CARTOUCHES DE FUSILS DE CALIBRE 12

Réexamens (article 76)


CARTOUCHES DE FUSILS DE CALIBRE 12 ORIGINAIRES OU EXPORTÉES DE LA RÉPUBLIQUE TCHÈQUE ET DE LA RÉPUBLIQUE DE HONGRIE
Réexamen no : RR-98-005

TABLE DES MATIÈRES


Ottawa, le mardi 22 juin 1999

Réexamen no : RR-98-005

EU ÉGARD À un réexamen, aux termes du paragraphe 76(2) de la Loi sur les mesures spéciales d’importation, des conclusions de préjudice sensible rendues par le Tribunal canadien du commerce extérieur le 22 juin 1994, dans le cadre de l’enquête no NQ-93-005, concernant les :

CARTOUCHES DE FUSILS DE CALIBRE 12
ORIGINAIRES OU EXPORTÉES DE LA RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
ET DE LA RÉPUBLIQUE DE HONGRIE

O R D O N N A N C E

Conformément aux dispositions du paragraphe 76(2) de la Loi sur les mesures spéciales d’importation, le Tribunal canadien du commerce extérieur a procédé à un réexamen de ses conclusions de préjudice sensible, rendues le 22 juin 1994 dans le cadre de l’enquête no NQ-93-005.

Aux termes du paragraphe 76(4) de la Loi sur les mesures spéciales d’importation, le Tribunal canadien du commerce extérieur proroge par la présente les conclusions susmentionnées, sans modification.

Richard Lafontaine
_________________________
Richard Lafontaine
Membre présidant


Anita Szlazak
_________________________
Anita Szlazak
Membre


Pierre Gosselin
_________________________
Pierre Gosselin
Membre


Michel P. Granger
_________________________
Michel P. Granger
Secrétaire

Loi sur les mesures spéciales d’importation - Déterminer s’il y a lieu d’annuler ou de proroger, avec ou sans modification, les conclusions de préjudice sensible rendues par le Tribunal canadien du commerce extérieur le 22 juin 1994 dans le cadre de l’enquête no NQ-93-005.

Lieu de l’audience : Ottawa (Ontario)
Date de l’audience : Le 28 avril 1999
Date de l’ordonnance et des motifs: Le 22 juin 1999

Membres du Tribunal : Richard Lafontaine, membre présidant
Anita Szlazak, membre
Pierre Gosselin, membre

Directeur de la recherche : Réal Roy

Agent principal de la recherche : Richard Cossette

Agent de la recherche : Piyanjali Tissaaratchy

Économiste : Perpetua Katepa-Kalala

Préposées aux statistiques : Julie Charlebois
Margaret Saumweber

Avocat pour le Tribunal : Tamra Alexander

Agent à l’inscription et
à la distribution : Claudette Friesen


Participant : Pierre Richard, c.r.
David M. Attwater
pour Société d’expansion commerciale Libec Inc.

(fabricant canadien)

Témoins :

Elie Zarifé
Président
Société d’expansion commerciale Libec Inc.

Mike Ross
Acheteur
Division des produits de loisirs
La Société Canadian Tire Limitée

Jacques Vézina
Directeur
Division de la vente en gros
Magasin Latulippe Inc.

Adresser toutes les communications au :

Secrétaire
Tribunal canadien du commerce extérieur
Standard Life Centre
333, avenue Laurier ouest
15e étage
Ottawa (Ontario)
K1A 0G7

EXPOSÉ DES MOTIFS

CONTEXTE

Il s’agit d’un réexamen, aux termes du paragraphe 76(2) de la Loi sur les mesures spéciales d’importation [1] (la LMSI) des conclusions de préjudice sensible (l’expression « dommage sensible » est maintenant utilisée) rendues par le Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) le 22 juin 1994, dans le cadre de l’enquête no NQ-93-005 [2] , concernant les cartouches de fusils de calibre 12, originaires ou exportées de la République tchèque et de la République de Hongrie.

Aux termes du paragraphe 76(2) la LMSI, le Tribunal a entrepris un réexamen des conclusions et publié un avis de réexamen [3] le 14 décembre 1998. Cet avis a été transmis à toutes les parties intéressées connues. Dans le cadre du présent réexamen, le Tribunal a envoyé des questionnaires aux producteurs, importateurs et acheteurs canadiens et aux fabricants étrangers de cartouches de fusils de calibre 12. À partir des réponses à ces questionnaires et de renseignements reçus d’autres sources, le personnel de recherche du Tribunal a préparé des rapports public et protégé préalables à l’audience.

Le dossier du réexamen est formé de tous les documents pertinents, y compris les conclusions de l’enquête no NQ-93-005, l’avis de réexamen, les réponses publiques et confidentielles aux questionnaires pour le réexamen de 1998 ainsi que les rapports public et protégé préalables à l’audience pour l’enquête de 1994 et le réexamen de 1998. Toutes les pièces publiques ont été mises à la disposition des parties intéressées, tandis que les pièces protégées n’ont été distribuées qu’aux avocats indépendants qui avaient déposé auprès du Tribunal un acte de déclaration et d’engagement en matière de confidentialité.

Des audiences publiques et à huis clos ont été tenues à Ottawa (Ontario) le 28 avril 1999.

Le producteur canadien, la Société d’expansion commerciale Libec Inc. (Libec), était représenté par des avocats à l’audience. Les avocats ont soumis des éléments de preuve et présenté un plaidoyer en faveur du maintien des conclusions. Aucun importateur ni exportateur n’était représenté à l’audience. Cependant, des représentants de La Société Canadian Tire Limitée (Canadian Tire) et de la société Magasin Latulippe Inc. (Magasin Latulippe) ont assisté à l’audience en tant que témoins du Tribunal.

PRODUIT

Les marchandises qui font l’objet du présent réexamen sont décrites comme des cartouches de fusils de calibre 12, originaires ou exportées de la République tchèque et de la République de Hongrie.

Des cartouches pour les fusils de calibre 10, 20, 28 et .410 sont également produites au Canada. Selon Libec, les cartouches de fusils de calibre 12 représentent plus de 95 p. 100 du marché canadien des cartouches. Les cartouches de fusils de calibre 12 sont disponibles en diverses grosseurs de grenaille et diverses charges [4] , renfermant de 24 à 53 g (7/8 à 1 7/8 oz) de plomb ou d’acier, selon le genre de chasse ou de tir pratiqué. Les cartouches à grosse grenaille sont utilisées pour la chasse aux oiseaux migrateurs et au petit gibier, tandis que celles à petite grenaille servent à la chasse aux petits oiseaux et au tir au pigeon d’argile.

