SHERSON MARKETING CORPORATION

Décisions


SHERSON MARKETING CORPORATION
v.
LE SOUS-MINISTRE DU REVENU NATIONAL
Appel no AP-98-002

TABLE DES MATIÈRES

Ottawa, le jeudi 27 juillet 2000

Appel no AP-98-002

EU ÉGARD À un appel entendu les 23 et 24 février 2000 aux termes de l'article 67 de la Loi sur les douanes, L.R.C. 1985 (2e supp.), c. 1;

ET EU ÉGARD À des décisions rendues par le sous-ministre du Revenu national le 21 janvier 1998 concernant des demandes de réexamen aux termes de l'article 63 de la Loi sur les douanes.

ENTRE

SHERSON MARKETING CORPORATION Appelante

ET

LE SOUS-MINISTRE DU REVENU NATIONAL Intimé

DÉCISION DU TRIBUNAL

L'appel est admis.


Arthur B. Trudeau

Arthur B. Trudeau
Membre présidant

Richard Lafontaine

Richard Lafontaine
Membre

James A. Ogilvy

James A. Ogilvy
Membre


Michel P. Granger

Michel P. Granger
Secrétaire
 
 

RÉSUMÉ OFFICIEUX

Le présent appel est interjeté aux termes de l'article 67 de la Loi sur les douanes à l'égard de décisions rendues le 21 janvier 1998 par le sous-ministre du Revenu national (désormais le commissaire de l'Agence des douanes et du revenu du Canada) aux termes de l'article 63 de la Loi sur les douanes. Le présent appel porte sur la valeur en douane correcte de certaines chaussures importées par l'appelante sous la marque de commerce Guess. Plus précisément, la question en litige consiste à déterminer si les honoraires équivalant à 16 p. 100 du coût F.A.B., payés par l'appelante à Charles David of California, doivent être ajoutés au prix payé ou à payer pour les marchandises importées. L'appelante soutient que ces honoraires se composent d'une commission d'achat de 10 p. 100 et de redevances de 6 p. 100, ni l'un ni l'autre de ces montants n'étant sujet à des droits de douane. L'intimé a déterminé que les honoraires de 16 p. 100 sont sujets à des droits de douane.

DÉCISION : L'appel est admis. Le Tribunal conclut que les usines étaient les vendeuses des chaussures. Le Tribunal conclut que les honoraires équivalant à 16 p. 100 du coût F.A.B., payés par l'appelante à Charles David of California, se composent de redevances de 6 p. 100 et d'une commission de 10 p. 100. Le Tribunal conclut que l'obligation de payer les redevances ne figurait pas dans le contrat de vente passé entre la vendeuse et l'appelante. Étant donné l'absence d'autres éléments de preuve fondant la détermination de l'intimé que le paiement des redevances était une condition de la vente pour exportation des marchandises au Canada, le Tribunal conclut que les redevances ne sont pas sujettes à des droits de douane. Le Tribunal conclut que la commission est une commission d'achat authentique et, par conséquent, qu'elle n'est pas sujette à des droits de douane. Le Tribunal conclut que Charles David of California a exécuté les services d'un mandataire à l'achat et qu'il n'y avait pas d'élément de preuve que cette dernière a failli à sa responsabilité fiduciaire à l'égard de l'appelante.

Lieu de l'audience :

Ottawa (Ontario)

Dates de l'audience :

Les 23 et 24 février 2000

Date de la décision :

Le 27 juillet 2000

   

Membres du Tribunal :

Arthur B. Trudeau, membre présidant

 

Richard Lafontaine, membre

 

James A. Ogilvy, membre

   

Conseillers pour le Tribunal :

Tamra Alexander

 

Philippe Cellard

   

Greffier :

Anne Turcotte

   

Ont comparu :

Michael Kaylor, pour l'appelante

 

Patricia Johnston, pour l'intimé

 
 

