JOSTENS CANADA LTD. ET JOSTENS DU QUÉBEC LTÉE

Décisions


JOSTENS CANADA LTD. ET JOSTENS DU QUÉBEC LTÉE
v.
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL
Appel no AP-92-195

TABLE DES MATIÈRES

Ottawa, le jeudi 28 avril 1994

Appel n o AP-92-195

EU ÉGARD À un appel entendu le 3 juin 1993 aux termes de l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1985), ch. E-15;

ET EU ÉGARD À des décisions rendues par le ministre du Revenu national le 14 août 1992 concernant des avis d'opposition signifiés aux termes de l'article 81.17 de la Loi sur la taxe d'accise.

ENTRE

JOSTENS CANADA LTD. ET JOSTENS DU QUÉBEC LTÉE Appelants

ET

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL Intimé

L'appel est admis en partie.

Charles A. Gracey ______ Charles A. Gracey Membre présidant

Kathleen E. Macmillan ______ Kathleen E. Macmillan Membre

Desmond Hallissey ______ Desmond Hallissey Membre

Michel P. Granger ______ Michel P. Granger Secrétaire





Les appelants exercent, entre autres choses, l'activité de photographie de portraits. Dans des demandes distinctes datées du 5 juillet 1991, les appelants ont demandé des remboursements de la taxe de vente fédérale à l'inventaire relativement à des marchandises libérées de taxe, comprenant du papier couleur, des produits chimiques pour épreuves en couleurs, des montures destinées à servir à l'exposition et à la protection des photographies, et des albums servant à la fois pour photos et autographes. La question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si les appelants ont droit aux remboursements de la taxe de vente fédérale payée sur les marchandises en cause. Le Tribunal doit plus précisément déterminer si les marchandises sont considérées comme des marchandises libérées de taxe figurant à l'inventaire au 1 er janvier 1991 et destinées à la fourniture taxable par vente à d'autres dans le cours normal des entreprises des appelants.

DÉCISION : L'appel est admis en partie. Le Tribunal est d'accord avec l'avocat de l'intimé que seules les marchandises en cause destinées à être vendues séparément à d'autres dans le cours normal des activités commerciales des appelants sont visées par la définition modifiée de l'expression «inventaire» aux termes de l'article 120 de la Loi sur la taxe d'accise. Puisque l'intimé a, en fait, reconnu dans l'exposé conjoint des faits qu'au moins une partie des marchandises en cause sont destinées à être vendues aux clients des appelants, le Tribunal renvoie l'affaire au ministre du Revenu national pour qu'il détermine quelles sont les marchandises destinées à cette fin, les rendant donc admissibles à un remboursement aux termes de la Loi sur la taxe d'accise.

Lieu de l'audience : Ottawa (Ontario) Date de l'audience : Le 3 juin 1993 Date de la décision : Le 28 avril 1994
Membres du Tribunal : Charles A. Gracey, membre présidant Kathleen E. Macmillan, membre Desmond Hallissey, membre
Avocat pour le Tribunal : Hugh J. Cheetham
Greffier : Janet Rumball
Parties : Neil E. Bass, pour les appelants F.B. Woyiwada, pour l'intimé





Le présent appel est interjeté aux termes de l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise [1] (la Loi) à l'égard de deux déterminations du ministre du Revenu national (le Ministre) ayant pour effet de rejeter les demandes de remboursement de la taxe de vente fédérale (TVF) à l'inventaire faites par les appelants aux termes de l'article 120 de la Loi [2] . L'appel a été entendu sur la foi des exposés écrits, conformément à l'article 25 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur [3] . À cet égard, les parties ont déposé un exposé conjoint des faits d'où sont tirés les faits énoncés dans les présents motifs.

