DENTSPLY CANADA LIMITED

Décisions


DENTSPLY CANADA LIMITED
v.
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL
Appel n° 3095

TABLE DES MATIÈRES

Ottawa, le vendredi 30 mars 1990

Appel n° 3095

EU ÉGARD À une demande entendue les 26 et 27 septembre, et le 4 octobre 1989 en vertu de l'article 51.19 de la Loi sur la taxe d'accise, S.R.C. 1970, chap. E-13, dans sa forme modifiée;

ET EU ÉGARD À un avis de décision du ministre du Revenu national du 13 septembre 1988 au sujet d'un avis d'opposition déposé en vertu de l'article 51.17 de la Loi sur la taxe d'accise.

ENTRE

DENTSPLY CANADA LIMITEDAppelante

ET

LE MINISTRE DU REVENU NATIONALIntimé

L'appel est rejeté. Le Tribunal conclut que l'exemption pour les «matières et articles à l'exclusion des cosmétiques nécessaires» à la bonne application et l'entretien des marchandises mentionnées dans l'article 19, partie VIII, annexe III de la Loi sur la taxe d'accise s'adresse à l'utilisateur de ces marchandises. Puisque les instruments et l'équipement de soins dentaires en question sont destinés à l'usage des praticiens de la médecine dentaire, ils ne sont pas admissibles à l'exemption en vertu de cet article. Le Tribunal conclut également que les autres produits ne sont pas admissibles à l'exemption prévue à l'article 5 ou 22, partie VIII, annexe III de la Loi sur la taxe d'accise parce qu'il ne s'agit pas d'articles ou de matières devant être incorporés aux marchandises exemptées, visées à la partie VIII, ou en former un élément constitutif ou un composant.


Kathleen E. Macmillan ______ Kathleen E. Macmillan Membre présidant

Arthur B. Trudeau ______ Arthur B. Trudeau Membre

Sidney A. Fraleigh ______ Sidney A. Fraleigh Membre

Robert J. Martin ______ Robert J. Martin Secrétaire





Loi sur la taxe d'accise - Détermination de la taxe de vente- Déterminer si certains instruments et équipements utilisés par les professionnels de la médecine dentaire sont admissibles à l'exemption de la taxe de vente prévue à l'article 19, partieVIII, annexeIII de la Loi sur la taxe d'accise parce qu'il s'agit d'articles destinés à la bonne application et à l'entretien de matières devant servir à la chirurgie réparatrice ou d'articles nécessaires à la bonne application et à l'entretien de prothèses médicales ou dentaires ou les deux - Déterminer si l'équipement dentaire est exempté de la taxe en application de l'article 5 ou 22 de la partieVIII parce qu'il s'agit d'articles devant servir à la fabrication de dents artificielles ou d'autres marchandises exemptées de la taxe visées à la partie VIII - Déterminer si l'expression «articles et matières devant servir à la fabrication de», dans les articles 5 et 22 de la partieVIII, veut dire que les marchandises doivent être incorporées aux produits finis ou en former un élément constitutif ou un composant.

DÉCISION  : L'appel est rejeté. Le Tribunal conclut que l'exemption pour les «matières et articles à l'exclusion des cosmétiques nécessaires» à la bonne application et l'entretien des marchandises mentionnées dans l'article 19, partie VIII, annexe III de la Loi sur la taxe d'accise s'adresse à l'utilisateur de ces marchandises. Puisque les instruments et l'équipement de soins dentaires en question sont destinés à l'usage des praticiens de la médecine dentaire, ils ne sont pas admissibles à l'exemption en vertu de cet article. Le Tribunal conclut également que les autres produits ne sont pas admissibles à l'exemption prévue à l'article 5 ou 22, partieVIII, annexeIII de la Loi sur la taxe d'accise parce qu'il ne s'agit pas d'articles ou de matières devant être incorporés aux marchandises exemptées, visées à la partieVIII, ou en former un élément constitutif ou un composant.

Lieu de l'audience : Ottawa (Ontario) Dates de l'audience : Les 25 et 26 septembre, et le 4 octobre 1989 Date de la décision : Le 30 mars 1990
Membres du jury : Kathleen E. Macmillan, membre présidant Sidney A. Fraleigh, membre Arthur B. Trudeau, membre
Avocat du Tribunal : Donna J. Mousley
Greffier : Janet Rumball
Ont comparu : W.J. Millar, pour l'appelante J.B. Edmond, pour l'intimé
Jurisprudence : Regina v. Goulis (1981), 33 O.R. (2 e) 55 (C. d'app. de l'Ont.); Morguard Properties Ltd. et al. c. La ville de Winnipeg, [1983] 2 R.C.S. 493; Le Procureur général du Canada c. Royden Young et al., non consigné, le 31 juillet 1989 (C. d'app. féd.); Stubart Investments Limited c. Sa majesté La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536; Bathurst Paper Limited c. Le Ministre des Affaires municipales de la province du Nouveau-Brunswick, [1972] R.C.S. 471; D.F. Lunnen Limited c. Le Sous- ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise (1981), 7 R.C.T. 407; Re Van Allen, [1953] 3 D.L.R. 751; Pretty v. Solly (1859), 26 Beav. 606; Star Shipping Co. (Canada) Ltd. c. Le Sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise, non consigné, le 11 juin 1973 (C. d'app. féd.); Bristol-Myers Canada Inc. c. Le Sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise (1984), 85 D.T.C. 5024; Singer Sewing Machine Company of Canada Ltd. c. Le ministre du Revenu national, Appel n o 2951, Commission du tarif, le 21 juillet 1988; Universal Grinding Wheel c. Le Sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise (1984), 9 R.C.T. 194; Irving Oil Limited c. Le secrétaire provincial de la province du Nouveau-Brunswick, [1980] 1 R.C.S. 787.
Lois et règlements cités : Loi sur la taxe d'accise, S.R.C. 1970, chap. E- 13, paragraphe 26(1), alinéas 27(2)a) et b), articles 5, 19 et 22, partie VIII, annexe III, et alinéa 1(a)i), partie XIII, annexe III; Loi sur la taxe d'accise, S.R.C. 1970, chap. E-13, modifiée le 14 juin 1988 par L.C. 1988, chap. 18, articles 5, 19 et 22, partie VIII, annexe III; Loi d'interprétation, L.R.C. 1985, paragraphes 45(2) et (3); Tarif des douanes, L.R.C. 1985, chap. 41 (3 e Suppl.).
Auteur cité : Driedger, E.A. Construction of Statutes, 2 e Édition, 1983.
Autres sources citées : Documents budgétaires déposés auprès de la Chambre des communes par le ministre des Finances, l'honorable Michael Wilson, le 18 février 1987, p. 61.