MOTIFS DE LA DÉCISION

Le présent appel est interjeté aux termes de l'article 67 de la Loi sur les douanes 1 à l'égard de décisions rendues le 21 janvier 1998 par le sous-ministre du Revenu national (désormais le commissaire de l'Agence des douanes et du revenu du Canada) aux termes de l'article 63 de la Loi. Le présent appel porte sur la valeur en douane correcte de certaines chaussures importées par l'appelante sous la marque de commerce Guess. Plus précisément, la question en litige consiste à déterminer si les honoraires équivalant à 16 p. 100 du coût F.A.B., payés par l'appelante à Charles David of California (Charles David), doivent être ajoutés au prix payé ou à payer pour les marchandises importées aux termes du paragraphe 48(5) de la Loi. L'appelante soutient que ces honoraires se composent d'une commission de 10 p. 100 et de redevances de 6 p. 100, ni l'un ni l'autre de ces montants n'étant sujet à des droits de douane. L'intimé a déterminé que les honoraires de 16 p. 100 sont sujets à des droits de douane. Les dispositions pertinentes de la Loi indiquent ce qui suit :

47.(1) La valeur en douane des marchandises est déterminée d'après leur valeur transactionnelle dans les conditions prévues à l'article 48.

48.(1) [. . .] la valeur en douane des marchandises est leur valeur transactionnelle si elles sont vendues pour exportation au Canada, si le prix payé ou à payer est déterminable [. . .]

(5) Dans le cas d'une vente de marchandises pour exportation au Canada, le prix payé ou à payer est ajusté :

a) par addition, dans la mesure où ils n'y ont pas déjà été inclus, des montants représentant :

(i) les commissions et les frais de courtage relatifs aux marchandises et supportés par l'acheteur, à l'exclusion des honoraires versés ou à verser par celui-ci à son mandataire à l'étranger à l'occasion de la vente,

(iv) les redevances et les droits de licence relatifs aux marchandises, y compris les paiements afférents aux brevets d'invention, marques de commerce et droits d'auteur, que l'acheteur est tenu d'acquitter directement ou indirectement en tant que condition de la vente des marchandises pour exportation au Canada, à l'exclusion des frais afférents au droit de reproduction de ces marchandises au Canada2 .

PREUVE

Les éléments de preuve relatifs au présent appel et aux appels nos AP-98-097, AP-98-098 et AP-98-099 ont été entendus simultanément. Avant d'entendre les témoins dans le présent appel, le Tribunal a demandé aux conseillers des parties de confirmer que les éléments de preuve produits relativement à un appel peuvent, s'ils sont de nature générale, être invoqués et utilisés dans le cadre des autres appels.

MM. Stephen Applebaum, PDG de Sherson Marketing Corporation, Al Gervais, directeur des Opérations, Europe - Service de détail, Nine West Group Inc., et Eric H. Lakien, contrôleur et directeur des Opérations, Sherson Marketing Corporation, ont témoigné au nom de l'appelante. M. Applebaum occupe le poste de PDG depuis 1989. M. Gervais a été au service de l'appelante de 1994 à 1998. M. Lakien est au service de l'appelante depuis 1998. M. Applebaum a déclaré que l'appelante a été constituée en société en 1984 et que, durant la période pertinente, elle importait et distribuait des chaussures et quelques sacs à main. L'appelante distribuait ses marchandises à des détaillants à travers le Canada. M. Applebaum a déclaré que l'appelante importait des chaussures sous ses propres marques de commerce et sous d'autres marques de commerce afin de permettre une certaine diversification de ses activités.

M. Applebaum a témoigné que l'appelante a commencé à importer et à commercialiser les chaussures de marque Guess en 1990 ou 1991. L'appelante a d'abord importé des bottes western de marque Guess, puis a élargi la gamme de ses importations pour y inclure des sandales et des styles plus jeunes ainsi que des chaussures plus habillées. L'appelante a importé ces marchandises par l'intermédiaire de sa relation avec Charles David qui, selon le témoignage de M. Applebaum, était un importateur et distributeur de chaussures Guess aux États-Unis ainsi que titulaire d'une licence, accordée par Guess Inc., pour distribuer les chaussures de marque Guess en Amérique du Nord. M. Applebaum a témoigné que Charles David ne produit pas de chaussures. Il a déclaré que la relation entre l'appelante et Charles David a pris fin vers 1994 ou 1995.

