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Décisions


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Dossiers nos : PR-98-012 et PR-98-014

TABLE DES MATIÈRES


Ottawa, le lundi 26 octobre 1998

Dossiers nos : PR-98-012 et PR-98-014

EU ÉGARD À deux plaintes déposées par la société Corel Corporation aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.), modifiée;

ET EU ÉGARD À des décisions d’enquêter sur les plaintes aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur.

DÉCISION DU TRIBUNAL

Aux termes de l’article 30.14 de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur (la Loi sur le TCCE), le Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) détermine que la plainte dans le dossier no PR-98-012 est fondée parce que l’invitation no 46577-7-1709/A n’a pas été passée en conformité avec l’article 1008 (Procédures de passation des marchés) de l’Accord de libre-échange nord américain (ALÉNA), l’article VII (Procédures de passation des marchés) de l’Accord sur les marchés publics (l’AMP) et l’article 501 (Objet) de l’Accord sur le commerce intérieur (l’ACI). Le Tribunal détermine également que la plainte dans le dossier no PR-98-014 est fondée parce que l’invitation no 46577-7-1709/A n’a pas été passée en conformité avec l’article 1013 (Documentation relative à l’appel d’offres) de l’ALÉNA, l’article XII (Documentation relative à l’appel d’offres) de l’AMP et l’article 506 (Procédures de passation des marchés publics) de l’ACI.

Aux termes des paragraphes 30.15(2) et (3) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal recommande, à titre de mesure corrective, que le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (le Ministère) lance une nouvelle invitation pour le marché public en question. La nouvelle invitation à soumissionner doit respecter les dispositions de l’ALÉNA, de l’AMP et de l’ACI. Plus spécifiquement, dans les circonstances particulières de ce marché public, le Tribunal recommande que, pour l’adjudication du nouveau marché, le Ministère considère réduire davantage l’incidence des coûts de conversion lors de l’évaluation des propositions et ce, afin d’essayer d’établir une procédure vraiment concurrentielle.

À titre de seconde solution, si le Ministère décide de ne pas lancer une nouvelle invitation, le Tribunal recommande que le Ministère lui soumette une proposition d’indemnisation, mise au point en collaboration avec la société Corel Corporation (Corel), qui reconnaisse l’occasion perdue par Corel lorsqu’elle n’a pu présenter une soumission recevable dans le cadre du marché en question et le fait qu’elle aurait pu se voir adjuger le marché. De plus, la proposition d’indemnisation doit examiner la question de savoir si d’autres indemnités devraient être versées aux termes des alinéas 30.15(3)a), b) et c) de la Loi sur le TCCE. Cette proposition doit être soumise au Tribunal dans les 30 jours suivant la réception des motifs du Tribunal.

Aux termes des paragraphes 30.15(4) et 30.16(1) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal accorde à Corel le remboursement des frais raisonnables qu’elle a engagés pour préparer une réponse à l’invitation et pour le dépôt et le traitement de ses plaintes.

Pierre Gosselin
_________________________
Pierre Gosselin
Membre


Michel P. Granger
_________________________
Michel P. Granger
Secrétaire


Les motifs de la décision du Tribunal seront publiés à une date ultérieure.






Date de la décision : Le 26 octobre 1998

Membre du Tribunal : Pierre Gosselin

Gestionnaire de l’enquête : Randolph W. Heggart

Avocats pour le Tribunal : Hugh J. Cheetham
Gilles B. Legault

Plaignant : Corel Corporation

Avocat pour le plaignant : Ronald D. Lunau

Intervenant : Microsoft Corporation

Avocats pour l’intervenant : Michael K. Eisen
Milos Barutciski
Dany H. Assaf

Institution fédérale : Ministère des Travaux publics et
des Services gouvernementaux

Ottawa, le vendredi 6 novembre 1998

Dossiers nos : PR-98-012 et PR-98-014

EU ÉGARD À deux plaintes déposées par la société Corel Corporation aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.), modifiée;

ET EU ÉGARD À des décisions d’enquêter sur les plaintes aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur.

