoria.

Le 26 septembre 1993, les brasseries exportatrices ont été autorisées à livrer elles-mêmes la bière, et partant, à se retirer du réseau de distribution de la DGDA. Les sociétés qui livrent elles-mêmes leur bière ne paient plus les frais de service (0,20 $/L), avant marge bénéficiaire, imposés pour couvrir les frais de distribution de la DGDA. En outre, les brasseries exportatrices qui livrent elles-mêmes la bière ont droit à un rabais de 0,09 $/L au titre des frais de service, après marge bénéficiaire, pour couvrir les frais de manutention au détail qu'assumait auparavant la DGDA. Pabst et Stroh ont décidé de livrer elles-mêmes leur bière dans la province, tandis que Heileman a choisi de continuer à participer au réseau de distribution de la DGDA.

RÉSUMÉ DES CONCLUSIONS DE 1991

Le 2 octobre 1991, le Tribunal a conclu que le dumping de la bière en question originaire ou exportée des États-Unis par ou au nom des trois sociétés américaines désignées, pour utilisation ou consommation dans la province de la Colombie-Britannique, avait causé, causait et était susceptible de causer un préjudice sensible à la production en Colombie-Britannique de marchandises similaires.

En 1990, la valeur globale estimative du marché des marchandises en question en Colombie-Britannique s'établissait à environ 500 millions de dollars. Les trois plaignantes, Molson, Labatt et PWB, représentaient 99 p. 100 de la production totale de la Colombie-Britannique. Elles ont soutenu être victimes d'un préjudice sensible sous la forme de la compression des prix et des marges, de la baisse des bénéfices et de la diminution des investissements.

Pour rendre sa décision dans cette cause, le Tribunal a dû déterminer si les producteurs de la Colombie-Britannique constituaient une industrie régionale distincte au sens du Code antidumping du GATT [3] (le Code). Il a conclu que le marché de la Colombie-Britannique constituait un marché isolé et que les producteurs de bière de cette province pouvaient être considérés comme constituant une industrie régionale distincte.

Les éléments de preuve déposés ont révélé qu'entre le 1er avril 1990 et le 31 mars 1991, les ventes combinées de bière conditionnée de Labatt et de Molson en Colombie-Britannique représentaient 95 p. 100 de leurs ventes totales de bière conditionnée au Canada. Aucun renseignement sur les ventes de PWB à d'autres provinces n'était disponible. Par conséquent, le Tribunal était convaincu que les producteurs de la Colombie-Britannique avaient vendu la totalité, ou la quasi-totalité, de leur production sur le marché de la Colombie-Britannique. En outre, les éléments de preuve ont indiqué que la pénétration de la bière produite dans d'autres provinces sur le marché de la Colombie-Britannique était négligeable. Moins de 1 p. 100 de la bière conditionnée consommée en Colombie-Britannique de 1987 à 1990 provenait de producteurs établis dans d'autres provinces. Le Tribunal a donc jugé que la demande de bière conditionnée en Colombie-Britannique n'était pas satisfaite dans une mesure substantielle par des producteurs situés ailleurs au Canada.

Après avoir établi que la Colombie-Britannique constituait un marché isolé, le Tribunal a tenté de déterminer s'il y avait concentration d'importations sous-évaluées sur ce marché. Il a appliqué le «critère de la distribution», qui permet de comparer le volume des importations sur un marché régional et le volume des importations sur l'ensemble du territoire national. Le Tribunal a conclu qu'en 1988, 1989 et 1990, 37 p. 100, 20 p. 100 et 29 p. 100 respectivement de l'ensemble des marchandises en question importées au Canada étaient destinées à la Colombie-Britannique. En outre, la part des importations totales en question en Colombie-Britannique était 2,9 fois plus élevée que la part de la Colombie-Britannique pour ce qui est de la consommation totale des marchandises en question au Canada en 1990. Compte tenu de ce qui précédait, le Tribunal a conclu que les marchandises en question constituaient une concentration d'importations sur le marché de la Colombie-Britannique.

Les éléments de preuve ont révélé une augmentation importante de la part du marché des importations et l'existence d'une compression des prix sur le marché au cours de la période à l'étude. La compression des prix a été en grande partie responsable de l'érosion soutenue des bénéfices bruts et du revenu net avant impôt au sein de l'industrie de la Colombie-Britannique. L'érosion des bénéfices bruts a été accentuée par l'augmentation des coûts attribuable à l'abandon des bouteilles au profit des canettes. Le Tribunal était d'avis que l'ordre de grandeur du préjudice causé à l'industrie de la Colombie-Britannique était important.

Pour ce qui est de l'avenir, le Tribunal a reconnu que l'imposition récente de frais de service sur les marchandises importées par la DGDA avait entraîné la montée en flèche des prix affichés (au détail) des importations sous-évaluées qui, s'ils étaient demeurés au même niveau, auraient pu permettre à l'industrie de la Colombie-Britannique de récupérer une partie de ses pertes financières. Cependant, le Tribunal était d'avis que si les droits antidumping n'étaient pas maintenus, les exportateurs recommenceraient à pratiquer le dumping et pourraient, le cas échéant, absorber une partie ou la totalité des frais de service afin de ramener leurs prix à l'échelon inférieur du marché et de continuer d'accroître leur part du marché au détriment de l'industrie de la Colombie-Britannique. Le Tribunal a donc conclu que le dumping de la bière en question par les exportateurs désignés, soit Pabst, Heileman et Stroh, était susceptible de causer un préjudice sensible à la production en Colombie-Britannique de marchandises similaires.

INDICATEURS ÉCONOMIQUES

Les données présentées dans le cadre de l'enquête de 1991 indiquaient que le marché de la bière conditionnée en question en Colombie-Britannique était passé de 1,71 million de hL en 1987 à 1,94 million de hL en 1990, une augmentation globale de 13,4 p. 100. Les plaignantes détenaient la plus grande partie du marché. En 1990, leurs ventes de bière produite en Colombie-Britannique ont représenté 87,5 p. 100 du total de la bière conditionnée consommée en Colombie-Britannique, comparativement à 92,7 p. 100 en 1987. Les ventes de bière importée à partir des sources en question constituaient 4,1 p. 100 du marché total de la Colombie-Britannique en 1987. Elles sont passées de 71 000 hL à 156 000 hL entre 1987 et 1990 et intervenaient pour 8,1 p. 100 du marché.

Les données présentées dans le présent réexamen indiquent que le marché de la bière conditionnée en Colombie-Britannique n'a connu qu'une faible croissance depuis 1990; en 1993, il s'établissait à 1,98 million de hL, une hausse d'environ 40 000 hL au cours de la période à l'étude. Cependant, au premier trimestre de 1994, il a progressé de 3 p. 100 par rapport au même trimestre de 1993.

Les ventes effectuées sur le marché de la Colombie-Britannique à partir de la production de cette province par les trois plus grandes brasseries (Labatt, Molson et PWB) n'ont cessé de diminuer au cours de la période de réexamen, c'est-à-dire de 1991 jusqu'au premier trimestre de 1994. Cette baisse a toutefois été compensée par une augmentation des ventes de bière conditionnée importée en Colombie-Britannique par Labatt et Molson à partir de leurs brasseries canadiennes affiliées. Au total, les ventes des trois producteurs, de même que celles des microbrasseries et des brasseries-bistrots, ont augmenté de 4 p. 100 entre 1991 et 1993, et de 3 p. 100 au premier trimestre de 1994 par rapport à la même période de 1993.