Jostens Canada Ltd. est une société régie par les lois de la province du Manitoba. Jostens du Québec Ltée est une société régie par les lois de la province du Québec et une filiale à 100 p. 100 de Jostens Canada Ltd. Les appelants exercent, entre autres choses, l'activité de photographie de portraits. Afin d'exercer cette activité, les appelants ont acquis, avant 1991, du papier couleur, du papier noir et blanc, des épreuves en noir et blanc sur papier, des films pour appareils de reproduction, des produits chimiques pour épreuves en couleurs et épreuves en noir et blanc, des montures destinées à servir à l'exposition et à la protection des photographies, et des albums servant à la fois pour photos et autographes.

Dans des demandes distinctes datées du 5 juillet 1991, les appelants, qui sont tous deux inscrits aux fins de la taxe sur les produits et services depuis le 1er janvier 1991, ont demandé des remboursements de la TVF à l'inventaire relativement aux marchandises en cause. Ces marchandises étaient neuves et n'avaient jamais servi, étaient décrites dans l'inventaire de chaque appelant au 1er janvier 1991 et, à cette date, n'avaient jamais été radiées des livres comptables de chaque appelant pour les besoins de la Loi de l'impôt sur le revenu [4] . Dans des avis de détermination datés du 26 juillet 1991, le Ministre a rejeté ces demandes. Les appelants se sont opposés à ces déterminations. Dans des avis de décision datés du 14 août 1992, le Ministre a ratifié les deux déterminations sur le motif que les marchandises en cause n'étaient pas admissibles aux remboursements de la TVF à l'inventaire aux termes du paragraphe 120(3) de la Loi parce qu'elles n'étaient pas destinées à la «fourniture taxable» par vente ou location.

Avant la publication de la décision et des motifs de la décision du Tribunal, ce dernier a appris que des modifications à l'article 120 de la Loi [5] avaient été revêtues de la sanction royale le 10 juin 1993. Ces modifications étaient réputées entrées en vigueur le 17 décembre 1990. Dans une lettre datée du 15 novembre 1993, le Tribunal a informé les parties des modifications et il a donné l'occasion aux parties de déposer, avant le 10 décembre 1993, d'autres exposés écrits portant sur l'incidence, le cas échéant, de ces modifications sur l'appel.

Dans une lettre datée du 1er décembre 1993, les appelants ont fait valoir que la décision du Tribunal doit être fondée sur la loi en vigueur le 3 juin 1993 (soit la date de l'audience). Ils ont indiqué que l'examen des modifications pourrait exiger la présentation de nouveaux éléments de preuve et, possiblement, d'une plaidoirie. En dernier lieu, les appelants ont demandé que le Tribunal, s'il se sentait obligé de tenir compte des modifications, laisse sa décision en suspens en raison des causes portées devant la Cour fédérale du Canada et qui seraient pertinentes au regard de la décision du Tribunal dans la présente affaire. L'intimé a déposé des exposés écrits complémentaires le 9 décembre 1993.

Dans une lettre datée du 24 janvier 1994, le Tribunal a avisé les parties qu'il ne comptait pas laisser l'affaire en suspens, mais qu'il prévoyait aller de l'avant en se fondant sur les documents au dossier. Le Tribunal a aussi indiqué, compte tenu de certaines inquiétudes soulevées par les parties, qu'il était disposé à tenir une audience à la demande de l'une ou l'autre des parties et a prié celles-ci de lui faire connaître leurs intentions à cet égard avant le 3 février 1994. Dans des lettres datées du 4 février 1994, les deux parties ont indiqué ne pas souhaiter la tenue d'une audience. Dans leur lettre, les appelants réitéraient leur position, à savoir que l'appel soit entendu en se fondant sur la loi en vigueur au moment où l'appel a été examiné, soit le 3 juin 1993.

La question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si les appelants ont droit aux remboursements de la TVF payée sur les marchandises en cause. Le Tribunal doit plus précisément déterminer si les marchandises sont considérées comme des marchandises libérées de taxe figurant à l'inventaire au 1er janvier 1991 et destinées à la fourniture taxable par vente à d'autres dans le cours normal des entreprises des appelants.

