WESTERN STAR TRUCKS INC.

Décisions


WESTERN STAR TRUCKS INC.
Dossier no : PR-2000-011

TABLE DES MATIÈRES


Ottawa, le lundi 11 septembre 2000

Dossier n: PR-2000-011

EU ÉGARD À une plainte déposée par Western Star Trucks Inc. aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. 1985 (4e supp.), c. 47;

ET EU ÉGARD À une décision d'enquêter sur la plainte aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur.

DÉCISION DU TRIBUNAL

Aux termes de l'article 30.14 de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur détermine que la plainte n'est pas fondée.




Zdenek Kvarda

Zdenek Kvarda
Membre présidant


Michel P. Granger

Michel P. Granger
Secrétaire
 
 

Date de la décision :

Le 11 septembre 2000

   

Membre du Tribunal :

Zdenek Kvarda, membre présidant

   

Agent d'enquête :

Paule Couët

   

Conseiller pour le Tribunal :

Marie-France Dagenais

   

Partie plaignante :

Western Star Trucks Inc.

   

Conseiller pour la partie plaignante :

Gordon LaFortune

   

Institution fédérale :

Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux

   

Conseiller pour l'institution fédérale :

David M. Attwater

 
 

EXPOSÉ DES MOTIFS

Le 12 juin 2000, Western Star Trucks Inc. (Western Star) a déposé une plainte auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur 1 concernant une demande d'offre à commandes (numéro d'invitation E60TB-7-TRUK/A) du ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (le Ministère) pour la fourniture et l'entretien courant de camions poids lourd de la classe 8, de diverses dimensions et configurations, dotés du matériel nécessaire à diverses utilisations, pour le ministère de la Défense nationale et d'autres ministères et organismes du gouvernement fédéral énumérés. L'offre à commandes serait valide jusqu'au 31 mars 2003, et assortie d'une option de renouvellement pour deux périodes supplémentaires de un an. La valeur estimative du besoin se situe entre 20 millions et 50 millions de dollars.

Western Star a allégué que, au cours de la procédure de passation du marché public, le Ministère, contrairement aux dispositions de l'alinéa 1008(2)b) de l'Accord de libre-échange nord-américain 2 , n'a pas donné à tous les fournisseurs le même accès aux renseignements. En outre, Western Star a allégué que la décision du Ministère de diviser le besoin en deux blocs de camions (à propulsion et à traction intégrale) a contrevenu aux dispositions du paragraphe 1007(2) de l'ALÉNA, de l'alinéa 504(3)b) et du paragraphe 506(6) de l'Accord sur le commerce intérieur 3 . Western Star a aussi allégué que la décision du Ministère de diviser le besoin en deux blocs de camions aux fins de soumission (soumission par bloc) et d'introduire un seuil monétaire de 10 000 $ pour absorber le coût d'émission et d'administration d'une deuxième offre à commandes (seuil monétaire) dans l'évaluation des propositions est contraire aux dispositions de l'alinéa 1008(1)a) de l'ALÉNA, de l'article VII:1 de l'Accord sur les marchés publics 4 et du paragraphe 506(6) de l'ACI.

Western Star a demandé, à titre de mesure corrective, que le Tribunal ordonne au Ministère de ne pas poursuivre cette procédure de passation de marché public jusqu'à ce qu'il renverse sa décision de diviser le besoin en deux blocs et reprenne sa stratégie d'acquisition initiale. Comme mesure de rechange, Western Star a demandé de recevoir une indemnité et le remboursement des frais qu'elle a engagés relativement à cette plainte.

Le 19 juin 2000, le Tribunal a avisé les parties qu'il avait décidé d'enquêter sur la plainte, puisque cette dernière répondait aux exigences du paragraphe 30.11(2) de la Loi sur le TCCE et aux conditions énoncées au paragraphe 7(1) du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics 5 . Le même jour, le Tribunal a rendu une ordonnance de report d'adjudication de tout contrat relatif à cette invitation à soumissionner jusqu'à ce que le Tribunal ait déterminé le bien-fondé de la plainte. Le 17 juillet 2000, le Ministère a déposé un rapport de l'institution fédérale (RIF) auprès du Tribunal en application de l'article 103 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur 6 . Le 27 juillet 2000, Western Star a déposé ses observations sur le RIF auprès du Tribunal.

