SUNCOR INC.

Décisions


SUNCOR INC.
v.
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL
Appel no AP-94-148

TABLE DES MATIÈRES

Ottawa, le jeudi 19 décembre 1996

Appel n o AP-94-148

EU ÉGARD À un appel entendu le 6 mars 1996 aux termes de l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1985), ch. E-15;

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le ministre du Revenu national le 22 avril 1994 concernant un avis d'opposition signifié aux termes de l'article 81.17 de la Loi sur la taxe d'accise.

ENTRE

SUNCOR INC. Appelant

ET

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL Intimé

L'appel est admis en partie.


Robert C. Coates, c.r. ______ Robert C. Coates, c.r. Membre présidant

Desmond Hallissey ______ Desmond Hallissey Membre

Anita Szlazak ______ Anita Szlazak Membre

Michel P. Granger ______ Michel P. Granger Secrétaire





L'appelant produit du pétrole brut synthétique à ses installations situées au nord de Fort McMurray (Alberta). Il extrait le bitume des sables pétrolifères par un procédé à l'eau chaude, puis le transforme en pétrole brut synthétique. L'appelant utilise une méthode d'exploitation à ciel ouvert pour accéder aux sables pétrolifères. Dans les opérations en litige, l'appelant se sert généralement de camions et d'autres machines pour enlever et transporter les matériaux utilisés pour bâtir des digues et combler les aires déjà exploitées. La question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si les activités visées satisfont à la définition de l'expression «opérations minières» du paragraphe 69(1) de la Loi sur la taxe d'accise et rendent ainsi l'appelant admissible à recevoir la ristourne de taxe sur le carburant consommé dans les opérations en litige. Plus précisément, le Tribunal doit déterminer si lesdites opérations constituent une «récupération, en vue d'autres utilisations, de terrains miniers exploités à ciel ouvert».

DÉCISION : L'appel est admis en partie. Le Tribunal renvoie la question à l'intimé pour que ce dernier détermine quelle partie du reste de la demande a trait à des dépenses de carburant engagées pour des travaux au-delà du point minimum de dépôt pour la construction des digues.

Lieu de l'audience : Edmonton (Alberta) Date de l'audience : Le 6 mars 1996 Date de la décision : Le 19 décembre 1996
Membres du Tribunal : Robert C. Coates, c.r., membre présidant Desmond Hallissey, membre Anita Szlazak, membre
Avocat pour le Tribunal : Hugh J. Cheetham
Greffier : Anne Jamieson
Ont comparu : Frans F. Slatter et Douglas R. Densmore, pour l'appelant Frederick B. Woyiwada, pour l'intimé





Le présent appel est interjeté aux termes de l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise [1] (la Loi) à l'égard d'une décision rendue par le ministre du Revenu national le 22 avril 1994.

L'appelant produit du pétrole brut synthétique à ses installations situées au nord de Fort McMurray (Alberta). Il extrait le bitume des sables pétrolifères par un procédé à l'eau chaude, puis le transforme en pétrole brut synthétique. L'appelant utilise une méthode d'exploitation à ciel ouvert pour accéder aux sables pétrolifères. Dans les opérations en litige, l'appelant se sert généralement de camions et d'autres machines pour enlever et transporter la terre utilisée pour bâtir des digues et combler les aires déjà exploitées.

Le 30 juillet 1991, l'appelant a déposé une demande de ristourne de taxe sur le carburant au montant de 200 000 $ pour du carburant consommé au cours de la période entre le 1er juin 1989 et le 31 décembre 1990. Le 10 décembre 1991, par un avis de détermination, la demande de ristourne de l'appelant a été refusée pour le motif que les sables pétrolifères n'étaient pas une «ressource minérale» au sens que lui donne la Loi. Par un avis d'opposition daté du 22 janvier 1992, l'appelant s'est opposé à la détermination. Le 22 avril 1994, par un avis de décision, l'intimé a admis en partie l'opposition de l'appelant. Le montant de la demande admis par l'intimé était de 138 010,02 $. Le présent appel porte sur la partie refusée de la demande de ristourne de taxe de l'appelant.

