HOWMARK OF CANADA

Décisions


HOWMARK OF CANADA
v.
LE SOUS-MINISTRE DU REVENU NATIONAL
POUR LES DOUANES ET L'ACCISE
Appel no AP-92-243

TABLE DES MATIÈRES

Ottawa, le vendredi 27 août 1993

Appel n o AP-92-243

EU ÉGARD À un appel entendu le 17 mai 1993 aux termes de l'article 61 de la Loi sur les mesures spéciales d'importation, L.R.C. (1985), ch. S-15;

ET EU ÉGARD À des décisions rendues par le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise, conformément à l'article 59 de la Loi sur les mesures spéciales d'importation, relativement à des demandes de réexamen présentées aux termes de l'article 58 de la Loi sur les mesures spéciales d'importation.

ENTRE

HOWMARK OF CANADA Appelant

ET

LE SOUS - MINISTRE DU REVENU NATIONAL

POUR LES DOUANES ET L'ACCISE Intimé

L'appel est admis en partie.

Lise Bergeron ______ Lise Bergeron Membre présidant

John C. Coleman ______ John C. Coleman Membre

W. Roy Hines ______ W. Roy Hines Membre

Michel P. Granger ______ Michel P. Granger Secrétaire





L'appelant exerce l'activité d'importation et de distribution de chaussures dans tout le Canada. Les transactions en cause ont trait à trois livraisons de marchandises en question produites au Brésil, qui tombent sous le coup de conclusions de préjudice. Lorsque les marchandises en question ont été dédouanées par les agents des douanes, le prix de vente de chaque livraison a été converti en devise canadienne en fonction de la date de l'expédition, parce que les agents des douanes ne disposaient pas de renseignements sur la date de la vente. Au moment du réexamen, l'intimé a utilisé les dates des bons de commande adressés par l'agent de l'appelant aux fabriques brésiliennes qui ont produit les marchandises, aux fins du réexamen du taux de change applicable conformément à l'article 44 du Règlement sur les mesures spéciales d'importation. Il s'en est suivi qu'une cotisation supplémentaire a été établie relativement aux droits antidumping. Le présent appel soulève deux questions consistant à déterminer si, premièrement, l'intimé, lorsqu'il rend une décision lors d'un réexamen, peut, pour établir la date de la vente, utiliser des renseignements qui n'étaient pas disponibles au moment où les marchandises en question ont été dédouanées, et, deuxièmement, si la passation de bons de commande par l'agent de l'appelant constituait une «vente».

DÉCISION : L'appel est admis en partie. Le Tribunal est d'avis que le terme «shall» qui figure dans la version anglaise de l'article 45 du Règlement sur les mesures spéciales d'importation ne doit pas être interprété de façon si restrictive que l'intimé ou les importateurs se voient empêchés d'utiliser, pour établir la date réelle de la vente, des renseignements obtenus après le moment où les marchandises ont été dédouanées. Le Tribunal estime qu'étant donné les circonstances de la présente cause, l'acceptation du marché est manifestée à la date où, au vue des éléments de preuve, la fabrique produit ou a produit pour la première fois les marchandises en question. Les éléments de preuve dont dispose le Tribunal, et dont disposait l'intimé au moment du réexamen, indiquent la date à laquelle les marchandises ont été fournies à l'expéditeur de l'appelant aux fins de livraison, mais non la date réelle du début de la production des chaussures. Par conséquent, le Tribunal est d'avis que lors du réexamen, l'intimé aurait dû utiliser les reçus de l'expéditeur à titre de meilleur élément de preuve disponible quant à la date de la vente, et non la date des bons de commande adressés par l'agent de l'appelant aux fabriques en cause.

