FLETCHER LEISURE GROUP INC.

Décisions


FLETCHER LEISURE GROUP INC.
v.
LE SOUS-MINISTRE DU REVENU NATIONAL
Appel no AP-96-199

TABLE DES MATIÈRES

Ottawa, le vendredi 26 septembre 1997

Appel n o AP-96-199

EU ÉGARD À un appel entendu le 26 mai 1997 aux termes de l'article 61 de la Loi sur les mesures spéciales d'importation, L.R.C. (1985), ch. S-15;

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le sous-ministre du Revenu national le 21 mars 1990 concernant une demande de réexamen aux termes de l'article 59 de la Loi sur les mesures spéciales d'importation.

ENTRE

FLETCHER LEISURE GROUP INC. Appelant

ET

LE SOUS-MINISTRE DU REVENU NATIONAL Intimé

L'appel est admis.


Anthony T. Eyton ______ Anthony T. Eyton Membre présidant

Patricia M. Close ______ Patricia M. Close Membre

Lyle M. Russell ______ Lyle M. Russell Membre

Susanne Grimes ______ Susanne Grimes Secrétaire intérimaire





Il s'agit d'un appel qui est une nouvelle audition de la décision rendue par le Tribunal le 19 mars 1993 dans les appels nos AP-90-023 et AP-90-127, l'affaire Fletcher Leisure Group Inc. c. Le sous - ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise. Dans l'appel no AP-90-023, l'appelant a interjeté appel, aux termes de l'article 61 de la Loi sur les mesures spéciales d'importation, à l'égard d'un réexamen à l'issue duquel l'intimé a imposé des droits antidumping sur certains bâtons de ski importés par l'appelant au Canada en provenance d'Italie. Le Tribunal a admis l'appel et ordonné à l'intimé de procéder à un réexamen de la valeur normale des bâtons de ski en cause conformément à l'article 15 de la Loi sur les mesures spéciales d'importation. L'intimé a interjeté appel de la décision du Tribunal auprès de la Cour d'appel fédérale, qui a admis l'appel en concluant que le Tribunal n'avait été saisi d'aucun élément de preuve à partir duquel la valeur normale des marchandises en cause aurait pu être établie aux termes de l'article 15 de la Loi sur les mesures spéciales d'importation. La Cour d'appel fédérale a également conclu que le Tribunal n'était saisi que d'une seule question dans l'appel no AP-90-023, c'est-à-dire si les éléments de preuve étaient suffisants pour justifier le fait que l'intimé se soit appuyé sur le sous-alinéa 11b)(iii) du Règlement sur les mesures spéciales d'importation. La Cour d'appel fédérale a renvoyé la question au Tribunal pour réexamen.

DÉCISION : L'appel est admis. L'intimé a établi les valeurs normales des marchandises importées par l'appelant aux termes de l'article 19 de la Loi sur les mesures spéciales d'importation. Pour rendre sa décision, l'intimé devait établir un montant pour les bénéfices. Le Tribunal est d'avis que, lorsqu'il a établi ce montant, l'intimé a mal interprété et mal appliqué l'article 11 du Règlement sur les mesures spéciales d'importation. Il s'est ensuivi que, relativement à certaines questions, l'intimé ne disposait pas de tous les renseignements nécessaires pour correctement mener à bien l'analyse de rentabilité.

Lieu de l'audience : Ottawa (Ontario) Date de l'audience : Le 26 mai 1997 Date de la décision : Le 26 septembre 1997
Membres du Tribunal : Anthony T. Eyton, membre présidant Patricia M. Close, membre Lyle M. Russell, membre
Avocat pour le Tribunal : John L. Syme
Greffier : Anne Jamieson
Ont comparu : Glenn A. Cranker, pour l'appelant Rosemarie Millar, pour l'intimé





INTRODUCTION

Il s'agit d'un appel qui est une nouvelle audition de la décision rendue par le Tribunal le 19 mars 1993 dans les appels nos AP-90-023 et AP-90-127, l'affaire Fletcher Leisure Group Inc. c. Le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise. Dans l'appel no AP-90-023, l'appelant a interjeté appel, aux termes de l'article 61 de la Loi sur les mesures spéciales d'importation [1] (la LMSI), à l'égard d'un réexamen à l'issue duquel l'intimé a imposé des droits antidumping sur certains bâtons de ski importés par l'appelant au Canada en provenance d'Italie [2] . Les droits antidumping ont été établis selon les valeurs normales imposées par l'intimé à l'exportateur italien, S.P.F. S.p.A. (SPF) le 30 juin 1988. Les valeurs normales ont été établies conformément à l'alinéa 19b) de la LMSI et au sous-alinéa 11b)(iii) du Règlement sur les mesures spéciales d'importation [3] (le Règlement). L'article 19 de la LMSI prévoit, entre autres, ce qui suit :