Les renseignements au dossier permettant de déterminer le bien-fondé de la plainte, le Tribunal a décidé qu'une audience n'était pas nécessaire et a statué sur la plainte sur la foi des renseignements au dossier.

PROCÉDURE DE PASSATION DU MARCHÉ PUBLIC

Le 3 décembre 1999, un avis de projet de marché (APM) et une demande d'offre à commandes (DOC) relatifs à ce besoin ont été diffusés par l'entremise du Service électronique d'appel d'offres canadien (MERX).

La DOC initiale visait sept configurations différentes de véhicules, y compris à la fois les camions à propulsion et ceux à traction intégrale. Au moyen de la modification no 2 de la DOC datée du 19 janvier 2000, une huitième configuration de véhicules a été ajoutée à l'invitation à soumissionner. La DOC initiale prévoyait qu'une seule offre à commandes principale et nationale (OCPN) serait émise à la suite de cette invitation à soumissionner et que, par conséquent, il était obligatoire que les soumissionnaires présentent une offre pour la fourniture et l'entretien courant de toutes les configurations de véhicules.

La clause 8 de la DOC, intitulée « Demande de renseignements » [traduction], indique que « toutes les demandes de renseignements et autres communications avec les représentants du gouvernement durant la totalité de la période d'invitation à soumissionner doivent être UNIQUEMENT adressées à l'autorité contractante désignée nommément à la page 1 de l'invitation à soumissionner » [traduction].

La clause 10 de la DOC, intitulée « Réunion de soumissionnaires » [traduction], prévoit, notamment, ce qui suit : « Les soumissionnaires sont avisés par la présente que tous les éclaircissements ou changements pouvant résulter de la réunion de soumissionnaires seront inclus à titre de modification du document d'appel d'offres » [traduction].

Selon le RIF, le Ministère, par suite d'entretiens avec des fournisseurs potentiels à la réunion de soumissionnaires tenue le 17 décembre 1999, à laquelle Western Star a assisté, et de communications subséquentes reçues de fournisseurs potentiels, a conclu que l'obligation de soumissionner pour la fourniture et l'entretien courant de toutes les configurations de véhicules limitait, d'une façon déraisonnable, la capacité des fournisseurs de participer à ce marché public.

Par conséquent, le 10 avril 2000, le Ministère a publié la modification no 6 de la DOC. La pièce jointe no 1 de la modification prévoit, notamment, ce qui suit :

Aux fins d'évaluation, les camions offerts seront répartis selon les deux BLOCS suivants :
- BLOC « 1 » - CONFIGURATIONS « A », « C », « D », « F » et « G »;
- BLOC « 2 » - CONFIGURATIONS « B », « E », et « E1 ».
3. ADJUDICATION DES OFFRES À COMMANDES :
Si la combinaison des PSÉ [prix soumissionnés évalués] les plus bas pour les camions du BLOC « 1 » et du BLOC « 2 » est inférieure de plus de 10 000 $ à la valeur combinée la plus basse (société unique) des PSÉ pour les deux BLOCS, deux offres à commandes seront alors adjugées, aux deux sociétés ayant soumis le PSÉ le plus bas pour chacun des blocs; sinon, une offre à commandes sera adjugée à la société unique présentant la valeur combinée la plus basse des PSÉ pour les deux BLOCS. Les unités connexes du POINT « B » seront incluses dans l'adjudication ou les adjudications. L'offre à commandes, ou les offres à commandes, sera (seront) du type FOURNISSEUR PRINCIPAL de camions (voir la définition à la CLAUSE 18 de la DOC). Le montant de 10 000 $ représente les coûts estimatifs pour le gouvernement de l'émission et du maintien d'offres à commandes distinctes, et du soutien afférent à différentes marques de camions.
L'offre à commandes, ou les offres à commandes, pour le ou les FOURNISSEUR(S) SECONDAIRE(S) sera (seront) adjugée(s) à la société ou aux sociétés ayant la valeur la plus basse parmi les autres (n'ayant pas fait l'objet d'adjudication) ayant soumis les PSÉ les plus bas pour les camions du BLOC « 1 » et du BLOC « 2 ».