En général, on retrouve sur le marché deux types de cartouches de fusils de calibre 12 : le type de promotion et celui de première qualité. Les cartouches de promotion ont habituellement une charge de plomb de 32 g (1 1/8 oz), ont un culot plus court, sont offertes dans une plus vaste gamme de grosseurs et sont vendues sous des marques particulières. Les cartouches de première qualité comprennent toutes les autres charges, mais ont le plus souvent une charge de 36 g (1¼ oz) de plomb ou d’acier [5] , ont un culot plus long, sont vendues sous des marques nationales comme Winchester, Remington, Federal, Imperial ou Challenger, et font l’objet de grandes campagnes de publicité. Les cartouches de première qualité renferment plus de plomb ou d’acier et de poudre, et elles sont produites pour des fusils de divers calibres. Par contre, les cartouches de promotion ne sont produites que pour les fusils de calibre 12.

Depuis l’enquête no NQ-93-005, les lois canadiennes ont été modifiées pour interdire l’utilisation de grenaille toxique pour la chasse aux oiseaux migrateurs [6] . Libec a commencé la production de cartouches utilisant de la grenaille non toxique (acier) en 1997.

Procédé de production

La production de cartouches de fusils de calibre 12 (de promotion et de première qualité) nécessite la fabrication et l’assemblage de douilles en plastique comprenant une amorce et un culot métallique, une charge propulsive (poudre), une bourre d’obturation des gaz en matière plastique ou en fibres et une jupe protectrice (conteneur) de la charge de grenaille, et de la grenaille en plomb ou en acier. L’assemblage de ces composants est rigoureusement contrôlé pour ce qui est de la quantité et de la composition de la poudre, de la hauteur du culot métallique et de la quantité et du type de la charge de grenaille. Des échantillons sont périodiquement prélevés sur les lignes de production et soumis à des essais informatiques de contrôle du respect des spécifications.

Les cartouches de première qualité nécessitent plus de matières premières que les cartouches de promotion. Les producteurs canadiens achètent les composants et les matières premières à des fournisseurs canadiens et étrangers, et utilisent des chargeuses automatiques pour produire les cartouches.

BRANCHE DE PRODUCTION NATIONALE

Lors de l’enquête de 1994, il y avait trois fabricants canadiens, c’est-à-dire Libec, de Sainte-Justine-de-Newton (Québec), dont le volume de production dépassait 90 p. 100 de la production canadienne totale, et deux autres petits fabricants, soit les sociétés Superior Canadian Munitions Ltd. (Superior), d’Edmonton (Alberta), et Les Cartouches Tony Inc. (Tony), de Montréal (Québec).

La composition de la branche de production nationale n’a pas changé depuis les conclusions, Libec ayant toujours une part très considérable de la production nationale totale.

Libec a été fondée en 1980 et a commencé à fabriquer des cartouches en 1984 à son usine de Sainte-Justine-de-Newton. Libec est une entreprise familiale et, depuis 1993, elle a une associée française, Cheddite France, qui fabrique et fournit des matières premières pour la fabrication des cartouches. Libec a commencé avec une ligne de chargement et en exploite actuellement cinq dans son usine de 20 000 pieds carrés. La société ne produit que des cartouches, et les cartouches de fusils de calibre 12 représentent quelque 98 p. 100 de sa production totale. Libec produit aussi des cartouches de calibre 20, 28 et .410.

IMPORTATEURS ET EXPORTATEURS

Au moment de la première enquête, les principaux pays exportateurs de cartouches de fusils de calibre 12 vers le Canada étaient la République tchèque, la République de Hongrie et les États-Unis. Les exportateurs des pays visés étaient les sociétés Sellier & Bellot, de Vlašim (République tchèque), et Nike-Fiocchi Ltd. (Nike-Fiocchi), de Füzfögyártelep (République de Hongrie). Les importateurs étaient les sociétés Omnitrade Limitée (Omnitrade), de Ville Saint-Laurent (Québec), Pragotrade, Division of Motokov Canada Inc. (Pragotrade), de Rexdale (Ontario), et Sumner Sports Inc. (Sumner), de Québec (Québec).

Pour le présent réexamen, Omnitrade et la société London Arms Ltd. [7] ont été identifiées comme étant des importateurs possibles des marchandises en question. Ces deux sociétés ont indiqué qu’elles n’avaient pas importé de cartouches de fusils de calibre 12 en provenance des pays visés depuis les conclusions. Les États-Unis étaient, de loin, la principale source d’importations de cartouches de fusils de calibre 12. Les principaux exportateurs aux États-Unis comprennent les sociétés Winchester/Olin Corp. (Winchester), Remington Arms Co., Inc. (Remington) et Federal Cartridge (Federal). Les principaux importateurs s’approvisionnant aux États-Unis comprennent les sociétés Olin Canada Inc., Remington [8] , Canadian Tire et Federated Co-operatives Ltd.

Un importateur (Omnitrade) était une des parties à l’enquête initiale, mais aucun importateur n’était partie au présent réexamen. Dans la présente affaire, M. Mike Ross, acheteur, Division des produits de loisirs de Canadian Tire, et M. Jacques Vézina, directeur de la Division de la vente en gros de Magasin Latulippe, ont assisté à l’audience en tant que témoins du Tribunal. Ces sociétés n’ont pas importé de cartouches de fusils de calibre 12 des pays visés depuis les conclusions, mais elles achètent actuellement aux États-Unis des cartouches de fusils de calibre 12 importées et à Libec des cartouches de fusils de calibre 12 canadiennes.

Au cours de l’audience, ces témoins ont répondu à un certain nombre de questions concernant les facteurs touchant le marché des cartouches de fusils de calibre 12 au Canada – y compris les changements survenus sur le marché depuis les conclusions – les caractéristiques physiques et les utilisations finales des cartouches de fusils de calibre 12 de promotion et de première qualité, et les politiques d’achat de leurs sociétés à l’égard des cartouches de fusils de calibre 12.

SOMMAIRE DES CONCLUSIONS DE 1994

Dans sa décision du 22 juin 1994, le Tribunal a conclu que les importations sous-évaluées de cartouches de fusils de calibre 12, originaires ou exportées de la République tchèque et de la République de Hongrie, n’avaient pas causé, ne causaient pas, mais étaient susceptibles de causer un dommage sensible à la production au Canada de marchandises similaires. La branche de production nationale avait été victime d’une érosion des prix passée et présente, mais elle n’avait pas subi de dommage important au sens de la LMSI. Quant à l’avenir, le Tribunal considérait que la poursuite du dumping était susceptible de causer un dommage sensible à la production nationale de marchandises similaires.

La partie plaignante auprès du ministère du Revenu national (Revenu Canada) était Libec, principal fabricant canadien de cartouches de fusils de calibre 12. Les autres producteurs de cartouches au Canada, c’est-à-dire Superior et Tony, ont informé Revenu Canada qu’ils appuyaient la plainte de Libec.

Au cours de la période d’enquête du Tribunal, les pays visés et les États-Unis étaient les principaux exportateurs de cartouches de fusils de calibre 12. Les cartouches de fusils de calibre 12 exportées des pays visés avaient été principalement des cartouches de promotion. Les États-Unis étaient, de loin, le principal exportateur de cartouches de fusils de calibre 12. Les cartouches de fusils de calibre 12 originaires des États-Unis avaient été principalement des cartouches de première qualité. Les importations de pays autres que les pays visés et les États-Unis représentaient moins de 5 p. 100 des importations totales au cours de la période d’enquête.