Avant les modifications à l'article 120 de la Loi, l'expression «inventaire» était en partie définie ainsi :

«inventaire» État descriptif des marchandises libérées de taxe d'une personne à un moment donné qui figurent à l'inventaire de la personne au Canada à ce moment et qui, à ce même moment, selon le cas :

a) sont destinées à la fourniture taxable (au sens du paragraphe 123(1)) par vente ou location à d'autres dans le cours normal de l'entreprise de la personne.

L'expression «inventaire» est ainsi définie dans les modifications :

«inventaire» État descriptif des marchandises libérées de taxe d'une personne à un moment donné qui figurent à l'inventaire de la personne au Canada à ce moment et qui, à ce même moment, selon le cas :

a) sont destinées à être vendues ou louées séparément pour un prix ou un loyer, en argent, dans le cours normal d'une activité commerciale de la personne.

Les appelants avaient fait valoir à l'origine que les marchandises en cause étaient des «marchandises libérées de taxe» au sens du paragraphe 120(1) de la Loi, qu'elles figuraient à l'inventaire de chaque appelant au 1er janvier 1991 et qu'elles étaient destinées à la «fourniture taxable», telle que définie au paragraphe 123(1) de la Loi, par vente à d'autres. À l'appui de ces arguments, les appelants ont cité de nombreuses décisions récentes du Tribunal et plus particulièrement celles dans les arrêts Techtouch Business Systems Ltd. c. Le ministre du Revenu national [6] , A.J.V. Tools Ltd. c. Le ministre du Revenu national [7] et J. & D. Trophies & Engraving c. Le ministre du Revenu national [8] . Comme il a été mentionné, les appelants ont soutenu dans leurs exposés subséquents que le Tribunal doit rendre sa décision en se fondant sur la loi en vigueur au moment où l'appel a été examiné, soit le 3 juin 1993.

L'avocat de l'intimé avait d'abord avancé que les marchandises en cause ne figuraient pas à «l'inventaire» parce qu'elles n'étaient pas destinées à la vente à d'autres dans le cours normal des entreprises des appelants, mais qu'elles étaient destinées à servir à la production d'articles qui, par la suite, seraient vendus. Citant la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Her Majesty the Queen v. York Marble, Tile and Terrazzo Limited [9] , l'avocat a plaidé que les matériaux qui doivent recevoir de nouvelles formes, qualités et propriétés, ou une combinaison de celles-ci, et qui sont donc destinés à être utilisés dans la production d'articles, sont destinés à la fabrication, et non à la vente.

Pour ce qui est de la question de savoir si les marchandises en cause sont des «marchandises libérées de taxe», l'avocat de l'intimé a soutenu que, pour être considérées comme des «marchandises libérées de taxe», les marchandises doivent avoir été «acquises» avant 1991. L'avocat a plaidé que les marchandises en cause n'ont pas été acquises, mais produites par les appelants, puisqu'elles avaient subi un processus de fabrication. De plus, l'avocat a plaidé que, pour être considérées comme des «marchandises libérées de taxe», elles doivent être des marchandises pour lesquelles la taxe imposée aux termes du paragraphe 50(1) de la Loi a été payée. Comme les marchandises en cause n'avaient pas encore été vendues, aucune taxe ne pouvait avoir été imposée ou payée en rapport avec elles.

Dans les documents soumis ultérieurement par l'intimé, l'avocat de ce dernier a soutenu que les modifications appuient la position originale de l'intimé en précisant que, pour avoir droit au remboursement de la TVF à l'inventaire, les marchandises doivent être des marchandises libérées de taxe destinées à être vendues séparément et non destinées à être utilisées comme des parties composantes de produits finis ou des parties composantes à intégrer aux produits finis. Selon l'avocat, comme les marchandises en cause ont été utilisées pour produire d'autres marchandises, elles n'étaient pas destinées à être vendues séparément à d'autres dans le cours normal des activités commerciales des appelants. L'avocat a aussi fait valoir que les décisions subséquentes à celle du Tribunal dans l'arrêt Techtouch ne s'appliquaient plus à la présente cause.