[Traduction]

Le 17 mai 2000, Western Star a écrit au Ministère pour exprimer ses inquiétudes face aux changements apportés à la DOC, plus précisément aux changements apportés par suite de la modification no 6. Le 29 mai 2000, le Ministère a répondu à Western Star, notamment, comme suit :

L'un des buts de la tenue de consultations auprès de l'industrie et de l'accueil de l'apport des fournisseurs potentiels avant et durant la période d'invitation à soumissionner est de nous donner l'occasion d'améliorer l'invitation à soumissionner. Nous le faisons de façon à atteindre divers objectifs, comme celui de faire en sorte d'assurer un traitement juste et équitable des soumissionnaires, d'obtenir un régime concurrentiel raisonnable et d'obtenir la meilleure valeur pour le compte de nos clients et des contribuables.
Dans le cours du déroulement de cette invitation à soumissionner, nous avons déterminé que, si nous maintenions la position selon laquelle les soumissionnaires ne pouvaient soumissionner que sur la liste complète des véhicules, nous limiterions, de façon déraisonnable, la concurrence potentielle.

[Traduction]

Le 31 mai 2000, Western Star a écrit au Ministère, s'objectant à la manière dont le Ministère avait exécuté les consultations durant cette invitation à soumissionner. Le 12 juin 2000, le Ministère a répondu, notamment, comme suit :

J'ai examiné votre lettre et aimerais souligner que le processus de consultation dont il est fait mention dans ma lettre du 29 mai n'est pas du type où TPSGC aurait communiqué avec des fournisseurs ou en aurait choisis. Il a résulté de la réunion de soumissionnaires et des communications subséquentes reçues des fournisseurs potentiels, y compris Western Star.

[Traduction]

La modification no 8 de la DOC, datée du 30 mai 2000, ajoutait deux configurations de véhicules à la DOC et prorogeait la période de réception des propositions jusqu'au 8 août 2000.

POSITION DES PARTIES

Position du Ministère

Le Ministère a soutenu que la clause 8 de la DOC a avisé les soumissionnaires qu'ils devaient adresser leurs demandes de renseignements à l'autorité contractante désignée nommément. Une telle pratique, selon le Ministère, est essentielle pour permettre aux fournisseurs potentiels de participer pleinement et efficacement à une procédure de passation d'un marché public. Elle permet aussi au Ministère de réagir aux problèmes éprouvés par des fournisseurs potentiels. Le Ministère a fait valoir que le besoin de répondre à toute demande raisonnable de renseignements pertinents est reconnu à l'alinéa 1013(2)b) de l'ALÉNA.

Le Ministère a aussi soutenu qu'une autorité contractante doit faire en sorte que les biens et services dont l'acquisition est visée soient effectivement acquis, que la procédure soit ouverte, juste et concurrentielle et qu'elle soit réalisée d'une manière susceptible d'obtenir une valeur juste pour le Canada.

En outre, le Ministère a soutenu que, contrairement à l'allégation de Western Star selon laquelle l'exclusion de cette dernière des consultations susmentionnées contrevient à l'alinéa 1008(2)b) de l'ALÉNA, il a agi lors de ces communications en conformité avec la DOC et avec les accords commerciaux. Dans un tel contexte, le Ministère a soutenu que le terme « renseignements » mentionné à l'alinéa 1008(2)b) de l'ALÉNA n'englobe pas la teneur de toutes les conversations qu'une autorité contractante peut avoir avec les soumissionnaires et que ni la DOC ni les accords commerciaux n'obligent à consulter les soumissionnaires, ou à demander l'avis, les observations ou la permission des soumissionnaires avant de modifier la DOC.

Le Ministère a soutenu qu'une restructuration de l'invitation à soumissionner pour permettre aux soumissionnaires de présenter une offre pour les véhicules à traction intégrale ou les véhicules à propulsion, ou les deux, ne constitue pas une modification d'une spécification technique et que Western Star ne peut donc pas, d'une manière raisonnable, alléguer que, ce faisant, le Ministère a contrevenu aux dispositions du paragraphe 1007(2) de l'ALÉNA ou de l'alinéa 504(3)b) et du paragraphe 506(6) de l'ACI.