EXPOSÉ DES MOTIFS

INTRODUCTION

Le 12 juin 1998, la société Corel Corporation (Corel) a déposé une plainte (dossier no PR-98-012) auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur [1] (la Loi sur le TCCE) à l’égard du marché public (numéro d’invitation 46577-7-1709/A) passé par le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (le Ministère) portant sur une licence d’entreprise [2] pour l’utilisation d’une suite intégrée de bureautique (suite de bureautique) [3] . La suite de bureautique choisie devait satisfaire les exigences liées à la conformité à l’an 2000 [4] (conformité A2K) et devenir la norme en matière de suite de bureautique au ministère du Revenu national [5] (Revenu Canada) durant les huit années suivantes. Le besoin incluait aussi l’installation, le soutien du produit, la formation, la conversion des documents, des macros et des applications lorsqu’elle s’avérerait nécessaire, et la gestion de projets.

Corel a allégué que la structure d’évaluation liée à la demande de propositions (la DDP) favorisait en particulier l’adjudicataire, la société Microsoft Corporation (Microsoft). Corel a de plus soutenu que le marché public avait été tenu d’une façon discriminatoire à ses dépens et aux dépens de l’intégrité du système canadien de passation des marchés publics. Plus précisément, Corel a allégué que, contrairement aux dispositions des paragraphes VII(1) et XII(2) de l’Accord relatif aux marchés publics [6] (l’AMP), de l’alinéa 1008(1)a) et du paragraphe 1013(1) de l’Accord de libre-échange nord-américain [7] (l’ALÉNA) et de l’article 501 et des alinéas 504(3)b) et 504(3)g) de l’Accord sur le commerce intérieur [8] (l’ACI) (ci-après collectivement appelés les accords commerciaux), le Ministère a : 1) regroupé l’achat de licences et des besoins d’intégration et de formation en une seule DDP, ce que Revenu Canada n’a pas fait lors de l’acquisition antérieure d’environ 25 000 licences de suite de bureautique Microsoft dans le cadre d’offres à commandes [9] ; 2) imposé à certains soumissionnaires des conditions relatives à la formation, à l’intégration et à la conversion (ci-après collectivement appelées coûts de conversion) [10] qui n’avaient pas été imposées à Microsoft, même si lesdits coûts, très substantiels, n’avaient pas été auparavant imputés à Microsoft et avaient plutôt été assumés par Revenu Canada; 3) imposé une condition de cautionnement de soumission qui semble s’appliquer à Corel et ne pas s’appliquer à Microsoft; 4) imposé une méthode de sélection et d’évaluation qui a) ne répond pas à l’objectif du gouvernement d’établir un accès égal aux marchés publics; b) n’est pas impartiale tant au niveau de sa conception que de son application; c) contrevient aux politiques et règlements du gouvernement en matière de marchés publics; d) n’est pas conforme aux accords commerciaux internationaux et nationaux du Canada; e) semble avoir été conçue pour garantir la ratification de la décision prise par Revenu Canada en 1996 d’adopter, dans le cadre de l’attribution sans concurrence de contrats à fournisseur unique, la suite de bureautique Microsoft comme norme ministérielle.

Quant aux mesures correctives, Corel a demandé : 1) que l’énoncé des conditions et la méthode de sélection et d’évaluation de la DDP soient modifiés pour veiller à ce que la DDP satisfasse les besoins de Revenu Canada, tout en étant conformes aux obligations nationales et internationales du Canada en matière de marchés publics; 2) que la DDP soit divisée pour que la prestation des services d’intégration et de formation fasse l’objet d’une DDP distincte; 3) que la DDP inclue une disposition ayant pour effet de faire ajouter à toute soumission fondée sur les produits Microsoft tous les coûts d’acquisition de licences d’utilisation de la suite de bureautique Microsoft associés au projet RC7 [11] ; 4) que la condition obligatoire no 63.1 [12] soit retirée de la DDP, puisque l’intégration avec le logiciel de SAP [13] a déjà été suffisamment prévue dans la DDP dans deux conditions à cotation numérique; 5) que le Tribunal ordonne immédiatement de différer la date de clôture de la DDP jusqu’à 40 jours après sa décision sur le bien-fondé de la plainte; 6) que le Tribunal lui accorde le remboursement des frais qu’elle a engagés pour préparer sa plainte.