RÉSUMÉ

L'appelante réclame le remboursement de la taxe de vente fédérale payée à l'égard d'instruments et d'équipement pour soins dentaires qui, à son avis, sont exemptés en vertu des articles 5, 19 et 22, partie VIII, annexe III de la Loi sur la taxe d'accise [1] (la Loi) et ce, pour deux motifs. Premièrement, l'appelante soutient que certains instruments et équipement utilisés par des praticiens de la médecine dentaire sont exemptés en vertu de l'article 19 parce qu'il s'agit d'articles destinés à la bonne application et à l'entretien de matières devant servir à la chirurgie réparatrice ou d'articles nécessaires à la bonne application et à l'entretien de prothèses médicales ou chirurgicales ou les deux. Deuxièmement, l'appelante allègue que l'équipement dentaire est exempté de la taxe en vertu de l'article 5 ou 22 parce qu'il s'agit d'articles devant servir à la fabrication de dents artificielles ou d'articles devant servir exclusivement à la fabrication des marchandises exemptées mentionnées dans la partie VIII.

Les questions en litige portent essentiellement sur des questions d'interprétation. À ce propos, le Tribunal souscrit entièrement à la «règle du sens ordinaire» reprise par le juge Estey dans la cause Stubart Investments Limited c. Sa Majesté La Reine [2] . Lorsque le sens ordinaire de l'article 19 est considéré en fonction du contexte général, le Tribunal considère que les articles et les matières, afin d'être exemptés de la taxe, doivent servir à l'utilisateur d'une prothèse, d'un appareil ou d'un article. Puisque les articles en cause sont utilisés par des praticiens de la médecine dentaire et non par les utilisateurs des prothèses ou autres, le Tribunal considère que les marchandises ne sont pas admissibles à l'exemption de la taxe.

Le Tribunal considère en outre que l'abrogation de l'article 21, qui prévoyait l'exemption des «Instruments de chirurgie et de dentiste de toute matière», a eu pour effet de supprimer l'exemption de la taxe pour de tels articles. Confrontée à l'abrogation d'une disposition qui décrivait spécifiquement les marchandises en cause, l'appelante ne peut pas les classer sous une disposition d'exemption plus générale, et dans le cas de ces marchandises-ci, une disposition d'exemption plus ambiguë.

Le deuxième volet de l'argumentation concerne le sens de l'expression «Articles et matières devant servir... à la fabrication...». L'appelante soutient que l'expression veut dire tout simplement «servent à fabriquer» les marchandises exemptées de la taxe, alors que l'intimé affirme qu'ils doivent être incorporés à ces marchandises, ou en former un élément constitutif ou un composant. Le Tribunal conclut, en se fondant sur la jurisprudence, que les «articles et matériaux servant à [la] fabrication» de dents artificielles et d'autres articles exemptés énumérés à la partie VIII doivent être incorporés aux produits manufacturés finis ou en former un élément constitutif afin d'être admissibles à une exemption.

Cette interprétation de la Loi est confirmée par la règle selon laquelle une disposition précise prime sur une autre plus générale qui semble porter sur la même question. Puisque les exemptions pour de l'équipement de production sont énumérées à la partie XIII de l'annexe III, où le sous-alinéa 1a)(i) prévoit spécifiquement une exemption pour les machines et les appareils en vue de fabriquer des marchandises, le Tribunal conclut que les exemptions prévues aux articles 5 et 22 de la partie VIII ne comprenaient pas de l'équipement de production.

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

Les dispositions législatives suivantes s'appliquent au présent appel :

Loi sur la taxe d'accise, S.R.C. 1970, chap. E-13.

ANNEXE III

PARTIE VIII

SANTÉ

5. Dents artificielles et articles et matériaux servant à leur fabrication.

...

19. Articles de prothèse pour l'oreille, le nez, la mastectomie ou autres articles de prothèse médicale ou chirurgicale; matières devant servir à la chirurgie réparatrice; appareils d'iléostomie et de colostomie et appareils pour voies urinaires ou autres articles semblables destinés à être portés par un individu; matières et articles à l'exclusion des cosmétiques nécessaires à leur bonne application et leur entretien.

...

22. Articles et matières devant servir exclusivement à la fabrication ou à la production des marchandises exemptes de taxe mentionnées dans la présente partie.

Loi sur la taxe d'accise, S.R.C. 1970, chap. E-13, modifiée le 14juin1988 par S.C. 1988, chap.18, et réputée entrée en vigueur le 19 février 1987

5. Dent artificielle.

...

19. Articles de prothèse pour l'oreille, le nez, la mastectomie ou autres articles de prothèse médicale ou chirurgicale; appareils d'iléostomie et de colostomie et appareils pour voies urinaires ou autres articles semblables destinés à être portés par un individu; articles et matières, à l'exclusion des cosmétiques, devant servir à l'utilisateur d'une telle prothèse, d'un tel appareil ou d'un tel article semblable et nécessaires à leur bonne application et leur entretien.

...

22. Articles et matières devant être incorporés dans toutes les marchandises exemptes de taxe mentionnées dans la présente partie, ou en former un élément constitutif ou un composant, lorsqu'ils sont vendus à un fabricant ou producteur, ou importés par l'un ou l'autre, et devant lui servir pour la fabrication ou la production de telles marchandises exemptes de taxe.

LES FAITS

L'appelante, Dentsply Canada Limited (Dentsply) assure l'importation et la distribution en gros d'une vaste gamme de produits pour soins dentaires, lesquels sont vendus à des distributeurs qui les vendent à leur tour à des professionnels des soins dentaires et de la médecine. Le 30 juin 1987, Dentsply a soumis une demande de remboursement de la taxe payée sur certains produits vendus entre le 1er juin 1983 et le 18 février 1987, affirmant qu'ils étaient exemptés de la taxe en vertu de la partie VIII, annexe III de la Loi.

Un avis de détermination en date du 19 août 1987 faisait état du rejet de la demande de remboursement. L'appelante déposa alors un avis d'opposition. Dans l'avis de décision en date du 13 septembre 1988, le ministre du Revenu national confirma la détermination initiale.