Les ventes de bière importée par Pabst, Heileman et Stroh ont diminué après 1991, année où les conclusions de préjudice ont été rendues. Les ventes combinées de ces trois sociétés ont chuté de 76 p. 100 entre 1991 et 1993, tandis que leur part du marché a reculé de 4 p. 100 pour s'établir à 1 p. 100 au cours de la même période. Cette tendance à la baisse des ventes s'est maintenue au premier trimestre de 1994.

Au cours de la période faisant l'objet du réexamen, l'industrie de la Colombie-Britannique a enregistré une amélioration importante de ses résultats financiers, après avoir subi une grande perte au chapitre du revenu net au cours de l'exercice 1991. Même si la situation financière de PWB a été moins positive que celle de Labatt et de Molson, l'industrie a réalisé un bénéfice net avant impôt combiné de quelque 10 p. 100 entre les exercices 1992 et 1994. Cette amélioration du rendement financier a découlé d'une hausse des prix de vente et d'une réduction des coûts de production, qui ont entraîné une augmentation des marges brutes des trois producteurs d'une année à l'autre. En outre, les données relatives à l'industrie révèlent que les producteurs ont eu de plus en plus de facilité à pénétrer les marchés d'exportation, plus particulièrement au cours de l'exercice 1994.

La concurrence que se livrent les trois grands brasseurs des États-Unis au chapitre des prix de la bière qu'ils exportent a été en grande partie concentrée sur le secteur de la bière vendue à rabais et, plus particulièrement, sur les emballages de six canettes. Au milieu de 1991, en réponse à la décision provisoire de dumping rendue par le ministère du Revenu national, les prix affichés de la bière importée ont monté en flèche à partir d'approximativement 5,20 $/emballage de six canettes.

Le 1er avril 1992, les prix ont augmenté de façon importante pour une deuxième fois lorsque la DGDA a établi une marge bénéficiaire minimale de 1,00 $/L. Cette mesure a entraîné une augmentation du prix de la bière importée et nationale vendue à rabais. Le 1er avril 1993, la DGDA a fixé un prix affiché minimal de 3 $/L (6,40 $/emballage de six canettes), ce qui a encore une fois fait augmenter le prix de la bière importée et nationale vendue à rabais.

Le prix affiché de la bière vendue à rabais a augmenté de plus de 1,00 $/emballage de six canettes, et ce, en grande partie à cause de ces trois facteurs. Le prix affiché en juin 1991, c'est-à-dire environ 5,20 $, s'établissait à approximativement 6,40 $ en avril 1993. Depuis l'imposition d'un prix affiché minimal à cette date, les prix de la bière vendue à rabais se sont stabilisés pour varier entre 6,40 $ et 6,75 $/emballage de six canettes.

RÉSUMÉ DE LA POSITION DES PARTIES

Industrie nationale

L'avocat et le procureur représentant l'industrie nationale ont soutenu que dans le cadre d'un réexamen, le Tribunal doit concentrer son analyse seulement sur la tendance à pratiquer le dumping et sur la vulnérabilité à une reprise du dumping; il ne doit pas tenir compte de la définition technique du marché régional que donne le Code. La question du marché régional ne doit pas constituer un facteur dans le cadre d'un réexamen.

Pour ce qui est de la tendance à pratiquer le dumping, l'avocat et le procureur étaient d'avis que la situation des brasseries en question aux États-Unis est telle que si elles en ont l'occasion, elles vendent à n'importe quel prix et sur n'importe quel marché pour obtenir les ventes. Elles ont perdu une part du marché dans leur pays et leurs expéditions diminuent. Une grande partie de leur capacité n'est pas utilisée et le prix représente le seul facteur dont elles tiennent compte pour vendre. La Colombie-Britannique est également un point de vente commode pour deux des trois brasseries qui exploitent des usines dans des États avoisinants.

Dans le cas de la vulnérabilité, l'avocat et le procureur s'en sont remis aux pièces confidentielles de l'industrie [4] qui visent à démontrer l'incidence négative d'une reprise du dumping sur les volumes des ventes et les recettes des producteurs de la Colombie-Britannique. Ils ont soutenu qu'en l'absence des conclusions, les exportateurs réintégreraient le marché en réduisant les prix de la bière vendue à rabais, ce qui entraînerait des pertes de volume et de valeur dans ce secteur, de même qu'une érosion des prix et des pertes de volume dans les secteurs autres que celui de la bière vendue à rabais. Les producteurs ne pourraient et ne devraient pas penser que les prix minimaux affichés demeureront en vigueur. Cette mesure sociale sera vraisemblablement contestée par les autorités américaines.

Pour ce qui est de la situation du marché régional, l'avocat et le procureur ont demandé au Tribunal de rejeter cette question en raison de la jurisprudence et du contenu de l'article 4 du Code. Ils ont soutenu que l'article 4 porte sur les décisions de préjudice et que, dans la cause des Fours à micro-ondes [5] , le Tribunal canadien des importations a décidé que dans une instance de réexamen, l'article 4 ne s'applique pas.

L'avocat et le procureur ont également demandé au Tribunal de tenir compte du fait que, logiquement, l'article 4 du Code ne peut s'appliquer à un réexamen parce que deux des quatre éléments requis pour statuer sur l'existence d'un marché régional, c'est-à-dire la concentration des importations sous-évaluées sur le marché régional et le préjudice causé aux producteurs nationaux sur ce marché, ont trait à la détermination du préjudice. Il est impossible de conclure à la concentration après avoir rendu des conclusions de préjudice, pas plus que l'on ne peut affirmer qu'il y a eu préjudice causé par le dumping, car les conclusions ont pour but d'éliminer le préjudice.

Par ailleurs, l'avocat et le procureur ont soutenu que même si les exigences relatives à l'existence d'un marché régional devaient être prises en compte, les faits relatifs à la présente cause révèlent qu'un marché régional existe encore. Les expéditions de Labatt et de Molson en Colombie-Britannique et vers les marchés d'exportation représentaient des transferts intersociétés de nature transitoire. Les innovations technologiques, qui exigeaient d'importants investissements de capitaux et qui ont débouché sur la mise au point de nouvelles bières (bière pression et bière de type «ice» en bouteilles) doivent, de l'avis de l'avocat et du procureur, être exclues de la décision à savoir s'il existe encore un marché régional. D'après les plans d'investissement de l'industrie, il est évident que les producteurs de la Colombie-Britannique visent l'autosuffisance sur leur propre marché. En outre, selon l'avocat et le procureur, la cause des Barres d'armature [6] (la seule affaire au Canada) et la jurisprudence aux États-Unis laissent à entendre que des mouvements d'une vingtaine de points de pourcentage à l'intérieur et à l'extérieur d'un marché régional constituent des niveaux acceptables pour maintenir la nature intacte d'un marché régional.

L'avocat et le procureur ont indiqué que les conclusions ont été réexaminées [traduction] «à mi-course» alors que les producteurs traversaient une période de transition qui, d'après eux, devait durer cinq années complètes. Ils ont également fait remarquer l'absence de témoins pour les trois exportateurs à l'audience et l'impossibilité de ces derniers de [traduction] «faire valoir leur point» au chapitre de la tendance à pratiquer le dumping et du préjudice.

L'avocat et le procureur ont conclu par une déclaration générale, à savoir que [traduction] «l'on fabrique la bière là où on la vend [7] » et que, sous l'angle de la loi ou de la logique, la Colombie-Britannique demeure un marché régional.