Le 17 juin 1998, le Tribunal a déterminé que les conditions d’enquête précisées à l’article 7 du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics [14] (le Règlement) avaient été remplies relativement à la plainte et, en conformité avec l’article 30.13 de la Loi sur le TCCE, a décidé d’enquêter sur l’affaire. Le 18 juin 1998, le Tribunal a ordonné de différer l’adjudication de tout contrat lié au marché public en question jusqu’à ce qu’il se soit prononcé sur le bien-fondé de la plainte. Le 29 juin 1998, le Ministère a certifié que le marché public visé par le contrat spécifique était urgent et que retarder l’adjudication du marché serait préjudiciable à l’intérêt public. En application du paragraphe 30.13(4) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal a, le 2 juillet 1998, annulé l’ordonnance de report d’adjudication qu’il avait rendue. Le 10 juillet 1998, le Tribunal a informé Microsoft qu’elle était autorisée à intervenir dans le dossier no PR-98-012.

Le 14 juillet 1998, Corel a déposé une deuxième plainte (dossier no PR-98-014) relativement à l’invitation à soumissionner en question. Corel a allégué que, contrairement aux dispositions des accords commerciaux, le Ministère a, depuis le 12 juin 1998, soit la date de dépôt de la première plainte de Corel, persisté dans son refus de fournir une information suffisante et pertinente qui permettrait à Corel de préparer une soumission recevable et a, d’une façon déraisonnable, refusé de prolonger le délai de présentation des soumissions de façon à accorder suffisamment de temps au gouvernement pour fournir l’information requise et à Corel pour préparer une soumission. En plus de réitérer la demande qu’elle avait présentée dans sa première plainte visant à ce que l’invitation soit rouverte et la DDP révisée, Corel a demandé, à titre de seconde solution, que le Tribunal lui accorde une indemnisation qui reconnaisse l’occasion qu’elle a perdue lorsqu’elle n’a pu présenter une soumission dans le cadre du marché public en cause et le fait qu’elle aurait pu en tirer des profits et a demandé le remboursement des frais qu’elle a engagés.

Le 17 juillet 1998, le Tribunal a donné avis aux parties que le Tribunal avait décidé d’enquêter sur la deuxième plainte déposée par Corel et qu’il avait l’intention de la traiter en même temps que la première. Le Tribunal a demandé que le rapport de l’institution fédérale (le RIF) réponde aux deux plaintes susmentionnées. Le 21 juillet 1998, le Tribunal a avisé Microsoft qu’elle était autorisée à intervenir dans le dossier no PR-98-014. Le 11 août 1998, le Ministère a déposé auprès du Tribunal un RIF, relativement aux deux plaintes en question, en application de l’article 103 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur [15] (les Règles). Le 26 août 1998, Corel et Microsoft ont déposé auprès du Tribunal leurs observations sur le RIF. Le 8 septembre 1998, le Tribunal a autorisé le Ministère à répondre aux nouveaux points soulevés dans les observations de Corel sur le RIF. De même, le Tribunal a demandé au Ministère de fournir d’autres renseignements sur les autres licences ou versions améliorées de produits Microsoft acquises par Revenu Canada après le 28 août 1997 et sur la valeur du marché avec effet rétroactif lié à ces dernières acquisitions. Le 11 septembre 1998, le Ministère a répondu à la demande du Tribunal en déposant d’autres exposés. Le 21 septembre 1998, Corel a déposé auprès du Tribunal ses observations en réponse. Microsoft a avisé le Tribunal qu’elle appuyait la réponse du Ministère aux observations de Corel sur le RIF.

Les renseignements au dossier permettant de déterminer le bien-fondé des plaintes, le Tribunal a décidé qu’une audience n’était pas nécessaire et a statué sur les plaintes à partir des renseignements au dossier. Le Tribunal a rendu sa décision le 26 octobre 1998.

