AIL FRAIS

Demandes de décision sur l'identité de l'importateur


L’AIL FRAIS ORIGINAIRE OU EXPORTÉ DE LA RÉPUBLIQUE POPULAIRE DE CHINE
Demande no : MP-97-001

TABLE DES MATIÈRES


Ottawa, le vendredi 4 septembre 1998

Demande no : MP-97-001

EU ÉGARD À une décision, rendue aux termes de l’article 90 de la Loi sur les mesures spéciales d’importation, L.R.C. (1985), ch. S-15, modifiée, sur l’identité de l’importateur au Canada de :

L’AIL FRAIS ORIGINAIRE OU EXPORTÉ DE LA RÉPUBLIQUE POPULAIRE DE CHINE

DÉCISION CONCERNANT L’IDENTITÉ DE L’IMPORTATEUR

Le Tribunal canadien du commerce extérieur a procédé à une enquête, aux termes de l’article 90 de la Loi sur les mesures spéciales d’importation, à la suite d’une demande faite par le sous-ministre du Revenu national, au nom de la société D & L Business Canada Ltd., d’établir l’identité de l’importateur au Canada de l’ail frais originaire ou exporté de la République populaire de Chine.

Le Tribunal canadien du commerce extérieur détermine, par la présente, que l’importateur au Canada desdites marchandises est la société D & L Business Canada Ltd. (dissidence du membre Gracey).

Robert C. Coates, c.r.
_________________________
Robert C. Coates, c.r.
Membre présidant


Raynald Guay
_________________________
Raynald Guay
Membre



Charles A. Gracey
_________________________
Charles A. Gracey
Membre


Michel P. Granger
_________________________
Michel P. Granger
Secrétaire

EXPOSÉ DES MOTIFS

CONTEXTE

Le 1er décembre 1997, le sous-ministre du Revenu national (le Sous-ministre) a présenté au Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal), aux termes du paragraphe 89(1) de la Loi sur les mesures spéciales d’importation [1] (LMSI), une demande de décision concernant l’identité de l’importateur au Canada de l’ail frais originaire ou exporté de la République populaire de Chine (la Chine). Cette demande a été faite au nom de la société D & L Business Canada Ltd. (D & L).

Le 21 mars 1997, le Tribunal a conclu, conformément au paragraphe 43(1) de la LMSI, que le dumping au Canada de l’ail frais originaire ou exporté de la Chine avait causé un dommage sensible à la branche de production nationale [2] . Les conclusions ne visent que l’ail frais importé au Canada de la Chine du 1er juillet au 31 décembre, inclusivement, de chaque année civile.

La demande du Sous-ministre porte sur deux activités d’importation d’ail frais qui ont eu lieu à la fin de 1996 alors que des droits provisoires antidumping étaient payables. Au moment où ces activités d’importation ont eu lieu, D & L était désignée comme l’importateur attitré, et le ministère du Revenu national (Revenu Canada) n’a pas contesté cette désignation. Le 8 septembre 1997, un remboursement partiel des droits provisoires antidumping a été versé conformément à l’article 55 de la LMSI. Toutefois, la Division des enquêtes douanières de la Région du Pacifique de Revenu Canada a fait enquête sur les activités d’importation et conclu que D & L avait fait de fausses déclarations en comptabilisant les marchandises et que, en surestimant la valeur en douane déclarée, elle avait évité de payer des droits provisoires antidumping. Par conséquent, une pénalité d’environ 335 000 $ a été imposée à D & L; celle-ci a interjeté appel de cette décision et, à cet égard, soutenu que l’importateur des deux expéditions était la société Shengli Group U.S.A. (Shengli), l’exportateur attitré, et non D & L. En conséquence, D & L a demandé que le Tribunal soit saisi de la question de déterminer qui est l’importateur des marchandises, conformément à l’alinéa 89(1)b) de la LMSI.

Le 11 décembre 1997, le Tribunal a publié un avis de demande de décision et invité les parties intéressées à déposer des exposés écrits faisant état des faits, documents et arguments à l’appui de tout point de vue relié à cette décision au plus tard le 19 janvier 1998. Les actes de comparution, de déclaration et d’engagement devaient être déposés auprès du Secrétaire au plus tard le 12 janvier 1998. Le Tribunal a reçu des exposés publics et des actes de comparution du Sous-ministre, de D & L et de Shengli. Le Tribunal a aussi reçu des exposés confidentiels du Sous-ministre et de D & L.