Le Ministère a en outre soutenu qu'en permettant la soumission par bloc, il n'a pas biaisé la procédure de passation du marché public pour ou contre des produits ou services donnés ou des fournisseurs de tels produits ou services. Plus simplement, le Ministère a affirmé que la soumission par bloc doit faciliter l'accès à la procédure de marché public et créer un cadre de concurrence conforme à l'objet de l'ACI, tel que le décrit l'article 501. Selon le Ministère, la véritable plainte de Western Star, est qu'elle fera face à une concurrence accrue par suite de l'établissement de deux blocs de véhicules faisant l'objet de soumission. Le Ministère a aussi soutenu que l'établissement de deux blocs de véhicules faisant l'objet de soumission ne contrevient pas au paragraphe 506(6) de l'ACI, puisqu'une telle action n'a pas rapport à l'évaluation des offres, mais plutôt à la façon dont le marché public est structuré, et a ajouté que Western Star n'a pas produit d'élément de preuve qui montrerait que les changements introduits par la modification n6 de la DOC étaient de nature discriminatoire.

Relativement à l'allégation de Western Star, selon laquelle le seuil monétaire est une mesure discriminatoire contre Western Star en faveur des soumissionnaires qui pourraient présenter une offre qui vise uniquement un des deux blocs de véhicules, le Ministère a soutenu que cette allégation est dénuée de fondement. Parce que Western Star a l'intention de soumissionner sur tous les véhicules à titre de société unique, le Ministère a affirmé que la disposition ne peut être préjudiciable à sa proposition. En outre, le Ministère a soutenu que le raisonnement de Western Star manque de cohérence, puisque cette dernière a avancé dans sa plainte que si le seuil monétaire était sensiblement plus élevé, il ne serait alors pas préjudiciable à ses intérêts. De toute façon, selon le Ministère, ni la DOC ni les accords commerciaux n'obligent à redresser les critères d'évaluation énoncés dans la DOC pour refléter les coûts supplémentaires de l'administration d'une deuxième offre à commandes. En outre, le Ministère a soutenu qu'il est le mieux en mesure de déterminer l'ampleur de tels coûts supplémentaires, et non Western Star. Finalement, le Ministère a fait observer que ce n'est pas parce que le montant du seuil monétaire a censément été incorrectement estimé que ce critère d'évaluation n'a pas été clairement énoncé dans la DOC telle que modifiée.

Le Ministère a demandé le remboursement des frais qu'il a engagés relativement à la plainte et, subsidiairement, a réservé le droit de présenter d'autres exposés relatifs à l'adjudication de frais dans la présente affaire.

Position de Western Star

Western Star a soutenu que le Ministère n'a pas présenté d'élément de preuve dans le RIF réfutant ceux qu'elle a présentés dans sa plainte et que le Ministère n'a pas présenté de défense crédible en réponse aux arguments qu'elle a présentés. Le Ministère n'a pas produit d'élément de preuve dans le RIF pour montrer que sa décision de modifier la DOC afin d'y intégrer la soumission par bloc n'a pas été prise pour favoriser certains fournisseurs potentiels au détriment de Western Star. De plus, Western Star a nié toute affirmation du Ministère selon laquelle Western Star a déposé cette plainte pour empêcher l'accroissement de la concurrence. Western Star a de plus nié toute affirmation du Ministère selon laquelle la DOC se serait soldée par un soumissionnaire unique, si la modification n6 n'avait pas été publiée. En vérité, Western Star a soutenu qu'elle évolue dans une industrie vigoureuse et qu'elle est quotidiennement confrontée à la concurrence des autres fournisseurs. Selon Western Star, d'autres fournisseurs potentiels étaient pleinement capables de répondre à la DOC telle qu'elle avait initialement été rédigée.