Lieu de l'audience : Ottawa (Ontario) Date de l'audience : Le 17 mai 1993 Date de la décision : Le 27 août 1993
Membres du Tribunal : Lise Bergeron, membre présidant John C. Coleman, membre W. Roy Hines, membre
Avocat pour le Tribunal: Hugh J. Cheetham
Greffier : Janet Rumball
Ont comparu : Darrell H. Pearson, pour l'appelant Frederick Woyiwada, pour l'intimé





Le présent appel est interjeté aux termes de l'article 61 de la Loi sur les mesures spéciales d'importation [1] (la LMSI) à l'égard de trois décisions rendues par le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise (le Sous-ministre), décisions ayant pour effet de confirmer la nouvelle cotisation et l'imposition de droits antidumping relativement à certaines chaussures en cuir pour femmes originaires du Brésil et importées par l'appelant. Les marchandises en question sont des marchandises de la même description que celles qui étaient visées par les conclusions rendues par le Tribunal le 3 mai 1990 dans le cadre de l'enquête no NQ-89-003.

L'appelant est une société de personnes enregistrée sous le régime des lois de l'Ontario, dont le siège se trouve à Toronto (Ontario). L'appelant exerce l'activité d'importation et de distribution de chaussures dans tout le Canada. Les transactions en cause ont trait à trois livraisons de marchandises en question produites au Brésil. Lorsque les marchandises en question ont été dédouanées par les agents des douanes, le prix de vente de chaque livraison a été converti en devise canadienne en fonction de la date de l'expédition parce que les agents des douanes ne disposaient pas de renseignements suffisants pour faire la conversion selon le taux de change en vigueur à la date de la vente, comme le prévoient les articles 44 et 45 du Règlement sur les mesures spéciales d'importation [2] (le Règlement). Aux alentours du 17 octobre 1991, l'appelant a payé des droits antidumping sur chacune des livraisons concernées, conformément à l'article 45 du Règlement.

Par la suite, l'appelant a demandé des réexamens des montants versés, pour des raisons indépendantes des questions en cause dans le présent appel. Au cours du processus de réexamen, l'intimé a obtenu copie des bons de commande que l'agent de l'appelant avait adressés aux fabriques brésiliennes qui produisent les marchandises en question. L'intimé a considéré ces bons de commande comme des éléments de preuve touchant les dates des ventes des marchandises en question et a utilisé ces dates pour les besoins du réexamen du taux de change applicable aux termes de l'article 44 du Règlement. Il s'en est suivi qu'une cotisation supplémentaire et été établie au titre des droits antidumping. L'appelant a demandé d'autres réexamens. L'intimé a confirmé les révisions dans les décisions susmentionnées.

Le présent appel soulève deux questions consistant à déterminer si, premièrement, l'intimé, lorsqu'il rend une décision lors d'un réexamen, peut, pour établir la date de vente, utiliser des renseignements qui n'étaient pas disponibles au moment où les marchandises en question ont été dédouanées, et, deuxièmement, au cas où la réponse au point précédent serait positive, si la passation de bons de commande par l'agent de l'appelant constituait une «vente» aux fins du Règlement.

La définition du mot «vente», à l'article 2 de la LMSI, se lit comme suit :

«vente» Sont assimilés à la vente la location, l'engagement de vendre ou de louer et les offres réelles.

Les articles 44 et 45 du Règlement se lisent comme suit :

Conversion des devises

44. Sous réserve de l'article 45, si un montant utilisé ou pris en compte pour l'application de la Loi est exprimé dans la monnaie d'un pays étranger, l'équivalent en dollars canadiens de ce montant est égal au produit du montant en monnaie étrangère par le taux de change en vigueur à la date de la vente exprimé en termes de dollars.

45. Pour l'application de l'article 44, dans les cas où le calcul visé à cet article ne peut être fait en fonction de la date de la vente, en raison de l'inaccessibilité ou de l'insuffisance des renseignements à la date du dédouanement des marchandises ou à la date de leur mise en entrepôt, selon celle de ces dates qui survient la première, la date de l'expédition vers le Canada est utilisée au lieu de la date de la vente.

L'avocat de l'appelant a appelé un témoin, M. Jerry Rosenbloom, trésorier de Howmark of Canada. M. Rosenbloom a expliqué que l'appelant, une société de personnes regroupant quatre sociétés enregistrées dans la province de l'Ontario, est un importateur et un distributeur national de chaussures. L'appelant détient également une participation majoritaire dans une société fabriquant des chaussures installée à Toronto (Ontario).