L'appelante soutient que les produits pour soins dentaires en question sont admissibles à l'exemption visée aux articles 5, 19 et 22, partie VIII, annexe III de la Loi, intitulée «Santé». Le 14 juin 1988, ces articles ont été modifiés [3] rétroactivement au 19 février 1987. L'appelante convient que les marchandises en question ne sont plus exemptes de la taxe.

L'appelante a réparti les produits pour soins dentaires en trois grandes catégories selon l'exemption demandée, comme suit :

Groupe A - Article 19 Groupe B - Article 19 Groupe C - Articles 5 et 22 Instruments Lampes Équipement rotatifs prismatiques Triad (diamants et Amalgamateurs Occluseurs fraises) Systèmes Unité de plâtrage Forceps prophylaxiques Dicor Instruments Systèmes Fours Dicor à main d'endodontie Vacupresses Instruments Évacuateurs d'endodontie Projecteurs Instruments dentaires Endosonic

Le directeur des ventes et de la commercialisation de Dentsply a décrit chaque produit susmentionné et en a déposé un échantillon en preuve. Le deuxième témoin de l'appelante était le docteur Watson, professeur de médecine dentaire à la University of Toronto; il exploite également à temps partiel une clinique offrant des prothèses dentaires. Le docteur Watson a comparu en qualité de témoin expert pour expliquer l'utilisation des produits de soins dentaires fournis comme éléments de preuve et divers aspects de la médecine dentaire pertinents au présent appel.

De façon générale, les faits ne sont pas remis en cause et l'intimé ne réfute pas les éléments de preuve fournis par l'appelante quant à l'utilisation des appareils et de l'équipement de soins dentaires. Le litige porte essentiellement sur l'interprétation des dispositions législatives.

Si le Tribunal retient le point de vue de l'appelante, il lui incombe de préciser et de circonscrire la gamme d'instruments et d'appareils de soins dentaires admissibles à l'exemption. S'il souscrit à la position de l'intimé, il n'y a pas lieu d'examiner les éléments de preuve de plus près. Il convient donc d'étudier d'abord les questions en litige faisant l'objet du présent appel.

LES QUESTIONS EN LITIGE

L'appelante soutient que les produits du groupe A sont exemptés en vertu de l'article 19 parce qu'il s'agit d'instruments destinés à la bonne application et à l'entretien de matières devant servir à la chirurgie réparatrice ou de prothèses médicales ou dentaires, ou les deux. Elle affirme en outre que les produits du groupe B sont de l'équipement nécessaire à la bonne application et à l'entretien de matières devant servir à la chirurgie réparatrice ou de prothèses médicales ou dentaires, ou les deux, et donc exemptés en vertu de l'article 19.

L'appelante affirme que les produits du groupe C entrent soit dans la fabrication de dents artificielles, soit exclusivement dans la fabrication de prothèses médicales ou chirurgicales. Ils sont donc exemptés en vertu de l'article 5 ou 22 de la Loi.

L'appelante estime que l'admissibilité à l'exemption prévue à l'article 19 repose sur quatre exigences. Premièrement, les marchandises doivent être des articles ou des matières. Deuxièmement, elles ne doivent pas être des cosmétiques. Troisièmement, elles doivent se rattacher à des prothèses chirurgicales ou médicales ou à des matières devant servir à la chirurgie réparatrice ou les deux. Enfin, elles doivent être nécessaires à la bonne application et à l'entretien des marchandises exemptées qui répondent au troisième critère.

L'intimé reconnaît que les deux premières exigences sont satisfaites. Les instruments de soins dentaires du groupe A et les appareils de soins dentaires du groupe B sont effectivement des articles ou des matières ou les deux, et aucun d'eux n'est un cosmétique. Le troisième critère comporte deux volets. L'appelante soutient que les instruments et l'équipement de soins dentaires des groupes A et B sont exemptés par suite de leur application à des prothèses chirurgicales ou dentaires ou à des matières devant servir à la chirurgie réparatrice ou aux deux.

Au sujet du premier volet, l'appelante soutient que les soins dentaires faisant appel à ces divers produits concernent des prothèses chirurgicales et médicales. Témoignant pour l'appelante, le docteur Watson déclare que la médecine dentaire est une spécialité de la médecine et que tout dentiste est titulaire d'un doctorat en chirurgie dentaire (D.D.S.). Il ajoute que la chirurgie consiste à inciser tout tissu vivant. Pour les dentistes, cela englobe l'incision des gencives ou des dents, qui sont des tissus vivants. L'appelante affirme donc que l'adjectif «médicale ou chirurgicale» qualifiant les prothèses visées à l'article 19 désigne aussi implicitement les prothèses dentaires.

Le docteur Watson définit une «prothèse» en ces termes : «tout remplacement de tissu devant assurer un fonctionnement aussi normal que possible». Du point de vue des soins dentaires, cela englobe tous les types de réparations, des obturations d'amalgame ou de résine à la pose de dentiers complets. Les obturations d'amalgame ou de résine, appelées couramment «plombages», sont considérées comme des prothèses dentaires parce qu'elles remplacent des tissus vivants pour en rétablir la forme et le fonctionnement. L'appelante affirme donc que les dentiers, complets ou partiels, les pontiques, les couronnes, les dents à crampons, les traitements radiculaires et les obturations d'amalgame ou de résine sont des prothèses dentaires.

Même si le Tribunal devait statuer que les traitements radiculaires et les obturations d'amalgame ou de résine ne constituent pas des prothèses, l'appelante soutient que les produits dentaires des groupes A et B demeurent admissibles à l'exemption parce qu'elles sont utilisées avec des «matières devant servir à la chirurgie réparatrice». Dans sa décision 7355/15 du 28 août 1987, Revenu Canada dresse la liste des matières devant servir à la chirurgie réparatrice admissibles à l'exemption avant que l'article 19 ne soit modifié. Le docteur Watson en a mentionné plusieurs dans son témoignage à titre de matières utilisées aux fins de réparations dentaires, comme les obturations et les traitements radiculaires. L'avocat en conclut que la troisième exigence est satisfaite, car les instruments et l'équipement en question sont utilisés pour prodiguer des soins dentaires liés à des «prothèses dentaires» ou à des «matières devant servir à la chirurgie réparatrice».