M. Applebaum a témoigné que Charles David était le mandataire à l'achat de l'appelante pour les chaussures de marque Guess et que, en contrepartie, l'appelante payait à Charles David une commission équivalant à 10 p. 100 du coût F.A.B. M. Applebaum a déclaré que l'entente initiale était une entente à l'amiable, ce qui est courant dans l'industrie de la chaussure. M. Gervais a témoigné que l'entente avait été concrétisée par une entente de commission d'achat datée de novembre 1991. Cette dernière prévoit que, en 1993 et dans les années suivantes, l'appelante versera à Charles David des honoraires d'au moins 160 000 $ par année. M. Applebaum a témoigné que ces honoraires se rapportaient à un paiement minimum de redevances exigé par Guess Inc. et que l'appelante n'a jamais eu à effectuer de paiements fondés sur de tels honoraires minimums. M. Applebaum a témoigné que l'entente de commission d'achat était pour une durée indéterminée.

M. Applebaum a témoigné que Charles David exécutait les services suivants pour l'appelante : 1) mettre l'appelante en rapport avec les usines; 2) négocier les prix au nom de l'appelante; 3) traiter les commandes pour l'appelante; 4) exécuter le contrôle de la qualité; 5) organiser des réunions avec les propriétaires d'usine; 6) autoriser l'appelante à choisir des styles parmi ceux conçus et commercialisés par Charles David aux États-Unis sous la marque de commerce Guess. M. Applebaum a témoigné que l'appelante adoptait et importait au Canada de 25 à 75 p. 100 des styles conçus par Charles David, selon la saison. L'appelante modifiait les couleurs ou le style des chaussures en fonction du marché canadien. De temps à autre, l'appelante envoyait aussi des croquis de concepts à Charles David. M. Applebaum a aussi témoigné que l'appelante établissait la quantité à commander et le calendrier des expéditions et payait les usines directement.

M. Applebaum a reconnu que l'appelante s'est toujours procuré des chaussures de marque Guess par l'intermédiaire de Charles David et auprès des usines avec lesquelles Charles David faisait affaire. Cependant, il a ajouté que l'appelante aurait pu se procurer les chaussures directement ou auprès d'autres usines, mais qu'une telle façon de procéder n'était pas sensée d'un point de vue économique. M. Applebaum a témoigné que si l'appelante avait annulé une commande pour cause de livraison tardive, l'usine en aurait absorbé le coût.

M. Gervais a guidé le Tribunal dans l'examen de divers documents, y compris des bons de commande envoyés par l'appelante à Charles David, des factures types d'usine en provenance des usines à l'appelante, des lettres de crédit de la banque de l'appelante en faveur des usines, des factures de commissions adressées par Charles David à l'appelante ainsi que des chèques de l'appelante à Charles David correspondant aux montants facturés.

M. Applebaum a aussi témoigné que l'appelante payait à Charles David des redevances équivalant à 6 p. 100 du coût F.A.B. pour l'emploi de la marque de commerce Guess. Il a ajouté que le montant complet de 6 p. 100 était remis par Charles David à Guess Inc. M. Applebaum a témoigné que cette entente de licence était une entente à l'amiable, ce qui est courant dans l'industrie de la chaussure. M. Applebaum a ajouté qu'aucune condition ne liait l'appelante quant au lieu ou à l'usine que l'appelante choisissait pour obtenir les chaussures de marque Guess. M. Applebaum a déclaré que, si l'appelante s'était procuré des chaussures en provenance d'autres usines, Guess Inc. aurait disposé d'un certain droit d'approbation de la qualité. M. Applebaum a ajouté que Guess Inc. approuvait les croquis et les concepts fournis par l'appelante à Charles David. M. Applebaum a témoigné ne jamais avoir rencontré les « gens de chez Guess » [traduction].

M. Applebaum a témoigné qu'il n'y avait pas de lien de propriété entre Guess Inc., Charles David ou les usines qui fabriquent les chaussures de marque Guess. M. Applebaum a témoigné que Charles David ne pouvait pas empêcher les expéditions des usines dans le cas où l'appelante n'aurait pas payé les redevances et que l'ensemble des honoraires de 16 p. 100 étaient payés après que l'appelante avait reçu l'expédition pertinente.

Dans son témoignage concernant l'appel no AP-98-097, M. Lakien a témoigné que les usines achètent le cuir et les matériaux pour les chaussures et prennent les dispositions nécessaires à leur emballage. Dans son témoignage concernant l'appel no AP-98-098, M. Applebaum a témoigné que toutes les usines sont propriétaires de leurs propres formes, c'est-à-dire des pièces utilisées pour fabriquer les chaussures.