Le 26 février 1998, le Tribunal a informé les avocats et les parties qu’il tiendrait une audience publique à Vancouver (Colombie-Britannique) le 4 mai 1998. Les parties ayant l’intention de participer à l’audience devaient en aviser le Secrétaire au plus tard le 14 avril 1998. En même temps, les parties étaient invitées à déposer auprès du Tribunal les déclarations de leurs témoins ainsi que tout exposé supplémentaire. Le Sous-ministre et D & L ont informé le Tribunal qu’ils participeraient à l’audience. Ils ont aussi déposé des exposés supplémentaires.

FAITS

Deux témoins ont comparu à l’audience : M. Robert Head, un enquêteur de la Division des enquêtes douanières de la Région du Pacifique de Revenu Canada, et M. Dodge D. Li, l’un des propriétaires de D & L. Les faits pertinents de la présente cause se résument comme il suit.

Le 21 novembre 1996, des droits provisoires antidumping ont été imposés sur l’ail frais importé de la Chine. En janvier 1997, un agent affecté aux Services d’administration des politiques commerciales à Vancouver a reçu une plainte d’un importateur-grossiste local selon laquelle D & L vendait de l’ail provenant de la Chine dans la région de Vancouver à un prix qui ne tenait pas compte des droits antidumping en vigueur à ce moment. D & L est une petite firme d’experts-conseils située à Vancouver qui se spécialise dans la facilitation d’échanges commerciaux entre particuliers en Chine et au Canada. Elle mène ses activités à partir de la résidence de ses deux directeurs, M. Li et son épouse, Mme Queen Qing Deng.

L’enquête a révélé que 11 conteneurs d’ail ont été exportés de la Chine en juillet 1996 à destination de l’État de Californie. Toutefois, l’ail n’est jamais entré sur le marché américain. Il a été gardé en entrepôt frigorifique pendant quatre mois. Vers la fin de novembre 1996, les 11 conteneurs ont franchi la frontière canadienne à bord de camions. L’ail a ensuite été conservé dans un entrepôt frigorifique à Vancouver, après que les droits antidumping ont été payés par D & L. L’ail a été vendu dans la région de Vancouver à des détaillants, des grossistes et des restaurants, les ventes s’échelonnant sur une période de quatre mois, soit de décembre 1996 à mars 1997. L’ail était commercialisé par une résidente des États-Unis, Mme Flora Lee, une employée à la fois de la société Mayland Enterprises (U.S.A.), Inc. (Mayland) et de Shengli, l’exportateur attitré.

Le 29 avril 1997, un certain nombre de documents, y compris des registres de ventes, des bordereaux de dépôt bancaire, des registres de conversations téléphoniques, des offres de vente d’ail à divers détaillants canadiens et des documents portant sur l’entreposage frigorifique, ont été saisis à la résidence des directeurs de D & L. Selon les écritures de la banque, plus de 200 000 $ avaient été déposés dans un compte bancaire établi par M. Li et Mme Lee. Le compte a été ouvert au nom de D & L Business Canada Limited (U.S.) le 28 novembre 1996, le premier dépôt étant un chèque tiré sur le compte de Mayland et payable à D & L. À la demande, faite avec insistance, de M. Li, tout chèque tiré sur le compte devait porter deux signatures, soit celles de M. Li et de Mme Lee. La plupart des fonds ont été transférés en direct dans des comptes bancaires en Californie, soit à Shengli, soit à un directeur de Shengli, M. Jian Guo Xu.

Sur le document de contrôle du fret, qui est au nombre des documents de déclaration douanière, Shengli est désignée comme l’expéditeur et D & L, comme le consignataire, alors que sur les feuilles maîtresses du Système automatisé d’échange de données des douanes (SAED), qui sont remises à Revenu Canada par le courtier en douane pour faciliter le dédouanement des marchandises, D & L est désignée comme l’importateur. En outre, il est précisé sur les factures que les marchandises devraient être expédiées et facturées à D & L. Une lettre datée du 18 novembre 1996, adressée par une entreprise d’entreposage frigorifique de la région de Vancouver à Quinn Li, de D & L, expliquant entre autres les tarifs d’entreposage frigorifique et les heures d’expédition et de réception, a également été saisie.