CONTEXTE ET PROCÉDURE DE PASSATION DU MARCHÉ PUBLIC

La DDP relative au besoin en question a été transmise le 15 mai 1998 au Service électronique d’appel d’offres canadien (le MERX). Pour mieux comprendre le contexte des présentes plaintes, le Tribunal décrira d’abord comment Revenu Canada est arrivé à son fonds actuel de bureautique [16] .

Au cours de la période 1991-1992, Revenu Canada, Douanes et Accise (RC-DA) a décidé de passer de l’application de logiciels de micro-informatique fonctionnant sous DOS à des applications fonctionnant sous Windows et d’adopter une norme ministérielle. RC-DA a procédé à une évaluation technique interne de tous les logiciels fonctionnant sous Windows relativement au traitement de textes, de feuilles de calcul, de présentations et de base de données et a choisi Microsoft comme norme ministérielle de bureautique. En mars 1992, RC-DA a demandé au Ministère d’acheter 4 367 licences d’utilisation de logiciels de bureautique Microsoft, et le Ministère a publié un préavis d’adjudication de contrat [17] à cet égard. Les principaux concurrents de Microsoft à ce moment-là, Lotus Development Corporation (Lotus) et WordPerfect Corporation (WordPerfect), étaient au fait de l’évaluation de RC-DA. Lotus a soumis une proposition non sollicitée pour répondre au besoin, sa proposition incluant une combinaison de produits Lotus et WordPerfect. Son offre a été rejetée pour des raisons techniques. Un contrat portant sur 4 744 licences d’utilisation de logiciels de bureautique a finalement été adjugé à Microsoft. Plus tard, en 1992, un autre contrat portant sur 1 400 licences d’utilisation de suites de bureautique Microsoft a été adjugé. À ce moment, RC-DA détenait environ 7 144 licences de cette nature pour couvrir son fonds de 11 000 micro-ordinateurs [18] .

Également en 1992, Revenu Canada, Impôt (RCI) a procédé à une évaluation technique interne des produits de bureautique fonctionnant sous Windows qui étaient disponibles à l’époque, son évaluation débouchant sur le choix de deux produits Lotus (Ami Pro et Freelance) et deux produits Microsoft (Excel et MS-Mail).

En septembre 1992, RC-DA et RCI ont fusionné une seule entité. En novembre 1992, il a été décidé que la suite de bureautique Microsoft Office deviendrait la norme ministérielle. Durant l’exercice 1993-1994, Revenu Canada a acquis 10 106 autres licences de suite de bureautique Microsoft à l’aide d’une offre à commandes principale et nationale [19] (OCPN). En février 1995, le Ministère a adjugé à Microsoft une OCPN qui incluait des dispositions relatives à des acquisitions de licences à fort volume pour client important (entente sélective). L’entente sélective prévoyait de plus bas prix pour les achats en grandes quantités et un cadre d’acquisition de licences moins onéreux. Durant l’exercice 1995-1996, Revenu Canada a appliqué cette méthode d’achat pour accroître le nombre de licences d’utilisation de suite de bureautique Microsoft, et en porter le nombre jusqu’à 22 436, ce qui représentait environ 80 p. 100 de son fonds. Les licences de suite de bureautique susmentionnées ont servi à la création de centaine de milliers d’outils de travail (p. ex., des documents, des feuilles de calcul, des présentations et des bases de données). Beaucoup de ces outils de travail servent encore aujourd’hui.

En septembre 1996, la direction de Revenu Canada a approuvé le projet RC7, qui visait la mise en place d’une infrastructure de serveurs et d’ordinateurs personnels à conformité A2K dans tous les bureaux ministériels au Canada. Le projet comportait la modernisation ou le remplacement de pratiquement tout le matériel et les logiciels acquis par Revenu Canada durant la dernière décennie. La stratégie d’acquisition liée au projet RC7 a été fondée sur le recours aux méthodes d’acquisition établies. Dans le cas des logiciels de bureautique, Revenu Canada avait prévu recourir à des commandes passées dans le cadre de l’OCPN accordée à Microsoft. En mars 1997, Revenu Canada a commencé à remplacer les logiciels n’ayant pas la conformité A2K par des versions améliorées ayant recours à l’entente sélective incluse dans l’OCPN accordée à Microsoft.