Plus précisément, Western Star a soutenu que la question en litige devant le Tribunal ne porte pas sur la procédure de réponse aux demandes de renseignements sur la DOC. Plutôt, la question en litige porte sur la décision du Ministère d'apporter des changements fondamentaux à la DOC à la suite de consultations tenues avec certains fournisseurs, mais non Western Star. Western Star a ajouté que la tentative du Ministère de justifier ses consultations auprès de deux fournisseurs non désignés nommément, en s'appuyant sur l'existence d'un certain lien avec la réunion de soumissionnaires, doit échouer. De toute façon, selon Western Star, les consultations ont manifestement comporté un échange de renseignements qui n'ont pas été partagés de façon égale par tous les fournisseurs potentiels. Cela, selon Western Star, contrevient à l'alinéa 1008(2)b) de l'ALÉNA. Western Star a soutenu que le fait que les fournisseurs potentiels puissent avoir amorcé les consultations ne modifie en rien l'obligation d'ouvrir aux fournisseurs potentiels le même accès aux renseignements. En outre, Western Star a soutenu que, contrairement à l'affirmation du Ministère, l'alinéa 1008(2)b) de l'ALÉNA ne décrit pas les renseignements dont le même accès doit être ouvert à tous les fournisseurs et ne les limite pas aux « renseignements pertinents », comme le prévoit l'alinéa 1013(2)b) de l'ALÉNA. De toute façon, selon Western Star, les renseignements échangés durant ces consultations étaient pertinents, puisqu'ils ont éventuellement entraîné l'apport de modifications importantes à la DOC. Western Star a soutenu que les modifications de la DOC équivalent à la publication d'un avis ou d'un document d'appel d'offres et que le Ministère, dans le RIF, n'a soumis aucun argument pour contrer l'allégation de Western Star à cet égard.

En ce qui a trait à la question des spécifications techniques restrictives, Western Star a soutenu que, parce que la division du besoin en deux blocs, selon le type de transmission des camions requis, a été faite pour répondre aux besoins particuliers de deux fournisseurs non désignés nommément, cette action équivaut à la création d'une spécification restrictive destinée à favoriser les fournisseurs de produits donnés et à appliquer une mesure discriminatoire au détriment des fournisseurs d'autres produits. Une telle démarche, selon Western Star, contrevient aux paragraphes 504(3) et 506(6) de l'ACI.

De plus, Western Star a soutenu que la décision de diviser les camions en deux blocs, censément pour accroître la concurrence, est manifestement fausse. Si l'intention était d'accroître les conditions de concurrence, les questions pertinentes qu'il convient de se poser, selon Western Star, sont celles de savoir pourquoi le Ministère n'a pas décidé d'ouvrir complètement l'appel d'offres en acceptant des offres distinctes sur chaque camion ou pourquoi le Ministère n'a pas décidé de permettre à tous les fournisseurs potentiels de structurer leurs propres documents de soumission de façon à décrire les camions qu'ils fourniraient.

Western Star a convenu que l'accroissement de la concurrence ne donne pas lieu, en soi, à un préjugé ou à un avantage en faveur de nouveaux soumissionnaires. Cependant, elle a soutenu que tel n'est pas le cas en l'espèce. La décision du Ministère de permettre les offres visant des blocs distincts de camions n'a pas été faite de façon indépendante pour ouvrir le marché public à un nombre de fournisseurs inconnus. Elle a été faite par le Ministère après des consultations avec certains fournisseurs potentiels donnés, dans l'intention de les favoriser.

En ce qui a trait au seuil monétaire, Western Star a soutenu qu'il est discriminatoire, parce que les fournisseurs potentiels qui présentent une offre pour un bloc de camions bénéficient du fait de ne pas avoir à absorber tous les coûts supplémentaires pour le gouvernement qui découlent de l'acceptation de leur offre, tandis que Western Star, qui présente une offre pour tous les camions, est contrainte d'absorber tous ces coûts dans son offre. En outre, Western Star a soutenu que le critère relatif au seuil monétaire n'est pas clairement énoncé dans la DOC parce qu'il ne reflète pas convenablement les coûts raisonnables pour le gouvernement liés à l'émission d'une deuxième offre à commandes et à son maintien durant cinq ans.