Les documents montrent que les acheteurs de l’ail importé de la région de Vancouver ont fait leurs paiements à D & L. L’argent a été déposé dans le compte bancaire de D & L Business Canada Limited (U.S.). En l’absence de preuve de vente de l’ail par Shengli à D & L, un spécialiste de l’évaluation a dû déterminer la valeur en douane des marchandises. D & L s’est par la suite vue présenter un avis de confiscation compensatoire réclamant le paiement de 335 571,67 $, somme représentant la différence totale entre la valeur normale de 1,91 $/kg alors en vigueur et la valeur en douane réelle des marchandises, 0,97 $/kg, plus une pénalité.

À aucun moment avant de demander au Sous-ministre de saisir le Tribunal de la question D & L n’a-t-elle questionné ou contesté sa qualité d’importateur de l’ail en question.

M. Li et Mme Deng sont tous deux nés et ont fait leurs études en Chine. Le 17 novembre 1996, Mme Lee, qui avait rencontré Mme Deng en Chine, a communiqué avec elle pour l’informer qu’elle se trouvait maintenant aux États-Unis où elle travaillait pour Mayland, société sœur de Shengli. Mme Lee a expliqué qu’elle cherchait une société canadienne qui importerait de l’ail au Canada pour Mayland. En outre, elle a demandé à Mme Deng de se renseigner sur les arrangements en matière d’entreposage de l’ail. Lors de sa visite au Canada, elle a demandé à Mme Deng et à M. Li de la conduire en voiture pour lui permettre de se familiariser avec la ville de Vancouver et aussi de rencontrer d’éventuels acheteurs d’ail. M. Li a témoigné que Mme Lee connaissait tous les clients avant de venir à Vancouver et que sa femme et lui ne l’ont présentée à aucun d’eux. En outre, M. Li et Mme Deng ont convenu de permettre à Mme Lee d’utiliser leurs bureaux pour mener ses affaires. En échange de ses services, D & L a touché une commission de 2 000 $US. Les dépenses de Mme Lee ont été payées à même le compte bancaire de D & L Business Canada Limited (U.S.), compte auquel D & L n’a fait aucun dépôt, et le produit des ventes y a été déposé. Les frais d’entreposage frigorifique et toutes les dépenses liées à l’importation ont également été payés à même ce compte. Par exemple, le chèque de D & L fait pour acquitter les droits antidumping était signé par Mme Lee et par M. Li.

Le 25 novembre 1996 ou vers cette date, une Entente d’aide à la vente au Canada (l’Entente) a été conclue entre Mayland et D & L. Elle a été signée par M. Li, au nom de D & L, et par M. Xu, au nom de Mayland. Aux termes de l’Entente, Mayland devait prendre les arrangements voulus pour l’exportation des marchandises à Vancouver, Mayland devait ouvrir, au nom de D & L, un compte chèques qui servirait à toutes les activités de vente, Mayland s’engageait à acquitter les droits d’importation et à assumer toutes les dépenses liées aux ventes, D & L promettait de fournir toute l’aide voulue aux fins des ventes et Mayland s’engageait à verser à D & L une commission de 2 000 $US en contrepartie de l’aide fournie par celle-ci à l’achèvement des ventes à Vancouver.

POSITION DES PARTIES

Sous-ministre

Selon le Sous-ministre, D & L est l’importateur de l’ail en question. L’avocat du Sous-ministre a soutenu que le Tribunal ne peut décider qu’aucune autre société que D & L est l’importateur au Canada des marchandises dans le cadre de la LMSI. Aux termes du paragraphe 2(1) de la LMSI, l’« importateur » est « [l]a personne qui est le véritable importateur des marchandises ». L’avocat a cité la déclaration suivante du juge Jackett dans l’affaire Her Majesty the Queen c. The Singer Manufacturing Company :

The essential feature ... is that the exporter must be the person in the foreign country who sends the goods into Canada and the importer must be the person to whom they are sent in Canada. [3]

(« L’essentiel [...] c’est que l’exportateur doit être la personne au pays étranger qui expédie les marchandises au Canada et que l’importateur doit être la personne à qui elles sont expédiées au Canada ».)