En prenant sa décision, le Tribunal a examiné les documents et les exposés présentés au Tribunal avant l'audience du 3 juin 1993 ainsi que les documents et les exposés soumis après que le Tribunal eut avisé les parties des modifications et du fait que ces modifications étaient réputées entrées en vigueur le 17 décembre 1990. Les modifications étant clairement rétroactives au 17 décembre 1990, le Tribunal est d'avis qu'il faut les appliquer. Selon un principe de longue date du droit canadien, toute loi promulguée après le début d'une cause s'applique à cette cause lorsqu'il est évident, dans le libellé de ladite loi, qu'elle aura un effet rétroactif au moment de son adoption [10] . Comme il a été mentionné, le libellé du paragraphe 6(7) de la Loi modifiant la Loi sur la taxe d'accise [11] stipule clairement que les paragraphes 6(1) à (6) s'appliqueront rétroactivement au 17 décembre 1990, soit avant le début du présent appel. Ces paragraphes étant pertinents au présent appel, le Tribunal estime qu'il faut appliquer les modifications pour rendre une décision dans le présent appel.

Le Tribunal est d'accord avec l'avocat de l'intimé que seules les marchandises en cause destinées à être vendues séparément à d'autres dans le cours normal des activités commerciales des appelants sont visées par la définition modifiée de l'expression «inventaire» aux termes de l'article 120 de la Loi. À l'alinéa 6 de l'exposé conjoint des faits, il est mentionné que les marchandises en cause sont destinées à être vendues aux clients ou à être utilisées pour fabriquer des produits photographiques qui seront vendus. Les éléments de preuve au dossier ne précisent pas lesquelles des marchandises en cause sont destinées à la vente aux clients des appelants. Les éléments de preuve se réfèrent toutefois à certaines des marchandises en cause, notamment aux cadres et albums qui sont des produits finis et qui sont offerts directement aux clients des appelants. Puisque l'intimé a en fait reconnu qu'une partie des marchandises en cause seraient admissibles au remboursement de la TVF à l'inventaire, même aux termes des modifications, le Tribunal renvoie l'affaire au Ministre pour qu'il détermine si, en plus des marchandises déjà identifiées, d'autres marchandises en cause sont destinées à être vendues aux clients des appelants.

Le Tribunal conclut donc que l'appel des appelants doit être admis en partie et l'affaire renvoyée au Ministre pour qu'il détermine si, en plus des cadres et des albums figurant dans les demandes des appelants, d'autres marchandises en cause étaient destinées à être vendues séparément à d'autres dans le cours normal des activités commerciales des appelants, les rendant donc admissibles au remboursement de la TVF à l'inventaire.


[ Table des matières]

1. L.R.C. (1985), ch. E-15.

2. L.C. 1990, ch. 45, art. 12.

3. DORS/91-449, le 14 août 1991, Gazette du Canada Partie II, vol. 125, n o 18 à la p. 2912.

4. L.R.C. (1985), ch. 1 (5 e suppl.).

5. Loi modifiant la Loi sur la taxe d'accise, la Loi sur l'accès à l'information, le Régime de pensions du Canada, la Loi sur les douanes, la Loi sur la Cour fédérale, la Loi de l'impôt sur le revenu, la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt, la Loi sur la cession du droit au remboursement en matière d'impôt, la Loi sur l'assurance-chômage et une loi connexe , L.C. 1993, ch. 27.

6. Appel n o AP-91-206, le 18 septembre 1992.

7. Appel n o AP-91-229, le 16 décembre 1992.

8. Appel n o AP-91-213, le 26 janvier 1993.

9. [1968] R.C.S. 140.

10. Voir, par exemple, John J. Williams v. The Hon. George Irvine , [1893], 22 R.C.S. 108; et Western Minerals Ltd. v. Gaumont et Western Minerals Ltd. v. Brown , [1953] 1 R.C.S. 345.

11. Supra , note 5.


Publication initiale : le 5 juin 1997