19. La valeur normale de marchandises visée à l'article 15 qui ne peut être établie parce que le nombre de ventes de marchandises similaires remplissant les conditions énumérées à l'article 15 ou applicables en vertu du paragraphe 16(1) ne permet pas, de l'avis du sous-ministre, une comparaison utile avec la vente des marchandises à l'importateur se trouvant au Canada, est, au choix du sous-ministre, dans chaque cas ou série de cas, l'un des montants suivants, sous réserve de l'article 20 :

[…]

b) la somme des montants suivants :

(i) le coût de production des marchandises,

(ii) un montant pour les frais, notamment les frais administratifs et les frais de vente,

(iii) un montant pour les bénéfices.

L'alinéa 11b) du Règlement prévoit, entre autres, ce qui suit :

11. Pour l'application de l'alinéa 19b) et du sous-alinéa 20c)(ii) de la [LMSI],

b) sous réserve de l'article 13 du présent règlement, le terme « un montant pour les bénéfices » désigne un montant égal

[…]

(iii) si les sous-alinéas (i) et (ii) ne sont pas applicables mais que d'autres producteurs se trouvant dans le pays d'exportation ont effectué un nombre de ventes de marchandises similaires qui ont dans l'ensemble produit des bénéfices et permettent une comparaison utile, à la moyenne pondérée des bénéfices réalisés sur ces ventes,

[…]

(v) si les sous-alinéas (i) à (iv) ne sont pas applicables, à 8 % de la somme

(A) du coût de production des marchandises,

(B) du montant pour les frais, notamment les frais administratifs et les frais de vente, établi conformément à l'alinéa c).

Dans l'appel no AP-90-023, l'appelant n'a pas contesté les décisions de l'intimé aux termes du sous-alinéa 19b)(i) de la LMSI, « coût de production des marchandises », ou du sous-alinéa 19b)(ii) de la LMSI, « montant pour les frais, notamment les frais administratifs et les frais de vente ». La seule question en litige devant le Tribunal concernait le « montant pour les bénéfices » établi par l'intimé conformément au sous-alinéa 11b)(iii) du Règlement. Le Tribunal a admis l'appel pour le motif que, à son avis, l'intimé avait commis une erreur en appliquant l'article 19 de la LMSI lorsqu'il avait interprété l'expression « marchandises similaires » comme se limitant aux marchandises « identiques » aux marchandises vendues pour exportation. Le Tribunal a ordonné à l'intimé d'établir de nouveau la valeur normale des bâtons de ski en cause conformément à l'article 15 de la LMSI. Selon l'article 15 de la LMSI, la valeur normale des marchandises doit être établie en comparant les ventes de marchandises vendues pour l'exportation à des ventes de « marchandises similaires » vendues dans le pays d'exportation. Aux fins du réexamen, le Tribunal a ordonné à l'intimé de tenir compte des ventes de certains bâtons de ski de « marque de distributeur » vendus par SPF sur le marché italien, bâtons que le Tribunal estimait comme étant « similaires » aux bâtons de ski vendus par SPF à l'appelant.

L'intimé a interjeté appel de la décision du Tribunal auprès de la Cour d'appel fédérale, qui a admis l'appel. Dans la décision qu'elle a rendue le 28 octobre 1996 [4] , la Cour d'appel fédérale a conclu que le Tribunal avait commis une erreur en ordonnant à l'intimé de déterminer la valeur normale des marchandises en cause aux termes de l'article 15 de la LMSI. La Cour a fait observer que l'intimé avait procédé à une nouvelle détermination de la valeur normale des bâtons de ski aux termes de l'alinéa 19b) de la LMSI et calculé le « montant pour les bénéfices » aux termes du sous-alinéa 11b)(iii) du Règlement. La Cour d'appel fédérale a aussi fait observer que bien que, dans l'appel qu'il avait interjeté auprès du Tribunal, l'appelant ait contesté le « montant pour les bénéfices » calculé par l'intimé, il n'avait contesté l'applicabilité ni de l'alinéa 19b) de la LMSI ni de l'article 11 du Règlement.