La question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si les opérations en litige satisfont à la définition de l'expression «opérations minières» énoncée au paragraphe 69(1) de la Loi et rendent l'appelant admissible à recevoir la ristourne de taxe sur le carburant consommé dans les opérations en litige. Plus précisément, le Tribunal doit déterminer si lesdites opérations constituent une «récupération, en vue d'autres utilisations, de terrains miniers exploités à ciel ouvert».

L'article 69 de la Loi prévoit que les personnes admissibles peuvent demander la ristourne de taxe sur l'essence ou le combustible diesel consommé en vue de certaines utilisations finales, y compris le carburant utilisé dans les opérations minières. Le paragraphe 69(1) de la Loi définit «opérations minières» comme suit :

«opérations minières» L'extraction de minéraux d'une ressource minérale, le traitement, jusqu'au stade du métal primaire ou son équivalent, des minerais, autres que le minerai de fer, provenant d'une ressource minérale, le traitement, jusqu'au stade de la boulette ou son équivalent, du minerai de fer provenant d'une ressource minérale et la récupération, en vue d'autres utilisations, de terrains miniers exploités à ciel ouvert, à l'exclusion des activités relatives à l'exploration en vue de la découverte de ressources minérales ou à la mise en valeur de celles-ci.

Les avocats de l'appelant ont convoqué deux témoins. Le premier a été Mme Susan C. Lowell, ingénieure chez Suncor Inc., où elle a occupé divers postes depuis 1980. Ses responsabilités comprennent présentement la coordination des activités nécessaires à la réalisation de l'évaluation de l'impact sur l'environnement dans le cadre des travaux préparatoires d'une nouvelle mine. Elle a également participé chez l'appelant à l'élaboration de plans de remise en état [2] de terrains. Mme Lowell a indiqué que l'appelant a commencé à exploiter les sables pétrolifères en 1967 et a amorcé simultanément ses activités de remise en état. Les activités d'exploitation de l'appelant s'étendent sur environ cinq milles dans l'axe nord-sud et environ deux milles et demi dans l'axe est-ouest. La profondeur de la mine à ciel ouvert est d'environ 300 pieds, ce qui équivaut à peu près à la hauteur d'un édifice de 20 étages.

Mme Lowell a expliqué que la méthode fondamentale adoptée par l'appelant pour remettre un terrain en état consiste à ramasser et à déplacer le muskeg et les morts-terrains, qui sont utilisés pour construire des digues et remblayer les aires déjà exploitées. À cette fin, l'appelant enlève d'abord le muskeg de la surface, puis il le met en dépôt ou le transporte par camion directement à un site qu'il veut remblayer ou remettre en état. L'appelant enlève ensuite les morts-terrains, ou couches inorganiques, pour accéder aux sables pétrolifères. Les morts-terrains sont aussi transportés par camion à divers sites de remblai et servent principalement à construire des digues, qui retiennent les résidus dans des bassins. Les résidus sont des boues de sable et d'eau produites lors du traitement des sables pétrolifères. Les bassins de résidus servent à approvisionner en eau les installations de traitement, le recyclage de ces résidus entraînant leur «déshydratation» progressive. Les bassins sont ainsi remblayés, permettant la remise en état éventuelle de la zone.

Mme Lowell a souligné que les activités de remise en état sont menées en conformité avec le plan de remise en état exigé par les lois provinciales et déposé auprès du gouvernement de l'Alberta. Mme Lowell a exprimé l'opinion que le gouvernement provincial n'approuverait aucun plan de remise en état qui n'aboutirait pas à la récupération des terrains en vue d'autres utilisations ou qui prévoirait le rejet des résidus dans la rivière Athabasca, qui est adjacente au site d'exploitation de l'appelant. Elle a de plus fait savoir que, d'une façon générale, le procédé de remise en état à ce site commence par l'élaboration d'un plan de remise en état et, physiquement, par l'enlèvement du muskeg. Mme Lowell a également convenu que, bien que l'enlèvement du muskeg et des morts-terrains soit nécessaire à l'exploitation de la ressource, il est également nécessaire à la récupération des terrains, puisque ces matières sont nécessaires pour recréer un paysage similaire à celui qui existait avant l'exploitation.