Le 28 août 1997, le Ministère et le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada (le SCT) ont avisé les ministères des changements qu’ils apportaient relativement aux OCPN pour les LDC et les applications informatiques. Les changements en question reflétaient l’évolution des circonstances et la volonté du SCT et du Ministère de revenir à l’objet initialement prévu de l’offre à commandes en tant que méthode d’acquisition, c’est-à-dire répondre aux besoins locaux en petites quantités [20] . Par conséquent, la nouvelle directive a limité le pouvoir des ministères d’acheter des logiciels directement de fournisseurs à 10 licences ou à une licence visant 10 personnes jusqu’à concurrence de 40 000 $ par commande.

Bien que le Ministère et le SCT aient limité, à compter du 28 août 1997, le pouvoir délégué d’acheter des logiciels au moyen de commandes dans le cadre de l’offre à commandes, Revenu Canada a continué comme prévu la mise en place du projet RC7. Selon le Ministère, cette mesure était motivée par les répercussions que tout retard auraient sur la capacité de Revenu Canada d’atteindre la conformité A2K, y compris la possibilité que les équipes de mise en place, qui avaient été organisées et formées durant plus de six mois, passeraient à d’autres projets, soit au sein de Revenu Canada, soit ailleurs. De septembre 1997 au 22 mai 1998, soit la date de la diffusion de la DDP par l’intermédiaire du MERX, Revenu Canada a installé et subséquemment acheté de façon rétroactive 16 468 nouvelles versions de suites de bureautique Microsoft en se servant de l’OCPN accordée à Microsoft.

Dans un tel contexte, en avril 1998, il a été décidé d’ouvrir à la concurrence le besoin de Revenu Canada en termes de suites de bureautique, malgré l’urgence d’atteindre la conformité A2K. La nécessité de tenir compte des investissements déjà effectués par Revenu Canada, en termes de formation du personnel, de développement de formules et d’applications logicielles, etc., représentait un élément obligatoire important du processus. Étant donné l’urgence associée au besoin et la volonté de donner aux soumissionnaires l’occasion de participer en régime de concurrence et le plus de temps possible pour exécuter le travail, une version préliminaire de la DDP a été distribuée aux soumissionnaires potentiels le 23 avril 1998.

Le 24 avril 1998, Revenu Canada, le Ministère ainsi que Corel, Lotus et Microsoft (les trois fournisseurs de suites de bureautique) se sont rencontrés pour étudier la version préliminaire de la DDP. Le 28 avril 1998, Corel a soumis sa réponse initiale au document. En résumé, Corel a indiqué qu’il était à son avis déraisonnable de demander la compatibilité avec le logiciel de SAP en tant que condition à cotation numérique de la DDP et a exprimé son inquiétude du fait que les critères d’évaluation comprendraient les coûts de conversion. Le 30 avril 1998, le Ministère a télécopié une version mise à jour de l’appendice A de la version préliminaire de la DDP intitulé « Énoncé des besoins », aux trois fournisseurs, leur demandant de faire connaître leurs observations. Le 1er mai 1998, Corel a répondu et a réitéré sa préoccupation au sujet des coûts de conversion, y compris les coûts de formation. Du 4 au 15 mai 1998, le Ministère a mis au point la version finale de la DDP. Les préoccupations exprimées quant aux exigences visant à la conversion ont mené à l’embauche de la société Science Applications International Corporation (la SAIC) à qui a été confié le mandat de réaliser une étude détaillée de l’étendue des travaux de conversion des fichiers (le rapport SAIC). Le 22 mai 1998, la DDP a été diffusée par l’intermédiaire du MERX. Le Ministère a reconnu que l’information nécessaire pour répondre à la DDP n’était pas toute disponible au moment de la diffusion [21] . Il était prévu de diffuser les renseignements supplémentaires au fur et à mesure qu’ils deviendraient disponibles. La DDP a été modifiée à cinq reprises par la suite.