M. Rosenbloom a décrit la nature générale des trois transactions qui font l'objet du présent appel. Il a déclaré que chacune des transactions s'était déroulée à peu près de la même manière. Il a expliqué que, premièrement, l'appelant et son agent, Trade Winds Importing Company (Trade Winds), conçoivent ensemble un modèle de chaussures que l'appelant souhaite voir produire au Brésil puis vendre sur le marché canadien, et en établissent le prix de revient. L'appelant porte des échantillons de chaussures aux clients potentiels et sollicite des commandes fondées sur des offres de prix et sur les dates de livraison précisées par ces clients. L'appelant fournit alors par écrit à son agent des directives concernant la passation d'une commande aux fabriques brésiliennes qui feront le produit désiré, pour le prix indiqué et aux dates précisées. Après avoir reçu ces directives, l'agent de l'appelant approche un certain nombre de fabriques dans le but de passer la commande. Le témoin a déclaré qu'à moins qu'un problème ne se produise, par exemple si l'agent ne peut passer la commande conformément à l'offre de prix, ou ne peut la passer du tout, l'appelant n'entend plus parler de la commande jusqu'au moment où il est informé que le produit est expédié. M. Rosenbloom a expliqué que l'exécution d'une commande canadienne est souvent retardée par l'intervention de commandes européennes ou américaines plus importantes, non seulement parce que les commandes canadiennes sont plus modestes, mais également parce qu'elles comportent la nécessité supplémentaire de remplir des questionnaires antidumping et de recevoir la visite de fonctionnaires du ministère du Revenu national (Revenu Canada). Le témoin a également déclaré que si la commande est retardée et que l'agent trouve une autre fabrique à même d'exécuter la commande à la date prévue, ce dernier ne communique pas avec l'appelant.

Au cours de ce témoignage, l'avocat de l'appelant a déposé, à titre confidentiel, une copie de l'accord conclu entre l'appelant et son agent d'achat, Trade Winds. M. Rosenbloom a identifié le document et déclaré qu'aux termes de celui-ci, Trade Winds s'était engagé à agir à titre d'agent d'achat pour l'appelant au Brésil.

M. Rosenbloom a ensuite expliqué qu'une commande exécutée est payée au moyen d'une lettre de crédit sur laquelle il est possible de tirer lorsque les marchandises sont expédiées. Les documents sur la foi desquels il est possible de tirer sur la lettre de crédit sont le reçu de l'expéditeur attitré ou le connaissement. L'appelant est avisé de la réception des marchandises au moyen d'un document envoyé par télécopieur par son expéditeur. Le témoin a fait remarquer que les clients de l'appelant savaient qu'il était possible que leurs commandes ne soient pas exécutées, et que, dans la plupart des cas, la nature des ententes conclues avec eux était telle que l'appelant ne risquait pas d'être tenu responsable du défaut d'exécution. Le témoin a également fait observer que l'appelant pouvait annuler sa commande auprès de la fabrique brésilienne concernée en tout temps avant le début de la production réelle des marchandises.

Le témoin a déclaré que les chaussures en question étaient achetées en dollars américains convertis en dollars canadiens aux fins du calcul du montant des droits antidumping payables à la date de l'expédition. Il a expliqué que la date de l'expédition, et non la date de la vente, était utilisée à cette fin parce que l'appelant n'avait pas de renseignements sur la date de la vente, et qu'il utilisait donc les meilleurs renseignements à sa disposition.

Lors du contre-interrogatoire, M. Rosenbloom a confirmé que la nature de ces transactions est telle que, lorsque l'appelant passe une commande à Trade Winds, il n'est pas certain que la commande sera exécutée. Le témoin a également déclaré que le délai de livraison prévu et indiqué dans ses directives à Trade Winds peut aller de deux à cinq mois et que la lettre de crédit qu'il établit est au nom de Trade Winds, qui peut la céder à la fabrique qui fait le produit.