La Cour d'appel fédérale a conclu que « en pareilles circonstances, le Tribunal n'était donc saisi d'aucun élément de preuve à partir duquel il pouvait déterminer la valeur normale aux termes de l'article 15 [5] ». La Cour d'appel fédérale a conclu que le Tribunal, dans l'appel no AP-90-023, n'était saisi que d'une seule question, c'est-à-dire si les éléments de preuve étaient suffisants pour justifier le fait que l'intimé se soit appuyé sur le sous-alinéa 11b)(iii) du Règlement. Étant donné que la réponse à cette question exige des conclusions de fait qui ne peuvent être tirées que par le Tribunal, la Cour d'appel fédérale a renvoyé la question au Tribunal pour réexamen.

NOUVELLE AUDITION

Le dossier de l'appel no AP-90-023 a été versé au dossier de la nouvelle audition. Cette dernière a été limitée uniquement aux plaidoiries, entièrement entendues à huis clos étant donné la nature confidentielle d'une grande partie des éléments de preuve auxquels les avocats ont renvoyé.

Dans sa plaidoirie, l'avocat de l'appelant a d'abord renvoyé le Tribunal à l'alinéa 11b) du Règlement qui établit les diverses manières d'établir « un montant pour les bénéfices ». L'avocat a soutenu que l'alinéa 11b) est structuré selon un ordre de priorité et que, pour 9‚tablir un montant pour les bénéfices de SPF, l'intimé a correctement décidé que les sous-alinéas 11b)(i) et (ii) n'étaient pas applicables, ce qui l'a amené au sous-alinéa 11b)(iii) qui prévoit que, lorsque d'autres producteurs se trouvant dans le pays d'exportation ont effectué un nombre de ventes de marchandises similaires qui ont dans l'ensemble produit des bénéfices et permettent une comparaison utile, le « montant pour les bénéfices » désigne un montant égal à la moyenne pondérée des bénéfices réalisés sur ces ventes pour l'application du sous-alinéa 19b)(iii) de la LMSI.

L'avocat de l'appelant a expliqué que, pour établir un montant pour les bénéfices dans le cas de SPF, l'intimé avait examiné les bénéfices réalisés par un autre producteur italien de bâtons de ski, Giuseppe Pronzati S.P.A. (Pronzati), sur la vente de 1 204 paires de bâtons de ski sur le marché italien. L'intimé a déterminé que Pronzati avait réalisé des bénéfices de 31,6 p. 100 sur la vente de ces 1 204 paires de bâtons de ski. L'intimé s'est ensuite servi de ce montant pour les bénéfices aux termes du sous-alinéa 19b)(iii) de la LMSI pour déterminer les valeurs normales pour SPF.

L'avocat de l'appelant a fait observer que, aux termes du sous-alinéa 11b)(iii) du Règlement, l'intimé doit établir un montant pour les bénéfices à partir des ventes de marchandises similaires qui sont de nature à permettre une « comparaison utile ». L'avocat a souligné que l'expression « comparaison utile » figure aux articles 15 et 19 de la LMSI et à chacun des sous-alinéas de l'alinéa 11b) du Règlement. Il a soutenu que la notion de « comparaison utile » est au cœur des dispositions susmentionnées et que l'intimé, n'ayant examiné la vente que de seulement 1 204 paires de bâtons de ski sur le marché italien qui en compte 600 000, n'a pas établi une comparaison utile.

À l'appui de sa position selon laquelle 31,6 p. 100 est un chiffre excessif comme montant pour les bénéfices, l'avocat de l'appelant a souligné que, pour l'ensemble de ses activités commerciales, SPF a essuyé une faible perte en 1988 et a, en 1987, réalisé des bénéfices nets de 0,24 p. 100. Pronzati a réalisé des bénéfices nets de 0,50 p. 100 et de 1,35 p. 100 en 1988 et en 1987 respectivement. La société Rossignol Ski Poles Vallee D'Aoste S.p.A., un autre grand producteur de bâtons de ski d'Italie, a réalisé des bénéfices nets d'environ 5 p. 100 en 1988 et en 1989. L'avocat a aussi renvoyé le Tribunal à une analyse de rentabilité de l'industrie italienne du bâton de ski, effectuée par M. Louis Nadon, attaché des douanes à la Mission du Canada auprès des Communautés européennes, dont la conclusion est que « les renseignements mis à la disposition du Ministère ont montré que la moyenne pondérée des bénéfices réalisés par les producteurs de bâtons de ski italiens, sauf SPF s'élèvent à 3,6 p. 100 [6] ».