Le volume des importations apparentes totales est tombé de 32,8 millions d’unités en 1990 à 20,5 millions d’unités en 1993, soit une diminution de 38 p. 100. Pendant cette période, les importations des pays visés ont augmenté de 226 p. 100, tandis que celles des pays non visés, principalement des États-Unis, ont diminué de 55 p. 100.

Les prix moyens pondérés des cartouches de fusils de calibre 12 de promotion originaires des pays visés étaient stables entre 1990 et 1992, avant de diminuer de façon appréciable en 1993. Pendant ce temps, les prix moyens pondérés des cartouches de fusils de calibre 12 de promotion produites par les fabricants canadiens ne cessaient de fléchir. Les prix moyens pondérés des cartouches de fusils de calibre 12 de promotion des pays non visés avaient augmenté de façon continue depuis 1992, après avoir chuté en 1991.

Bien que l’importateur des cartouches tchèques ait témoigné qu’il avait cessé d’importer des cartouches de fusils de calibre 12, le Tribunal a observé l’intérêt continu de l’exportateur tchèque pour le marché canadien. Cela se voyait à l’exportation au Canada de plus de 4 millions d’unités au cours d’une très brève période de 1993. Le témoin pour l’exportateur tchèque a aussi indiqué que la majorité de la grande production de la société était destinée aux marchés d’exportation et qu’elle pouvait remplir rapidement les commandes canadiennes. En outre, il a été produit en preuve que l’importateur des cartouches de fusils de calibre 12 de la République tchèque avait offert de fournir ces cartouches au plus grand détaillant canadien, Canadian Tire, à l’automne 1993.

Malgré une réduction de la quantité de cartouches de fusils de calibre 12 importées en 1993, rien de ce qui a été entendu dans le témoignage n’indiquait que les quantités hongroises importées en 1991 ne pourraient être réatteintes.

Sur la foi des éléments de preuve, notamment l’augmentation considérable des importations des pays visés depuis 1990 et la perte de ventes subie par Libec en raison des bas prix des marchandises en question, le Tribunal était persuadé que le dumping des cartouches de fusils de calibre 12 originaires des pays visés avaient causé et causaient un dommage à la branche de production nationale. Le Tribunal a noté que les ventes de Libec à des clients autres que Canadian Tire étaient plus faibles en 1992 et 1993 qu’en 1991, malgré la diminution des prix unitaires moyens. Néanmoins, la situation globale de Libec s’était améliorée et ce, uniquement parce que Libec avait décroché le compte de Canadian Tire. Par conséquent, le dommage causé par les importations sous-évaluées n’était pas considéré comme sensible, comme l’exigeait la LMSI.

Cependant, le Tribunal était d’avis que, sans l’imposition de mesures antidumping, le dumping continu serait susceptible de causer un dommage sensible à la production future de Libec. Le Tribunal a conclu que, sans de telles conclusions, de grandes quantités de cartouches de fusils de calibre 12, principalement des cartouches de promotion, seraient importées à faibles prix des pays visés. Ces importations seraient susceptibles de continuer de faire perdre des clients à Libec, à des prix de dumping, et mettraient Libec à risque de perdre son principal client. En outre, ces importations auraient vraisemblablement des répercussions négatives sur la capacité de Libec de vendre des cartouches de première qualité au Canada, ce qui, par ailleurs, aurait de graves conséquences sur la rentabilité et le niveau d’emploi de Libec, puisque Libec tirait le gros de ses bénéfices des cartouches de fusils de calibre 12 de première qualité. Le Tribunal était aussi convaincu que la poursuite du dumping pourrait compromettre les projets d’investissement de Libec pour la production de certains composants de cartouches.

Par conséquent, le Tribunal a conclu que les importations sous-évaluées n’avaient pas causé et ne causaient pas un dommage sensible, mais qu’elles étaient susceptibles de causer un dommage sensible à la production canadienne de marchandises similaires.

Les témoins pour l’exportateur tchèque et son importateur avaient demandé que, en cas de conclusions de dommage sensible, le Tribunal exclue de la décision les cartouches de fusils de calibre 12 de première qualité. Cependant, la plupart des témoins que le Tribunal a entendus ont témoigné qu’il n’y avait pas de caractéristiques physiques pouvant justifier une distinction objective entre les cartouches de première qualité et les cartouches de promotion. Par conséquent, le Tribunal a rejeté cette demande d’exclusion.

POSITION DES PARTIES

Partie appuyant le maintien des conclusions

Les avocats de Libec ont réclamé la prorogation des conclusions du Tribunal, faisant valoir que, en l’absence de droits antidumping, les fabricants hongrois et tchèque reprendront vraisemblablement le dumping des cartouches de fusils de calibre 12 au Canada et que ce dumping est susceptible de causer un dommage sensible à la branche de production nationale.

À titre préliminaire, les avocats de Libec ont soutenu qu’il est toujours très difficile pour les producteurs nationaux de présenter leur cause dans un réexamen lorsqu’il n’y a pas eu d’importations des marchandises en question pendant plusieurs années. Il a déclaré que cette difficulté est encore plus grande lorsque les fabricants étrangers ne participent pas au réexamen. Les avocats ont demandé au Tribunal de ne pas avantager de quelque façon Sellier & Bellot, le fabricant et exportateur hongrois des marchandises en question, parce qu’il ne participait pas au réexamen.

Quant à la probabilité de reprise du dumping, les avocats de Libec ont affirmé que, si les conclusions sont annulées, plusieurs facteurs différents amèneront les fabricants et exportateurs hongrois et tchèques à faire le dumping de cartouches de fusils de calibre 12 au Canada. Les avocats ont soutenu que les exportateurs des pays visés continuent de considérer le Canada comme un marché d’exportation viable. Ils ont signalé que les exportateurs des pays visés ont exporté des cartouches autres que les cartouches en question au Canada au cours des cinq dernières années. Les avocats ont déclaré que certains des importateurs désignés comme importateurs des marchandises sous-évaluées il y a cinq ans continuent de participer au marché canadien et importent aujourd’hui des cartouches autres que les cartouches en question depuis les pays visés. En particulier, ont signalé les avocats, Nike-Fiocchi a maintenu sa relation avec son distributeur canadien. Par conséquent, ont-ils fait valoir, il y a encore une infrastructure propre à faciliter le retour des marchandises en question au Canada.

Les avocats de Libec ont dit que, conformément aux conclusions du Tribunal d’il y a cinq ans, la capacité de production des fabricants des marchandises en question est beaucoup plus grande que tout le marché canadien et vise principalement les marchés d’exportation. Leur position est que les fabricants des marchandises en question pourraient très rapidement exporter au Canada de gros volumes des marchandises en question.