La DDP comprenait les dispositions suivantes :

1) la note en page 5 de la DDP donnait avis qu’une réunion des soumissionnaires se tiendrait le ou vers le 3 juin 1998, et que des visites des installations devaient avoir lieu les ou vers les 9, 10 et 11 juin 1998. Les visites des installations devaient permettre aux soumissionnaires de visiter (examiner) les procédures et les lieux de certification de Revenu Canada et de faire l’expérience du processus de certification en procédant à un échantillon d’installation et une série de tâches menant à la certification;

2) l’« Énoncé des besoins », à l’appendice A de la DDP, indiquait, à la rubrique CONDITION no 7 (obligatoire) que la suite de bureautique proposée devait être disponible dans le commerce [22] à la date limite de présentation des soumissions en tant qu’ensemble intégré de composants. La CONDITION no 73, à cotation numérique, indiquait que la suite de bureautique proposée devrait être certifiée par SAP comme étant compatible avec le logiciel de cette dernière;

3) l’article 1 de la section 2.1.1 de l’appendice B de la DDP, « Méthode de sélection et d’évaluation », indiquait que, aux fins de l’évaluation des soumissions, la valeur des licences et des nouvelles versions de la suite de bureautique Microsoft du projet RC7 déployées entre août 1997 et la date de diffusion de la DDP serait ajoutée à toute soumission incluant un logiciel de bureautique Microsoft;

4) l’article 3 de la section 2.1.1 de l’appendice B de la DDP demandait aux soumissionnaires de présenter un prix global ferme pour la conversion des fichiers modèles et des applications contenant des scripts, macros, formules et interfaces de la suite de bureautique en place à une suite de bureautique de rechange, et l’article 4 de la section 2.1.1 demandait aux soumissionnaires de présenter un prix de lot ferme pour la transition et la conversion des fonctions de bureautique et des secteurs d’activités en place à une suite de bureautique de rechange.

Le 26 mai 1998, Corel a soumis sa première liste de questions. Elle a notamment soulevé la question du retard lié à l’obtention de la documentation sur la configuration. Corel a indiqué que, étant donné ce retard, elle pourrait avoir besoin d’un report de la date limite de présentation des soumissions. Corel a aussi fait savoir qu’il lui était impossible de présenter un prix global ferme pour la conversion à moins d’obtenir davantage de renseignements détaillés.

Le 29 mai 1998, le Ministère a diffusé la modification no 1 à la DDP. La modification a fourni à Corel des renseignements sur le processus d’approbation de Revenu Canada visant la plate-forme d’environnement informatique déployée et sur la préparation d’applications pour l’environnement RC7, y compris de l’information sur les applications spécifiques aux secteurs d’activités qui sont installées sur les plates-formes d’environnement informatique déployées de Revenu Canada. La modification était accompagnée d’un disque compact contenant des renseignements sur la configuration. Toute cette information était pertinente aux visites prévues des installations. La modification faisait notamment état d’une nouvelle façon d’aborder la condition portant sur l’interfonctionnalité de la suite de bureautique avec le système administratif intégré basé sur le logiciel de SAP. Selon le Ministère, puisque les suites de bureautique ne contenaient aucun des produits logiciels certifiés par SAP, la condition à cotation numérique portant sur la certification de SAP avait été éliminée et une nouvelle condition obligatoire (CONDITION no 63.1) avait été ajoutée. La modification a indiqué que la condition avait été rendue obligatoire étant donné l’importante incidence que cette fonction aurait pour 9 000 employés de Revenu Canada.

Le 1er juin 1998, Corel a soumis une deuxième liste de questions portant, notamment, sur la raison d’être de la garantie financière du marché, les pénalités relatives à l’exécution et la nouvelle condition de la compatibilité avec le logiciel de SAP. Le 2 juin 1998, le Ministère a donné avis aux soumissionnaires, par télécopieur, que la réunion des soumissionnaires prévue pour le 3 juin 1998 était annulée étant donné que l’information finale sur la façon de traiter des travaux de conversion n’était pas disponible. L’information concernant les conditions liées à la conversion qu’il avait été prévu de diffuser à la réunion des soumissionnaires a été mise à la disposition de tous les soumissionnaires par l’intermédiaire des modifications nos 1 (le 29 mai 1998), 2 (le 3 juin 1998) et 3 (le 18 juin 1998) à la DDP.