Selon l’avocat du Sous-ministre, le Tribunal, lorsqu’il rend une décision aux termes du paragraphe 89(1) de la LMSI, doit seulement déterminer qui est l’importateur au Canada; il n’a pas compétence pour déterminer qu’une personne à l’extérieur du Canada est l’importateur au Canada. De l’avis de l’avocat, l’esprit de la LMSI dicte que les marchandises importées au Canada le soient par un importateur au Canada. L’avocat a invoqué plusieurs articles dans la LMSI qui contiennent l’expression « importateur au Canada » à l’appui de sa thèse. Il a soutenu que le simple fait que le Parlement a accordé au Tribunal le pouvoir de déterminer qui est l’importateur au Canada montre bien qu’il doit y avoir un importateur au Canada de marchandise sous-évaluées.

L’avocat du Sous-ministre a signalé que, dans la présente cause, parmi les trois candidats à la désignation d’importateur, soit D & L, Shengli et Mayland, et les éventuels acheteurs de l’ail en question, il est clair que D & L est la seule au Canada qui peut être l’importateur. Les éléments de preuve indiquent clairement que Shengli, entreprise dont le siège social est aux États-Unis, a exporté les marchandises au Canada et que, par conséquent, en sa qualité d’exportateur aux termes de la LMSI, elle ne peut être l’importateur. Pour ce qui est des acheteurs éventuels de l’ail en question, l’avocat a soutenu qu’ils ne peuvent être désignés comme l’importateur puisque les éléments de preuve montrent clairement que l’ail en question se trouvait au Canada avant même qu’ils n’en aient entendu parler. L’avocat a examiné les éléments de preuve qui, à son avis, appuient la position du Sous-ministre selon laquelle D & L est véritablement l’importateur. L’avocat a soutenu que, si le Tribunal décide que l’importateur est une entreprise autre que D & L, il y aura eu non-paiement d’une importante somme au titre des droits antidumping exigibles et que d’autres pourraient facilement imiter cette façon de procéder, au détriment des producteurs nationaux et d’autres importateurs.

L’avocat du Sous-ministre a soutenu que la relation d’affaires entre D & L et Shengli a été structurée de manière à ce que toute société achetant l’ail en question suppose qu’elle avait affaire à un fournisseur local, soit D & L. Il a affirmé que cela vient étayer son argument selon lequel D & L était l’importateur et qu’elle gérait et contrôlait l’ail. L’avocat a fait valoir que D & L n’aurait pu se soustraire à ses responsabilités vis-à-vis de tierces parties en invoquant son entente privée avec Shengli. Il a soutenu que D & L aurait eu une responsabilité à l’égard de tierces parties dans le cas de tout problème lié au non-paiement des factures, par exemple.

L’avocat du Sous-ministre a rappelé au Tribunal qu’il n’est pas appelé à déterminer si la confiscation compensatoire est fondée ou non, mais simplement à déterminer qui est l’importateur de l’ail en question. Il a fait remarquer qu’une décision selon laquelle D & L est l’importateur ne veut pas nécessairement dire que M. Li et Mme Deng perdront leur maison. Il a signalé en outre que M. Li et Mme Deng ont interjeté appel de la confiscation compensatoire et qu’il existe peut-être un recours contre Shengli pour l’exécution de l’Entente. En outre, l’avocat a rappelé au Tribunal que le Sous-ministre a le pouvoir discrétionnaire de décider s’il y a lieu d’exécuter une confiscation compensatoire et de recouvrer les sommes dues.

Enfin, l’avocat du Sous-ministre a fait remarquer que Revenu Canada ne reconnaît que très rarement les importateurs non résidents aux termes de la LMSI et ce, en général, préalablement à l’importation des marchandises et dans des circonstances très particulières. En pareil cas, les arrangements comprennent toujours l’engagement de la part de l’importateur non résident à vendre les marchandises au Canada aux prix d’exportation ou à des prix supérieurs aux valeurs normales, de manière à éliminer le dumping. Si les ventes à l’exportation doivent se faire à des prix sous-évalués, l’importateur non résident doit s’engager à payer les droits antidumping et à les transmettre aux acheteurs au Canada, ainsi qu’à fournir, à cet effet, des pièces à l’appui à Revenu Canada. L’avocat a fait remarquer qu’aucun arrangement de ce genre n’a été pris en l’espèce entre Shengli et Revenu Canada.