Les avocats de Libec ont aussi plaidé que les fabricants des marchandises en question exploiteraient agressivement le marché canadien. Ils ont signalé que Nike-Fiocchi a signifié son intention d’accroître ses ventes à l’exportation et fait valoir qu’il serait conforme à sa politique d’exportation de faire des exportations au Canada si ce marché s’ouvrait. Comme les marchandises en question sont actuellement exportées aux États-Unis, les avocats ont exprimé l’avis qu’un prolongement naturel serait d’exporter les marchandises en question au Canada.

Les avocats de Libec ont maintenu que, pour exploiter le marché canadien, les fabricants des marchandises en question devraient faire du dumping des marchandises en question. À l’appui de leur thèse, ils ont signalé qu’il n’y a pas eu d’importations des marchandises en question depuis les conclusions. Ils ont répété la déclaration des témoins de Canadian Tire et de Magasin Latulippe selon lesquels, sans reconnaissance de marque, les marchandises en question ne pourraient soutenir la concurrence qu’en fonction du prix et qu’il faudrait un rabais important pour attirer les acheteurs. En outre, selon les avocats, les éléments de preuve dont le Tribunal est saisi révèlent que Nike-Fiocchi fait actuellement du dumping des marchandises en question sur ses marchés d’exportation.

Enfin, les avocats de Libec ont expliqué que les actions passées des fabricants des marchandises en question témoignent de leur propension au dumping. Ces fabricants ont fait l’objet de conclusions de dumping des marchandises en question en 1979 puis, de nouveau, en 1994.

Passant à la question de savoir si la branche de production canadienne est susceptible de subir un dommage sensible en cas d’annulation des conclusions et de reprise du dumping, les avocats de Libec ont soutenu que, sans reconnaissance de marque, les marchandises en question devraient se vendre en tant que cartouches de promotion à rabais considérable. Les avocats ont dit que les importations des marchandises en question au moment des conclusions portaient surtout sur les cartouches de promotion et que la majorité des exportations de Nike-Fiocchi en 1997 et en 1998 consistaient en cartouches de promotion.

Les avocats de Libec ont fait valoir qu’il suffirait d’un très faible pourcentage de la production des fabricants des marchandises en question pour inonder le marché canadien. Ils ont déclaré que même une très faible quantité de marchandises sous-évaluées pourrait perturber le marché canadien en raison du rabais considérable auquel elles devraient être offertes et en raison de la comparaison des prix qui s’effectue sur le marché canadien. Ils ont soutenu que les prix de dumping ne mettraient pas de temps à être connus sur le marché canadien et deviendraient la référence, ce qui ferait tomber les prix canadiens.

Les avocats de Libec ont soumis en outre qu’il y a concentration d’acheteurs sur le marché canadien. À leur avis, cette concentration d’acheteurs fait que les exportateurs des marchandises en question n’ont qu’à pressentir quelques acheteurs pour accéder à tout le marché canadien. Ils ont déclaré que cela permet une pénétration rapide du marché canadien.

Enfin, les avocats de Libec ont plaidé que les producteurs nationaux sont vulnérables. Ils ont signalé que les cartouches de promotion représentent la majorité de la production nationale. Par conséquent, ont-ils dit, l’exposition à l’importation de cartouches de promotion sous-évaluées s’en trouve accrue. Se référant aux déclarations du témoin de Magasin Latulippe, les avocats ont exprimé l’avis que les acheteurs laisseraient tomber le fournisseur national de cartouches de calibre 12 si les marchandises en question étaient disponibles à moindre prix. Ils ont aussi affirmé que la petite taille des producteurs nationaux, comparativement aux producteurs américains, les rendait plus susceptibles aux bas prix et, en particulier, à la guerre de prix prolongée que provoquerait la présence de marchandises sous-évaluées. En outre, ont fait valoir les avocats, si elle perd des ventes de cartouches de promotion au profit des importations sous-évaluées, la branche de production nationale perdra aussi des ventes de cartouches de première qualité, soit le produit d’où la branche de production nationale tire le gros de ses recettes, vu qu’il y a un lien clair entre la vente de cartouches de promotion et la vente de cartouches de première qualité.

En conclusion, les avocats de Libec ont incité le Tribunal à « rompre ce cycle » de conclusions de dommage, d’annulation des conclusions, et de nouvelles conclusions de dommage. Ils ont demandé au Tribunal de proroger les conclusions sans modification.

ANALYSE

Selon l’article 76 de la LMSI, à la fin d’un réexamen, le Tribunal annule ou proroge l’ordonnance ou les conclusions, avec ou sans modification. Le Tribunal appuie sa décision sur deux questions fondamentales. Il détermine d’abord s’il y a probabilité de reprise du dumping. Si le Tribunal conclut à la probabilité de reprise du dumping, il établit alors si ce dumping est susceptible de causer un dommage sensible à la branche de production nationale.

Probabilité de reprise du dumping

Dans l’évaluation de la probabilité de reprise du dumping, le Tribunal peut étudier toute une gamme de facteurs pour voir quelles seraient les conditions du marché pour le produit étudié, en l’absence des conclusions. En l’occurrence, les facteurs que le Tribunal a examinés comprennent les changements survenus sur le marché intérieur depuis les conclusions, y compris l’étendue des importations en provenance des pays visés et d’autres sources, la stratégie de commercialisation des exportateurs des pays visés, la taille et la disponibilité de la capacité de production et des stocks des pays visés, la nature du produit, la politique d’achat des acheteurs canadiens, l’établissement du prix des exportations des exportateurs visés et le comportement passé de ces exportateurs.

Il y a eu peu de changement à la composition de la branche de production nationale depuis les conclusions. Libec conserve toujours la vaste majorité de la production intérieure totale et, à ce titre, constitue la branche de production nationale aux fins du présent réexamen. Pendant cette période, la taille des deux petits producteurs canadiens, c’est-à-dire Superior et Tony, est demeurée essentiellement la même. Cependant, il y a eu un changement important de la participation des importations sur le marché canadien depuis 1994.

Depuis les conclusions, le marché canadien apparent des cartouches de fusils de calibre 12 a crû, le gros de la croissance survenant au cours de la période de 1996 à 1998. Bien que Libec ait contesté l’évaluation du Tribunal quant à la taille du marché, soutenant que le marché était demeuré stable [9] , plutôt que de croître au cours de la période du réexamen, le Tribunal pense, en s’appuyant sur les données reçues en réponse aux questionnaires, que son évaluation reflète fidèlement la réalité du marché. Un facteur de l’augmentation de la taille du marché des cartouches de fusils de calibre 12 depuis 1996 est la loi canadienne interdisant l’utilisation de grenaille toxique (en plomb) pour la chasse aux oiseaux migrateurs. En effet, les témoins de Canadian Tire et de Magasin Latulippe ont indiqué que la législation exigeant l’utilisation de grenaille non toxique (d’acier) dans certaines utilisations a augmenté la demande, au moins au niveau du gros, de cartouches de fusils de calibre 12 au cours des deux dernières années [10] . Cependant, le témoin de Canadian Tire a déclaré que la non-exécution de cette loi a aussi eu un effet déstabilisateur sur le marché [11] , où les détaillants se sont retrouvés avec de grandes quantités de cartouches d’acier invendues qu’ils devaient entreposer [12] .