Pour répondre à la quatrième condition d'admissibilité à l'exemption visée à l'article 19, les instruments et l'équipement des groupes A et B doivent êtres nécessaires à la bonne application et à l'entretien de prothèses médicales ou chirurgicales ou de matières devant servir à la chirurgie réparatrice ou les deux. Selon l'avocat, le mot «bonne» utilisé pour qualifier «l'application et l'entretien» signifie «conforme aux méthodes recommandées et approuvées par les praticiens de la médecine dentaire». Quant à l'expression «nécessaires à», elle signifie que «les marchandises en cause sont indispensables pour prodiguer les soins dentaires requis selon les méthodes recommandées et approuvées par les praticiens de la médecine dentaire».

L'avocat de l'appelante soutient que tous les produits des groupes A et B servent à l'application ou à l'entretien adéquat de matières, car ils sont tous utilisés dans le cadre du processus continu de la chirurgie dentaire. Ainsi, ces instruments et l'équipement prophylaxiques sont nécessaires au déroulement de la chirurgie dentaire parce qu'ils servent à nettoyer la région afin de la préparer aux fins de chirurgie, de même qu'à entretenir les dents. D'autres servent à l'extraction de dents nécrotiques aux fins de chirurgie, au mélange de l'amalgame devant être appliqué dans une cavité dentaire, à la préparation d'une obturation de résine, au compactage du matériau d'obturation dans la dent, et enfin à la finition, au façonnage et au polissage de la dent. Toujours selon l'avocat, certains autres produits, comme les miroirs, les évacuateurs et les projecteurs dentaires, sont essentiels à tout traitement chirurgical. L'appelante conclut donc que les quatre conditions sont satisfaites et que les marchandises des groupes A et B sont admissibles à l'exemption visée à l'article 19.

L'appelante soutient par ailleurs que les produits du groupe C sont admissibles à l'exemption en vertu de l'article 5 ou 22 de la partie VIII. L'avocat déclare que l'admissibilité à l'exemption visée à l'article 5 repose sur trois exigences : premièrement, les marchandises doivent être des articles ou des matériaux; deuxièmement, elles doivent servir à la fabrication; troisièmement, elles doivent entrer dans la fabrication de dents artificielles.

Le premier critère n'est pas remis en cause. Quant au troisième, l'avocat de l'appelante déclare qu'il convient de retenir la définition de «dent artificielle» fournie par le docteur Watson, savoir «une partie ou la totalité d'une dent réparée à l'aide de matières artificielles, y compris des métaux, de la céramique et des polymères». Toujours selon l'avocat, cette définition englobe les dentiers complets et partiels, les pontiques et les couronnes, ces dernières étant des parties de dents réparées à l'aide de matières artificielles.

D'après l'avocat, la fabrication «consiste à donner à des marchandises des formes, des qualités et des caractéristiques nouvelles». Par conséquent, l'expression «servant à la fabrication de dents artificielles» signifie tout simplement «destiné à la fabrication de dents artificielles à partir des métaux, des céramiques ou des polymères appropriés ou des trois». Comme les produits du groupe C entrent tous dans la fabrication de dents artificielles, l'avocat estime que la troisième exigence de l'article 5 est également satisfaite.

Alors que l'appelante soutient que les «dents artificielles» visées à l'article 5 englobent les couronnes, l'avocat affirme par contre que l'équipement Dicor est admissible à l'exemption prévue à l'article 22 de la Loi. Comme l'a précisé le docteur Watson, cet équipement sert exclusivement à fabriquer des couronnes, qui sont des prothèses dentaires ou des matières utilisées en chirurgie réparatrice. L'équipement Dicor étant conçu et commercialisé uniquement pour la fabrication de couronnes Dicor, l'appelante estime qu'il est admissible à l'exemption visée à l'article 22 de la partie VIII.

De son côté, l'intimé précise que l'exemption prévue à l'article 19, qui s'applique aux «articles et matières... nécessaires à leur bonne application et leur entretien», ne s'adresse qu'à l'utilisateur d'une telle prothèse, d'un tel appareil ou d'un tel article semblable. En conséquence, les instruments et les appareils des groupes A et B étant utilisés par les praticiens de la médecine dentaire, ils ne sont pas admissibles à l'exemption visée audit article.

L'avocat soutient que l'utilisateur assure habituellement l'entretien de la prothèse, de l'appareil ou de l'article semblable. Par conséquent, le mot «application» dans l'expression «application et entretien» ne doit aussi viser que l'utilisateur en application de la règle noscitur a sociis. Comme il a été précisé dans la cause Regina v. Goulis [4] , la règle noscitur a sociis «est une ancienne règle d'interprétation législative en vertu de laquelle le sens d'un mot imprécis peut être établi par rapport au sens de ceux qui y sont associés» (traduction). C'est ainsi que le mot «application» doit lui aussi viser implicitement l'utilisateur.

À l'appui de cette affirmation, l'avocat se réfère à la décision 7355/6 du 23 décembre 1985, dans laquelle le ministère du Revenu national indique que les marchandises suivantes sont admissibles à une exemption de la taxe lorsqu'elles sont achetées par un particulier aux fins de l'application et de l'entretien des appareils exonérés de la taxe : désodorisants et détergents pour stomisés, solutions antibactériennes, onguents et pansements protecteurs, crèmes revitalisantes, solvants chirurgicaux, tampons absorbants et écouvillons. Comme on considère que ces produits sont habituellement employés par un utilisateur pour l'application et l'entretien hygiénique d'appareils et de prothèses personnels, l'avocat conclut que le contexte exige que l'exemption revienne à l'utilisateur.

L'avocat de l'intimé aborde ensuite l'intention du législateur lorsque celui-ci a promulgué l'article 19 et ses modifications ultérieures, ainsi que les éléments de preuve documentaire qu'un tribunal pourrait utiliser pour préciser cette intention. Il soutient que les Documents budgétaires soumis au Parlement par le ministre des Finances le 18 février 1987 [5] constituent une source externe légitime pour faciliter l'interprétation de l'article 19. Dans ce document, le passage suivant explique la modification proposée à l'égard de l'article 19 :

Les articles, matières et fournitures acquis par les médecins sont assujettis à la taxe de vente. Le caractère taxable de certains matériels et fournitures dentaires a soulevé certaines questions. Il est proposé des modifications qui confirmeront que la taxe de vente est applicable à toutes les fournitures acquises par les médecins et les dentistes.