L'avocat de l'appelant a soutenu que le Tribunal devrait conclure que l'intimé a mal appliqué le sous-alinéa 11b)(iii) du Règlement, étant donné que l'intimé n'a pas procédé à une comparaison utile et étant donné que le niveau des bénéfices des fabricants de bâtons de ski italiens était considérablement inférieur à 31,6 p. 100. L'avocat a soutenu que le Tribunal devrait ordonner à l'intimé de se servir du 3,6 p. 100 comme montant pour les bénéfices dans l'établissement d'un montant pour les bénéfices aux fins du calcul des valeurs normales pour SPF. D'autre part, l'avocat a indiqué que le Tribunal pourrait ordonner à l'intimé de se servir de la valeur de 8,0 p. 100 pour les bénéfices aux termes du sous-alinéa 11b)(v) du Règlement.

Dans sa plaidoirie, l'avocate de l'intimé a commencé par indiquer qu'elle soumettrait les mêmes arguments aux présentes que ceux qu'elle avait soumis à l'audience initiale de l'appel no AP-90-023. Elle a fait valoir que l'intimé avait communiqué avec les trois exportateurs de bâtons de ski italiens, SPF, Pronzati et Rossignol, dans le cadre du réexamen qui a débouché sur l'établissement des valeurs normales pour SPF le 30 juin 1988.

L'avocate de l'intimé a soutenu que, puisque les sous-alinéa 11b)(i) et (ii) du Règlement ne pouvaient être appliqués à l'établissement d'un montant pour les bénéfices de SPF, l'intimé a procédé conformément au sous-alinéa 11b)(iii). L'avocate a soutenu que, des deux exportateurs de bâtons de ski italiens autres que SPF, seule Pronzati a fourni à l'intimé des renseignements qui pouvaient servir à établir un montant pour les bénéfices aux termes du sous-alinéa susmentionné. Cependant, étant donné qu'en plus de fabriquer du matériel de ski Pronzati fabriquait d'autres marchandises, y compris des articles de tennis, des bicyclettes et des patins à roulettes, les données sur les bénéfices qu'elle réalisait pour l'ensemble de ses activités commerciales n'ont pu servir comme montant pour les bénéfices aux termes du sous-alinéa 11b)(iii). Plutôt, l'intimé a effectué une « analyse de rentabilité » de cinq modèles de bâtons de ski vendus par Pronzati en Italie. L'avocate a expliqué que ces modèles particuliers avaient été choisis parce qu'ils étaient identiques aux bâtons de ski vendus par Pronzati pour exportation au Canada.

L'avocate de l'intimé a expliqué que, dans son analyse, l'intimé avait comparé les recettes globales de Pronzati pour chaque modèle de bâton de ski avec le total du prix de revient pour ce modèle pour en déterminer la rentabilité. L'intimé a procédé à ce type d'analyse pour chacun des cinq modèles de bâtons de ski vendus par Pronzati en Italie et aussi exportés par cette dernière au Canada. L'intimé s'est servi du montant de 31,6 p. 100 issu de l'analyse susmentionnée pour calculer les valeurs normales pour SPF aux termes de l'alinéa 19b) de la LMSI.

DÉCISION

À tous les moments pertinents à l'appel no AP-90-023 et à la présente audition, les articles 15 à 23, 29 et 30 de la LMSI énonçaient les dispositions qui régissent le calcul des valeurs normales. L'article 19 de la LMSI prévoit que, lorsque les valeurs normales ne peuvent être établies aux termes de l'article 15 de la LMSI, elles doivent être établies conformément à l'une des deux méthodes possibles. L'alinéa 19b) de la LMSI décrit la deuxième de ces méthodes. Il prescrit que la valeur normale est la somme des montants suivants : (i) le coût de production des marchandises, (ii) un montant pour les frais, notamment les frais administratifs et les frais de vente, (iii) un montant pour les bénéfices.

L'alinéa 11b) du Règlement définit le terme « un montant pour les bénéfices ». Ainsi qu'il a été indiqué ci-dessus, l'alinéa 11b) est structuré en cascade. Si le sous-alinéa (i) n'est pas applicable, il faut alors recourir au sous-alinéa (ii), et ainsi de suite. Les parties ont convenu que ni le sous-alinéa 11b)(i) ni le sous-alinéa 11b)(ii) ne s'applique en l'espèce. Le Tribunal en convient. Le Tribunal est donc ainsi amené à considérer le sous-alinéa 11b)(iii), qui prévoit ce qui suit :

b) sous réserve de l'article 13 du présent règlement, le terme « un montant pour les bénéfices » désigne un montant égal

(iii) si les sous-alinéas (i) et (ii) ne sont pas applicables mais que d'autres producteurs se trouvant dans le pays d'exportation ont effectué un nombre de ventes de marchandises similaires qui ont dans l'ensemble produit des bénéfices et permettent une comparaison utile, à la moyenne pondérée des bénéfices réalisés sur ces ventes.