Le 2 juin 1998, le Ministère a demandé à Corel de reformuler ses préoccupations sur les coûts de conversion sous forme de questions auxquelles il serait possible de fournir une réponse applicable à tous les soumissionnaires.

Le 3 juin 1998, Corel a soumis une troisième liste de questions sur l’inclusion, dans la DDP, des coûts de formation, de distribution, de transition et de conversions de fichiers. Elle a aussi demandé que le coût des licences, de la formation, de la distribution, de la transition et de la conversion des fichiers engagés par Revenu Canada avant août 1997 soient ajoutés à toute soumission basée sur la suite de bureautique Microsoft. Le même jour, le Ministère a diffusé la modification no 2 à la DDP, qui incluait de l’information sur les services de formation. Les soumissionnaires éventuels ont aussi été informés que d’autres renseignements détaillés sur les conditions liées à la conversion seraient fournis dans les plus brefs délais possibles.

Le 4 juin 1998, Corel a soumis une quatrième liste de questions. Elle a demandé d’obtenir des renseignements détaillés sur la visite projetée à Revenu Canada, ainsi que d’autres renseignements sur le projet RC7. Le 8 juin 1998, le Ministère a écrit à Corel au sujet de la visite des installations, alors prévue pour le 12 juin 1998. Le 9 juin 1998, dans une lettre au Ministère, Corel a demandé d’autres renseignements sur la visite des installations. Corel a fait observer que, étant donné que ses ressources techniques se trouvaient à Orem (Utah), il lui serait difficile de décider qui devrait participer à la visite avant d’obtenir les autres renseignements demandés. Le 10 juin 1998, le Ministère a communiqué d’autres renseignements sur la visite des installations. Le même jour, Corel a informé le Ministère qu’elle ne pouvait faire les arrangements nécessaires pour que le personnel pertinent participe à la visite du site.

Le 12 juin 1998, Corel a déposé une plainte (dossier no PR-98-012) auprès du Tribunal.

Ainsi qu’il a déjà été indiqué, le 18 juin 1998, le Ministère a diffusé la modification no 3 à la DDP. La modification comprenait une copie de la stratégie de mise en place de la plate-forme RC7, le rapport SAIC que Revenu Canada avait reçu le 3 juin 1998 ainsi qu’une analyse du rapport effectué par Revenu Canada et datée du 5 juin 1998. La modification indiquait que le nombre de fichiers considérés comme étant d’une importance fonctionnelle critique avait été réduit et que le nombre d’applications commerciales nécessitant la conversion était précisé. La modification a aussi informé les soumissionnaires de deux décisions importantes :

1) relativement aux coûts de formation et de conversion des fichiers, que le gouvernement avait décidé que ces coûts seraient évalués à 50 p. 100 du prix proposé;

2) que la condition portant sur la présentation d’un prix global ferme pour les coûts de conversion des fichiers avait été modifiée pour porter sur la présentation d’un prix unitaire ferme par type de dossiers à convertir et que le nombre de dossiers de chaque type à convertir avait été réduit pour ne correspondre qu’aux dossiers considérés comme étant essentiels [23] . Quant à la question de Corel sur les efforts nécessaires pour réaliser la conversion, la modification indiquait que seuls les entrepreneurs pouvaient évaluer la quantité d’efforts requis, puisqu’il dépendait du niveau de compétence des personnes et des outils dont disposait l’entrepreneur.

Le 24 juin 1998, Corel a soumis une autre liste de questions portant sur l’analyse qu’avait faite Revenu Canada du rapport SAIC. Corel a fait observer que le rapport SAIC ne donnait aucun renseignement qui permette aux soumissionnaires d’évaluer le nombre réel de journées-personnes d’effort nécessaire pour répondre aux besoins de conversion. Elle a demandé que le gouvernement envisage d’autres méthodes pour traiter des besoins de conversion, par exemple l’utilisation d’offres à commande en place pour la conformité A2K, la publication d’une DDP distincte pour des services de conversion ou la modification de la DDP en vigueur pour que cette dernière invite à proposer un tarif horaire ou quotidien pour le travail de conversion. Corel a aussi demandé des précisions sur la valeur estimée de 705 jours de travail de conversion mentionnée dans la note de présentation du rapport SAIC préparée par Revenu Canada.