L'avocat de l'intimé soutient que le Tribunal peut utiliser ce document et qu'il permet de conclure que les exemptions prévues à l'article 19 ont toujours été exclusivement destinées à l'utilisateur des articles et des matières en question.

Pour appuyer l'utilisation des Documents budgétaires à titre d'élément de preuve externe légitime de l'intention du Parlement, l'avocat de l'intimé a cité des causes tranchées récemment par la Cour suprême du Canada [6] et par la Cour d'appel fédérale [7] afin de démontrer que certains documents, comme le rapport d'une commission d'enquête ou le journal des débats de la Chambre des communes, peuvent servir à interpréter un texte législatif.

Enfin, pour étayer l'argument selon lequel la modification apportée à l'article 19 n'implique pas un changement de la loi dans le cas de cet article, l'avocat de l'intimé invoque les paragraphes 45(2) et (3) de la Loi d'interprétation [8] :

45(2) La modification d'un texte ne constitue pas ni n'implique une déclaration portant que les règles de droit du texte étaient différentes de celles de sa version modifiée ou que le Parlement, ou toute autre autorité qui l'a édicté, les considérait comme telles.

(3) L'abrogation ou la modification, en tout ou en partie, d'un texte ne constitue pas ni n'implique une déclaration sur l'état antérieur du droit.

En terminant, l'avocat de l'intimé soutient que la modification de l'article 19 ne témoigne pas d'un changement du droit et que le Parlement a toujours tenu à n'exempter de la taxe que les articles et les matières utilisées par une personne aux fins de l'application et de l'entretien adéquats des prothèses et des articles semblables.

Par ailleurs, l'intimé allègue que si le Tribunal déclare que les marchandises utilisées par les praticiens de la médecine dentaire sont exemptées en vertu de l'article 19, cela ne vise que celles effectivement utilisées pour l'application ou l'entretien de prothèses dentaires ou les matières servant à des fins de chirurgie réparatrice. L'avocat affirme que l'article 19 ne doit pas être interprété comme s'il conférait une exemption générale à tous les articles employés en chirurgie et que le mot «application» doit être compris dans un sens précis pour ce qui est des articles pour lesquels l'exemption est demandée. Selon l'avocat, les produits qui n'entrent pas directement en contact avec ceux énumérés à l'article 19 ne sont pas admissibles à l'exemption prévue à cet article. L'avocat de l'intimé suggère donc qu'il existe une distinction naturelle entre les produits des groupes A et B selon leur utilisation dans le cadre de deux types de traitement, savoir les instruments servant essentiellement à préparer la région à opérer et les articles utilisés avant tout pour appliquer des prothèses ou des matériaux à des fins de chirurgie réparatrice. D'après cette interprétation, seuls ces derniers seraient admissibles à l'exemption.

L'intimé déclare que l'exemption visée aux articles 5 et 22, qui s'applique aux «Articles et matières devant servir exclusivement à la fabrication» des marchandises exemptes de taxe mentionnées à la partie VIII, ne touche que les marchandises incorporées à toutes celles exemptes de taxe, ou devant en former un élément constitutif ou un composant.

En réponse à l'argument de l'appelante, qui soutient que les articles 5 et 22 confèrent une exemption aux «articles et matières» entrant dans la fabrication des produits de santé exemptés, l'intimé affirme que l'exemption visant les machines et les appareils nécessaires à la fabrication ou la production de marchandises est accordée dans la partie XIII, intitulée, en partie, «Matériel de production». Les «articles et matières», qui constituent une catégorie de marchandises plus vaste que «machines et équipement», doivent donc être distingués de ceux compris dans la partie XIII pour éviter la redondance. L'avocat ajoute que selon une règle d'interprétation législative, les dispositions plus restrictives priment sur les plus générales. Par conséquent, si l'équipement de production du groupe C est admissible à une exemption, c'est en vertu de la partie XIII de l'annexe III.

Deuxièmement, soutient l'intimé, le fait d'exempter les articles et les matières incorporés à des produits finis exonérés de la taxe est conforme à l'objectif global de la Loi. L'intimé allègue que cette conclusion est confirmée par un examen d'ensemble de la Loi. Bien que celle-ci vise avant tout à imposer une taxe unique, le plus souvent sur la vente, pour éviter la double imposition, les alinéas 27(2)a) et b) de la Loi prévoient que les marchandises partiellement fabriquées qu'un fabricant muni de licence vend à un autre ou importées par un tel fabricant sont exemptées de la taxe. Le paragraphe 26(1) de la Loi, qui se lit en partie comme suit, renferme une définition de «marchandises partiellement fabriquées» :

a) les marchandises qui doivent être incorporées dans un objet assujetti à la taxe de consommation ou de vente ou doivent en former une partie constituante ou intégrante...

De la même façon qu'en adoptant les modalités d'imposition des marchandises partiellement fabriquées, le Parlement entendait exempter l'achat d'articles devant être incorporés à des marchandises taxables, l'intimé soutient que l'exemption des «Articles et matières devant servir exclusivement à la fabrication» des marchandises visées à l'annexe III s'applique également à l'achat exempté d'articles et de matières devant être incorporés à des marchandises inconditionnellement exemptées. C'est pourquoi l'expression «Articles et matières devant servir exclusivement à la fabrication ou à la production des marchandises exemptes de taxe...» est employée tout au long de l'annexe III.

Au dire de l'intimé, cette interprétation est confirmée et précisée dans les modifications apportées à la Loi le 19 février 1987. Il est maintenant clair que les articles et les matières doivent être incorporés aux marchandises exemptées visées à la partie VIII ou en former un élément constitutif ou un composant pour être admissibles à l'exemption. Comme les produits du groupe C et tout autre produit énuméré à la partie VIII ne sont pas incorporés à des dents artificielles, ils ne sont pas admissibles à l'exemption prévue à l'article 5 ou 22.

DÉCISION

L'interprétation des dispositions législatives est au coeur des nombreux arguments soumis par les parties au présent appel. À ce propos, le Tribunal souscrit entièrement à la «règle du sens ordinaire» reprise par le juge Estey dans la désormais célèbre décision touchant la cause Stubart Investments Limited c. Sa Majesté La Reine [9] . Commentant la tendance à simplifier l'interprétation des lois en général, et de la législation fiscale en particulier, le juge Estey a conclu en ces termes :

Aujourd'hui, les tribunaux appliquent à cette loi la règle du sens ordinaire, mais en tenant compte du fond, de sorte que si l'activité du contribuable relève de l'esprit de la disposition fiscale, il sera assujetti à l'impôt...