Depuis les conclusions, il y a eu évolution des parts de marché détenues par les principaux fournisseurs. À cet égard, le Tribunal a examiné le niveau des importations depuis les conclusions et, plus particulièrement, au cours de la période récente pour laquelle il a obtenu des données précises sur les importations et les ventes, c’est-à-dire de 1996 à 1998. Il n’y a pour ainsi dire pas eu d’importations en provenance de la République tchèque et de la République de Hongrie depuis les conclusions [13] , et il semblerait que la part de marché libérée par les importations sous-évaluées en provenance de ces pays ait été saisie principalement par les importations en provenance des États-Unis entre 1993 et 1995. Entre 1996 et 1998, il y a eu peu de variations de la part de marché détenue par les importations américaines, tandis que celle de Libec a augmenté légèrement [14] . Entre 1996 et 1998, il n’y a pas eu d’importations de pays autres que les États-Unis, sauf en 1998, où une faible quantité de cartouches de fusils de calibre 12 d’origine italienne a été vendue au Canada.

Le Tribunal a examiné les éléments de preuve pour expliquer l’absence d’importations des deux pays visés depuis les conclusions. Les marges considérables de dumping pour la République tchèque et la République de Hongrie dans la détermination finale de dumping [15] , et le fait qu’il n’a pas été établi de nouvelles valeurs normales depuis lors [16] , amènent le Tribunal à conclure que les fabricants des marchandises en question ne pouvaient pas être concurrentiels sur le marché canadien. Cet avis est appuyé par les commentaires de Nike-Fiocchi quant à son absence du marché canadien depuis les conclusions [17] . En outre, les marchandises en question n’avaient pas de reconnaissance de marque [18] et ne pouvaient commander un prix supérieur sur ce segment très concurrentiel du marché.

Le dossier révèle, toutefois, que Nike-Fiocchi est très axée sur l’exportation, ses ventes intérieures ne représentant qu’une fraction de ses ventes totales de cartouches de fusils de calibre 12 [19] . Quant à Sellier & Bellot, comme le Tribunal l’a noté dans son exposé des motifs dans le cadre de l’enquête no NQ-93-005, sa production « est destinée principalement aux marchés d’exportation [20] ».

Dans sa réponse au questionnaire du Tribunal, Nike-Fiocchi a déclaré qu’elle a l’intention d’accroître ses ventes de cartouches de fusils de calibre 12 sur ses marchés d’exportation au cours des trois prochaines années et, notamment, d’augmenter le niveau actuel d’exportations qu’elle fait aux États-Unis. En outre, sa réponse renferme des indices révélant qu’elle n’a pas renoncé à son intention d’exporter vers le Canada si les conclusions devaient être annulées [21] . De l’avis du Tribunal, ces déclarations démontrent clairement l’intérêt continu de Nike-Fiocchi envers les marchés américain et canadien.

Sellier & Bellot a aussi montré un intérêt continu pour le marché canadien. Depuis les conclusions, elle a fait plusieurs livraisons de cartouches autres que les cartouches en question au Canada, en vendant ces cartouches à certains des mêmes importateurs qui ont été reconnus il y a cinq ans comme importateurs des marchandises sous-évaluées en question [22] .

Le Tribunal conclut de ce qui précède que les deux exportateurs continuent de considérer le Canada comme un marché d’exportation attrayant pour les cartouches de fusils de calibre 12 et que, bien qu’ils soient incapables de livrer concurrence au Canada tant que les conclusions sont en place, ils pourraient sans doute, advenant leur annulation, reprendre leurs livraisons de cartouches de fusils de calibre 12 vers le Canada.

Comme autres indicateurs possibles de la probabilité de reprise des livraisons au Canada, le Tribunal a examiné l’importance de la capacité de production disponible des fabricants des pays visés et le niveau de leurs stocks. Le dossier indique que la capacité combinée de Nike-Fiocchi et de Sellier & Bellot de produire de cartouches de fusils de calibre 12 [23] est beaucoup plus grande que tout le marché canadien des mêmes marchandises [24] .

La seule capacité excédentaire de Nike-Fiocchi en 1998, conjuguée à son niveau déclaré de stocks de cartouches de fusils de calibre 12 [25] , représente des volumes considérables de produits disponibles qui, en l’absence des conclusions, pourraient facilement se vendre sur le marché canadien,. Par ailleurs, il ressort des réponses de Nike-Fiocchi au questionnaire que cette capacité pourrait être accrue au prix de relativement peu d’efforts [26] .

Quant à Sellier & Bellot, le Tribunal a noté, dans ses conclusions de 1994, que cette société « produit annuellement plus de 32 millions d’unités de cartouches de fusils de calibre 12 [27] ». Il n’existe pas de données courantes pour Sellier & Bellot, qui n’a pas participé au réexamen et n’a pas répondu au questionnaire du Tribunal, mais rien n’indique que la capacité de son usine a changé depuis lors. Pour ce qui est de la capacité de Sellier & Bellot d’exporter de gros volumes, le témoin de Libec a estimé que quelque 10 millions d’unités de cartouches tchèques se vendent actuellement sur le marché américain [28] .

Par conséquent, le Tribunal est d’avis que les deux exportateurs désignés ont la capacité de livrer sur le marché canadien des quantités considérables de cartouches de fusils de calibre 12 à très court préavis.

Le Tribunal a aussi examiné si les livraisons probables des marchandises en question seraient vendues à des prix de dumping. Dans ses conclusions de 1994, le Tribunal a noté que les éléments de preuve ne permettaient pas de douter que les cartouches de promotion se vendaient en fonction du prix, alors que le facteur le plus important de la vente de cartouches de première qualité était la marque sous laquelle elles étaient vendues. Au cours du présent réexamen, les témoins de Canadian Tire et de Magasin Latulippe ont tous deux témoigné que les cartouches de promotion étaient un produit de base et donc très sensibles au prix. Si la reconnaissance de marque était un facteur important à l’extrémité supérieure du marché (c’est-à-dire pour les cartouches de première qualité), elle ne l’était pas à l’extrémité inférieure (c’est-à-dire pour les cartouches de promotion), où le prix était le principal facteur. De fait, le témoin de Canadian Tire a indiqué que, dans la situation extrême où tous les autres facteurs seraient égaux, une différence de prix de seulement un cent pour les cartouches de promotion pourrait faire la différence quant à la source d’approvisionnement de son produit [29] .

Pour Canadian Tire, les questions les plus importantes dans la décision d’adopter un produit étaient l’infrastructure du fournisseur et sa fiabilité pour la livraison des quantités requises pour la revente. Cependant, le témoin a reconnu qu’il examinerait l’offre d’un fournisseur moins fiable qui offrirait un rabais de l’ordre de 25 p. 100, ce qui compenserait le risque supérieur lié à l’approvisionnement chez un fournisseur inconnu et aux coûts de stockage plus élevés [30] . Il a ajouté que, si un grand concurrent vendait des cartouches à des prix particulièrement bas, Canadian Tire serait forcée d’acheter et d’offrir des cartouches à aussi bas prix [31] .