Au cours du contre-interrogatoire, Mme Lowell a précisé que le plus grand bassin de résidus mesure environ deux milles de long et deux milles de large, c'est-à-dire les dimensions d'un lac de bonne taille. Elle a déclaré que, même si la remise en état des sols n'était peut-être pas encore prescrite en 1967, l'appelant a toujours mené son exploitation comme il est décrit ci-dessus, puisque le seul autre choix était de rejeter les résidus dans la rivière Athabasca, ce qui n'était pas un choix acceptable. Selon Mme Lowell, de 25 à 30 p. 100 du muskeg est déposé directement dans un site et le reste est mis en dépôt. Elle a également précisé que le carburant est l'un des coûts principaux des opérations de transport des morts-terrains et du muskeg, et qu'il est préférable de les transporter le moins loin possible.

Le deuxième témoin de l'appelant a été M. Leonard J. Knapik. M. Knapik est président de la société Pedocan Land Evaluation Ltd., qui fournit des services de consultation sur les divers aspects des activités de remise en état des sols par les sociétés minières, pétrolifères et gazières et autres. M. Knapik, qui a constitué sa société en 1967, possède une longue expérience et une formation approfondie dans ce domaine. Le Tribunal a reconnu M. Knapik à titre d'expert en récupération, en vue d'autres utilisations, des terrains miniers exploités à ciel ouvert.

M. Knapik a expliqué que la loi de l'Alberta prescrit la restauration des sites miniers, y compris les sables pétrolifères, depuis le début des années 1970. D'une façon générale, la loi prescrit que ces terrains, après leur remise en état, doivent avoir des caractéristiques équivalentes à celles qu'ils avaient antérieurement. Cependant, puisque les sables pétrolifères étaient initialement recouverts de muskeg ou de terre tourbeuse, que personne ne veut récupérer, les parties en cause élaborent présentement des lignes directrices provisoires visant des usages liés à la foresterie et à la faune. M. Knapik a décrit les plans de l'appelant pour ce site comme une forme de remise en état continue ou, en d'autres mots, une remise en état des terrains exploités qui sont adjacents à ceux en cours d'exploitation. De l'avis de M. Knapik, la remise en état commence, dans ce cas, au moment de la planification et de l'approbation du procédé minier. Au plan de son application concrète, la remise en état commence au moment de la définition et de la récupération de terres végétales convenables, c'est-à-dire le muskeg ou la terre tourbeuse.

Au cours du contre-interrogatoire, M. Knapik a convenu qu'il faut enlever les morts-terrains avant d'accéder à la ressource qui doit être exploitée et qu'il faut transporter ou déplacer ces morts-terrains à une certaine distance pour qu'ils ne nuisent pas à l'exploitation minière.

Dans leur plaidoirie, les avocats de l'appelant ont d'abord expliqué que la décision de l'intimé dans la présente affaire est différente de celle mentionnée dans l'affaire Double N Earth Movers Ltd. c. Le ministre du Revenu nationa l [3] . Dans les deux cas, l'intimé a refusé la ristourne de la taxe sur le carburant consommé aux fins du déplacement des matières jusqu'à un point minimum de dépôt (PMD), puisqu'il faut de toute façon déplacer les morts-terrains jusqu'à une certaine distance pour qu'ils ne nuisent pas aux opérations minières en cours. Cependant, dans l'affaire Double N Earth, l'intimé a accordé la ristourne de la taxe sur tout le carburant consommé pour déplacer les matières au-delà du PMD, alors que, dans la présente affaire, l'intimé n'a accordé la ristourne de la taxe que sur 50 p. 100 du carburant consommé pour déplacer les matières au-delà du PMD pour le motif que les digues construites par l'appelant sont en partie destinées à la mise en valeur de la ressource et en partie destinées à la remise en état du site.