Fondamentalement, le sous-alinéa 11b)(iii) du Règlement permet à l'intimé de se servir des bénéfices produits par d'autres producteurs sur les ventes de marchandises similaires pour représenter « un montant pour les bénéfices » pour le producteur (c.-à-d. SPF) dont les valeurs normales doivent être établies. En l'espèce, l'intimé s'est servi à cette fin de la vente de 1 204 paires de bâtons de ski vendus par Pronzati. L'appelant a fait valoir que l'intimé n'a pas établi une comparaison utile puisqu'il a examiné la vente de seulement 1 204 paires de bâtons de ski sur un marché qui en compte 600 000 paires. Le Tribunal est d'avis que la question gravite autour du sens qu'il convient de donner à l'expression « comparaison utile ». Ce sens peut être dégagé de l'examen du sous-alinéa 11b)(iii) et des dispositions connexes de la LMSI et du Règlement.

L'alinéa 11b) du Règlement est assujetti à l'article 13 du Règlement, qui prévoit que :

13. Aux fins de la détermination du montant pour les bénéfices visé à l'alinéa 11b),

a) les ventes de marchandises similaires [... ] qui permettent une comparaison utile sont les ventes, autres que celles visées aux alinéas 16(2)a) ou b) de la [LMSI], qui satisfont au plus grand nombre de conditions énoncées aux alinéas 15a) à e) de la [LMSI], en tenant compte du paragraphe 16(1) de la [LMSI];

b) le prix des marchandises similaires est rectifié de la manière prévue aux articles 3 à 10.

L'alinéa 13a) du Règlement inclut, par renvoi, les paragraphes 15a) à 15e) de la LMSI. L'article 15 de la LMSI prévoit, entre autres, ce qui suit :

15. La valeur normale des marchandises vendues à un importateur se trouvant au Canada est, sous réserve des articles 19 et 20, le prix, rectifié conformément au présent article, auquel des marchandises similaires sont vendues, par l'exportateur des marchandises mentionnées en premier lieu :

a) à des acheteurs :

(i) auxquels il n'est pas associé [... ],

(ii) qui se situent au même niveau ou presque du circuit de distribution que l'importateur;

b) en quantités égales ou sensiblement égales aux quantités vendues à l'importateur;

c) dans le cours ordinaire des affaires pour consommation dans le pays d'exportation en situation de concurrence;

[…]

e) au lieu d'où les marchandises ont été directement expédiées au Canada ou, à défaut d'expédition au Canada, au lieu d'où, dans des conditions commerciales normales, les marchandises seraient expédiées directement au Canada.

L'alinéa 13b) du Règlement prévoit que, pour déterminer « un montant pour les bénéfices », le prix des marchandises similaires est rectifié de la manière prévue aux articles 3 à 10 du Règlement. Conformément à l'article 3 du Règlement, le prix des marchandises similaires est rectifié de façon à tenir compte de l'escompte sur quantités généralement accordé à l'occasion de la vente de telles marchandises en quantités égales ou sensiblement égales aux quantités vendues à l'importateur se trouvant au Canada [7] .

Les autres articles du Règlement, de 4 à 10, prévoient, entre autres, des rectifications du prix des marchandises similaires relativement à des éléments comme les différences qualitatives (article 5), les différences dans les conditions de la vente (article 5), les différences pour tenir compte des escomptes associés au paiement hâtif ou des « escomptes au comptant » (article 6), les différences dans la personne qui paie, le vendeur ou l'acheteur, les frais de livraison des marchandises (article 7) et les différences associées aux ventes à divers niveaux du circuit de distribution (article 9).

Le Tribunal est d'avis que les conditions établies à l'article 15 de la LMSI visent à faire en sorte que l'intimé, lorsqu'il détermine les valeurs normales, compare les ventes de marchandises similaires sur le marché intérieur du pays d'exportation qui correspondent étroitement aux ventes de marchandises pour exportation au Canada. Les articles 3 à 10 du Règlement ont pour objet de faire en sorte que, dans la mesure où les ventes de marchandises similaires examinées dans le pays d'exportation sont différentes des ventes de marchandises faites pour exportation au Canada, des rectifications sont apportées au prix de vente des marchandises similaires pour tenir justement compte de telles différences.