Le témoin de Magasin Latulippe a témoigné que le prix est essentiellement le facteur déterminant dans l’achat des cartouches, particulièrement pour les cartouches de promotion. Il a aussi déclaré que son organisme ne pouvait transiger qu’avec un certain nombre de fournisseurs et que l’adoption d’un nouveau produit serait aux dépens d’un ou de plusieurs produits existants puisque, à son avis, l’augmentation du nombre de marques ne signifierait pas une augmentation des ventes [32] .

Le Tribunal a examiné les prix offerts par les exportateurs désignés sur leurs marchés d’exportation pour trouver une indication de l’établissement de prix à l’importation probables, en l’absence des conclusions. Pour ce qui est des prix hongrois, le Tribunal note que le prix de vente moyen des cartouches de promotion de fusils de calibre 12 vendues par Nike-Fiocchi en 1998 pour l’ensemble de ses ventes à l’exportation est inférieur à son prix de vente moyen sur son marché intérieur [33] , ce qui est un solide indicateur de la possibilité de pratique courante de dumping.

Quant aux éléments de preuve sur les prix tchèques, Libec a produit des éléments de preuve sur les prix tchèques courants sur le marché américain. S’appuyant sur sa connaissance du marché américain en tant que fournisseur de cartouches de fusils de calibre 12 sur ce marché, Libec a donné une estimation du prix rendu des cartouches de fusils de calibre 12 de promotion d’origine tchèque pour un détaillant américain [34] . Les éléments de preuve montrent que le prix rendu estimé des importations tchèques sur le marché américain est inférieur au coût unitaire des produits fabriqués par Libec [35] . Sans être une preuve concluante de dumping, cela est encore un indicateur de « probabilité ».

La nature des exportations passées de Nike-Fiocchi et de Sellier & Bellot est une autre indication des niveaux de prix probables de ces deux pays, en l’absence des conclusions. Dans ses conclusions de 1994, le Tribunal signalait que les cartouches de fusils de calibre 12 en provenance des pays visés étaient essentiellement des cartouches de promotion [36] qui étaient en concurrence directe avec une proportion importante des ventes de Libec. Les données courantes présentées par Nike-Fiocchi montrent qu’une vaste majorité de ses exportations de cartouches de fusils de calibre 12 consistent toujours en cartouches de promotion [37] .

Les éléments de preuve révèlent que les cartouches de promotion originaires de la République tchèque et de la République de Hongrie n’ont pas la reconnaissance de marque au Canada [38] . En outre, ces importations ne sont pas présentes sur le marché depuis les conclusions. La déclaration du témoin de Canadian Tire et les réponses que les acheteurs au Canada ont données aux questionnaires du Tribunal sur les caractéristiques du marché ne laissent pas de doute : les acheteurs et les consommateurs exigeraient un rabais considérable avant d’acheter des cartouches de fusils de calibre 12 à une source inconnue, y compris les cartouches importées des pays visés. Les estimations des rabais de prix nécessaires pour amener ces acheteurs à passer de leurs fournisseurs nationaux établis à des importations qui n’ont pas fait leurs preuves, vont de 5 p. 100 à 25 p. 100 de moins que les prix intérieurs courants [39] . Étant donné que les importations des pays visés devraient faire l’objet d’un gros rabais pour se vendre au Canada, il est très probable que, en l’absence des conclusions, ces importations soient sous-évaluées.

Il est toujours difficile d’établir le comportement probable des exportateurs des marchandises en question en cas d’annulation de conclusions. En l’occurrence, toutefois, il y a un historique clair de comportement passé des exportateurs des deux pays visés par le présent réexamen et mettant en cause les mêmes produits.

En 1979, le Tribunal antidumping a rendu des conclusions [40] de préjudice sensible concernant les cartouches de fusils de calibre 12 originaires de certains pays, dont la Tchécoslovaquie et la Hongrie. En 1989, le Tribunal a annulé les conclusions [41] . Dans ses motifs, le Tribunal signalait :

Ceux [les pays] d’Europe de l’Est visés par les conclusions de préjudice rendues en 1979, à savoir […] la Tchécoslovaquie et la Hongrie, ont livré au Canada des quantités négligeables, voire nulles, dans certains cas, de marchandises en cause depuis ce temps-là [42] .

Pourtant, peu après l’annulation des conclusions, les importations à bas prix sont réapparues sur le marché canadien. De fait, le Tribunal a noté, dans sa décision de 1994, que l’exportateur tchèque avait, sur une très courte période en 1993, exporté plus de 4 millions d’unités au Canada [43] . Le Tribunal a noté en outre que, sur les marchandises examinées du 1er janvier au 31 octobre 1993, 97 p. 100 des marchandises en question exportées par Sellier & Bellot avaient été sous-évaluées d’une marge moyenne pondérée de 32 p. 100, tandis que 99 p. 100 des marchandises en question exportées par Nike-Fiocchi avaient été sous-évaluées à une marge moyenne pondérée de 37 p. 100 [44] .

Ce comportement passé et les autres facteurs traités plus haut, conjugués au fait qu’aucun des exportateurs n’a obtenu de nouvelles « valeurs normales », indiquent clairement, de l’avis du Tribunal, que Sellier & Bellot et Nike-Fiocchi ne sont pas disposées à transiger à des valeurs normales et reprendront à nouveau le dumping de cartouches de fusils de calibre 12 au Canada, si les conclusions sont annulées.

En conclusion, le Tribunal est persuadé qu’il y a probabilité de reprise du dumping des cartouches de fusils de calibre 12 en provenance des pays visés. Cette conclusion s’appuie sur les facteurs suivants : la forte orientation vers l’exportation des fabricants des marchandises en question et leur intérêt continu pour le marché canadien, leur capacité de livrer sur le marché canadien des quantités considérables à très court préavis, le fait que les marchandises en question sont un produit de base et l’extrême sensibilité au prix des cartouches de promotion, la preuve de l’établissement de bas prix par les exportateurs nommés sur les autres marchés d’exportation, l’absence de reconnaissance de marque au Canada des cartouches des pays visés, qui oblige à des rabais pour l’obtention de ventes, et leur historique de dumping à répétition.

Probabilité de dommage sensible

En étudiant si la reprise du dumping de cartouches de calibre 12, originaires de la République tchèque et de la République de Hongrie, est susceptible de causer un dommage sensible à la branche de production nationale, le Tribunal a examiné un certain nombre de facteurs, dont la taille et la disponibilité de la capacité de production et des stocks des marchandises en question dans le pays exportateurs, les prix probables des importations sous-évaluées et leur incidence sur la branche de production nationale, l’accessibilité du marché canadien et les conditions concurrentielles courantes du marché, ainsi que la performance récente et future probable de la branche de production nationale.