D & L

Le conseiller de D & L a soutenu que les importateurs non résidents sont autorisés aux termes de la LMSI. À son avis, le fait que Revenu Canada les reconnaisse dans certaines circonstances montre bien qu’ils sont autorisés. L’avocat a cité un certain nombre de conclusions du Tribunal dans lesquelles Revenu Canada a reconnu des importateurs non résidents. En outre, il a fait remarquer que les importateurs non résidents sont reconnus aux termes de la Loi sur les douanes [4] . Il a signalé aussi que les services des douanes et les services fiscaux de Revenu Canada font affaire avec des importateurs non résidents. De l’avis du conseiller, suggérer qu’il peut y avoir des importateurs non résidents aux fins des douanes et des impôts mais non aux fins de la LMSI, a pour effet de laisser une impression trompeuse auprès des partenaires commerciaux du Canada. Il a soutenu que la définition d’« importateur » dans la LMSI ne comporte pas d’exigence en matière de résidence. Si le Parlement avait voulu que les importateurs soient uniquement des personnes résidant au Canada, il l’aurait précisé. Pour ce qui est de l’affaire Singer, le conseiller a fait valoir que, en pratique, l’importateur n’est pas toujours la personne à qui les marchandises importées sont envoyées au Canada. Il a signalé qu’une société de Vancouver peut être l’importateur, même si les marchandises sont expédiées à une société de Toronto. De l’avis du conseiller, le commerce international a évolué au point où l’exportateur et l’importateur peuvent être une seule et même personne.

De l’avis du conseiller de D & L, si le « véritable » importateur est le responsable de l’importation des marchandises, dans la présente cause, le véritable importateur ne peut être que Shengli. Le conseiller a reconnu que, pour l’application de la Loi sur les douanes, D & L est l’importateur attitré; toutefois, lorsque sont examinés les faits de la présente cause, il est évident que le « véritable » importateur de l’ail était Shengli. Le conseiller a ajouté que Revenu Canada pourrait arriver à un arrangement avec Shengli pour le paiement des droits antidumping. Ainsi, il n’y aurait pas non-paiement des droits exigibles comme le prétend l’avocat du Sous-ministre. Pour terminer, le conseiller de D & L a soutenu que, dans les circonstances de la présente cause, décider que D & L est l’importateur et exiger de l’entreprise qu’elle paie 335 571,67 $ alors qu’elle n’a touché qu’une commission de 2 000 $US correspondrait à un travestissement de la justice. Étant donné les éléments de preuve déposés devant le Tribunal, le conseiller a demandé à celui-ci de décider que l’importateur de l’ail importé est Shengli et non D & L.

Shengli

Le représentant de Shengli n’a pas comparu à l’audience. Dans son exposé écrit, il a soutenu que Shengli était à la fois le propriétaire et l’exportateur de l’ail et il a affirmé que l’entreprise avait demandé l’aide de D & L pour les formalités de douane et les activités subséquentes de revente parce qu’elle croyait que seul un résident pouvait importer les marchandises au Canada. De plus, il a fait valoir que Shengli a conservé la propriété et le contrôle de l’ail jusqu’au moment de sa revente au Canada et que tout le produit des ventes revenait à cette société et non à D & L.

DÉCISION

En rendant une décision aux termes de l’article 90 de la LMSI sur l’identité de l’importateur au Canada de marchandises importées, le Tribunal doit prendre en compte l’objet et le but de la loi. Dans une décision concernant l’identité de l’importateur (demande no IR-2-86 [5] ), le Tribunal canadien des importations (le TCI) a déclaré ce qui suit :

L’obligation de payer les droits [antidumping] repose sur l’importateur des marchandises sous-évaluées. Cette obligation s’inscrit dans le cadre des mesures destinées à traiter du dommage causé par le dumping et d’en dissuader le recours. L’objet de la loi est de protéger les fabricants canadiens des importations préjudiciables de marchandises sous-évaluées, et cet objectif est atteint en imposant le fardeau du droit spécial sur l’importateur. Si l’exportateur, par l’entremise de son agent, paye le droit, l’objectif visé par la loi n’est pas atteint [6] .

Le paragraphe 2(1) de la LMSI donne du mot « importateur » la définition suivante : « [l]a personne qui est le véritable importateur des marchandises ». Dans la cause sur les Électrodes en graphite, le TCI a déclaré que, selon cette définition, la simple désignation d’une personne ou d’une entreprise dans les documents de déclarations en douane à titre du soi-disant importateur attitré est peu significative. Le TCI a déclaré que « la loi, dans le cadre de ce processus de détermination de l’identité [du véritable importateur], se penche sur le fond plutôt que sur la forme » [7] .