Exportateurs

G. Heileman Brewing Company Inc.

Les avocats de Heileman ont soutenu qu'en l'absence d'un marché régional, les conclusions de préjudice sensible ne peuvent être prorogées. Dans le cadre d'exposés à savoir s'il existe ou non encore un marché régional de la bière en Colombie-Britannique, les avocats ont examiné deux propositions clés : déterminer si les producteurs de la Colombie-Britannique vendent la totalité ou la quasi-totalité de leur production en Colombie-Britannique et préciser si la demande en Colombie-Britannique est satisfaite dans une mesure substantielle par des producteurs établis ailleurs au Canada.

Pour ce qui est de la première proposition, les avocats ont prétendu que les données indiquent une augmentation soutenue des ventes de bière brassée en Colombie-Britannique et destinée à la consommation à l'extérieur de cette province. De l'avis des avocats, l'évolution du commerce interprovincial a facilité cette activité. Les obstacles commerciaux ont diminué et poursuivent ce mouvement, comme en fait foi le changement d'attitude du gouvernement de la Colombie-Britannique depuis 1991. De l'avis des avocats, en raison de ce facteur, les brasseurs de la Colombie-Britannique et les sociétés apparentées ne considèrent plus la Colombie-Britannique comme un marché isolé. Les avocats ont prétendu que les brasseurs envisagent le territoire de façon beaucoup plus vaste lorsqu'ils doivent prendre des décisions au chapitre de l'investissement et de la commercialisation.

En ce qui touche la deuxième proposition, les avocats ont fait remarquer la progression soutenue des importations de bière d'autres provinces en Colombie-Britannique depuis 1991. Selon eux, l'augmentation des ventes en Colombie-Britannique s'inscrit dans le cadre d'une vaste stratégie de production et de commercialisation en vertu de laquelle l'industrie vise à rationaliser sa production à mesure que les obstacles commerciaux diminuent. D'après les avocats, ces importations en Colombie-Britannique et ces exportations depuis cette province ne constituent pas des transitions temporaires, comme le laisse entendre l'industrie, mais plutôt une nouvelle façon de commercer au Canada dans l'industrie de la bière. En outre, les avocats ont soutenu que le récent Accord sur le commerce intérieur [8] aura essentiellement pour effet d'éliminer les derniers obstacles commerciaux dans l'ouest du Canada au cours de la prochaine année.

Pour ce qui est de la question de la concentration des importations sous-évaluées si les conclusions étaient annulées, les avocats ont soutenu que le régime de prix minimal en vigueur en Colombie-Britannique empêche les brasseurs américains d'accaparer une part importante du marché. À leur avis, l'incapacité de Pabst et de Stroh d'accroître leurs ventes même si elles vendent leur bière au prix minimal ou presque témoigne de ce fait. Les avocats ont laissé entendre que la seule conséquence de l'annulation des conclusions résiderait dans la tentative de leur client de vendre la bière Rainier au prix minimal affiché, ou presque.

Enfin, les avocats ont soutenu qu'il n'existe aucun élément de preuve crédible indiquant que la méthode d'établissement d'un prix minimal ne serait pas maintenue dans un avenir prévisible; toute autre conclusion ne serait que pure spéculation. Ils ont fait valoir que les éléments de preuve révèlent que le gouvernement de la Colombie-Britannique a résisté aux pressions exercées sur lui pour en arriver à un compromis sur l'établissement d'un prix minimal. Le gouvernement provincial est convaincu que sa politique est conforme au GATT et au Mémorandum d'accord États-Unis - Canada sur les pratiques provinciales de commercialisation de la bière [9] (le Mémorandum d'accord).

> The Stroh Brewery Company

Au sujet de la question du marché r?E9‚gional, les avocats de Stroh ont soutenu qu'un marché isolé ou régional peut être établi à l'intérieur d'un marché national dans des circonstances exceptionnelles, mais seulement s'il satisfait à deux critères, c'est-à-dire le critère de «la totalité ou la quasi-totalité» et le critère de la non-satisfaction «dans une mesure substantielle».

Pour ce qui est du critère de «la totalité ou la quasi-totalité», les avocats sont d'avis que les producteurs présents sur le marché régional doivent écouler au moins 90 p. 100 à 95 p. 100 de leur production sur le marché régional, comme il est établi dans la décision rendue par le Tribunal canadien des importations dans la cause des Oignons jaunes [10] . Dans le cas de la bière, les avocats ont fait remarquer qu'en 1992, année suivant les conclusions de préjudice sensible rendues par le Tribunal, le volume de la bière produite en Colombie-Britannique qui a été vendue dans d'autres provinces a augmenté d'environ 350 p. 100. Au cours de cette année, 24 p. 100 de la bière produite en Colombie-Britannique a été vendue dans d'autres provinces. En outre, en 1993, le volume de la bière vendue dans d'autres provinces est demeuré relativement stable, à 22 p. 100 de la production de la Colombie-Britannique. Par conséquent, les avocats ont fait valoir que le critère de «la totalité ou la quasi-totalité» n'avait pas été respecté.

Dans le cas du critère de la non-satisfaction «dans une mesure substantielle», les avocats ont déclaré qu'encore une fois, à la suite des conclusions de préjudice sensible rendues par le Tribunal, le pourcentage de la demande de la Colombie-Britannique satisfaite par les producteurs établis ailleurs au Canada a augmenté considérablement et n'a jamais diminué depuis. Invoquant la décision du Tribunal canadien des importations dans la cause de l'Urée solide [11] , les avocats ont fait valoir que la bière produite dans d'autres provinces et vendue sur le marché de la Colombie-Britannique a dépassé considérablement le niveau des 5 p. 100 déterminé dans cette cause.

Les avocats ont déclaré que l'ampleur de l'évolution du commerce interprovincial de la bière conditionnée fait mentir la notion à savoir que la circulation des marchandises est temporaire ou transitoire, comme l'a soutenu l'industrie. De l'avis des avocats, cette évolution découle de l'élimination des obstacles interprovinciaux; par ailleurs, la situation s'annonce meilleure en raison de l'entrée en vigueur de l'Accord sur le commerce intérieur prévue pour juillet 1995. De l'avis des avocats, la décision prise par les brasseurs nationaux de faire circuler la bière d'une province à l'autre constitue une pratique commerciale normale et non des circonstances exceptionnelles, comme l'indique le Code.

Pour ce qui est de la question de la concentration, les avocats ont fait remarquer qu'en 1991, les trois brasseurs des États-Unis détenaient 8 p. 100 du marché de la Colombie-Britannique. En 1993, ils détenaient ensemble 1 p. 100 du marché. Les avocats ont soutenu qu'en raison de l'application du régime de prix minimal, il est impossible de conclure qu'il y a eu concentration d'importations sous-évaluées. En outre, les avocats ont prétendu qu'aucun élément de preuve n'indique que le régime de prix minimal doit être modifié ou abandonné et que toute déclaration à cet égard défie la situation en vigueur en Ontario et au Québec, qui appliquent également des régimes de prix minimal.

En conclusion, les avocats ont soutenu que si un régime de prix minimal est appliqué, il est impossible de conclure qu'il y a tendance à pratiquer le dumping de la part de leur client et qu'il existe un préjudice sensible. Par conséquent, ils ont soutenu que les conclusions de préjudice sensible doivent être annulées.