Le Tribunal est d'avis que l'expression « comparaison utile », au sous-alinéa 11b)(iii) du Règlement, doit être interprétée en tenant compte des objectifs susmentionnés. Une comparaison utile est, par conséquent, une comparaison entre des marchandises exportées et des marchandises similaires qui répondent à la plupart des conditions énoncées à l'article 15 de la LMSI, sinon à toutes. De plus, pour qu'il existe une « comparaison utile », les modalités de la vente des marchandises en cause doivent être similaires et, dans la mesure où elles ne le sont pas, le prix des marchandises similaires doit être rectifié pour tenir compte des différences.

Aux termes du sous-alinéa 11b)(iii) du Règlement, « un montant pour les bénéfices » s'entend, lorsqu'il existe un certain nombre de ventes de marchandises similaires effectuées par d'autres producteurs situés dans le pays d'exportation, d'un montant égal à la moyenne pondérée de telles ventes. Le Tribunal est d'avis que l'intimé doit, aux termes du sous-alinéa 11b)(iii), examiner des marchandises qui sont « similaires » aux marchandises dont il faut déterminer les valeurs normales. Dans son témoignage dans l'appel no AP-90-023, un témoin de l'intimé a déclaré que, lorsqu'il a choisi les marchandises similaires qu'il allait examiner pour effectuer une analyse de rentabilité, l'intimé a choisi d'examiner les bâtons de ski vendus par Pronzati sur le marché italien, marchandises identiques ou « similaires » aux bâtons de ski exportés au Canada par Pronzati. Le témoin a indiqué que, à cet égard, l'intimé s'était appuyé sur les dispositions de la législation. Le Tribunal est d'avis que l'analyse de l'intimé est fautive à cet égard. Le Tribunal est d'avis que, pour procéder à une « comparaison utile », l'intimé aurait dû examiner les ventes de Pronzati sur le marché italien des bâtons de ski qui étaient « similaires » aux bâtons de ski que SPF exportait au Canada, et non les ventes de ceux qui étaient « similaires » aux bâtons que Pronzati exportait.

De plus, pour déterminer un montant pour les bénéfices aux termes du sous-alinéa 11b)(iii) du Règlement, en plus des renseignements nécessaires pour établir si la vente de 1 204 paires de bâtons de ski de Pronzati répondaient aux dispositions de l'alinéa 13a), conformément à l'alinéa 13b), l'intimé devait disposer de l'information nécessaire pour apporter les rectifications pertinentes au prix de vente des 1 204 paires de bâtons de ski par Pronzati.

Mise à part la question de savoir si les exigences de l'alinéa 13a) du Règlement ont été satisfaites, le Tribunal est d'avis que l'intimé ne disposait pas de tous les renseignements nécessaires pour effectuer l'analyse prévue à l'alinéa 13b). De plus, le Tribunal est d'avis que, lorsqu'il a procédé à une analyse de rentabilité, l'intimé a mal interprété et mal appliqué certaines des dispositions susmentionnées. Les éléments de preuve montrent ce qui suit relativement à l'application des articles 3 à 10 du Règlement.

ARTICLE 3 - RECTIFICATIONS QUANTITATIVES

L'article 3 du Règlement prévoit que le prix des marchandises similaires est rectifié de façon à tenir compte de l'escompte sur quantités généralement accordé à l'occasion de la vente de telles marchandises en quantités égales ou sensiblement égales aux quantités vendues à l'importateur se trouvant au Canada. Chacune des ventes individuelles par Pronzati qui a composé l'ensemble de la vente de 1 204 paires de bâtons de ski a été faite en quantités relativement faibles. Cependant, les éléments de preuve indiquent que, sur certaines ventes en grande quantité faites à d'importants clients en Italie, Pronzati a effectivement offert un escompte sur quantités. Ces ventes n'ont pas été incluses dans l'analyse de rentabilité effectuée par l'intimé. La question se pose si ces escomptes étaient uniquement accordés sur les ventes de bâtons de ski de marque de distributeur, par opposition aux bâtons de ski du type qui a servi dans l'analyse de rentabilité effectuée par l'intimé. Cependant, le dossier montre qu'un des cinq modèles de bâtons de ski compris dans l'analyse de rentabilité de l'intimé a été vendu à des détaillants à un prix unitaire sensiblement plus élevé que celui qui a été demandé à un grand acheteur italien de ce même modèle de bâtons de ski.

L'appelant a acheté 50 000 paires de bâtons de ski à SPF. Selon le Tribunal, étant donné une telle quantité, combinée au fait que les éléments de preuve montrent que Pronzati accordait des escomptes sur quantités pour des ventes d'une telle ampleur, l'intimé aurait dû rectifier à la baisse le prix moyen pondéré des 1 204 paires de bâtons de ski pour tenir compte de l'escompte sur quantités.