Dans la présente cause, le Tribunal se trouve aux prises avec une situation difficile. De l’avis de la majorité du Tribunal, les éléments de preuve montrent que D & L n’était que le mandataire de Shengli au Canada. Il n’y pas eu de « véritable » transaction entre ces deux sociétés. M. Li et Mme Deng ont tout simplement permis à Mme Lee de se servir de la raison sociale de leur société pour mener ses affaires au Canada pour le compte de Shengli. D & L n’a pas payé pour l’ail importé et n’en a jamais effectivement pris possession. D & L n’a pas tiré profit de la revente de l’ail en question aux distributeurs, aux grossistes et aux restaurants, si ce n’est de la commission de 2 000 $US qu’elle a touchée. Les éléments de preuve montrent en outre que Shengli, et plus particulièrement son employée, Mme Lee, s’est occupée de l’importation de l’ail. D & L ne s’est engagée qu’à fournir toute l’aide possible durant les ventes, conformément aux modalités de l’Entente.

Dans la cause sur les Électrodes en graphite, le TCI s’est trouvé aux prises avec une situation semblable, sauf que d’autres éléments de preuve montraient que de nombreuses discussions avaient eu lieu entre une tierce partie et l’exportateur avant l’importation des marchandises. Cette tierce partie avait même passé une commande pour les marchandises importées en question. En se fondant sur ces éléments de preuve, le TCI a conclu que la tierce partie était le « véritable » importateur. Le TCI a décidé que le soi-disant « importateur inscrit [ou attitré] » n’était qu’un simple « intermédiaire administratif », c’est-à-dire le mandataire ou l’agent de l’exportateur. Or, il n’y a pas d’élément de preuve à cet effet dans la présente cause. Le Tribunal est appelé à déterminer laquelle de deux parties, soit D & L, l’importateur attitré reconnu, ou Shengli, est le « véritable » importateur de l’ail en question. Même si, d’après les éléments de preuve, l’ail en question a été ultérieurement vendu à des détaillants, à des grossistes et à des restaurants au Canada, il n’y a aucune preuve de transaction entre ces entités et Shengli avant l’importation de l’ail en question.

Par conséquent, ayant entendu et examiné toute la preuve, y compris tous les documents déposés par les deux parties à la présente enquête, la majorité du Tribunal est d’avis qu’entre D & L et Shengli, il n’a d’autre choix que de conclure que D & L est l’importateur au Canada de l’ail en question. De l’avis de la majorité du Tribunal, décider autrement et conclure que Shengli est l’importateur au Canada de l’ail en question serait contraire à l’objet de la LMSI. Même si certaines mesures peuvent être prises entre Revenu Canada et les importateurs non résidents en ce qui concerne le paiement des droits antidumping, comme cela a été le cas dans l’enquête no NQ-91-006 [8] , malheureusement pour D & L, aucune mesure de cette sorte n’a été prise dans la présente cause.

Par conséquent, conformément à l’article 90 de la LMSI, la majorité du Tribunal détermine, par la présente, que l’importateur au Canada de l’ail en question est D & L.

OPINION DISSIDENTE DU MEMBRE GRACEY

Pour les motifs qui suivent, j’exprime respectueusement ma dissidence à l’égard de la décision majoritaire rendue dans la présente cause.

Il n’est pas nécessaire de répéter tous les faits connus en l’espèce. Ils ont été suffisamment bien résumés dans la décision majoritaire, et il me suffit de signaler et de souligner les faits et les circonstances qui m’amènent à exprimer une opinion dissidente.

La question qu’il s’agit de trancher dans la présente cause est celle de savoir qui était le véritable importateur des marchandises en question. À mon avis, les éléments de preuve nous amènent à conclure que le véritable importateur était Shengli et que D & L était, tout au plus, le mandataire de l’importateur.

J’invoquerai tout d’abord l’Entente qui établit cinq points qui, à mon avis, sont pertinents. Il s’agit des points suivants :

• La partie A [Mayland] prendra les dispositions voulues pour que les marchandises soient exportées à Vancouver.