Pabst Brewing Company

Les avocats de Pabst ont fait valoir que, contrairement à la position que défend l'industrie, le Tribunal doit déterminer s'il existe encore un marché régional même si l'on procède actuellement à un réexamen aux termes de l'article 76 de la LMSI. Les avocats ont soutenu que si le Tribunal ne peut revoir la question maintenant, il ne pourra le faire à l'échéance, c'est-à-dire cinq ans après les conclusions, ce qui constituerait une situation intenable. Ils ont invoqué le réexamen effectué dans la cause des Pommes de terre [12] comme preuve de la préoccupation du Tribunal à savoir s'il subsistait un marché régional à l'étape du réexamen. En outre, ils ont fait remarquer que le Code n'exclut pas un tel facteur lors du réexamen.

Pour ce qui est de la question du marché régional, les avocats ont soutenu que les gouvernements provinciaux, à la suite de contestations aux termes du GATT et conformément à des accords nationaux et internationaux, ont convenu d'éliminer bon nombre des restrictions interprovinciales qui avaient empêché la circulation de la bière. Les avocats ont déclaré que les brasseurs nationaux envisagent le marché d'un point de vue national, plutôt que régional, et ils effectuent des investissements de capitaux importants en conséquence. Les avocats ont prétendu que les méthodes de la DGDA ont profité à Labatt et à Molson parce qu'elles les ont aidées à rationaliser leur production et à conserver des emplois en Colombie-Britannique.

Les avocats ont soutenu que si les conclusions sont prorogées, elles doivent être modifiées pour en exclure Pabst. Selon eux, il n'existe pas de probabilité de reprise du dumping de la part de leur client et, même si le dumping reprend, il n'entraînerait vraisemblablement pas de préjudice sensible. De l'avis des avocats, dans la mesure où le régime de prix minimal demeure en place, Pabst ne peut absolument pas pratiquer le dumping parce qu'elle doit vendre ses produits à la DGDA à un prix supérieur au prix d'exportation minimal déterminé par le ministère du Revenu national.

Enfin, les avocats ont soutenu que les éléments de preuve révèlent que le régime de prix minimal demeurera en place dans un avenir prévisible. Ils ont souligné que des prix minimaux sont appliqués aux boissons alcooliques en Colombie-Britannique depuis 1989 et que depuis cette date, ils n'ont fait qu'augmenter. En outre, les avocats ont fait valoir qu'en Colombie-Britannique, la bière est assujettie à un prix minimal depuis environ 18 mois et que le gouvernement des États-Unis n'a pas encore contesté cette décision aux termes du GATT. De plus, les avocats ont soutenu que le gouvernement de la Colombie-Britannique a réussi à négocier récemment un accord avec les États-Unis au sujet du commerce de la bière, mais que cet accord ne prévoyait pas l'élimination du prix minimal ou la réduction à ce prix.

Directeur des enquêtes et recherches, Loi sur la concurrence

Les avocats du Directeur ont soutenu que deux changements économiques importants sur le marché de la bière de la Colombie-Britannique favorisent l'élimination des droits antidumping. Premièrement, la mise en œuvre du régime de prix minimal par le gouvernement de la Colombie-Britannique réduit la capacité des brasseurs des États-Unis d'appliquer des prix concurrentiels et de récupérer la part du marché qu'ils détenaient avant 1991. Deuxièmement, les avocats ont fait valoir que la mise en œuvre de l'Accord intergouvernemental sur les pratiques de commercialisation de la bière [13] (l'Accord intergouvernemental), le 1er janvier 1991, a entraîné une réduction des obstacles interprovinciaux au commerce. Selon eux, Molson et Labatt ont bien réagi à ces changements.

Les avocats ont également soutenu que l'élimination des droits antidumping n'entraînerait aucune réduction appréciable des bénéfices des brasseurs de la Colombie-Britannique. Ils ont prétendu que la politique de prix minimal du gouvernement de la Colombie-Britannique de même que le niveau élevé de concentration de Molson et de Labatt sur le marché de la Colombie-Britannique ne seraient pas menacés par de nouveaux intervenants sur ce marché.

En outre, les avocats ont demandé au Tribunal de tenir compte de la grande fidélité aux marques de bière Labatt et Molson, ce qui confère aux producteurs de la province une solide emprise sur le marché. Les avocats ont laissé entendre que le consommateur préférerait les produits Labatt et Molson et que ce facteur ainsi que la limitation de la capacité d'abaisser les prix empêcheraient les brasseurs des États-Unis de conquérir une part importante du marché.

Enfin, les avocats ont fait valoir que la politique de prix minimal du gouvernement de la Colombie-Britannique empêche grandement les brasseurs des États-Unis d'offrir des prix inférieurs à ceux des brasseurs nationaux. De l'avis des avocats, les brasseurs des États-Unis sont limités dans leur intervention auprès des consommateurs pour les convaincre de passer d'une marque de bière à une autre simplement en raison du prix. Par conséquent, pour les motifs susmentionnés, les avocats ont demandé l'annulation des conclusions.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Industrie régionale

Le Tribunal a procédé au présent réexamen aux termes du paragraphe 76(2) de la LMSI, qui prévoit ce qui suit :

Le Tribunal peut, de sa propre initiative ou à la demande du sous-ministre, de toute autre personne ou d'un gouvernement, réexaminer une ordonnance ou des conclusions rendues en vertu des articles 3 à 6 et à cette fin, accorder une nouvelle audition sur toute question.

Aux termes du paragraphe 76(2) de la LMSI, le Tribunal est autorisé à faire droit à une demande de réexamen après avoir rendu des conclusions en application des articles 3 à 6 de la LMSI. Le Tribunal a procédé au présent réexamen parce qu'à son avis, il était raisonnable de croire que la situation du marché de la bière en Colombie-Britannique avait changé.

L'avocat et le procureur représentant l'industrie nationale ont soutenu que parce qu'il s'agit d'un réexamen effectué conformément à l'article 76 de la LMSI, le Tribunal ne possède pas la compétence nécessaire pour réexaminer la question à savoir si une industrie régionale de la bière conditionnée continue d'exister en Colombie-Britannique. Pour étayer cette thèse, l'avocat et le procureur ont demandé au Tribunal de se reporter au paragraphe 1 de l'article 4 du Code. Ils ont soutenu que les deux derniers él?E9‚ments du paragraphe 1 ii) de l'article 4 du Code, c'est-à-dire la concentration d'importations sous-évaluées sur un marché isolé et le préjudice causé à la totalité ou à la quasi-totalité de la production, sont illogiques dans le cadre d'un réexamen. Ils ont fait valoir qu'étant donné que des conclusions ont été rendues à l'égard de la bière [14] , il n'y aurait pas de concentration d'importations sous-évaluées en Colombie-Britannique. Ils ont ajouté qu'il serait peu probable qu'un préjudice soit causé après les conclusions du Tribunal puisque ces dernières et l'imposition ultérieure de droits antidumping avaient précisément pour but de réparer ce préjudice.

L'avocat et le procureur de l'industrie nationale ont également invoqué la décision du Tribunal canadien des importations dans la cause des Fours à micro-ondes. Le Tribunal canadien des importations avait alors rejeté une demande présentée par un producteur national en vue de l'exclusion d'un autre producteur national de l'industrie canadienne [15] . Le Tribunal fait remarquer que dans cette cause, la question ne consistait pas à déterminer si une industrie régionale continuait d'exister, mais plutôt à préciser si le producteur national visé, qui était également un importateur des marchandises en question, devait être exclu de la définition de l'industrie nationale.