Les avocats de l'appelant ont soumis que l'exploitation minière de l'appelant doit être considérée comme une activité bivalente. Les témoignages des témoins montrent qu'il est faux de dire que le transport des morts-terrains n'est qu'une opération minière et n'a rien à voir avec la remise en état du site. Les éléments de preuve montrent plutôt qu'il s'agit d'un procédé continu intégré qui consiste à la fois à exploiter la ressource et à remettre les terrains exploités en état et, en ce qui a trait aux digues, qui est à la fois associé au traitement de la ressource et à la restauration des terrains. Les avocats ont fait valoir qu'en fait, l'intimé évalue l'appelant sur la foi d'une vision théorique des opérations minières qui n'a aucun fondement dans la réalité et qui, si c'était le cas, tomberait dans l'illégalité.

Les avocats de l'appelant ont attiré l'attention du Tribunal sur un commentaire du juge Estey dans l'affaire Johns - Manville Canada Inc. c. Sa majesté la Reine [4] , à l'effet que «si la loi fiscale n'est pas explicite, l'incertitude raisonnable ou l'ambiguïté des faits découlant du manque de clarté de la loi doit jouer en faveur du contribuable [5] ». Les avocats ont soutenu que, bien que la Loi fasse mention de récupération, elle n'aborde pas le fait que le procédé minier est, dans la présente affaire, un procédé intégré dans lequel l'exploitation de la ressource minière et la remise en état du terrain sont simultanées. Les avocats ont soutenu qu'il s'agit là exactement du type d'«ambiguïté des faits» dont parlait le juge Estey et qu'il faut donc accorder à l'appelant le bénéfice du doute.

Renvoyant à la décision de la Commission du tarif dans l'affaire Denison Mines Limited c. Le ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise [6] , les avocats de l'appelant ont fait valoir que le présent appel se distingue de cette affaire de diverses façons. En premier lieu, les bassins de résidus construits par Denison Mines n'étaient aucunement destinés à aider à la récupération. Ils ont été construits pour entreposer les résidus problématiques produits par la mine d'uranium et n'étaient donc liés qu'au traitement. En second lieu, les avocats ont fait valoir que le principal passage où la Commission du tarif discutait de la phase de la «mise en valeur» de l'activité en question était une remarque incidente.

En outre, les avocats de l'appelant ont souligné que l'opinion de la Commission du tarif n'était pas cohérente avec la Décision 10130/22-1 du ministère du Revenu national [7] (la Décision), qui traite de faits pertinents. Les questions dans la Décision consistent à déterminer si certaines activités sont considérées, aux fins de la ristourne de taxe sur le carburant, comme étant visées par la définition d'«opérations minières». Les deux activités sont décrites comme suit :

1) L'enlèvement du mort-terrain effectué pour accéder à une mine.

2) L'enlèvement des couches intermittentes du mort-terrain effectué pour suivre un gisement de minerai dans une mine productrice.

Les réponses précisées dans la Décision sont les suivantes :

1) Non. L'enlèvement du mort-terrain effectué pour accéder à une mine est considéré comme étant une activité d'«exploration» et n'est donc pas admissible à la ristourne de taxe sur le carburant.

2) Oui. Dans une mine productrice, toutes les activités d'extraction, y compris l'extraction de minerais et l'enlèvement des couches intermittentes du mort-terrain ou des matériaux de rebuts, effectués pour suivre un gisement de minerai, sont considérées, aux fins de la ristourne de taxe sur le carburant, comme étant visées par la définition d'«opérations minières».

Les avocats ont fait valoir que ces réponses reflètent l'acceptation par le gouvernement lui-même que, bien que l'enlèvement initial du mort-terrain peut être associé à la mise en valeur, suivre le gisement de minerai est considéré comme faisant partie des «opérations minières» aux fins de la ristourne de taxe sur le carburant. Les avocats ont avancé qu'un autre problème lié à la décision dans l'affaire Denison Mines est que l'exposé des faits alors présenté devant la Commission du tarif quant aux opérations minières semble avoir été très faible.