Au cours du contre-interrogatoire, M. Applebaum a été interrogé au sujet d'une lettre de Charles David à l'appelante, dans laquelle Charles David semblait ordonner à l'appelante de payer des redevances en fonction du coût de gros, et non du coût de revient de base (coût F.A.B.). M. Applebaum a déclaré que, malgré la lettre, l'appelante n'a jamais versé à Charles David un paiement quelconque fondé sur le coût de gros. M. Gervais a confirmé que, durant l'exercice de ses fonctions, les paiements ont toujours été fondés sur le coût de revient de base.

Le Tribunal a interrogé M. Applebaum au sujet de certaines factures de commissions, provenant de Charles David, qui indiquaient que le paiement devait être versé à « Guess Footwear ». M. Applebaum a déclaré que Guess Footwear est une division de Charles David et que Guess Footwear et Charles David ne sont pas liées à Guess Inc.

Le Tribunal a interrogé M. Gervais au sujet d'un élément de preuve documentaire, daté de 1995, qui a été présenté à l'appui de la déclaration de l'appelante selon laquelle les redevances de 6 p. 100 étaient versées par Charles David directement à Guess Inc. Plus particulièrement, le Tribunal a demandé s'il existait des éléments de preuve documentaire de cette nature relatifs à la période pertinente au présent appel. M. Gervais a indiqué que ce type de document n'était normalement pas produit et que la lettre en question avait été fournie par Charles David, à la demande de l'appelante, durant la vérification. Cependant, M. Gervais a témoigné que l'acheminement des paiements est demeuré le même de 1992 à 1994.

PLAIDOIRIE

L'appelante a soutenu que les usines étaient les vendeuses des chaussures de marque Guess. Elle a ajouté que les services exécutés par Charles David pour l'appelante étaient ceux d'un mandataire à l'achat authentique et que, par conséquent, la commission équivalant à 10 p. 100 du coût F.A.B., versée à Charles David, n'est pas sujette à des droits de douane. L'appelante a aussi semblé reconnaître qu'une certaine partie de cette commission pouvait être attribuée à des honoraires pour des travaux de conception. Enfin, l'appelante a soutenu que les honoraires équivalant à 6 p. 100 du coût F.A.B., versés par l'appelante à Charles David, sont des redevances et que, puisque Charles David ne peut pas empêcher l'importation des marchandises si ces redevances ne sont pas payées, lesdits honoraires ne sont pas sujets à des droits de douane.

L'appelante a soutenu que les éléments de preuve montrent que les usines étaient les vendeuses étant donné les faits suivants : 1) l'appelante versait le paiement directement aux usines; 2) les usines fournissaient les formes; 3) l'usine fournissait tous les matériaux nécessaires à la fabrication des chaussures. L'appelante a soutenu que les faits susmentionnés distinguent la présente espèce des décisions rendues dans les affaires Signature Plaza Sport c. Canada 3 et Mexx Canada c. S-MRN 4 . L'appelante a soutenu que l'affirmation de l'intimé, selon laquelle le propriétaire de la marque de commerce (Charles David, par l'entremise de Guess Inc.), du fait de ses droits afférents à la marque de commerce, était propriétaire des chaussures fabriquées par l'usine, est dénuée de fondement. L'appelante a soutenu que, si le Tribunal accepte que les vendeuses des marchandises étaient les usines, il doit ensuite déterminer si Charles David a agi en tant que mandataire à l'achat authentique de l'appelante.

L'appelante a soutenu que Charles David a exécuté les fonctions d'un mandataire à l'achat, y compris les fonctions suivantes : 1) mettre l'appelante en rapport avec les usines; 2) traiter des commandes pour l'appelante; 3) négocier les prix au nom de l'appelante; 4) surveiller la production. L'appelante a soutenu que, contrairement aux faits dans l'affaire Superfine Import c. S-MRN 5 , l'entente de licence entre l'appelante et Charles David ne donnait pas à cette dernière le contrôle de l'appelante. L'appelante a déclaré que les fonctions de Charles David n'allaient pas au-delà des fonctions d'un mandataire à l'achat authentique. Elle a ajouté que la capacité de Charles David de regrouper les commandes aux usines pour obtenir un meilleur prix allait à la fois dans le sens des intérêts de l'appelante et de ceux de Charles David et que Charles David n'était pas en situation de conflit d'intérêts.