Le paragraphe 42(3) de la LMSI prévoit ce qui suit :

En examinant les questions relatives à la production ou à la mise en production de marchandises au Canada, le Tribunal tient compte des dispositions suivantes :

a) s'il s'agit d'un dumping, le paragraphe 1 de l'article 4 du [Code].

Conformément au paragraphe 1 ii) de l'article 4 du Code [16] , dans la cause de la Bière, le Tribunal a entendu des éléments de preuve et des arguments au sujet de l'existence d'une industrie régionale de la bière conditionnée en Colombie-Britannique. Il a conclu qu'une telle industrie existait en Colombie-Britannique. Dans l'Exposé des motifs de la cause de la Bière, le Tribunal a envisagé la possibilité de réexaminer ultérieurement ses conclusions si un changement apporté au régime de réglementation influait sur l'isolement du marché de la bière en Colombie-Britannique [17] .

Le paragraphe 76(2) de la LMSI prévoit que dans le cadre d'un réexamen, le Tribunal peut «accorder une nouvelle audition sur toute question» qu'il a entendue dans le cadre de l'examen d'origine. Comme il a déjà été mentionné, dans la cause de la Bière, le Tribunal a conclu à l'existence d'une industrie régionale de la bière conditionnée en Colombie-Britannique. Comme la question de l'industrie régionale constituait un élément fondamental dans le cadre de cette enquête, le Tribunal est d'avis qu'aux termes du paragraphe 76(2) de la LMSI, il peut, de sa propre initiative, «accorder une nouvelle audition» sur la question faisant l'objet du présent réexamen.

Aux termes du paragraphe 42(3) de la LMSI, le Tribunal doit, s'il s'agit d'un dumping, en examinant toute question relative à la production au Canada de toute marchandise, tenir compte du paragraphe 1 de l'article 4 du Code. En réexaminant la décision qu'il a rendue dans la cause de la Bière, le Tribunal se penche sur une question concernant la production de marchandises et est donc d'avis qu'il doit tenir compte, dans la présente cause, du paragraphe 1 de l'article 4 du Code.

Aux termes du paragraphe 76(2) de la LMSI, le Tribunal ne doit évidemment pas appliquer cette initiative de façon arbitraire ou irréfléchie, mais plutôt d'une manière conforme aux objectifs de la LMSI. Selon le Tribunal, la LMSI a pour objectif principal de protéger l'industrie intérieure, qu'il s'agisse d'une industrie nationale ou, dans des circonstances exceptionnelles, d'une industrie régionale, contre un préjudice sensible ou une menace de préjudice sensible causé par le dumping ou le subventionnement des importations. En conséquence, dans une affaire de dumping, il doit exister une industrie intérieure, qu'elle soit nationale ou régionale, à l'égard de laquelle on peut déterminer si le dumping cause ou menace de causer un préjudice sensible. En bref, en l'absence d'une industrie nationale, on ne peut conclure au préjudice sensible. D'après le Tribunal, lorsque des conclusions sont rendues en faveur d'une industrie nationale et qu'à la suite de ces conclusions, une question est soulevée au sujet du maintien de cette industrie, le Tribunal doit tenir compte de cette question dans le cadre d'un réexamen.

Ce point de vue est appuyé par la décision du Tribunal dans la cause des Raccords pour soudure en bout [18] . En décidant de ne pas proroger les conclusions, le Tribunal avait déclaré ce qui suit :

Comme le but des conclusions rendues par le [Tribunal canadien des importations] [...] était de protéger la production canadienne des marchandises en question contre le préjudice causé par le dumping, et que Macline, le seul producteur canadien de marchandises en question, ne produit plus ces marchandises, le Tribunal considère qu'il n'y a pas lieu de proroger les conclusions rendues [19] .

On trouve également une justification dans la décision rendue par le Tribunal dans la cause des Clés brutes [20] . Dans cette cause, le Tribunal a décidé de ne pas proroger les conclusions parce qu'il croyait que le seul producteur national était «une société passablement différente [au moment du réexamen] de ce qu'elle était au moment où les conclusions ont été rendues [21] ». Le Tribunal a conclu que le producteur national avait transféré une partie appréciable de sa production aux États-Unis et avait, pendant un certain temps, suspendu complètement la production au Canada.

D'autres éléments d'appui figurent dans la décision du Tribunal concernant les Oignons jaunes [22] . Dans cette cause, qui constituait un réexamen d'une décision du Tribunal canadien des importations, le Tribunal a d'abord tenté de déterminer si les producteurs d'oignons jaunes de la Colombie-Britannique constituaient encore une industrie régionale [23] .

Enfin, il convient de se rappeler que le présent réexamen a été entrepris par le Tribunal, car ce dernier était d'avis que les éléments disponibles indiquaient de façon raisonnable que des changements s'étaient produits sur le marché de la bière en Colombie-Britannique [24] . Il est évident que ces changements auraient pu influer sur le niveau du commerce interprovincial et international de la bière conditionnée et, par conséquent, sur l'existence d'une industrie régionale. Le Tribunal doit donc d'abord examiner la question sur laquelle se fonde le réexamen.

Si le Tribunal devait conclure que, malgré les changements qui se sont produits sur le marché, il subsiste une industrie régionale en Colombie-Britannique, il pourrait poursuivre son examen et tenter de déterminer s'il y a probabilité de reprise du dumping et, dans l'affirmative, si ce dumping causera vraisemblablement un préjudice sensible à cette industrie. Cependant, le Tribunal ne pourrait procéder à cette dernière analyse que s'il conclut qu'il subsiste une industrie régionale en Colombie-Britannique. Toute analyse du préjudice sensible dans une cause portant sur l'industrie régionale dépend de conclusions d'existence d'une industrie régionale. Sans industrie régionale, il n'existe aucun élément permettant de déterminer l'incidence probable d'importations sous-évaluées.

Le Tribunal est d'avis qu'aux termes du paragraphe 76(2) de la LMSI, il est habilité à procéder à une «nouvelle audition» de la question de l'industrie régionale dans le cadre du présent réexamen. En outre, compte tenu de l'importance fondamentale que revêt l'existence d'une industrie nationale dans une cause de dumping aux termes de la LMSI, il incombe au Tribunal d'examiner la question de l'industrie régionale dans le cadre du présent réexamen.

La Colombie-Britannique constitue-t-elle toujours un marché régional de la bière conditionnée?

Le paragraphe 1 ii) de l'article 4 du Code prévoit que le Tribunal ne peut conclure à l'existence d'une industrie régionale que dans des circonstances exceptionnelles. Pour déterminer si l'industrie de la bière conditionnée de la Colombie-Britannique constitue encore une industrie régionale, le Tribunal doit tenir compte des deux premières conditions du paragraphe 1 ii) de l'article 4 du Code, c'est-à-dire celles qui permettent de déterminer si la Colombie-Britannique est un marché isolé dans le cas de la bière conditionnée. Plus particulièrement, le Tribunal doit se poser les questions qui suivent. Les producteurs de bière conditionnée de la Colombie-Britannique vendent-ils la totalité ou la quasi-totalité de leur production en Colombie-Britannique? Par ailleurs, la demande de bière conditionnée en Colombie-Britannique n'est-elle pas satisfaite dans une mesure substantielle par des producteurs établis ailleurs au Canada?