En réponse à des questions du Tribunal, M. Rosenbloom a précisé que l'appelant supporte les coûts liés aux défauts éventuels des marchandises et considère la chose comme faisant partie du risque inhérent au fait de faire affaire au Brésil. Il a également déclaré que l'appelant considère qu'il prend possession des marchandises lorsqu'elles sont livrées à son expéditeur et qu'un reçu pour les marchandises est donné à la fabrique qui les produit.

L'avocat de l'appelant a appelé un témoin, M. Michel Desmarais, agent principal de programme, Textiles et produits de consommation, Programmes de cotisation (Droits antidumping et compensateurs), Revenu Canada. M. Desmarais a déclaré qu'il travaille à la même division depuis plus de 15 ans et qu'il a directement participé au calcul des droits antidumping en question dans la présente cause. Le témoin a expliqué la façon dont ces droits ont été calculés, en soulignant l'effet du taux d'inflation élevé au Brésil et de la dépréciation conséquente du cruzeiro sur le calcul des valeurs normales. Il a déclaré que l'intimé avait utilisé la date à laquelle les bons de commande ont été adressés aux fabriques par Trade Winds comme date du taux de change applicable, c'est-à-dire comme date de la vente, parce que c'est à cette date que les parties ont, de l'avis de l'intimé, convenu du prix, de la quantité et de la date à laquelle les marchandises devaient être expédiées. M. Desmarais a souligné que, pour ce genre d'affaire, les fabriques brésiliennes ne vendent pas de marchandises en stock, mais les produisent sur demande. Il a également souligné que l'intimé, attendu que ses enquêtes sont rétrospectives, doit toujours se pencher sur une transaction exécutée, et qu'il se concentre donc sur les faits constitutifs de cette transaction. M. Desmarais a confirmé qu'au moment où les marchandises ont été dédouanées, le seul renseignement dont disposait l'agent des douanes était la date d'expédition et que le renseignement touchant les bons de commande adressés par Trade Winds a été obtenu des fabriques brésiliennes au cours de la nouvelle enquête.

Au cours du contre-interrogatoire, M. Desmarais a confirmé que l'intimé n'avait obtenu des fabriques en question aucun document attestant qu'elles avaient accepté les bons de commande de Trade Winds, mais a ajouté que ce genre de document de confirmation n'est pas d'usage au Brésil.

En réponse à des questions du Tribunal, le témoin a déclaré que l'intimé n'a pas utilisé, à titre d'indication de la date de la vente, les documents produits par les fabriques lorsqu'elles ont expédié les marchandises, parce que les marchandises avaient déjà été fabriquées. M. Desmarais a convenu que, selon les documents sur la foi desquels est établie la date de vente, il peut y avoir une différence considérable dans le montant des droits antidumping faisant l'objet de la cotisation en raison des fluctuations du taux de change au Brésil. Enfin, en réponse à des demandes du Tribunal, le témoin a déposé des documents supplémentaires touchant les transactions en question, parmi lesquels des connaissements et des reçus d'expéditeurs concernant chacune des transactions.

Dans son argumentation, l'avocat de l'appelant a fait valoir que si l'intimé s'est servi des bons de commande comme éléments de preuve concernant la date de la vente, c'est peut-être, en partie, parce que l'intimé considérait Trade Winds comme une partie principale, et non comme un agent, dans ces transactions. L'avocat a émis l'hypothèse que l'accord conclu entre l'appelant et l'agent d'achat, ainsi que le témoignage de M. Rosenbloom, a confirmé que Trade Winds faisait office d'agent. L'avocat a également fait remarquer que le témoin de l'intimé a déclaré que la production de notes de confirmation n'était pas d'usage dans ces transactions, ce qui est conforme à la version qu'a donnée l'appelant du déroulement de ces dernières. En outre, l'avocat a avancé que les éléments de preuve montraient que l'intimé n'avait rien fait pour examiner les étapes de ces transactions afin d'établir pourquoi la date des bons de commande était la même que la date de la vente. L'avocat a déclaré que l'intimé traitait en fait les offres de l'agent de l'appelant comme si elles étaient des offres réelles ou un contrat unilatéral, l'une et l'autre possibilité étant incompatible avec le témoignage de M. Rosenbloom selon lequel l'appelant (et la fabrique) pouvaient annuler la commande tant que la production n'avait pas commencé. L'avocat a déclaré qu'une offre ne devient accord que lorsque l'acceptation est manifeste. Il a ensuite cité des textes juridiques relatifs au droit applicable aux contrats pour étayer cette thèse. L'avocat a également fait observer que si le Tribunal considérait la date de production ou la date de réception par l'expéditeur de l'appelant comme devant tenir lieu de date de vente, il lui faudrait en conséquence être convaincu que l'une ou l'autre de ces dates marquait un moment où la fabrique avait clairement l'intention d'accepter la commande.