DÉCISION DU TRIBUNAL

Aux termes de l'article 30.14 de la Loi sur le TCCE, le Tribunal doit, lorsqu'il a décidé d'enquêter, limiter son étude à l'objet de la plainte. En outre, à la fin de l'enquête, le Tribunal doit déterminer la validité de la plainte en fonction des critères et procédures établis par règlement pour le contrat spécifique. De plus, l'article 11 du Règlement prévoit, notamment, que le Tribunal doit déterminer si le marché public a été passé conformément aux dispositions des accords commerciaux applicables.

Le paragraphe 506(6) de l'ACI exige que les documents d'appel d'offres indiquent clairement les critères qui seront appliqués dans l'évaluation des soumissions. Western Star a soutenu que le critère relatif au seuil monétaire dans la modification n6 de la DOC n'a pas été clairement indiqué, et que le montant dudit seuil a censément été sous-évalué.

Le Tribunal conclut que ce motif de plainte a été déposé après le délai de 10 jours ouvrables prévu à l'article 6 du Règlement et que, pour cette raison, il est tardif. Par conséquent, le Tribunal ne traitera pas du bien-fondé de ce motif. La modification n6 de la DOC a été diffusée le 10 avril 2000. Le Tribunal est d'avis que la modification indiquait clairement qu'un seuil monétaire était introduit à titre de facteur d'évaluation et que le quantum du facteur était de 10 000 $. Selon le Tribunal, Western Star a découvert ou aurait vraisemblablement dû découvrir si le critère ou son montant était fautif, ou pas, au moment, ou à peu près, de la publication de la modification. Cependant, Western Star a uniquement soulevé cette question dans sa plainte du 12 juin 2000, soit après le délai de 10 jours ouvrables prescrit pour présenter une opposition ou déposer une plainte.

L'alinéa 1008(2)b) de l'ALÉNA exige que les entités « ouvrent à tous les fournisseurs le même accès aux renseignements concernant un marché, au cours de la période précédant la publication de tout avis ou de toute documentation relative à l'appel d'offres ».

L'alinéa 1013(2)b) de l'ALÉNA exige que, lorsqu'une entité communique de la documentation relative à un appel d'offres aux fournisseurs, l'entité doit « répondre dans les moindres délais à toute demande raisonnable de renseignements pertinents concernant l'appel d'offres qui sera faite par un fournisseur participant, à condition que ces renseignements ne donnent pas à ce fournisseur un avantage sur ses concurrents dans la procédure d'adjudication ».

Western Star a soutenu que, en tenant des « consultations » avec deux fournisseurs potentiels non désignés nommément en son absence et, après celles-ci, en modifiant la DOC pour permettre la soumission par bloc, le Ministère a contrevenu aux dispositions de l'alinéa 1008(2)b) de l'ALÉNA. Le Tribunal conclut que l'allégation susmentionnée est dénuée de fondement. Le Tribunal fait observer que l'alinéa 1008(2)b) exige que les entités donnent à tous les fournisseurs le même accès aux renseignements au cours de la période précédant la publication de tout avis ou de toute documentation relative à l'appel d'offres. Le Tribunal est d'avis que Western Star n'a pas produit d'élément de preuve qui montre que les « consultations » présumées entre le Ministère et les deux fournisseurs potentiels non désignés nommément ont eu lieu au cours de « la période précédant la publication de tout avis ou de toute documentation relative à l'appel d'offres ».

Le Tribunal est convaincu que les fournisseurs ont présenté des observations à l'occasion de la réunion de soumissionnaires, ces observations ayant subséquemment mené à la publication de la modification no 6 de la DOC. Le Ministère a indiqué que ces observations ont été présentées après la publication de l'APM et de la DOC. Selon le Tribunal, le dossier ne contient pas d'élément de preuve du contraire. De telles observations sont passablement courantes, et la DOC prévoyait expressément de telles communications à la clause 8, « Demandes de renseignements », et à la clause 10, « Réunion de soumissionnaires ».