L'intimé a soutenu que le Tribunal traite en l'espèce d'un seul montant (les honoraires équivalant à 16 p. 100 du coût F.A.B.) et que la division desdits honoraires a un caractère factice, étant donné que lesdits honoraires ont toujours été facturés comme un seul montant et que l'appelante a toujours traité les honoraires dans ses dossiers comme une seule somme. L'intimé a soutenu que Charles David est propriétaire des marchandises avant que l'appelante en acquière le titre de propriété, du fait des droits de Charles David en tant que propriétaire de la marque de commerce. Par conséquent, Charles David est la vendeuse des marchandises, et la totalité des honoraires de 16 p. 100 doivent être ajoutés au prix payé ou à payer.

Si le Tribunal devait conclure que Charles David n'est pas la vendeuse de marchandises, l'intimé a soutenu que la totalité des honoraires de 16 p. 100 sont une commission, mais non une commission d'achat authentique et sont donc, de ce fait, sujets à des droits de douane. L'intimé a soutenu qu'il n'y avait pas d'élément de preuve qu'un montant de 6 p. 100, sur l'ensemble des honoraires, était remis à Guess Inc. à titre de paiement de redevances. L'intimé a aussi soutenu que, puisqu'une entente de commission d'achat a été signée, il est illogique qu'il n'y ait pas d'entente de redevances. Par conséquent, l'intimé a soutenu qu'aucun paiement de redevances n'a été versé. Toutefois, si un paiement de redevances a été fait, l'intimé a soutenu qu'il a été fait en tant que condition de la vente des marchandises pour exportation au Canada et qu'il est sujet à des droits de douane.

Au sujet de la commission versée, l'intimé a soutenu que l'appelante ne contrôlait pas Charles David et que cette dernière était en situation de conflit d'intérêts; par conséquent, la commission n'a pas été versée à un mandataire à l'achat authentique. L'intimé a soutenu que, étant donné le contrôle exercé par Charles David sur l'appelante au moyen de la licence qu'elle détenait à l'égard de la marque de commerce et des plus forts volumes d'achat de Charles David, l'appelante n'exerçait pas un contrôle suffisant sur Charles David pour que cette dernière puisse être la mandataire de l'appelante. L'intimé a soutenu qu'il n'y avait pas d'élément de preuve que l'appelante ait déjà choisi ou pouvait choisir l'usine. L'intimé a soutenu que les seuls choix disponibles à l'appelante se rapportaient aux marchandises que Charles David commandait pour son propre compte.

L'intimé a en outre soutenu que, puisque Charles David était la propriétaire de la marque de commerce, effectuait la conception des marchandises en question et les importait et les distribuait pour son propre compte, Charles David était en situation de conflit d'intérêts et ne pouvait pas être une mandataire à l'achat authentique. L'intimé a aussi soutenu que les dispositions portant sur un paiement minimum incluses dans l'entente de commission d'achat démontrent que le paiement n'était pas versé à un mandataire, puisque les mandataires sont rémunérés relativement aux services rendus.

DÉCISION

La première question que le Tribunal doit trancher dans le présent appel se rapporte à l'identité de la vendeuse des chaussures. Le Tribunal est d'avis que les usines étaient les vendeuses des chaussures. La déclaration de l'intimé selon laquelle, du fait de ses droits afférents à la marque de commerce, Charles David était la propriétaire de fait et, donc, la vendeuse des chaussures, est dénuée de fondement. Comme le prévoit l'article 19 de la Loi sur les marques de commerce 6 , un propriétaire de marque de commerce a le droit exclusif à l'emploi de la marque de commerce. Le propriétaire de la marque de commerce n'est pas propriétaire des marchandises afférentes, uniquement du fait de ses droits à la marque de commerce7 .

Le Tribunal est d'avis que, contrairement aux circonstances dans les affaires Signature Plaza et Mexx, les usines ne faisaient pas que simplement exécuter un contrat de services. Les éléments de preuve dont dispose le Tribunal montrent que les usines fournissaient les formes et tous les matériaux nécessaires à la fabrication et l'emballage des chaussures. Le Tribunal est d'avis que les usines étaient propriétaires des chaussures jusqu'au moment où le titre de propriété en était cédé à l'appelante. Le Tribunal est donc d'avis que les usines étaient les vendeuses des chaussures.