Pour ce qui est du libellé de l'article 45 du Règlement, l'avocat de l'appelant a fait valoir que le mot «shall» qui figure dans la version anglaise de cet article doit être lu comme comportant une obligation, et non une option. L'avocat a déclaré que cette interprétation a pour conséquence que, si les renseignements dont il est question à l'article 44 du Règlement ne sont pas disponibles au moment où les marchandises sont sur le point d'être dédouanées, la date d'expédition doit, en conséquence, servir pour le calcul de la conversion monétaire, et il est impossible de revenir à la date de vente par la suite. L'avocat a émis l'hypothèse que, si le législateur avait eu en vue l'interprétation avancée par l'intimé, il n'aurait pas rédigé le Règlement de façon si restrictive.

Se penchant sur la définition de «vente», l'avocat de l'appelant a déclaré que les exemples énoncés dans la définition ont tous pour caractéristique commune d'être des contrats et des accords, et il s'ensuit, selon la règle ejusdem generis, que le Tribunal doit considérer toutes les ventes comme des accords ou des contrats, et, par conséquent, comme quelque chose de plus que de simples offres.

Enfin, l'avocat de l'appelant s'est reporté à la jurisprudence pour appuyer différents points de son argumentation. Il a cité la cause Re Hudson Fashion Shoppe Ltd. [3] , qui, selon lui, va dans le sens de la thèse selon laquelle, en l'espèce, il n'y avait de contrat ou de vente qu'au moment où les fabriques qui avaient produit les chaussures les ont livrées au port de chargement brésilien d'où elles sont expédiées F.A.B. au Canada.

L'avocat de l'intimé a ouvert son argumentation en émettant l'hypothèse que l'avocat de l'appelant n'avait pas tenu compte de deux des aspects les plus importants de la cause. Premièrement, l'objet de la LMSI est de prévenir, ou, du moins, de réduire le préjudice sensible subi par les producteurs canadiens. Deuxièmement, les transactions en cause se sont produites dans des circonstances particulières et uniques. L'avocat a avancé que ces transactions constituaient des accords aux termes desquels une affaire était considérée avoir été conclue, à moins que le rejet de l'affaire ne soit communiqué. En d'autres termes, les commandes étaient considérées comme des ventes jusqu'à ce qu'elles soient rejetées par la personne auprès de laquelle elles avaient été passées.

Pour ce qui est de l'interprétation des articles 44 et 45 du Règlement, l'avocat de l'intimé a déclaré que le terme clé de la version anglaise de l'article 45 est le mot «shall». Il a fait remarquer que l'article n'indique pas que la date de l'expédition est «réputée» être la date de la vente, et que le libellé de l'article souligne l'importance de la date de la vente pour le calcul du change concernant les devises. L'avocat a fait observer que la LMSI contient des dispositions exhaustives touchant les appels et les révisions et que les procédures de ce genre doivent visiblement être menées avec le plus de renseignements possibles, c'est-à-dire sur la foi des renseignements disponibles au moment où elles se déroulent. L'avocat a également fait remarquer que le meilleur renseignement au sujet de la date de la vente est souvent fourni par l'importateur, qui l'obtient après le dédouanement des marchandises en question et qui peut alors faire opérer un réexamen à son avantage. Un tel résultat ne serait pas possible avec l'approche prônée par l'appelant.