Enfin, les avocats de l'appelant ont fait valoir que, même si la décision dans l'affaire Denison Mines est correcte, elle est différente du fait qu'elle traitait d'une ressource minérale, ce qui n'est pas le cas dans la présente affaire. Autrement dit, les termes de la conclusion de la définition d'«opérations minières», c.-à-d. que les opérations minières n'ont pas rapport à «la mise en valeur de [ressources minérales]», ne doivent pas s'appliquer au présent appel et il ne doit pas être admis que l'intimé ajoute, effectivement, l'expression d'une «ressource non minérale» à la fin de la définition.

Les avocats de l'appelant ont renvoyé au concept de «bivalence» et à diverses affaires [8] qui, ont-ils fait valoir, appuient l'opinion que, si un contribuable démontre qu'il accomplit une activité bivalente et que l'une de ces activités est exemptée de la taxe, l'ensemble des activités sont alors exonérées de la taxe. Les avocats ont spécifiquement comparé la présente affaire aux faits dans l'affaire Coca-Cola portant sur des contenants de boissons gazeuses déplacés sur des convoyeurs pour les diverses étapes de la production et transportés jusqu'à l'entrepôt, à partir duquel le produit final était distribué. Les avocats ont soumis qu'il s'agit là d'un procédé intégré similaire aux opérations minières de l'appelant. Tout comme la Cour d'appel fédérale a décidé dans l'affaire Coca-Cola qu'elle ne pouvait tracer la ligne de démarcation et dire où les opérations de production s'arrêtaient pour laisser place à celles d'entreposage, dans la présente affaire, l'enlèvement des morts-terrains pour accéder à la ressource est la première étape du procédé de récupération, et le Tribunal ne peut tracer la ligne de démarcation entre eux.

En ce qui a trait à la question de répartir une partie du coût du carburant, les avocats de l'appelant ont renvoyé à la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Irving Oil Limited, Foster Wheeler Limited et Canaport Limited c. Le secrétaire provincial de la province du Nouveau-Brunswick [9] . La Cour suprême du Canada a déclaré, quant à l'exigence que la marchandise «serve directement» prescrite dans l'annexe III de la Loi, que cette exigence «est respectée, quelle que soit l'importance que l'on puisse attribuer à son utilisation dans la fabrication par opposition à d'autres processus tels l'emmagasinage et la distribution [10] ». Les avocats ont soutenu que, par analogie, l'intimé ne doit pas être autorisé à répartir le coût du carburant entre la récupération des terrains et la mise en valeur des ressources.

L'avocat de l'intimé a soutenu que la position de l'appelant est, en réalité, que tout le carburant consommé doit être considéré comme devant servir à la récupération des terrains et donc exonéré de la taxe. La décision de l'intimé se fonde sur l'opinion qu'il est impossible de prétendre que tout le carburant a été utilisé pour la récupération des terrains, puisque l'enlèvement des morts-terrains fait partie intégrante des opérations minières. L'avocat a fait valoir que la décision de l'intimé comporte deux considérations principales. En premier lieu, il faut d'abord accéder à la ressource avant de songer à l'exploiter et il faut transporter les morts-terrains à une certaine distance afin de procéder aux opérations minières. La position de l'intimé a été que le carburant qui sert à ces fins ne sert pas à la récupération des terrains et ne doit donc pas être exonéré de la taxe. En second lieu, les digues jouent un rôle clé à l'étape du traitement de l'exploitation minière de l'appelant, et ne peuvent donc pas être considérées comme uniquement liées à la récupération des terrains, d'où la décision de n'exonérer que 50 p. 100 du carburant qui sert au-delà du PMD. À cet égard, l'avocat a renvoyé aux éléments de preuve des deux témoins qui, a-t-il fait valoir, montrent à quel point les bassins de résidus sont essentiels aux opérations minières de l'appelant. L'avocat a comparé l'importance des bassins dans la présente affaire aux bassins dans l'affaire Denison Mines et a soutenu qu'il est manifeste que, dans les deux cas, les opérations minières cesseraient s'il n'y avait pas possibilité d'accéder aux bassins.