Bien que les remarques E.A. Dreidger dans son ouvrage Construction of Statutes (2e éd. 1983), à la p. 87, ne visent pas uniquement les lois fiscales, il y énonce la règle moderne de façon brève:

[Traduction] Aujourd'hui il n'y a qu'un seul principe ou solution: il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur.

Un deuxième principe veut qu'il incombe au contribuable de prouver que les marchandises en question sont conformes aux dispositions d'exemption. Dans un passage repris par la Cour d'appel fédérale [10] et auquel cette cour souscrivait, M. Driedger commente ces deux principes en ces termes à la page 207 :

... si un contribuable se prétend exempté de la taxe, il lui faut prouver hors de tout doute raisonnable qu'il satisfait aux exigences applicables, sans quoi il a échoué. Mais il n'existe pas de règles ou de principes d'interprétation précis régissant les exemptions de taxe. C'est pourquoi l'assujettissement du contribuable à la taxe dépend toujours de l'intention du législateur, laquelle doit être précisée de la manière habituelle. (traduction)

M. Dreidger décrit la manière habituelle dans le passage cité dans la cause Stubart Investments mentionnée plus haut.

Partant de ces principes, qui permettent de résoudre le litige, l'appelante fonde son argumentation sur deux éléments. Premièrement, l'appelante soutient que les produits des groupes A et B sont admissibles à l'exemption en vertu de l'article 19 en tant qu'articles nécessaires à la bonne application et à l'entretien de matières devant servir à la chirurgie réparatrice ou des articles nécessaires pour la bonne application et à l'entretien de prothèses médicales ou chirurgicales ou les deux. L'appelante soutient également que les produits du groupe C sont exemptés en vertu de l'article 5 ou 22 en tant qu'articles devant servir à la fabrication de dents artificielles ou en tant qu'articles devant servir exclusivement à la fabrication des marchandises exemptes de taxe mentionnées dans la partie VIII.

À l'égard du premier élément, le Tribunal conclut que l'article 19 ne prévoit pas une exemption pour les instruments et l'équipement de soins dentaires des groupes A et B compte tenu du sens ordinaire des mots utilisés par rapport au contexte général et compte tenu de l'esprit et de l'objet de la Loi et de l'intention du Parlement. L'appelante a fait un usage habile de certaines expressions de cet article abstraction faite du tout, mais on ne peut raisonnablement affirmer, comme le souhaite l'appelante, que ces expressions ont le sens qu'elle leur prête lorsqu'elles sont replacées dans le contexte approprié.

En revanche, plusieurs éléments de l'article 19 et de la partie VIII en général corroborent la position de l'intimé, à savoir que l'exemption visant les «articles et matières à l'exclusion des cosmétiques nécessaires à la bonne application et à l'entretien» des produits mentionnés est destinée à l'utilisateur de la prothèse, de l'appareil ou de l'article semblable.

En premier lieu, il est clair que tous les appareils mentionnés à l'article 19 sont conçus pour être portés par un particulier. Le contexte nous porte donc tout naturellement à conclure que ce particulier utiliserait lui-même les articles et les matières nécessaires à l'application et à l'entretien de ces appareils. Par ailleurs, l'expression «à l'exclusion des cosmétiques» n'a de sens que par rapport à l'acheteur et à l'utilisateur de produits pour soins personnels.

L'intimé affirme que la juxtaposition des mots «application» et «entretien» confirme que l'exemption s'adresse à l'utilisateur. Comme l'entretien d'articles comme des appareils de colostomie et ceux pour voies urinaires est nettement du domaine privé, il en va de même de l'«application» en vertu de la règle noscitur a sociis. Le Tribunal estime par ailleurs que si l'exemption devait s'étendre aux articles utilisés dans le cadre des opérations chirurgicales décrites par l'appelante, le législateur aurait employé la terminologie médicale appropriée et non le mot «application», qui décrit une activité personnelle dans le contexte actuel. Enfin, pour ce qui est de l'expression «bonne application et... entretien», il semble évident que l'adjectif «bonne» ne s'adresse qu'au profane qui utilise la prothèse ou l'appareil et qualifie l'application et l'entretien nécessaires.

Le Tribunal considère en outre que l'abrogation de l'article 21, qui prévoyait l'exemption des «instruments chirurgicaux et dentaires de toutes matières», doit être prise en compte afin de préciser la gamme d'articles réputés exemptés en vertu de l'article 19. Avant que l'article 21 ne soit abrogé, les instruments et l'équipement pour soins dentaires en question, qui semblent englober la gamme complète d'instruments dentaires, étaient exemptés de la taxe en vertu de cette disposition. Le fait de prétendre que les mêmes articles sont maintenant exemptés en vertu d'une disposition beaucoup plus générale et, pour les besoins de l'argumentation de l'appelante, libellée de façon beaucoup plus obscure enlève toute justification de l'abrogation de l'article 21.

Dans une cause semblable [11] , la Cour suprême devait déterminer l'impact de l'abrogation d'une exemption particulière sur une disposition plus générale qui n'avait pas été modifiée. Le regretté juge Laskin avait alors conclu que si un objet est décrit en termes particuliers dans un texte législatif et repris en termes de la langue courante dans un autre paragraphe du texte, l'abrogation des termes particuliers soustrait l'objet à l'application du texte entier. Le passage en langue courante est alors interprété de manière à exclure ce qui y aurait autrement été assujetti. Dans le passage suivant, qui s'applique tout particulièrement au présent appel, le juge Laskin discute de l'impact global des changements apportés à la législation [12] :

L'appelante demande à cette Cour de statuer que ce qui a été expressément exclu a, en même temps, été implicitement retenu. Cette proposition n'est pas logique même si les termes de la nouvelle définition lui donnent un certain poids...

Il y a une autre considération, qui a autant de poids. Il est raisonnable de croire que les modifications aux lois ont un but, à moins que des indices intrinsèques, ou des indices extrinsèques recevables, démontrent qu'on n'ait voulu qu'en polir le style. Selon la prétention de l'appelante, la modification de 1968 n'a rien accompli d'important, si ce n'est d'améliorer la rédaction. C'est là, à mon avis, un argument insoutenable.