Pour évaluer les volumes probables d’importations des pays visés, le Tribunal a examiné de près la situation passée et courante de l’offre et de la demande dans les pays exportateurs. Ainsi qu’il est indiqué plus haut, la capacité combinée des fabricants des pays visés de produire des cartouches de fusils de calibre 12 est beaucoup plus grande que l’ensemble du marché canadien, et leur capacité est axée principalement sur les marchés d’exportation. Le Tribunal est d’avis que Nike-Fiocchi, compte tenu de sa méthode de détermination de sa capacité de production [45] , pourrait facilement accroître sa capacité en ajoutant au nombre de quarts de travail par semaine ou en prolongeant les heures de la journée de travail. Même s’ils ne représentent qu’un faible pourcentage de sa capacité globale de production [46] , les stocks de Nike-Fiocchi pourraient à eux seuls causer une perturbation importante sur le marché canadien par des importations rapides. Ces facteurs, de l’avis du Tribunal, permettraient aux exportateurs visés de livrer sur le marché canadien des volumes importants des cartouches en question en un temps très bref.

Selon toute probabilité, les cartouches de fusils de calibre 12 importées des pays visés seraient des cartouches de promotion. Les éléments de preuve indiquent qu’une forte proportion des exportations courantes de Nike-Fiocchi vers les autres pays consiste en cartouches de promotion. En outre, les cartouches de fusils de calibre 12 originaires de la République tchèque et de la République de Hongrie n’ont pas une reconnaissance de marque au Canada et, au départ tout au moins, ne pourraient faire concurrence que sur le prix. Les éléments de preuve indiquent également que, à l’extrémité inférieure du marché, le prix est la clé de l’obtention de ventes.

Le climat concurrentiel qui caractérise le marché canadien pour les cartouches de calibre 12 est tel qu’il suffit d’une petite quantité de marchandises à faibles prix pour perturber le marché. Les témoignages ont indiqué clairement que les consommateurs se livrent à des comparaisons de prix sur le marché [47] et que les acheteurs d’entreprise connaissent bien le marché. Si des importations sous-évaluées étaient admises au Canada, ces bas prix seraient vite connus dans l’industrie et exerceraient généralement une pression à la baisse sur les prix. Compte tenu du degré de concurrence sur le marché canadien, cette pression à la baisse toucherait tous les fournisseurs sur le marché, même ceux qui vendent aux niveaux de prix supérieurs.

Le Tribunal est aussi persuadé que la pénétration des importations, compte tenu de la concentration du marché canadien, serait rapide. En plus de deux grands détaillants, Canadian Tire et Wal-Mart, il n’y a que quelques détaillants de taille moyenne et cinq ou six distributeurs desservant les petits détaillants [48] . Ainsi, les importateurs ont facilement accès à une partie importante de l’ensemble du marché par l’entremise de quelques acheteurs seulement. Comme il est indiqué plus haut, certains de ces importateurs sont déjà présents sur le marché canadien des munitions, où ils vendent des cartouches autres que les cartouches en question, originaires des pays visés.

Les producteurs canadiens sont particulièrement vulnérables aux importations sous-évaluées. Par rapport aux fournisseurs américains sur le marché canadien, les producteurs canadiens de cartouches de fusils de calibre 12 sont nettement plus petits. Ils sont aussi plus petits que leurs homologues tchèques et hongrois. Ces grands producteurs sont mieux placés pour livrer concurrence sur le prix et maintenir des bas prix sur une plus longue période. Leur taille suffit à rendre Libec et les autres petits producteurs canadiens vulnérables au dommage imputable aux marchandises sous-évaluées et, en particulier, aux marges considérables de dumping auxquelles les exportateurs visés ont vendu par le passé.

Parce que le marché canadien est un marché très concurrentiel, où le prix est le facteur clé à l’extrémité inférieure, si un produit de promotion à moindre prix était offert, le produit de promotion offert à un prix supérieur ne se vendrait pas. Dans ce scénario, Libec serait confrontée à deux options : offrir le même prix et faire les frais d’une érosion des prix, ou choisir de ne pas égaler les offres de prix de dumping, quitte à subir une perte de ventes ou une perte de clients. Le degré de concentration des acheteurs est tel que la perte d’un seul gros client, comme Canadian Tire, serait dévastatrice pour Libec.

Bien que le volume du marché canadien des cartouches de fusils de calibre 12 ait augmenté de 26 p. 100 au cours des trois dernières années, les perspectives d’avenir ne sont pas aussi reluisantes pour les quelques prochaines années. Le témoin de Canadian Tire croit que le marché demeurera constant à court terme [49] , tandis que celui de Magasin Latulippe prédit une croissance modeste [50] . Si le marché demeure stagnant, le prix deviendra un plus grand facteur qu’actuellement [51] .

Le Tribunal est aussi d’avis que, si les ventes de cartouches de promotion de Libec diminuent par suite du dumping des cartouches de promotion originaires des pays visés, ces importations sont aussi susceptibles de faire perdre à Libec des ventes de cartouches de première qualité. Selon les éléments de preuve fournis par Libec, qui n’ont pas été contredits, ses ventes de cartouches de première qualité dépendent fortement de sa capacité de vendre des cartouches de promotion. Bien qu’elles représentent moins de la moitié des ventes de Libec, les ventes de cartouches de première qualité forment plus de la moitié de son chiffre d’affaires [52] .

Libec est désormais associée à une société française et a commencé à exporter des cartouches de fusils de calibre 12 vers les États-Unis. Elle compte acheter du nouveau matériel pour élargir sa gamme de produits, ce qui entraînerait un accroissement des ventes sur les marchés intérieur et extérieur. Ces projets d’expansion sont tributaires de la vigueur financière globale de l’entreprise et, de l’avis du Tribunal, toute reprise du dumping compromettrait sans doute ces projets.

Même si les conclusions du Tribunal lui ont permis de réaliser de bons bénéfices depuis quelques années, Libec demeure vulnérable aux importations sous-évaluées. Un exemple de cette vulnérabilité est la guerre de prix qui a fait rage sur le marché canadien entre les principaux fournisseurs américains en 1996, et qui a entraîné une baisse de l’ordre de 25 p. 100 des recettes et des bénéfices de Libec. Dans la situation actuelle, le Tribunal est persuadé que les importations sous-évaluées des pays visés infligeraient un dommage sensible à Libec, un dommage qui réduirait considérablement ses ventes et sa part de marché et éroderait ses prix, compromettant de ce fait, à très court terme, sa rentabilité et sa survie même.

En résumé, le Tribunal est persuadé que la reprise du dumping de cartouches de fusils de calibre 12 par les exportateurs visés est susceptible de causer un dommage sensible à la branche de production nationale pour les raisons suivantes. Les fabricants des pays visés ont une grande capacité de production et de gros stocks de cartouches de fusils de calibre 12 disponibles pour l’exportation au Canada. En toute probabilité, les prix de dumping seraient vite connus sur le marché et deviendraient la référence pour tous les fournisseurs. La structure du marché au Canada est concentrée, ce qui permet une pénétration rapide des marchandises en question sur le marché. Les producteurs canadiens sont relativement petits et incapables de soutenir, pour une période prolongée, la concurrence d’importations sous-évaluées. En raison de tous ces facteurs, la branche de production nationale sera probablement victime de pertes de ventes et de part de marché, d’érosion de prix et de pertes de bénéfices, sans compter que les projets d’expansion seront compromis.