L'avocat de l'intimé a rappelé au Tribunal que le terme «utilisés» dans la définition de «opérations minières» est au passé. Il a soutenu qu'un terrain ne peut être récupéré en vue d'autres utilisations avant que son état initial n'ait été modifié et qu'une action qui vise à modifier le terrain ne fait manifestement pas partie des activités de récupération.

Quant aux affaires que les avocats de l'appelant ont fait valoir comme illustrant le principe ou le test de «bivalence», l'avocat de l'intimé a soumis qu'aucun tel principe n'y est articulé. L'avocat a également fait valoir que, à l'encontre du présent appel qui porte sur un article de consommation, le carburant, les affaires citées portaient sur des biens de production.

En arrivant à sa décision, le Tribunal fait observer que la question pourrait se poser à savoir si les sables pétrolifères sont ou non de véritables minéraux ou constituent une ressource minérale. Toutefois, compte tenu des directives qu'a reçues l'avocat de l'intimé de ne pas contester ce point, ce que le Tribunal interprète comme signifiant que l'intimé l'a concédé, le Tribunal examinera l'affaire en présumant qu'il porte sur une ressource minérale. Cela dit, le Tribunal est d'avis que l'appelant ne peut ultérieurement faire valoir que, puisque les sables pétrolifères ne sont pas véritablement une ressource minérale, le passage «activités relatives à [...] la mise en valeur de [ressources minérales]» dans la définition de l'expression «opérations minières» ne peut s'appliquer à la présente affaire. L'appel ne peut être entendu que si le Tribunal traite d'une ressource minérale et, cela étant, la question de l'admissibilité à la ristourne doit être tranchée dans le contexte de la définition intégrale de l'expression «opérations minières».

Le Tribunal est d'avis que, compte tenu de la définition d'«opérations minières», la question sur laquelle il doit statuer est plutôt simple. La définition porte clairement que les activités relatives à la mise en valeur de ressources minérales ne sont pas admissibles à la ristourne, et une partie des activités de l'appelant doivent être considérées comme relatives à la «mise en valeur» de la mine; il n'y aurait pas, autrement, de ressources à exploiter. Autrement dit, il faut tracer quelque part dans le procédé la ligne de démarcation entre les activités de mise en valeur et les autres. À cet égard, le Tribunal est d'accord avec les commentaires de la Commission du tarif dans l'affaire Denison Mines selon lesquels la définition d'«opérations minières» reflète l'intention du Parlement de séparer, ou d'exclure de l'admissibilité à la ristourne, certaines activités, telles les activités liées à la mise en valeur d'une ressource minérale, qui seraient autrement considérées des activités intégrées aux opérations minières [11] .

Les arguments qu'ont avancés les avocats de l'appelant quant à ce qu'ils appellent le principe de «bivalence» laissent entendre que le Tribunal n'a pas à tracer une ligne de démarcation afin d'interpréter la définition du terme «opérations minières». À l'exception de la décision de la Commission du tarif dans l'affaire Firwin, le Tribunal est d'accord avec l'avocat de l'intimé que les affaires auxquelles les avocats de l'appelant ont renvoyé n'appuient pas la proposition qu'ils avancent. En premier lieu, le Tribunal fait observer que ces affaires traitent d'une disposition de la Loi différente de celle considérée dans la présente affaire. En second lieu, le Tribunal est d'avis que la question en litige dans lesdites affaires ne consistait pas à déterminer si une activité ou une autre du contribuable était exonérée de la taxe ou non, mais plutôt si les marchandises en cause utilisées par le contribuable étaient des machines ou des appareils devant servir à un fabricant directement dans la fabrication ou la production de marchandises. Il s'agit là d'une question bien différente de celle de déterminer si le coût du carburant engagé par l'appelant est exonéré de la taxe dans le contexte de la définition de l'expression «opérations minières» énoncée dans la Loi.