Dans la présente cause, l'abrogation de l'exemption particulière pour les instruments dentaires de toutes matières a supprimé cette catégorie de marchandises de la gamme d'une disposition d'exemption plus générale et, de fait, de toute exemption prévue ailleurs dans la Loi. Par conséquent, il ne peut y avoir d'exemption pour les instruments pour soins dentaires en application de l'article 19 de la partie VIII.

Les interventions au cours des audiences ont beaucoup porté sur l'impact des modifications apportées à la Loi le 19 février 1987 sur certaines dispositions de la partie VIII, y compris les articles 5, 19 et 22. Par suite des changements, l'article 19 prévoit spécifiquement que les articles et les matières exemptés en question doivent «servir à l'utilisateur d'une telle prothèse, d'un tel appareil ou d'un tel article semblable...». L'intimé soutient que cette modification ne sert qu'à confirmer et à préciser l'état antérieur du droit, alors que l'appelante allègue que le changement modifie sensiblement le sens de cet article, ce qui témoigne d'une révision du droit. Bien que l'intimé ait présenté une partie du texte des Documents budgétaires déposés auprès de la Chambre des communes pour appuyer son point de vue, le Tribunal ne considère pas que ces références particulières permettent, dans la présente affaire, de résoudre les ambiguïtés contenues dans les dispositions législatives sous étude.

Compte tenu de sa décision au sujet de l'interprétation adéquate de l'article 19 avant qu'il ne soit modifié, le Tribunal conclut que l'impact du changement était de préciser le droit tel qu'il existait avant le changement. Cette conclusion est conforme au paragraphe 45(2) de la Loi d'interprétation, qui prévoit que «La modification d'un texte ne constitue pas... une déclaration portant que les règles de droit du texte étaient différentes de celles de sa version modifiée».

Comme l'a souligné l'appelante, l'exemption des «matières devant servir à la chirurgie réparatrice» a été abolie, ce qui constitue nettement une modification du droit. Toutefois, le Tribunal ne trouve rien dans le reste de l'article 19 qui porte à croire que les mots employés dans la version modifiée altèrent le sens de l'article. Par conséquent, vu que les produits pour soins dentaires des groupes A et B ne sont pas destinés à l'utilisateur des marchandises décrites dans l'article 19, ils ne sont pas admissibles à une exemption prévue à cet article.

Le deuxième point à déterminer a trait à l'interprétation de l'expression «Articles et matières devant servir... à la fabrication». L'appelante soutient que l'expression veut dire tout simplement qu'ils sont «destinés à la fabrication» des marchandises exemptées; l'intimé soutient que les articles doivent être intégrés aux marchandises ou en former un élément constitutif ou un composant.

Le nouvel article 22 stipule maintenant que pour être admissibles à l'exemption, les articles et les matières doivent êtres «incorporés dans toutes les marchandises exemptes de taxe mentionnées dans la [partie VIII], ou en former un élément constitutif ou un composant». Le Tribunal est également convaincu qu'il s'agit là du sens voulu de la disposition avant qu'elle ne soit modifiée le 19 février 1987.

Pour confirmer cette interprétation, le Tribunal s'appuie sur la cause Star Shipping Co. (Canada) Ltd. c. Le Sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise [13] entendue par la Cour fédérale d'appel. Dans une brève déclaration au sujet de l'objet du litige, le juge Thurlow a indiqué, au nom de la Cour, que :

Les matériaux devant servir exclusivement au gréement et à la réparation de navires désignent les matériaux dont c'est là la fin ultime, de manière que tant qu'ils existent, ils font partie du navire gréé ou réparé.

Les objets en question n'ont jamais été intégrés au gréement d'un navire, et les éléments de preuve touchant leur utilisation démontrent qu'il n'a jamais été question qu'ils le soient. Il s'agit simplement d'articles importés au Canada pour servir à charger et à décharger le cargo transporté par les navires de StarLine. (Traduction)

La décision dans Star Shipping Co. a été suivie par la Commission du tarif dans la cause D.F. Lunnen Limited c. Le Sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise [14] . Dans cette cause, l'appelante a demandé à la Commission de déclarer que le mazout et l'essence utilisés dans des navires de pêche étaient exemptés de la taxe en tant qu'«articles et matières devant servir exclusivement à la fabrication, au gréement ou à la réparation de navires...». La Commission a rejeté l'appel, décidant que l'exemption était disponible seulement à l'égard des articles et matières qui devenaient partie d'un navire au moment de la construction, de l'aménagement ou de la réparation.

L'avocat de l'appelante a donné beaucoup de poids à la décision de la Commission du tarif dans la cause Singer Sewing Machine Company of Canada Ltd. c. Le ministre du Revenu national [15] dans laquelle la Commission a déclaré que l'expression «devant servir à la fabrication» dans l'article 2, partie XV de l'annexe III ne requiert pas que les articles soient incorporés aux marchandises fabriquées ou en former un élément constitutif. Sauf tout respect, le Tribunal n'est pas d'accord avec les conclusions de la Commission du tarif dans cette décision. Le Tribunal est plutôt d'accord avec le point de vue de M. Bertrand dans sa décision minoritaire dans la cause Universal Grinding Wheel c. Le Sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise [16] . Le litige dans cette cause était de déterminer si les meules diamantées utilisées par l'appelante pour la fabrication de fraises dentaires étaient correctement classées en tant que «matières et articles devant servir à la fabrication» d'instruments dentaires. M. Bertrand a conclu que l'expression «matières et articles devant servir à la fabrication de» voulait dire que les matières et les articles devaient être incorporés au produit fini ou en former un élément physique afin d'être classés dans ce numéro tarifaire et, par conséquent, il aurait rejeté l'appel.

Cette question particulière a été résolue par la promulgation du nouveau Tarif des douanes [17] qui prévoit, à l'article 4, que l'expression «devant servir à» signifie que, sauf indication contraire du contexte, les marchandises en cause entrent dans la composition d'autres marchandises par voie d'ouvraison, de fixation ou d'incorporation...». Il n'est pas permis de transposer tout simplement une disposition relative à une définition d'une loi à une autre, mais il est permis de se reporter à l'usage d'un mot dans d'autres lois afin de comprendre ce mot ou cette expression dans une loi, surtout quand ces lois sont in pari materia. Le fait que le Tarif des douanes interprète cette expression de la façon qui, d'après les conclusions du Tribunal, constitue la bonne interprétation en vertu des articles pertinents de la Loi sur la taxe d'accise appuie davantage cette conclusion.