CONCLUSION

Pour toutes ces raisons, le Tribunal proroge par la présente, sans modification, ses conclusions concernant les cartouches de fusils de calibre 12, originaires ou exportées de la République tchèque et de la République de Hongrie.


1. L.R.C. (1985), ch. S-15, modifiée par L.C. 1994, ch. 47.

2. Conclusions, le 22 juin 1994, Exposé des motifs, le 7 juillet 1994.

3. Gazette du Canada Partie I, vol. 132, no 52, le 26 décembre 1998, à la p. 3405.

4. Désigne la grosseur et le nombre de grenaille dans la cartouche.

5. Certaines cartouches de première qualité peuvent aussi être faites d'autres matériaux non toxiques, comme le tungstène.

6. Règlement concernant la protection des oiseaux migrateurs, C.R.C. 1978, ch. 1035, art. 15.1, modifié par DORS/97-400, le 18 août 1997, Gazette du Canada Partie II, vol. 131, no 18 à la p. 2657.

7. Qui faisait auparavant ses importations sous le nom Motokov Canada Inc.

8. Remington a été nommée comme importateur non résident des cartouches de calibre 12.

9. Transcription de l'audience publique, le 28 avril 1999 à la p. 85.

10. Transcription de l'audience publique, le 28 avril 1999 aux p. 152 et 176.

11. Transcription de l'audience publique, le 28 avril 1999 aux p. 106-107.

12. Transcription de l'audience publique, le 28 avril 1999 à la p. 128.

13. Revenu Canada indique une seule livraison de cartouches de fusils de calibre 12 d'origine tchèque, qui est entrée en septembre 1995. Il n'y a pas eu de déclarations des marchandises en question pour la République de Hongrie.

14. La taille du marché canadien apparent des cartouches de fusils de calibre 12 et les parts de marché respectives sont des données protégées.

15. Pièce du Tribunal RR-98-005-1, dossier administratif, vol. 1 à la p. 9.

16. Pièce du Tribunal RR-98-005-3A, dossier administratif, vol. 1 à la p. 55.

17. Pièce du Tribunal RR-98-005-27.1A (protégée), dossier administratif, vol. 6.3 aux p. 6 et 7.

18. Pièce du fabricant A-3 à 2-3, dossier administratif, vol. 11.

19. Pièce du Tribunal RR-98-005-27.1A (protégée), dossier administratif, vol. 6.3 à la p. 8.

20. Pièce du Tribunal RR-98-005-1, dossier administratif, vol. 1 à la p. 32.

21. Pièce du Tribunal RR-98-005-27.1A (protégée), dossier administratif, vol. 6.3 à la p. 6.

22. Pièce du Tribunal RR-98-005-4 (protégée), dossier administratif, vol. 2 aux p. 4-11.

23. Pièce du Tribunal RR-98-005-1, dossier administratif, vol. 1 à la p. 15; et pièce du Tribunal RR-98-005-27.1A (protégée), dossier administratif, vol. 6.3 à la p. 9.

24. Protected Pre-hearing Staff Report, le 2 mars 1999, pièce du Tribunal RR-98-005-6 (protégée), dossier administratif, vol. 2 à la p. 32.

25. Pièce du Tribunal RR-98-005-27.1A (protégée), dossier administratif, vol. 6.3 aux p. 8-9.

26. Pièce du Tribunal RR-98-005-27.1A (protégée), dossier administratif, vol. 6.3 à la p. 5.

27. Pièce du Tribunal RR-98-005-1, dossier administratif, vol. 1 à la p. 32.

28. Transcription de l'audience publique, le 28 avril 1999 à la p. 51.

29. Transcription de l'audience publique, le 28 avril 1999 aux p. 138 et 150.

30. Transcription de l'audience publique, le 28 avril 1999 aux p. 150-151.

31. Transcription de l'audience publique, le 28 avril 1999 aux p. 149-150.

32. Transcription de l'audience publique, le 28 avril 1999 à la p. 166.

33. Protected Pre-hearing Staff Report, le 2 mars 1999, pièce du Tribunal RR-98-005-6 (protégée), dossier administratif, vol. 2 à la p. 59. Tous les prix sont FAB usine et en dollars US.

34. Pièce du fabricant A-3 à 3-4, dossier administratif, vol. 11.

35. Pièce du fabricant A-3 à 3-4, dossier administratif, vol. 11; et Rapport protégé préalable à l'audience, le 2 mars 1999, pièce du Tribunal RR-98-005-6 (protégée), dossier administratif, vol. 2 à la p. 37.

36. Pièce du Tribunal RR-98-005-1, dossier administratif, vol. 1 à la p. 14.

37. Pièce du Tribunal RR-98-005-27.1A (protégée), dossier administratif, vol. 6.3 à la p. 10.

38. Supra note 18.

39. Rapport public préalable à l'audience, le 2 mars 1999, pièce du Tribunal RR-98-005-5, dossier administratif, vol. 1 à la p. 161.

40. Obus pleins de calibre 12 (munitions) originaires ou exportés de l'Union des républiques socialistes soviétiques, de la Pologne, de la Tchécoslovaquie et de la Hongrie, Enquête no ADT-6-79, Conclusions et Exposé des motifs, le 27 septembre 1979.

41. Obus pleins de calibre 12 (munitions) originaires ou exportés de l'Union des républiques socialistes soviétiques, de la Pologne, de la Tchécoslovaquie et de la Hongrie et Cartouches de fusils de calibre 12 originaires ou exportées d'Italie, de France, de Belgique et du Royaume-Uni, Réexamen no RR-89-001, Conclusions du réexamen et Exposé des motifs, le 4 octobre 1989.

42. Ibid. à la p. 7.

43. Pièce du Tribunal RR-98-005-1, dossier administratif, vol. 1 à la p. 15.

44. Supra note 15.

45. Pièce du Tribunal RR-98-005-27.1A (protégée), dossier administratif, vol. 6.3 à la p. 5.

46. Pièce du Tribunal RR-98-005-27.1A (protégée), dossier administratif, vol. 6.3 à la p. 8.

47. Transcription de l'audience publique, le 28 avril 1999 aux p. 157-158.

48. Pièce du fabricant A-3 à 4, dossier administratif, vol. 11

49. Transcription de l'audience publique, le 28 avril 1999 aux p. 152-53.

50. Transcription de l'audience publique, le 28 avril 1999 à la p. 176.

51. Transcription de l'audience publique, le 28 avril 1999 à la p. 153.

52. Pièce du Tribunal RR-98-005-12.3 (protégée), dossier administratif, vol. 4 à la p. 49.


[ Table des matières]

Publication initiale : le 22 juin 1999