L'avocat de l'intimé s'est ensuite penché sur la jurisprudence évoquée par l'appelant. Pour ce qui est de la décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans la cause Ansaldo, S.p.A. c. Le sous - ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise [4] , l'avocat a fait valoir que cette décision a clairement établi que, dans l'interprétation des définitions énoncées dans la LMSI, il faut tenir compte de l'objet global de la loi. L'avocat a émis l'hypothèse que, dans cette décision, les mots «prix de vente» pouvaient être remplacés par l'expression «date de la vente», auquel cas la décision pouvait être lue comme s'appliquant directement à la présente cause. Cela conduirait à rejeter l'existence d'un sens technique pour «date de la vente», et, en fait, à donner à ces derniers termes un sens large conforme à l'objet de la loi, et qui comporterait la reconnaissance du fait que le préjudice à la production canadienne se produit au moment où la commande est passée, c'est-à-dire lorsque la vente est conclue. L'avocat a fait valoir que la cause Re Hudson peut être distinguée de la présente cause parce que, dans celle-là, il était clair que, pour que le marché soit clairement exécuté, la partie recevant la commande devait faire part de son acceptation, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

Enfin, pour ce qui est de la décision rendue par le Tribunal dans la cause Direct Import Dico Corporation c. Le sous - ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise [5] , l'avocat de l'intimé a déclaré que cette cause va dans le sens de la proposition selon laquelle les renseignements obtenus après le dédouanement des marchandises peuvent être utilisés lors d'un réexamen.

En réponse, l'avocat de l'appelant a réitéré son affirmation antérieure selon laquelle la position de l'appelant équivaut à traiter les bons de commande comme s'ils étaient des contrats unilatéraux, ce qui est incompatible avec les éléments de preuve produits par le témoin de l'appelant. Il a fait valoir que ces éléments de preuve ne sont pas contredits par ceux de l'intimé. Pour ce qui est de la cause Ansaldo évoquée par l'intimé, l'avocat a émis l'hypothèse qu'il n'y aurait préjudice à la production canadienne qu'au moment où l'offre est faite, s'il s'agissait réellement d'un contrat unilatéral. L'avocat a également avancé que la question sur laquelle la Cour d'appel fédérale s'était penchée dans la cause Ansaldo, à savoir, la nature des objectifs globaux de la LMSI et la façon d'interpréter l'expression «prix de vente» dans ce contexte, est plus vaste que celle que doit examiner ici le Tribunal. À propos de la cause Dico, l'avocat a déclaré qu'elle doit être considérée comme une cause spéciale, sans valeur de précédent, parce qu'elle a été tranchée par une ordonnance rédigée par les parties suivant un accord, et parce que la position de l'appelant était qu'il avait fourni des renseignements suffisants à tous les moments pertinents.

Quant à la question de savoir si l'intimé peut, lors d'un réexamen et pour établir la date de la vente, se servir d'un renseignement qui n'était pas disponible au moment où les marchandises en question ont été dédouanées, le Tribunal convient avec l'intimé qu'il peut le faire. Le Tribunal est d'avis que le mot «shall» qui figure dans la version anglaise de l'article 45 du Règlement ne doit pas être interprété de façon si restrictive que l'intimé ou les importateurs se voient empêchés d'utiliser des renseignements obtenus après le moment où les marchandises ont été dédouanées pour établir la date de vente réelle. Le Tribunal convient également avec l'intimé que les articles 44 et 45 du Règlement sont rédigés d'une façon qui souligne l'importance de la date de la vente pour le calcul de la conversion monétaire et que le fait d'interdire l'utilisation de renseignements reçus après le dédouanement des marchandises irait à l'encontre de ce but. Le Tribunal remarque que, dans bien des cas, les renseignements en question ne sont tout simplement pas disponibles lorsque les marchandises sont par ailleurs sur le point d'être dédouanées, et aussi qu'ils sont d'une nature telle qu'ils seraient reçus par l'importateur. Il est difficile de croire que le législateur ait eu pour intention de pénaliser les importateurs et leurs clients au Canada en leur interdisant le recours à des renseignements ultérieurs, attendu que la chose n'irait visiblement pas dans le sens de l'avancement de l'objectif global de la LMSI.