En somme, le Tribunal conclut que les «articles et matières devant servir à la fabrication» de dents artificielles et d'autres produits exemptés mentionnés dans la partie VIII doivent être incorporés aux marchandises finies ou en former un élément constitutif afin d'être admissibles à l'exemption.

Cette interprétation de la Loi est confirmée par la règle selon laquelle une disposition précise prime sur une autre plus générale qui semble porter sur la même question [18] . Comme le soutient l'intimé, les exemptions visant l'équipement de production sont clairement indiquées à la partie XIII de l'annexe III. Ainsi, l'alinéa 1a)(i) de la partie XIII prévoit une exemption pour les machines et les appareils vendus à des fabricants ou à des producteurs et utilisés dans la fabrication ou la production de marchandises. Il n'est pas contesté que les produits du groupe C sont de l'équipement de production et, de plus, qu'ils sont des machines et des appareils. Cependant, cette exemption n'est pas inconditionnelle; pour y être admissibles, les machines et les appareils doivent être vendus à des fabricants ou à des producteurs. Comme Dentsply vend ses produits à des distributeurs, et non à des fabricants ou à des producteurs, elle n'a pas droit à cette exemption.

Des questions semblables ont été traitées dans la cause D.F. Lunnen Limited [19] , où l'appelante soutenait que le mazout destiné à un navire était admissible à l'exemption prévue à la partie XVII de l'annexe III parce qu'il s'agissait d'«articles et de matières devant servir exclusivement à la fabrication, au gréement ou à la réparation de ces marchandises exemptées de taxe» sous prétexte que certains navires et vaisseaux sont exemptés de taxe en vertu de la même partie. La Commission a souligné qu'une autre partie de l'annexe III prévoit une exemption pour le carburant et s'est prononcé comme suit [20] :

... la Commission fait observer que l'Annexe III de la Loi prévoit une disposition spéciale à l'égard des «combustibles et électricité», à la Partie VI, alinéa 2, dont le libellé est le suivant: «mazout pour moteur Diesel utilisé dans des moteurs à combustion interne servant à des opérations d'exploitation forestière et à la fabrication du bois d'oeuvre brut». De l'avis de la Commission, il est illogique de croire qu'après avoir pourvu aux combustibles à la partie VI, le législateur mettrait de côté cette disposition pour introduire les combustibles dans la signification du mot «matière» à la Partie IX ou à la PartieXVII.

Étant donné que des exemptions spécifiques pour l'équipement de production sont prévues dans la partie XIII de l'annexe III, le Tribunal conclut que les exemptions prévues dans les articles 5 et 22 de la partie VIII ne comprenaient pas l'équipement de production. L'avocat de l'appelante a cité les causes Irving Oil Limited c. Le secrétaire provincial de la province du Nouveau-Brunswick [21] et Bristol-Myers Canada Inc. c. Le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise [22] afin d'argumenter qu'une exemption spécifique ne peut pas mener à la restriction de l'étendue d'autres exemptions. Après réexamen de ces causes, le Tribunal conclut que la proposition s'applique seulement lorsqu'une exemption spécifique est si restreinte à une catégorie particulière et si spécifique dans sa nature et son but qu'elle devient hors de propos pour les contribuables ou les sujets en dehors de cette catégorie. Ce n'est pas le cas dans le présent appel.

Par conséquent, le Tribunal conclut que l'équipement pour soins dentaires du groupe C n'est pas admissible à l'exemption prévue à l'article 5 ou 22.

CONCLUSION

L'appel n'est pas admis. Le Tribunal conclut que l'exemption pour les «matières et articles à l'exclusion des cosmétiques nécessaires» à la bonne application et l'entretien des marchandises mentionnées dans l'article 19, partie VIII, annexe III de la Loi sur la taxe d'accise s'adresse à l'utilisateur de ces marchandises. Puisque les instruments et l'équipement de soins dentaires en question sont destinés à l'usage des praticiens de la médecine dentaire, ils ne sont pas admissibles à l'exemption en vertu de cet article. Le Tribunal conclut également que les autres produits ne sont pas admissibles à l'exemption prévue à l'article 5 ou 22, partie VIII, annexe III de la Loi sur la taxe d'accise parce qu'il ne s'agit pas d'articles ou de matières devant être incorporés aux marchandises exemptées visées à la partie VIII ou en former un élément constitutif ou un composant.


[ Table des matières]

1. S.R.C. 1970, chap. E-13.

2. [1984] 1 R.C.S. 536.

3. Loi sur la taxe d'accise, S.R.C. 1970, chap. E-13, modifiée par L.C. 1988, chap. 18.

4. (1981), 33 O.R. (2e) 55 (C. d'app. de l'Ont.).

5. Documents budgétaires déposés à la Chambre des communes par le ministre des Finances, l'honorable Michael H. Wilson, le 18 février 1987, p. 67.

6. Morguard Properties Ltd. et al. c. La ville de Winnipeg, [1983] 2 R.C.S. 493.

7. Le Procureur général du Canada c. Royden Young et al., non consigné, le 31 juillet 1989.

8. L.R.C. 1985, chap. I-21.

9. [1984] 1 R.C.S. 536, à la page 578.

10. Bristol-Myers Canada Inc. c. Le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise (1984), 85 D.T.C. 5024.

11. Bathurst Paper Limited c. Le Ministre des Affaires municipales de la province du Nouveau-Brunswick, [1972] R.C.S. 471.

12. Ibid, p. 477.

13. Le 11 juin 1973, non consigné (C. d'app. féd.).

14. (1981), 7 R.C.T. 407.

15. Appel no 2951, Commission du tarif, le 21 juillet 1988.

16. (1984), 9 R.C.T. 194.

17. L.R.C. 1985, chap. 41 (3e Suppl.).

18. Re Van Allen, [1953] 3 D.L.R. 751; Pretty v. Solly (1859), 26 Beav. 606.

19. (1981), 7 R.C.T. 407.

20. Ibid, p. 414.

21. [1980] 1 R.C.S. 787.

22. (1984), 85 D.T.C. 5024.


Publication initiale : le 15 août 1997