ARTICLE 5 - DIFFÉRENCES QUALITATIVES

L'article 5 du Règlement prévoit que l'intimé doit rectifier le prix des marchandises similaires pour tenir compte de toute différence de qualité, de structure, de conception, etc., entre les marchandises similaires et les marchandises vendues pour exportation. Aux termes du sous-alinéa 11b)(iii) du Règlement, le terme « un montant pour les bénéfices » désigne un montant égal, lorsque d'autres producteurs se trouvant dans le pays d'exportation ont effectué un nombre de ventes de marchandises similaires, à la moyenne pondérée des bénéfices réalisés sur ces ventes. Ainsi qu'il a déjà été indiqué, le Tribunal est d'avis que l'intimé aurait dû examiner les ventes, faites sur le marché italien par Pronzati, de bâtons de ski qui étaient « similaires » aux bâtons de ski que SPF a exportés au Canada, et non de bâtons qui étaient « similaires » aux bâtons de ski que Pronzati exportait. Puisqu'il a choisi de comparer les marchandises similaires vendues par Pronzati en Italie à des marchandises que Pronzati exportait au Canada, il semblerait que l'intimé n'ait pas examiné la question de savoir s'il existait des différences qualitatives entre les marchandises similaires qui ont fait l'objet d'examen et les bâtons de ski que SPF a vendus à l'appelant et, le cas échéant, celle de savoir si le prix des marchandises similaires devait être rectifié en conséquence.

ARTICLE 6 - ESCOMPTES

L'article 6 du Règlement prévoit que, lorsqu'un rabais, un escompte différé ou un escompte au comptant est « généralement accordé » à l'occasion de la vente de marchandises similaires dans le pays d'exportation, le prix des marchandises similaires est rectifié par déduction du montant qui serait accordé au titre d'un tel rabais ou escompte si la vente des marchandises à l'importateur se trouvant au Canada avait lieu dans le pays d'exportation.

Les éléments de preuve montrent que Pronzati a offert certains escomptes du type visé à l'article 6 du Règlement relativement à la vente de bâtons de ski, mais qu'aucun de ses acheteurs n'a payé pour les marchandises d'une manière qui aurait permis à l'acheteur de se prévaloir desdits escomptes. De ce fait, selon le témoin de l'intimé, lorsqu'il a effectué l'analyse de rentabilité, l'intimé n'a pas rectifié le prix moyen pondéré des 1 204 paires de bâtons de ski pour tenir compte de tels escomptes.

L'article 6 du Règlement prévoit que, lorsqu'un escompte est généralement accordé, le prix des marchandises similaires est rectifié par déduction du montant qui serait accordé au titre d'un tel escompte si la vente des marchandises à l'importateur se trouvant au Canada avait lieu dans le pays d'exportation. Le Tribunal est d'avis qu'il est possible de soutenir l'argument selon lequel, même si aucun des clients de Pronzati ne s'est prévalu des escomptes qu'offrait cette dernière, l'intimé aurait dû, lorsqu'il a effectué l'analyse de rentabilité, rectifier le prix des marchandises similaires pour tenir compte desdits escomptes. À cet égard, le Tribunal fait observer que l'article 6 renvoie à la vente de marchandises au Canada qui auraient été admissibles à un escompte, et non à la question de savoir si les acheteurs sur le marché d'exportation se sont, effectivement, prévalus d'un tel escompte.

ARTICLE 7 - FRAIS DE LIVRAISON

L'article 7 du Règlement prévoit que, lorsque les marchandises similaires examinées aux fins de l'établissement d'un montant pour les bénéfices sont vendues à des prix incluant les frais de livraison, leur prix est rectifié par déduction de ces frais. Les éléments de preuve indiquent que Pronzati a vendu les 1 204 paires de bâtons de ski à des prix incluant les frais de livraison. Les marchandises vendues par SPF à l'appelant l'ont été à un prix « départ usine » de SPF. Autrement dit, l'appelant a payé pour le transport des bâtons de ski au Canada.