Pour ce qui est de la décision qu'il a rendue antérieurement dans l'affaire Dico, le Tribunal reconnaît que les circonstances de cette cause étaient uniques, et il ne se fonde pas directement sur celles-ci pour en arriver à sa décision. Cependant, de par la nature de la décision qu'il rend dans la présente cause, le Tribunal indique clairement qu'il est d'accord avec le raisonnement suivi dans l'affaire Dico.

En ce qui a trait à la question de la date réelle de la vente, le Tribunal est d'avis qu'il ne peut y avoir eu de vente que lorsque la fabrique brésilienne approchée pour produire les marchandises en question a clairement manifesté son acceptation de l'offre de l'appelant. Le Tribunal reconnaît que les circonstances contractuelles de cette affaire sont effectivement «particulières et uniques». Néanmoins, ces circonstances n'invalident pas le besoin d'établir la date à laquelle les parties ont effectivement conclu un contrat de vente. Le Tribunal estime que les bons de commande présentés par l'agent de l'appelant ne constituent pas, en eux-mêmes et par eux-mêmes, un accord de caractère obligatoire parce que les éléments de preuve déposés par le témoin de l'appelant étaient clairs et n'ont pas été contredits quant au fait que l'une et l'autre partie, soit l'appelant ou la fabrique, pouvaient, après qu'une offre était faite, annuler la commande tant que la production n'avait pas commencé.

La question est donc maintenant la suivante : Quand les fabriques manifestent-elles leur acceptation des bons de commande? Le Tribunal est d'avis que, dans les circonstances propres à la présente cause, cette acceptation serait manifestée à la date où une fabrique commence à produire les marchandises. Cette date serait donc la date de vente aux fins de l'article 44 du Règlement. Les éléments de preuve déposés devant le Tribunal et devant l'intimé au moment du réexamen n'indiquent cependant pas la date à laquelle la production a commencé dans le cas de chaque transaction en cause. Le Tribunal est d'avis que le reçu de l'expéditeur de l'appelant, par lequel l'expéditeur accuse réception des marchandises expédiées par la fabrique, constitue le meilleur élément de preuve dont le Tribunal dispose quant à l'acceptation des bons de commande par une fabrique. Les éléments de preuve relatifs à ces reçus montrent non seulement que les fabriques livrent les chaussures à l'expéditeur aussi vite que possible après la production, parce qu'elles ont besoin du reçu de l'expéditeur pour faire exécuter le paiement aux termes de l'arrangement relatif à la lettre de crédit, mais aussi que l'appelant apprend qu'il a effectivement conclu une entente lorsqu'il est informé de la remise de ces reçus. Pour ces raisons, le Tribunal est d'avis qu'en l'absence d'éléments de preuve plus précis quant à la date à laquelle la production a commencé, l'intimé aurait dû utiliser la date des reçus de l'expéditeur comme date de vente.

En conséquence, l'appel est admis dans la mesure où le fondement du calcul des droits antidumping fait par l'intimé au moment du réexamen est rejeté. L'affaire est renvoyée au Sous-ministre de façon que les droits antidumping puissent être calculés selon la date des reçus de l'expéditeur, considérée comme date de vente. L'appelant se verra rembourser tout paiement en trop qu'il aura versé à titre des droits antidumping, conformément aux nouveaux calculs.


[ Table des matières]

1. L.R.C. (1985), ch. S - 15.

2. DORS/84-927, le 22 novembre 1984, Gazette du Canada Partie II, vol. 118, n o 25 à la p. 4286.

3. (1925), 58 O.L.R. 130 (C.A.).

4. N o du greffe A-879-83, le 29 avril 1986.

5. Appel n o 3053, le 27 janvier 1992.


Publication initiale : le 3 juin 1997