Étant donné les conclusions qui précèdent, le Tribunal doit examiner la question de savoir si les honoraires équivalant à 16 p. 100 du coût F.A.B., versés par l'appelante à Charles David, en tout ou en partie, sont une commission sujette à des droits de douane. En premier lieu, le Tribunal conclut que les honoraires sont correctement répartis en une commission équivalant à 10 p. 100 du coût F.A.B. et des redevances équivalant à 6 p. 100 du coût F.A.B.. M. Applebaum a témoigné que la totalité des honoraires de 6 p. 100 était remise à Guess Inc. à titre de paiement de redevances. Bien que la seule pièce documentaire fournie à l'égard de ces honoraires se rapportait à des importations non visées par la période pertinente, M. Gervais a témoigné que l'acheminement des paiements est demeuré le même de 1992 à 1994. Le Tribunal est aussi d'avis que le témoignage des témoins, selon lequel les honoraires de 6 p. 100 étaient un paiement de redevances, est cohérent avec les attentes commerciales normales. Le prix payé par l'appelante aux usines n'inclut pas de majoration pour la valeur de la marque de commerce afférente aux marchandises, puisque les usines n'ont aucun intérêt (sous forme de licence ou autrement) dans la marque de commerce. Le Tribunal est d'avis qu'il ne serait pas réaliste de prétendre que l'appelante n'est pas tenue de payer un certain montant pour le droit d'employer la marque de commerce Guess, étant donné que cette marque de commerce a une valeur. Le Tribunal est donc d'avis que les honoraires équivalant à 6 p. 100 du coût F.A.B. représentent un paiement de redevances.

Aux termes du sous-alinéa 48(5)a)(i) de la Loi, le prix payé ou à payer, aux fins de l'appréciation de la valeur en douanes des marchandises est ajusté par addition des montants représentant les commissions et les frais de courtage relatifs aux marchandises et supportés par l'acheteur. L'exception à la règle générale susmentionnée est que les honoraires versés ou à verser par l'acheteur à un mandataire à l'étranger à l'occasion de la vente ne sont pas ajoutés au prix payé ou à payer. Les honoraires versés relativement à de tels services, appelés services de mandataire à l'achat, sont souvent appelés commissions d'achat. Pour déterminer si les honoraires équivalant à 10 p. 100 du coût F.A.B. représentent une commission sujette à des droits de douane ou une commission d'achat exemptée des droits de douane, le Tribunal doit déterminer si Charles David a agi à titre de mandataire à l'achat authentique. Pour arriver à une telle détermination, le Tribunal doit examiner la nature exacte des services rendus par Charles David8 .

Le Tribunal est d'avis que Charles David a rendu des services normalement attendus d'un mandataire à l'achat. Charles David a mis l'appelante en rapport avec les usines, négocié des prix au nom de l'appelante, traité les commandes pour l'appelante, effectué du contrôle de la qualité, organisé des réunions avec les propriétaires d'usines et offert à l'appelante une gamme de styles de chaussures à partir de laquelle cette dernière pouvait choisir. Le Tribunal est aussi d'avis que l'appelante dirigeait et contrôlait Charles David relativement à ces services de mandataire à l'achat. Le Tribunal fait observer que l'appelante établissait les quantités à commander et le calendrier des expéditions. M. Applebaum a témoigné que l'appelante modifiait les couleurs ou les styles des chaussures pour les adapter au marché canadien9 . L'appelante envoyait aussi, parfois, des croquis de concepts à Charles David. En outre, M. Applebaum a témoigné que l'appelante aurait pu se procurer les marchandises directement ou auprès d'usines avec lesquelles Charles David ne faisait pas affaire, bien qu'un tel choix n'aurait pas été un choix sensé du point de vue économique.

L'intimé allègue que la disposition portant sur les honoraires minimums dans l'entente de commission d'achat est une preuve que Charles David n'était pas un mandataire parce que les mandataires sont payés pour les services qu'ils rendent. Le Tribunal fait observer que la rémunération sous forme de paiement forfaitaire à intervalle fixe n'a pas empêché les tribunaux de conclure à l'existence d'une relation de mandant-mandataire10 . Le Tribunal est d'avis qu'un mandant et un mandataire peuvent déterminer, entre eux, la rémunération pertinente, qui peut comprendre un montant forfaitaire ou des versements variables. Le Tribunal fait observer que, durant la période visée, le montant payé pour la commission a toujours dépassé le montant minimum prévu des honoraires.