Dans le cadre de l'examen du paragraphe 1 ii) de l'article 4 du Code dans la cause des Barres d'armature, le Tribunal canadien des importations a déclaré ce qui suit :

Il semble qu'à l'article 4 on ne considère la division d'un territoire national en marchés régionaux distincts qu'en fonction de l'isolement du marché, c'est-à-dire, lorsqu'il y a peu ou pas de mouvement de la production émanant du territoire entre ces marchés régionaux, dans un sens ou dans l'autre. En d'autres termes, la brèche doit être vraiment petite [25] .

Pour ce qui est des deux premières conditions énoncées au paragraphe 1 ii) de l'article 4 du Code, dans la cause portant sur l'Urée solide, le Tribunal canadien des importations a déclaré ce qui suit :

Les deux premières conditions s'appliquent lorsque l'offre et la demande dans une région, au prix en vigueur ou au prix d'équilibre, sont indépendantes de l'offre et de la demande du même produit dans d'autres régions du territoire. Cette indépendance entraîne peu ou pas de déplacement des marchandises d'une région à l'autre [26] .

Dans la présente cause, les éléments de preuve au dossier indiquent que l'industrie de la bière de la Colombie-Britannique a écoulé respectivement 24 p. 100 et 22 p. 100 de sa production de bière conditionnée dans d'autres provinces en 1992 et 1993 [27] . À titre de comparaison, l'industrie de la Colombie-Britannique a vendu respectivement 5 p. 100 et 7 p. 100 de sa production dans d'autres provinces en 1990 et 1991 [28] . Au premier trimestre de 1994, l'industrie a écoulé 16 p. 100 de sa production de bière conditionnée dans des provinces autres que la Colombie-Britannique, ce qui représente une augmentation de 23 p. 100 de la production destinée à l'extérieur de la province, comparativement au premier trimestre de 1993 [29] .

Pour ce qui est des ventes de bière conditionnée produite par des brasseurs canadiens établis à l'extérieur de la Colombie-Britannique, les éléments de preuve révèlent qu'après 1991, ces ventes ont augmenté de façon importante année après année, tant sur le plan du volume que sur celui du pourcentage de la part du marché de la Colombie-Britannique [30] . Cette tendance s'est maintenue au premier trimestre de 1994, au moment où l'augmentation du pourcentage des ventes effectuées par les producteurs établis dans d'autres provinces a monté en flèche par rapport au premier trimestre de 1993 [31] .

Dans leur plaidoirie, l'avocat et le procureur représentant l'industrie nationale ont demandé au Tribunal de se reporter à la décision du Tribunal canadien des importations dans la cause des Barres d'armature comme fondement de la proposition selon laquelle il est possible de conclure à l'existence d'un marché isolé même si les marchandises en question sont importées et exportées dans une proportion de 20 p. 100. Selon le Tribunal, la décision rendue dans l'affaire des Barres d'armature n'aide pas l'industrie nationale. Dans cette cause, le Tribunal canadien des importations a conclu qu'il n'existait pas de marché isolé parce qu'entre 20 et 27 p. 100 du marché des marchandises en question en Colombie-Britannique étaient alimentés par la production originaire d'autres provinces [32] . Le Tribunal canadien des importations a fait remarquer que les producteurs de la Colombie-Britannique ont vendu au moins 80 p. 100 de leur production en Colombie-Britannique. Cependant, comme le Tribunal canadien des importations avait déjà conclu qu'il n'existait pas de marché isolé en raison de l'importation de marchandises originaires d'autres provinces en Colombie-Britannique, il ne s'est pas prononcé sur la question de savoir si les producteurs de la Colombie-Britannique ont vendu «la totalité ou la quasi-totalité» de leur production en Colombie-Britannique [33] . En outre, dans la cause de l'Urée solide, le seul producteur du marché régional prétendu n'ayant effectué aucune vente sur ce marché [34] , le Tribunal canadien des importations a conclu qu'il n'existait pas de marché régional parce que de l'urée solide a été importée sur le marché de la Colombie-Britannique, à partir d'autres provinces, dans une proportion de 11,5 p. 100 [35] .

L'avocat et le procureur de l'industrie nationale ont également demandé au Tribunal de se reporter à plusieurs décisions rendues par la Commission du commerce extérieur des États-Unis qui, à leur avis, appuient le point de vue voulant que l'on peut conclure à l'existence d'un marché régional même lorsque les importations et les exportations sur ce marché atteignent 20 p. 100. Ils ont soutenu que ces décisions doivent être prises en compte par le Tribunal, compte tenu de la rareté des décisions à ce sujet au Canada. Cependant, le Tribunal n'estime pas que l'argument de l'avocat et du procureur soit convaincant, car le Tribunal et ses prédécesseurs ont examiné la question de l'industrie régionale dans plusieurs causes [36] .

Enfin, l'avocat et le procureur de l'industrie nationale ont fait valoir que l'intensification du commerce au chapitre de la bière conditionnée doit être perçue comme un phénomène temporaire. Ils ont soutenu que ce phénomène découle en grande partie du lancement de nouvelles bières, comme la bière pression de type «genuine» et la bière de type «ice» qui exigeaient le recours à de nouvelles techniques de brassage. Pour des motifs économiques, ces techniques sont souvent utilisées dans une province avant de l'être dans une autre. L'avocat et le procureur ont fait valoir qu'à mesure que de nouvelles bières sont acceptées par le marché, il se peut que les brasseurs investissent les capitaux nécessaires pour établir la production dans d'autres provinces, éliminant du même coup la nécessité d'expédier les produits d'une province à l'autre. Ils ont soutenu qu'étant donné la nature temporaire de certains mouvements de la bière conditionnée en Colombie-Britannique à partir et vers d'autres provinces, le Tribunal doit supprimer des données globales les mouvements de la bière conditionnée attribuables à l'utilisation de ces nouvelles techniques de brassage.

Pour ce qui est de la nature prétendument temporaire de certains mouvements interprovinciaux de la bière conditionnée, le Tribunal fait remarquer que les données de 1992, de 1993 et du premier trimestre de 1994 montrent la stabilité du commerce interprovincial pendant toute cette période. Compte tenu de l'importance de ces mouvements sur une période prolongée, le Tribunal est incapable de conclure que ce phénomène est temporaire. Il a entendu des témoignages à savoir que le lancement de nouveaux produits est [traduction] «tout à fait normal [37] » dans l'industrie de la bière, que divers frais sont rattachés au lancement de nouveaux produits et que seulement certains d'entre eux se rapportent à l'application de nouvelles techniques [38] . Compte tenu de ces frais, les nouveaux produits ne sont fabriqués qu'à une seule usine, de manière à permettre au brasseur de déterminer si les nouveaux produits seront acceptés par le marché avant d'effectuer les investissements de capitaux nécessaires pour brasser les nouveaux produits à d'autres usines. Jusqu'à ce que la production soit établie à un autre endroit, les nouveaux produits sont [traduction] «commandés de l'extérieur» auprès de la seule usine [39] . Le fait que le lancement de nouveaux produits soit tout à fait normal dans l'industrie du brassage, ainsi que la méthode d'établissement de la production de nouveaux produits, laissent à entendre que la tendance du commerce interprovincial de la bière est susceptible de se maintenir.

De l'avis du Tribunal, l'intensification du commerce de la bière conditionnée à destination et à partir de la Colombie-Britannique est également attribuable à l'évolution de la réglementation au Canada en général et, plus particulièrement en Colombie-Britannique. En 1991, le gouvernement fédéral et les provinces ont conclu un Accord intergouvernemental qui renfermait des dispositions en vertu desquelles certaines provinces, y compris la Colombie-Britannique, convenaient de ne plus recourir à certaines pratiques qui établissaient une discrimination entre des bières d'après la province d'origine. La province de la Colombie-Britannique a signé cet accord à la fin de 1991.