• La partie A ouvrira un compte chèques au nom de la Partie B, qui servira à toutes les activités de vente.

• La partie A acquittera les droits d’importation et assumera toutes les dépenses liées aux ventes.

• La partie B fournira toute l’aide voulue aux fins des ventes.

• La partie A versera à la partie B une commission de 2 000 $ en contrepartie de l’aide fournie par celle-ci, à l’achèvement des ventes à Vancouver.

[Traduction]

L’ail a été importé au Canada en deux expéditions et entreposé, puis les ventes aux clients ont commencé. Tous les documents d’importation semblaient être en ordre, et il convient de signaler que les dates de dédouanement sur les deux déclarations en douane et les factures étaient le 29 novembre et le 5 décembre 1996. Ce fait est pertinent pour deux raisons. En premier lieu, on constate que la première date d’expédition tombe à peine 11 jours après la date de la première mise en rapport avec D & L. En deuxième lieu, les deux factures préparées par Shengli, le soi-disant service d’exportation de Mayland, portent la mention « EXPÉDIER ET FACTURER À : D & L Business Canada Ltd. » [traduction]. Chaque facture porte la signature de M. Xu, la même personne qui a signé l’Entente. De toute évidence, la consigne de facturer D & L va à l’encontre de l’intention déclarée de l’Entente. Ensuite, il est indiqué sur les factures que la « date de la commande » était le 2 novembre 1996, soit environ deux semaines avant que Mme Lee et Mme Deng prennent contact pour la première fois. Assurément, il n’y a aucune raison de ne pas croire l’affirmation de M. Li selon laquelle la première mise en rapport a eu lieu le 17 novembre 1996. Comme les autorités ont saisi les registres, s’il y avait eu une mise en rapport avant le 17 novembre 1996, elle aurait été consignée. De toute évidence, les plans d’exportation des marchandise au Canada étaient bien avancés, même avant la mise en rapport initiale avec D & L. Étant donné ces éléments de preuve non réfutés, il est clair que Shengli a pris l’initiative et les mesures pour que les marchandises soient importées.

Les dates sur les déclarations en douane et les factures sont également importantes dans la mesure où elles tombent après la date de la décision provisoire de dumping faite par Revenu Canada. Toutefois, la date indiquée sur les factures est le 20 novembre 1996, soit le jour précédant celui où la décision provisoire de dumping a été publiée.

À mon avis, les éléments de preuve présentés par le Sous-ministre sont insuffisants. Essentiellement, cette insuffisance tient aux faits non contestés selon lesquels D & L :

• n’a pas pris l’initiative de l’importation des marchandises;

• n’a pas commandé les marchandises;

• n’a jamais payé pour les marchandises, ne s’est jamais déclarée le propriétaire des marchandises ni n’en a pris possession;

• n’a pas vendu les marchandises;

• n’a pas elle-même reçu le produit de la vente des marchandises.

En tout et pour tout, D & L n’a touché qu’une très modeste commission.

Le Sous-ministre, toutefois, est d’avis qu’en prêtant sa raison sociale aux fins des activités, D & L est devenue l’importateur attitré. En effet, le nom de D & L apparaît sur le document d’importation à titre d’importateur attitré. Cependant, il est évident que le nom de l’importateur attitré sur les documents d’importation n’est pas une preuve probante, même s’il s’agit assurément d’un indicateur. Cependant, nous sommes appelés à établir qui était en réalité l’importateur des marchandises. Je soutiens que Shengli était en réalité l’importateur des marchandises. À l’appui de cette conclusion, je signalerai seulement que Shengli a procédé à la mise en rapport initiale avec D & L et n’a pas offert de lui vendre les marchandises. Plutôt, elle est demeurée le propriétaire des marchandises et à aucun moment n’en a abandonné le contrôle à D & L. Shengli a conçu et exécuté les activités d’importation et les ventes subséquentes.

Le Sous-ministre a accordé beaucoup de poids au sens à donner au mot « importateur » aux termes de la LMSI. L’avocat du Sous-ministre a soutenu que, aux termes de la LMSI, l’importateur doit être un importateur au Canada. À mon avis, cela ne tient pas compte de l’existence d’importateurs non résidents, situation d’ailleurs assez courante. L’avocat a cité plusieurs extraits de la LMSI, y compris des articles contenant l’expression « importateur au Canada ». Comme aucune définition de cette expression n’a été donnée, il appartient au Tribunal d’en déterminer le sens d’après le contexte. D’ailleurs, la principale question à trancher est celle de la distinction à faire, s’il y a lieu, entre l’expression « importateur au Canada » et le simple substantif « importateur ». Cette question est d’autant plus complexe que le mot « importateur » n’est nulle part suivi des mots « au Canada » dans la version française de la Loi.