Le Tribunal est conscient que, dans l'affaire Firwin, la Commission du tarif discute effectivement de la notion de double fonction. Cependant, aux fins du présent appel, le Tribunal comprend mal comment la définition d'«opérations minières» peut être lue de manière à conclure que le coût intégral du carburant qui sert dans une entreprise minière puisse être admissible à la ristourne alors qu'au vu de la définition, les activités de mise en valeur ne sont pas incluses. Le Tribunal fait observer que cette distinction ou, autrement dit, cette «ligne de démarcation» entre les activités visées dans la définition d'«opérations minières» est reprise dans les réponses aux questions énoncées dans la Décision à laquelle les avocats de l'appelant ont renvoyé. Ces réponses sont cohérentes avec la compréhension qu'a le Tribunal d'une lecture simple de la définition d'«opérations minières», ce qui mène à conclure que le coût du carburant engagé à l'étape de la mise en valeur de la mine n'est pas admissible à la ristourne de taxe sur le carburant, même s'il se rapporte aussi à certains aspects admissibles de l'ensemble de l'entreprise. De plus, bien qu'il soit conscient des énoncés de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Irving Oil, le Tribunal conclut qu'ils ne s'appliquent pas en l'espèce, puisque la définition d'«opérations minières» montre que le Parlement a prévu la possibilité d'une répartition des coûts en incluant l'expression «à l'exclusion des».

Comme il a été décidé qu'il convient de distinguer entre les étapes de mise en valeur et, dans le présent cas, de récupération, après cette première, la possibilité existe pour l'appelant de convaincre le Tribunal que les éléments de preuve montrent qu'un usage particulier du carburant, dans le présent cas pour la récupération, est un usage admissible. L'appelant en a convaincu le Tribunal. Bien qu'il soit exact que les digues jouent un rôle important dans la mise en valeur de la ressource exploitée, les éléments de preuve montrent qu'elles jouent un rôle encore plus important à la fois dans les activités de l'appelant qui visent la remise en état du terrain minier et celles qui visent le traitement de la ressource, et il s'agit de deux activités admissibles. En outre, le Tribunal fait observer que, bien que la définition de l'expression «opérations minières» établisse une distinction entre les activités de mise en valeur et les activités admissibles, comme dans les affaires Irving Oil et Stelco, le libellé de la définition ne permet pas de l'interpréter comme envisageant la répartition des coûts une fois ces étapes de l'exploitation minière atteintes. Par conséquent, l'intimé n'aurait pas dû répartir les coûts en ce qui a trait au transport du mort-terrain au-delà du PMD.

Par conséquent, l'appel est admis en partie. Le Tribunal renvoie la question à l'intimé pour que ce dernier détermine quelle partie du reste de la demande a trait à des dépenses de carburant engagées pour des travaux au-delà du PMD pour la construction des digues.


[ Table des matières]

1. L.R.C. (1985), ch. E-15.

2. Le terme «reclamation» ([traduction] remise en état ou récupération) sert dans les lois environnementales de l’Alberta relativement à l’activité visée dans la présente affaire. Les termes «reclamation» et «restoration» ([traduction] restauration) sont considérés comme synonymes dans les présents motifs.

3. Tribunal canadien du commerce international, appel no AP-94-327, le 19 décembre 1996.

4. [1985] 2 R.C.S. 46.

5. Ibid. à la p. 72.

6. (1989), 1 Can. S.T.R. 8657, non publiées, appels nos 2972 et 2973, le 9 décembre 1988.

7. Ristourne de taxe sur le carburant : opération minière ou non — enlèvement du mort-terrain, le 1er mai 1986.

8. Coca-Cola Ltd. c. Le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise, [1984] 1 C.F. 447; Le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise c. Steel Company of Canada Limited (1983), 5 C.E.R. 438, non publiée, Cour d'appel fédérale, no du greffe A-239-82, le 13 juin 1983; Amoco Canada Petroleum Company Ltd. c. Le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise (1983), 8 R.C.T. 696; et Firwin Corp. c. Le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise (1985), 10 R.C.T. 104.

9. [1980] 1 R.C.S. 787.

10. Ibid. à la p. 796.

11. Supra note 6 aux pp. 8663-8664.


Publication initiale : le 27 février 1997