En outre, les gouvernements du Canada et des États-Unis ont conclu deux accords portant sur le commerce de la bière conditionnée, une entente de principe [40] le 25 avril 1992, et le Mémorandum d'accord le 5 août 1993. Dans le cadre de l'entente de principe, le Canada a convenu, entre autres, d'éliminer certaines politiques provinciales relatives à la bière importée. Ces politiques avaient trait, entre autres, à l'accès à des points de vente, à l'entreposage et à la livraison, et aux marges bénéficiaires sur frais de service. Le 26 mai 1992, la DGDA a modifié l'élément frais de service de sa formule d'établissement des prix de la bière importée pour se conformer à l'entente de principe.

Dans le Mémorandum d'accord, les parties ont convenu, entre autres, de mettre en œuvre sans délai certaines dispositions de l'entente de principe qui n'avaient pas encore été appliquées. Peu après la signature du Mémorandum d'accord, la DGDA a modifié ses politiques pour favoriser la distribution de la bière importée par des entreprises privées et pour permettre la vente de bière importée dans certains points de vente auparavant réservés à la bière d'origine nationale brassée en Colombie-Britannique [41] .

Enfin, le Tribunal fait remarquer que le 18 juillet 1994, le gouvernement fédéral et les provinces ont conclu l'Accord sur le commerce intérieur, qui entrera en vigueur le 1er juillet 1995. Le chapitre 10 de cet accord oblige les provinces à éliminer les mesures qui constituent des obstacles au commerce interprovincial des boissons alcooliques, y compris la bière.

Le Tribunal a entendu des témoignages selon lesquels la DGDA a modifié ses politiques à l'égard de la bière importée à la suite de la conclusion de l'entente de principe et du Mémorandum d'accord. De nouvelles politiques relatives à la bière importée ont été appliquées par la DGDA à la bi?E8Šre brassée dans des provinces autres que la Colombie-Britannique [42] . Le Tribunal a également entendu des témoignages selon lesquels la politique de la DGDA au sujet des expéditions interprovinciales de bière conditionnée a été passablement modifiée depuis 1991 [43] .

Le Tribunal est d'avis que la conclusion des divers accords interprovincial et international mentionnés concernant le commerce de la bière a largement incité la DGDA à assouplir les restrictions relatives au commerce interprovincial et international de la bière [44] . Cet assouplissement a par la suite favorisé un regain du commerce interprovincial de la bière conditionnée, tant à destination qu'à partir de la Colombie-Britannique. À cet égard, le Tribunal fait remarquer qu'entre le 1er avril 1990 et le 31 mars 1991, les producteurs de la Colombie-Britannique ont écoulé 95 p. 100 de leur production de bière conditionnée en Colombie-Britannique [45] . Cependant, en 1992 et 1993, ces ventes ne sont intervenues respectivement que pour 76 p. 100 et 78 p. 100 du marché de la Colombie-Britannique. Quant aux ventes de bière conditionnée effectuées en Colombie-Britannique par des producteurs d'autres provinces, les éléments de preuve au dossier indiquent qu'entre 1987 et 1990, la bière produite dans d'autres provinces représentait moins de 1 p. 100 du marché de la Colombie-Britannique [46] . Cependant, les éléments de preuve déposés dans le cadre du présent réexamen révèlent que la situation a changé considérablement en 1992 et 1993 [47] .

Le Tribunal a réexaminé les causes de l'industrie régionale que lui et ses prédécesseurs ont entendues depuis la promulgation de la LMSI. Jamais dans une cause portant sur des mouvements de marchandises à destination et à partir d'un marché de l'envergure de ceux visés par le présent réexamen n'a-t-on conclu à l'existence d'une industrie régionale. Dans la présente cause, compte tenu d'un modèle constant de mouvements importants de la bière conditionnée à destination et à partir de la Colombie-Britannique, le Tribunal est d'avis qu'il n'existe plus d'industrie régionale de la bière conditionnée en Colombie-Britannique. D'après les éléments de preuve relatifs au contexte économique et réglementaire de la bière conditionnée, le Tribunal croit que ce modèle est susceptible de se maintenir.

CONCLUSION

Les éléments de preuve au dossier révèlent que depuis le moment où le Tribunal a rendu ses conclusions dans la cause de la Bière, des échanges commerciaux importants se sont produits de façon constante au chapitre de la bière conditionnée entre la Colombie-Britannique et d'autres provinces. Le Tribunal conclut que le niveau de ces échanges est tel que les producteurs de la bière conditionnée de la Colombie-Britannique ne constituent plus une industrie régionale. En conséquence, le Tribunal conclut qu'il est inutile de se pencher sur la question du préjudice sensible continu ou de la menace de préjudice sensible continu dans la présente cause.

Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal est d'avis qu'il doit annuler les conclusions qu'il a rendues le 2 octobre 1991.


1. L.R.C. (1985), ch. S-15.

2. Gazette du Canada Partie I, vol. 128, no 23, le 4 juin 1994 aux pp. 2863-64.

3. Accord relatif à la mise en œuvre de l'article VI de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, signé à Genève (Suisse), le 17 décembre 1979, GATT IBDD 188 (1980).

4. Pièces des fabricants A-10, A-10A, A-10B et B-7 (protégées), dossier administratif, vol. 8.

5. Fours à micro-ondes de comptoir, originaires ou exportés du Japon, de Singapour et de la République de Corée, Tribunal canadien des importations, réexamen no R-1-86, Conclusions de réexamen, le 27 juin 1986, Exposé des motifs, le 4 juillet 1986 à la p. 3.

6. Certaines barres d'armature, barres et profilés de construction, en acier au carbone, laminés à chaud, originaires ou exportés du Mexique et des États-Unis d'Amérique à des fins d'utilisation ou de consommation dans la province de la Colombie-Britannique, Tribunal canadien des importations, enquête no CIT-8-87, Conclusions, le 22 décembre 1987, Exposé des motifs, le 7 janvier 1988.

7. Transcription de l'argumentation, le 28 septembre 1994 à la p. 23.

8. Pièce du Tribunal RR-94-001-29, dossier administratif, vol. 1 à la p. 160.

9. Pièce du Tribunal RR-94-001-26, dossier administratif, vol. 1 à la p. 128.

10. Oignons jaunes, frais et entiers, originaires ou exportés des États-Unis d'Amérique et destinés à être utilisés ou consommés dans la province de la Colombie-Britannique, enquête no CIT-1-87, Conclusions et Exposé des motifs, le 30 avril 1987.

11. Urée solide originaire ou exportée de la République démocratique allemande et de l'Union des républiques socialistes soviétiques et destinée à être utilisée ou consommée dans l'est du Canada (le territoire canadien à l'est de la frontière de l'Ontario et du Manitoba), enquête no CIT-9-87, Conclusions, le 24 décembre 1987, Exposé des motifs, le 8 janvier 1988.