Western Star a soutenu que la méthode appliquée pour répondre aux demandes de renseignements sur la DOC n'est pas en litige, mais que la manière dont le Ministère a exécuté la procédure, par exemple en tenant Western Star à l'écart des présumés « consultations », est en litige. Dans ce cas encore, selon le Tribunal, Western Star n'a pas produit quelque élément de preuve que ce soit pour montrer que le Ministère a incorrectement entrepris des discussions avec des fournisseurs non désignés nommément pour les favoriser ou pour appliquer une mesure discriminatoire au détriment de Western Star. Le Tribunal interprète les faits de l'affaire de la manière suivante. Après la publication de l'APM et de la DOC, des fournisseurs potentiels, à la réunion de soumissionnaires et subséquemment avant la clôture des soumissions, ont fait des représentations auprès du Ministère pour qu'il restructure la méthode de soumission de façon à accroître la participation des fournisseurs. Le Ministère, après avoir examiné les représentations susmentionnées, a conclu qu'il pouvait permettre une plus grande concurrence et a décidé de modifier la DOC pour permettre la soumission par bloc. Le Tribunal ne trouve rien à redire à une telle manière de procéder. Le Ministère n'est pas tenu de consulter les fournisseurs potentiels lorsqu'il examine les suggestions que lui présentent des soumissionnaires dans le but d'apporter des améliorations et, par voie de cause à effet, lorsqu'il apporte des changements aux documents d'appel d'offres. Bien sûr, ce faisant, le Ministère est tenu en tout temps de respecter les dispositions des accords commerciaux applicables, y compris le droit de fournisseurs potentiels de contester, dans les délais prescrits, les changements ainsi apportés.

L'alinéa 504(3)b) de l'ACI interdit « la rédaction des spécifications techniques[7] de façon soit à favoriser ou à défavoriser des produits ou services donnés [...] soit à favoriser ou à défavoriser des fournisseurs de tels produits ou services, en vue de se soustraire aux obligations prévues par le présent chapitre ». De même, le paragraphe 506(6) interdit l'application de critères d'évaluation incompatibles avec l'article 504, « Non-discrimination réciproque », aux fins de l'évaluation des offres.

Western Star a allégué que, parce que la soumission par bloc est fondée sur le type de transmission des camions (à propulsion ou à traction intégrale), elle constitue une spécification technique rédigée de façon soit à favoriser ou à défavoriser au sens de l'alinéa 504(3)b) de l'ACI et enfreint ledit alinéa et, par voie de cause à effet, le paragraphe 506(6). Le Tribunal conclut que la soumission par bloc introduite au moyen de la modification n6 de la DOC n'est pas une spécification technique. Le fait qu'elle soit fondée sur le type de transmission des camions, une caractéristique technique, ne fait pas de la structure de la soumission une spécification technique. Selon le Tribunal, la structure de soumission est uniquement cela, une structure, et non un « produit » ou un service. Étant donné que la soumission par bloc n'est ni un « produit » ni un service ni un procédé connexe de ceux-ci, le Tribunal conclut qu'elle n'est pas une spécification technique et que, par conséquent, les dispositions de l'alinéa 504(3)b) ne s'appliquent pas en l'espèce.

Western Star a allégué que, parce que la structure de soumission a été modifiée pour servir les intérêts spécifiques de deux fournisseurs potentiels non désignés nommément et parce que le seuil monétaire associé à la soumission par bloc a été tenu arbitrairement bas par le Ministère, dans ce cas encore pour tenir compte des mêmes fournisseurs potentiels, le Ministère, lorsqu'il a passé ce marché public, n'a pas respecté les exigences de l'alinéa 1008(1)a) de l'ALÉNA et de l'article VII(1) de l'AMP. L'alinéa 1008(1)a) de l'ALÉNA exige que chacune des Parties fasse en sorte que les procédures de passation des marchés suivies par ses entités soient « appliquées de façon non discriminatoire ». L'article VII(1) de l'AMP prévoit la même chose.

Le Tribunal conclut que l'allégation susmentionnée est dénuée de fondement. Les faits de l'affaire sur ce point sont clairs et non contestés. Par suite de représentations présentées par des fournisseurs potentiels après l'ouverture de la procédure de passation du marché public, le Ministère, au moyen de la modification no 6 de la DOC, a autorisé la soumission par bloc, sous réserve de l'application d'un seuil monétaire. Le litige entre les parties porte sur l'intention qui a sous-tendu la modification susmentionnée. Western Star a allégué que le Ministère voulait favoriser deux fournisseurs potentiels non désignés nommément, à son détriment. Pour sa part, le Ministère a affirmé que son objectif lorsqu'il a apporté le changement, a été d'accroître l'accès des fournisseurs, tout en veillant aux besoins de ses clients et en faisant en sorte d'obtenir la meilleure valeur pour le Canada.