Revenu Canada se fie aussi beaucoup aux documents de contrôle du fret, aux feuilles maîtresses du SAED et aux factures, tous des documents selon lesquels D & L est l’importateur ou du moins l’importateur attitré. Il s’agit là sûrement d’une preuve prima facie qui justifie un examen plus approfondi. C’est pourquoi le Tribunal a été saisi de cette cause. La preuve prima facie est assez forte, mais elle ne l’est pas suffisamment pour éliminer tout doute. D’ailleurs, au fur et à mesure que le Tribunal s’est penché sur cette affaire, il est devenu évident que les documents de contrôle du fret, les feuilles maîtresses du SAED et, bien sûr, les factures ont tous été établis par Shengli ou le courtier à l’importation. Aucun élément de preuve n’a été présenté pour montrer que D & L avait connaissance des renseignements figurant sur ces documents et, comme il a été constaté, certains de ces renseignements étaient faux. C’est Shengli qui a consigné la mention « EXPÉDIER ET FACTURER À : D & L » et qui a inscrit une fausse « date de la commande ». La date inscrite, d’ailleurs, est manifestement fausse et ce, pour deux raisons. En premier lieu, les marchandises n’ont pas été commandées, mais expédiées. En deuxième lieu, bien sûr, la date en question tombe plusieurs jours avant celle de la première mise en rapport de Shengli avec Mme Deng; elle serait donc une pure invention.

Il est clair d’après les renseignements au dossier que tout le projet a été conçu et exécuté par Shengli et que Mme Lee a exploité une ancienne amitié avec Mme Deng pour prendre les dispositions nécessaires, puis a laissé D & L dans une position vulnérable. À mon avis, les directeurs de D & L ont été victimes d’une grossière déception conçue et exécutée sous le prétexte de l’amitié par Mme Lee de Shengli.

Il devrait être évident que D & L n’était pas le véritable importateur. Si, par exemple, D & L avait tâché de recevoir elle-même le produit des ventes, Shengli n’aurait pas eu de difficulté à prouver qu’elle n’avait jamais vendu les marchandises à D & L et que cette dernière n’avait aucun droit au produit des ventes. D’ailleurs, sans l’insistance prudente de M. Li, le compte bancaire aurait porté et exigé seulement la signature de Mme Lee. Il est évident aujourd’hui que D & L a été imprudente de prêter sa raison sociale à l’entreprise. Cependant, il s’agit là du seul et très faible argument permettant de soutenir que D & L était, en fait, l’importateur; et, à mon avis, il a moins de poids que les faits déjà rapportés. L’audience avait pour but de permettre de voir clair dans une situation de prime abord complexe et embrouillée. Toutefois, les éléments de preuve déposés à l’audience m’ont convaincu que le véritable importateur des marchandises en question était Shengli et que D & L était tout au plus son mandataire salarié.

Par conséquent, aux termes de l’article 90 de la LMSI, je détermine, par la présente, que l’importateur des marchandises en question est Shengli.


1. L.R.C. (1985) ch. S - 15, modifiée.

2. L’ail frais originaire ou exporté de la République populaire de Chine, enquête no NQ - 96 - 002, Conclusions, le 21 mars 1997, Exposé des motifs, le 7 avril 1997.

3. [1968] 1 R.C. de l'É. 129 à la p. 136.

4. L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.).

5. Certaines électrodes et goupilles de raccordement en graphite artificiel originaires ou exportées des États-Unis d'Amérique, Tribunal canadien des importations, Décision concernant l'identité de l'importateur et Exposé des motifs, le 1er mai 1987.

6. Ibid. à la p. 5.

7. Ibid.

8. Tapis produit sur machine à touffeter, originaire ou exporté des États-Unis d'Amérique, Tribunal canadien du commerce extérieur, Conclusions, le 21 avril 1992, Exposé des motifs, le 6 mai 1992.


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Publication initiale : le 4 septembre 1998