L'intimé allègue que, même si Charles David exécutait les services d'un mandataire à l'achat, elle ne pouvait pas être un mandataire à l'achat authentique parce qu'elle était en situation de conflit d'intérêts avec son mandant, l'appelante. L'intimé allègue que la situation de conflit d'intérêts découlait de la position de Charles David qui était titulaire de la marque de commerce ainsi que designer, importateur et distributeur des marchandises pour son propre compte aux États-Unis. Le Tribunal fait observer qu'il existe un principe de droit bien établi dans le domaine de la relation de mandant et de mandataire, selon lequel un mandataire a une responsabilité fiduciaire à l'égard de son mandant portant sur la divulgation complète de tout intérêt que le mandataire pourrait avoir, qui pourrait avoir une incidence sur l'exécution, par le mandataire, de sa responsabilité à l'égard du mandant. Après une telle divulgation complète, cependant, le mandant peut décider de retenir les services du mandataire pour agir en son nom. Une telle décision est laissée à l'entière discrétion du mandant11 . Le Tribunal est d'avis que les éléments de preuve montrent que l'appelante était parfaitement au courant que Charles David était titulaire de la marque de commerce et savait que Charles David concevait, importait et distribuait les marchandises pour son propre compte aux États-Unis. Sachant cela, l'appelante a accepté Charles David à titre de sa mandataire. L'intimé n'a pas allégué qu'une action non divulguée spécifique quelconque de Charles David a été contraire aux intérêts de l'appelante12 . Par conséquent, le Tribunal conclut, sans qu'il soit nécessaire de déterminer si la position de Charles David à titre de titulaire de la marque de commerce ainsi que de designer, importateur et distributeur des marchandises pour son propre compte aux États-Unis donne naissance à une situation de conflit d'intérêts avec l'appelante, qu'il y a eu divulgation complète à l'appelante et que, par conséquent, Charles David a satisfait à sa responsabilité fiduciaire.

Ayant déterminé que Charles David est un mandataire à l'achat authentique, le Tribunal doit aussi déterminer si Charles David exécute des fonctions, au-delà des fonctions propres à un mandataire à l'achat, pour lesquelles elle est rémunérée à même la commission équivalant à 10 p. 100 du coût F.A.B. Le paiement relatif à de telles fonctions ne serait pas exempté des droits de douane, puisqu'il ne serait pas un montant relatif aux fonctions d'un mandataire à l'achat. Dans sa plaidoirie, l'appelante a reconnu qu'elle retirait certains avantages des travaux de conception exécutés par Charles David pour son propre marché. Cependant, le Tribunal n'a pas entendu d'élément de preuve indiquant qu'une partie de la commission équivalant à 10 p. 100 du coût F.A.B. pourrait être attribuée à des travaux de conception sujets à des droits de douane, et l'intimé n'a jamais poursuivi ce raisonnement dans sa plaidoirie durant l'audience. Par conséquent, le Tribunal refuse de conclure qu'une partie de la commission doit être attribuée à des honoraires pour travaux de conception sujets à des droits de douane. Le Tribunal conclut que la commission équivalant à 10 p. 100 du coût F.A.B. est une commission d'achat authentique et n'est pas sujette à des droits de douane.

Le Tribunal doit maintenant déterminer si les redevances équivalant à 6 p. 100 du coût F.A.B. sont sujettes à des droits de douane. Aux termes du sous-alinéa 48(5)a)(iv) de la Loi, les redevances ne sont sujettes à des droits de douane que lorsqu'elles sont payées relativement aux marchandises en tant que condition de la vente des marchandises pour exportation au Canada. Dans Mattel Canada c. S-MRN 13 , la Cour d'appel fédérale a déclaré que le paiement des redevances est une condition de la vente des marchandises pour exportation :

[E]n premier lieu si c'est ce qui ressort du contrat de vente conclu entre le vendeur et l'importateur. En second lieu, il s'agit également d'une condition de la vente de ces marchandises pour exportation si le concédant de licence, parce qu'il est propriétaire du vendeur ou qu'il le contrôle, ou le vendeur, lorsqu'il détient les droits afférents aux marques de commerce ou aux droits d'auteur, peut empêcher l'importation des marchandises par l'acheteur ou compromettre sérieusement la capacité de l'acheteur d'acheter les marchandises pour exportation dans les cas où il n'a pas payé les redevances14 .