Selon le Tribunal, l'introduction de la soumission par bloc, sous réserve de l'application d'un seuil monétaire, n'a pas causé de préjudice à Western Star ni favorisé un autre soumissionnaire quelconque. Par exemple, Western Star était libre de présenter une soumission distincte sur des blocs de camions ou sur tous les camions, étant assujettie, ce faisant, aux mêmes modalités et conditions applicables à n'importe quel autre fournisseur potentiel.

De plus, selon le Tribunal, Western Star n'a pas produit d'élément de preuve qui montre que le Ministère n'a pas, d'une façon raisonnable, reflété le coût de l'émission et de l'administration d'une deuxième offre à commandes, en l'occurrence, en établissant le seuil monétaire visant la soumission par bloc. Western Star a soutenu que l'industrie dans laquelle elle évolue est une industrie compétitive et qu'il existait d'autres soumissionnaires capables de soumissionner pour le besoin de camions selon sa structure initiale et que, par conséquent, il n'était pas nécessaire de permettre à davantage de fournisseurs potentiels de soumissionner ce marché public. Le Tribunal n'a aucune raison de mettre en doute une telle affirmation. Cependant, le Tribunal ne comprend pas pourquoi, dans de telles circonstances, le Ministère serait empêché d'ouvrir l'accès concurrentiel à encore davantage de fournisseurs potentiels, en respectant le besoin du client et les saines pratiques d'acquisition et d'administration des marchés. Le Tribunal n'est au fait d'aucune disposition réglementaire contenue dans les accords commerciaux dont l'objet soit d'éviter une concurrence plus grande ou excessive. De plus, le Tribunal est convaincu, à la lumière des éléments de preuve au dossier, que les changements apportés à la structure de soumission n'étaient ni dirigés contre Western Star ni introduits dans le but de favoriser des fournisseurs potentiels donnés. Le Tribunal est convaincu que le Ministère a introduit ces changements pour assouplir une structure de soumission jugée inutilement restrictive en l'espèce.

Le Ministère a demandé, dans le RIF, l'occasion de présenter d'autres exposés relatifs à l'adjudication de frais dans la présente affaire. Le Tribunal a décidé que les circonstances de l'affaire ne justifient pas le paiement de frais par Western Star. Bien qu'elle ne soit pas valide, la plainte de cette dernière n'était pas sans fondement8 . Par conséquent, il n'est pas nécessaire de présenter des exposés à ce sujet et il n'y aura pas de frais d'accordés.

DÉCISION DU TRIBUNAL

À la lumière de ce qui précède, le Tribunal détermine que le marché public a été passé conformément aux dispositions des accords commerciaux applicables et que, par conséquent, la plainte n'est pas fondée.

1 . L.R.C. 1985 (4e supp.), c. 47 [ci-après Loi sur le TCCE].

2 . 32 I.L.M. 289 (entré en vigueur le 1er janvier 1994) [ci-après ALÉNA].

3 . Signé à Ottawa (Ontario) le 18 juillet 1994 [ci-après ACI].

4 . 15 avril 1994, en ligne : Organisation mondiale du commerce <http://www.wto.org/french/docs_f/legal_f/final_f.htm> [ci-après AMP].

5 . D.O.R.S./93-602 [ci-après Règlement].

6 . D.O.R.S./91-499.

7 . L'article 518 de l'ACI définit la spécification technique comme étant un « [d]ocument qui énonce soit les caractéristiques des produits ou les procédés et méthodes de production connexes de ceux-ci, soit les caractéristiques des services ou les méthodes d'exécution connexes de ceux-ci, y compris les dispositions administratives qui s'y appliquent. Il peut également traiter, pour tout ou partie, de terminologie, de symboles, de prescriptions en matière d'emballage, de marquage ou d'étiquetage, pour un produit, un procédé ou une méthode de production ou d'exécution donné ».

8 . Flolite Industries, Addendum (7 août 1998), PR-97-045 (TCCE).


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Publication initiale : le 11 octobre 2000