Cependant, lorsqu'il a effectué l'analyse de rentabilité, l'intimé n'a pas fait de déduction conformément à l'article 7 du Règlement. Le témoin de l'intimé a expliqué qu'il avait été tenu compte du coût du transport à une autre étape de l'analyse de rentabilité. Elle a indiqué que, aux fins du calcul des frais administratifs et de vente ainsi que des dépenses générales connexes à la vente par Pronzati de marchandises similaires, un montant avait été inclus pour le coût du transport. En incluant ce montant dans les frais administratifs et de vente et les dépenses générales, l'intimé a augmenté les dépenses pour tenir compte du transport jusqu'aux installations du client. Cette inclusion aurait eu pour résultat net de réduire les bénéfices touchés par Pronzati sur la vente des 1 204 paires de bâtons de ski. De l'avis du témoin, la rectification par déduction prévue à l'article 7 n'était donc pas nécessaire.

Le Tribunal apporte deux observations à ce sujet. Premièrement, l'intimé n'a pas examiné les comptes de Pronzati aux postes des frais administratifs et de vente ainsi que des dépenses générales, y compris le coût du transport, uniquement pour ce qui a trait à l'activité liée à la vente de bâtons de ski, mais plutôt relativement à l'ensemble de ses activités commerciales, incluant les patins à roues alignées, les bicyclettes et diverses autres marchandises. Le Tribunal doute fort qu'une telle estimation grossière aurait pu déterminer avec précision le montant pour le transport qui aurait dû être déduit en application de l'article 7 du Règlement. Le Tribunal est d'avis qu'une telle démarche n'est pas conforme aux exigences de l'article 7.

ARTICLE 9 - REMPLACEMENT DU NIVEAU DU CIRCUIT DE DISTRIBUTION

L'appelant a acheté 50 000 paires de bâtons de ski à SPF à titre de distributeur. Pronzati a vendu les 1 204 paires de bâtons de ski « similaires » à des détaillants. L'article 9 du Règlement prévoit une rectification du prix des marchandises similaires lorsque ces marchandises ont été vendues à un niveau du circuit de distribution autre que celui auquel les marchandises ont été vendues à l'acheteur se trouvant au Canada. Il semblerait que l'intimé n'ait pas procédé à une rectification selon le « niveau du circuit de distribution » lorsqu'il a effectué l'analyse de rentabilité.

CONCLUSION

Le Tribunal est d'avis que, lorsqu'il a établi un montant pour les bénéfices aux termes du sous-alinéa 11b)(iii) du Règlement, l'intimé a mal interprété et mal appliqué les dispositions du Règlement incluses par renvoi. Il s'est ensuivi que, relativement à certaines questions, l'intimé ne disposait pas de tous les renseignements nécessaires pour correctement mener à bien l'analyse de rentabilité. Relativement à d'autres questions, l'intimé disposait de l'information nécessaire, mais ne l'a pas appliqué correctement. À la lumière des erreurs susmentionnées et de la difficulté qu'il y aurait à revenir en arrière, aussi tardivement, pour tenter de réunir l'information nécessaire pour effectuer une analyse qui permettrait d'établir « un montant pour les bénéfices » en application du sous-alinéa 11b)(iii) du Règlement, le Tribunal ordonne à l'intimé de calculer les valeurs normales pour SPF aux termes du sous-alinéa 11b)(v) du Règlement.


[ Table des matières]

1. L.R.C. (1985), ch. S-15.

2. Au moment de leur importation, certains bâtons de ski en provenance d’Italie étaient visés par l’ordonnance rendue par le Tribunal canadien des importations le 23 décembre 1986, dans le cadre du réexamen no R-8-86, prorogeant les conclusions rendues par le Tribunal antidumping le 14 mai 1984, dans le cadre de l’enquête no ADT-5-84.

3. DORS/84-927, le 22 novembre 1984, Gazette du Canada Partie II, vol. 118, no 25 à la p. 4286.

4. Le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise c. Fletcher Leisure Group Inc., Cour d'appel fédérale, no du greffe A-320-93, le 28 octobre 1996.

5. Ibid. à la p. 3.

6. Pièce A-12.

7. Un exemple peut illustrer la manière dont les articles en question sont censés s'appliquer. Si un exportateur, pour qui un montant pour les bénéfices doit être établi en application du sous-alinéa 11b)(iii) du Règlement, a vendu 50 000 planches à neige à un acheteur au Canada et que les ventes d'une telle quantité de planches à neige similaires par l'exportateur sur son marché intérieur étaient de nature à mériter un escompte de 5 p. 100, mais que les ventes de marchandises similaires par l'exportateur sur son marché intérieur, dont l'intimé se sert pour établir les valeurs normales, n'étaient que de 1 000 planches à neige, le prix de vente sur le marché intérieur des marchandises similaires serait rectifié à la baisse de 5 p. 100 pour établir un montant pour les bénéfices.


Publication initiale : le 6 novembre 1997