[Traduction]

L'intimé a soutenu que le paiement des redevances figurait dans le contrat de vente et était une condition de la vente. L'élément de preuve offert à l'appui de cette déclaration se trouvait dans une lettre adressée par Charles David à l'appelante le 2 juillet 1993, dans laquelle Charles David avise que « les titulaires de licence versent des redevances fondées sur le coût de gros, et non sur le coût de revient de base. Nous vous prions d'accepter nos taux de change tels qu'ils sont facturés; le défaut de ce faire peut avoir une incidence sur nos prochaines ventes à votre égard »15 [traduction]. Cependant, les éléments de preuve présentés par les témoins de l'appelante indiquent de façon soutenue que toutes les redevances ont été versées en fonction du coût F.A.B. et que cette lettre n'a jamais eu d'incidence. En outre, le Tribunal note qu'il a conclu que les vendeuses des marchandises étaient les usines, et non Charles David. Par conséquent, le Tribunal conclut que ladite lettre ne démontre pas que le paiement des redevances était un élément du contrat de vente entre les vendeuses et l'appelante.

L'intimé n'a pas présenté d'autres éléments de preuve à l'appui de sa position selon laquelle le paiement des redevances était une condition de la vente pour exportation des marchandises au Canada. Les éléments de preuve dont dispose le Tribunal indiquaient que Charles David n'était pas liée à l'une quelconque des vendeuses, et il n'y avait pas d'élément de preuve qui indiquait que Charles David contrôlait l'un quelconque des vendeuses. Par conséquent, le Tribunal conclut à l'absence de fondement pour déterminer que les redevances sont sujettes à des droits de douane.

En conclusion, le Tribunal conclut que les honoraires équivalant à 10 p. 100 du coût F.A.B., payés par l'appelante à Charles David, représentent une commission d'achat authentique et ne sont pas sujets à des droits de douane. Le Tribunal conclut aussi que les honoraires équivalant à 6 p. 100 du coût F.A.B., payés par l'appelante à Charles David, représentent des redevances qui ne sont pas sujettes à des droits de douane. Par conséquent, l'appel est admis.


1 . L.R.C. 1985 (2e supp.), c. 1 [ci-après Loi].

2 . Selon le libellé de la Loi au moment des importations pertinentes.

3 . (28 février 1994), A-453-90 (CFA) [ci-après Signature Plaza].

4 . (16 février 1995), AP-94-035, AP-94-042 et AP-94-165 (TCCE) [ci-après Mexx].

5 . (3 décembre 1996), AP-95-074 (TCCE) [ci-après Superfine].

6 . L.R.C. 1985, c. T-13.

7 . Le fait est démontré par le libellé du paragraphe 53.1(7) de la Loi sur les marques de commerce qui prévoit que, lorsqu'un tribunal conclut que l'importation des marchandises est, ou que la distribution serait, contraire à ladite loi, le tribunal peut rendre toute ordonnance qu'il juge indiquée, notamment quant à la destruction ou à la restitution des marchandises au demandeur [le propriétaire de la marque de commerce] en toute propriété. Une telle ordonnance ne serait pas nécessaire si le propriétaire de la marque de commerce était le propriétaire des marchandises afférentes.

8 . Radio Shack c. S-MRNDA (16 septembre 1993), AP-92-193 et AP-92-215 (TCCE).

9 . Un tel fait distingue la présente espèce de Superfine, où les couleurs et les modèles, ou la conception, étaient déterminés par le présumé mandataire à l'achat.

10 . Voir, par exemple, Kofi Sunkersette Obu c. A. Strauss & Co., [1951] A.C. 243.

11 . G.H.L. Fridman, The Law of Agency, 7e éd., Toronto, Butterworths, 1996 à la p. 175. Voir, aussi, Chaps-Ralph Lauren c. S-MRN (1er novembre 1995), AP-94-190 et AP-94-191 (TCCE).

12 . Ce fait distingue la présente espèce de Utex c. S-MRN (27 octobre 1999), AP-98-085 (TCCE), où il est ressorti que le mandant n'était pas au courant qu'il était prévu qu'un sous-mandataire du mandataire reçoive des commissions des usines.

13 . [1999] J.C.F. no 43 (QL) (CFA). Autorisation d'interjeter appel accordée le 16 mars 2000, 27174 (CSC).

14 . Ibid. au para. 26.

15 . Pièce B-4.


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Publication initiale : le 22 septembre 2000