12. Pommes de terre entières à peau rugueuse, à l'exclusion des pommes de terre de semence, de calibre «Non-size A», également appelées couramment «Strippers», originaires ou exportées de l'État de Washington (États-Unis d'Amérique) et destinées à être utilisées ou consommées dans la province de la Colombie-Britannique; et pommes de terre entières, originaires ou exportées des États-Unis d'Amérique et destinées à être utilisées ou consommées dans la province de la Colombie-Britannique, à l'exclusion des pommes de terre de semence et à l'exclusion des pommes de terre entières à peau rugueuse de calibre «Non-size A», originaires ou exportées de l'État de Washington, Tribunal canadien du commerce extérieur, réexamen no RR-89-010, Ordonnance et Exposé des motifs, le 14 septembre 1990.

13. Pièce du Tribunal RR-94-001-28, dossier administratif, vol. 1 à la p. 146.

14. La bière originaire ou exportée des États-Unis d'Amérique par Pabst Brewing Company, G. Heileman Brewing Company Inc. et The Stroh Brewery Company, leurs successeurs et ayants droit, ou en leur nom, pour utilisation ou consommation dans la province de la Colombie-Britannique, Tribunal canadien du commerce extérieur, enquête no NQ-91-002, Conclusions, le 2 octobre 1991, Exposé des motifs, le 17 octobre 1991.

15. Supra, note 5.

16. Le paragraphe 1 de l'article 4 du Code prévoit, en partie, ce qui suit : Aux fins de la détermination de l'existence d'un préjudice, l'expression «branche de production nationale» s'entendra de l'ensemble des producteurs nationaux de produits similaires ou de ceux d'entre eux dont les productions additionnées constituent une proportion majeure de la production nationale totale de ces produits; toutefois : ii) dans des circonstances exceptionnelles, le territoire d'une Partie pourra, en ce qui concerne la production en question, être divisé en deux ou plusieurs marchés compétitifs et les producteurs à l'intérieur de chaque marché pourront être considérés comme constituant une branche de production distincte si a) les producteurs d'un tel marché vendent la totalité ou la quasi-totalité de leur production du produit en question sur ce marché, et si b) la demande sur ce marché n'est pas satisfaite dans une mesure substantielle par les producteurs du produit en question implantés dans d'autres parties du territoire. Dans de telles circonstances, il pourra être constaté qu'il y a préjudice même s'il n'est pas causé de préjudice à une proportion majeure de la branche de production nationale totale, à la condition qu'il y ait une concentration d'importations faisant l'objet d'un dumping sur un de ces marchés isolés, et qu'en outre les importations faisant l'objet d'un dumping causent un préjudice aux producteurs de la totalité ou de la quasi-totalité de la production à l'intérieur de ce marché.

17. Supra, note 14 à la p. 16.

18. Certains raccords pour soudure en bout originaires ou exportés du Japon, réexamen no RR-92-002, Ordonnance et Exposé des motifs, le 13 novembre 1992.

19. Ibid. aux pp. 2 et 3.

20. Clés brutes de remplacement en laiton originaires ou exportées de l'Italie et produites par ou au nom de Silca S.p.A. de l'Italie, de ses successeurs et de ses cessionnaires, réexamen no RR-91-005, Ordonnance et Exposé des motifs, le 1er juin 1992.

21. Ibid. à la p. 8.

22. Oignons jaunes, frais et entiers, originaires ou exportés des États-Unis d'Amérique et destinés à être utilisés ou consommés dans la province de la Colombie-Britannique, réexamen no RR-91-004, Ordonnance et Exposé des motifs, le 22 mai 1992.

23. Ibid. à la p. 10.

24. L'avis de réexamen publié par le Tribunal le 25 mai 1994 mentionnait l'Accord intergouvernemental et le Mémorandum d'accord.

25. Supra, note 6, Exposé des motifs aux pp. 6-7.

26. Supra, note 11, Exposé des motifs à la p. 9.

27. Public Pre-Hearing Staff Report, le 5 août 1994, pièce du Tribunal RR-94-001-5, dossier administratif, vol. 1 à la p. 82.18.

28. Ibid.

29. Pièce du Tribunal RR-94-001-9.1A (protégée), dossier administratif, vol. 4 à la p. 43; et pièce du Tribunal RR-94-001-9.2 (protégée), dossier administratif, vol. 4 aux pp. 68-69.

30. Protected Pre-Hearing Staff Report, le 5 août 1994, pièce du Tribunal RR-94-001-6 (protégée), dossier administratif, vol. 2 à la p. 23.

31. Pièce du Tribunal RR-94-001-9.1A (protégée), dossier administratif, vol. 4 à la p. 42; pièce du Tribunal RR-94-001-9.2 (protégée), dossier administratif, vol. 4 à la p. 56; et pièce du Tribunal RR-94-001-12.1A (protégée), dossier administratif, vol. 6 à la p. 5.

32. Supra, note 6 à la p. 7.

33. Supra, note 6 à la p. 8.

34. Supra, note 11 à la p. 10.

35. Ibid.

36. Outre les causes mentionnées dans le présent Exposé des motifs, voir, par exemple, Chou-fleur frais originaire ou exporté des États-Unis d'Amérique, Tribunal canadien du commerce extérieur, enquête no NQ-92-003, Conclusions, le 4 janvier 1993, Exposé des motifs, le 19 janvier 1993; Laitue (pommée) Iceberg originaire ou exportée des États-Unis d'Amérique, Tribunal canadien du commerce extérieur, enquête no NQ-92-001, Conclusions, le 30 novembre 1992, Exposé des motifs, le 15 décembre 1992; Portes d'entrée de véhicules de plaisance, produites ou exportées par Elixir Industries, de Gardena (Californie), États-Unis d'Amérique, ou en son nom, pour utilisation ou consommation dans les provinces d'Alberta et de Colombie-Britannique, Tribunal canadien des importations, enquête no CIT-12-87, Conclusions, le 18 mars 1988, Exposé des motifs, le 31 mars 1988; Équipement pour le mélange, le pesage, la manutention et le convoyage des engrais, produit ou exporté par Speed King Industries, Inc., de Dodge City (Kansas), États-Unis d'Amérique, ou en son nom, pour être utilisé à l'ouest de la frontière entre le Manitoba et l'Ontario, et importé séparément ou comme partie d'un ensemble ou d'un système pour le mélange des engrais, à l'état complet ou incomplet, monté ou démonté, Tribunal canadien des importations, enquête no CIT-3-87, Conclusions, le 30 septembre 1987, Exposé des motifs, le 15 octobre 1987; et Pommes de terre entières à peau rugueuse, à l'exclusion des pommes de terre de semence, originaires ou exportées des États-Unis d'Amérique et destinées à être utilisées ou consommées dans la province de la Colombie-Britannique, Tribunal antidumping, enquête no ADT-4-84, Conclusions et Exposé des motifs, le 4 juin 1984.

37. Transcription de l'audience publique, les 26 et 27 septembre 1994 à la p. 168.

38. Ibid.

39. Ibid. à la p. 169.

40. Pièce du Tribunal RR-94-001-25, dossier administratif, vol. 1 à la p. 124.

41. Pièce du Tribunal RR-94-001-32, dossier administratif, vol. 1 à la p. 240; et pièce du Tribunal RR-94-001-11.1, dossier administratif, vol. 5B à la p. 199.

42. Transcription de l'audience publique, les 26 et 27 septembre 1994 à la p. 19.

43. Transcription de l'audience à huis clos, les 26 et 27 septembre 1994 à la p. 40.

44. Transcription de l'audience publique, les 26 et 27 septembre 1994 aux pp. 72-74 et 96.

45. Supra, note 27.

46. Ibid. à la p. 82.19.

47. Supra, note 30.


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Publication initiale : le 26 août 1997