Le 29 juin 1998, dans une lettre au Ministère, Corel a demandé le report de la date limite de présentation des soumissions, fixée au 6 juillet 1998, parce qu’elle n’avait pas reçu toute l’information nécessaire pour présenter une soumission recevable.

Le 30 juin 1998, le Ministère a diffusé la modification no 5 à la DDP. La modification comprenait, notamment, des réponses au reste des questions de Corel et donnait avis que, étant donné l’urgence du besoin, la Couronne ne pouvait prolonger la période de soumission. En réponse aux questions de Corel, le Ministère a indiqué que : 1) des fichiers échantillons avaient été recueillis par l’équipe du projet SAIC et apportés aux réunions tenues avec les fournisseurs et les intégrateurs intéressés durant la semaine du 10 au 12 juin 1998; 2) les soumissionnaires intéressés pourraient examiner les fichiers en question le 2 juillet 1998; 3) il n’envisagerait pas d’autres méthodes de traitement des besoins de conversion, puisque les méthodes proposées par Corel soit transféraient du soumissionnaire au gouvernement tous les risques liés à la conversion soit pénalisaient injustement un soumissionnaire qui proposerait une solution novatrice au problème de conversion; 4) Revenu Canada ne pouvait estimer la quantité d’efforts requis pour exécuter la conversion puisqu’il ignorait le niveau de compétence des ressources des soumissionnaires et la qualité de leurs outils; 5) la valeur estimée de 705 jours de travail de conversion mentionnée dans la note de présentation du rapport SAIC préparée par Revenu Canada se rapportait aux 16 applications des secteurs d’activités définies à l’appendice C du rapport SAIC; 6) les conditions portant sur la formation, énoncées dans la DDP, reflétaient celles de Revenu Canada et donnaient aux soumissionnaires carte blanche quant à la prestation; 7) chaque marché qu’il adjugeait était évalué individuellement et que, dans le cas présent, étant donné les conséquences critiques d’un défaut d’exécution sur les intérêts de la Couronne, il avait été décidé de fixer le montant du cautionnement d’exécution requis à 2 millions de dollars.

Le 2 juillet 1998, Corel a rencontré les représentants de Revenu Canada pour examiner les fichiers échantillons. Le 3 juillet 1998, dans une lettre au Ministère, Corel s’est plainte du manque de renseignements utiles fournis pour calculer les coûts de conversion. Le Ministère dit avoir reçu la lettre de Corel le ou vers le 8 juillet 1998, soit après la date limite de présentation des soumissions, le 6 juillet 1998.

Corel dit avoir appris, le 7 juillet 1998, que Revenu Canada avait retenu les services d’une firme de conseillers, Hill and Knowlton, pour l’aider à préparer le RIF. À ce moment, cette dernière était enregistrée à titre de lobbyiste au nom de Microsoft.

Le 14 juillet 1998, Corel a déposé une deuxième plainte (dossier no PR-98-014) concernant l’invitation à soumissionner en question.

BIEN-FONDÉ DE LA PLAINTE

Position de Corel

Corel a commencé ses observations relatives à la première plainte en soutenant que les pratiques et politiques en matière de marchés publics du gouvernement étaient fondées sur les principes de l’équité, de l’ouverture et de la transparence ainsi que sur l’obligation de procurer un accès égal à toutes les entreprises et les personnes en concurrence pour l’obtention d’un marché de l’État. Les principes susmentionnés sont énoncés dans les politiques et les règlements nationaux, ainsi que dans les accords commerciaux. Corel a soutenu que la procédure de passation du marché public en cause ne répondait manifestement pas à de telles normes. Plus précisément, les exposés de Corel traitent de deux grandes préoccupations : la structure de la DDP et l’insuccès des tentatives de Corel pour obtenir de l’information. Corel a soutenu que les énoncés des besoins et la méthode d’évaluation de la DDP sont discriminatoires en ce qui concerne les coûts de conversion et défavorisent clairement les fournisseurs potentiels qui n’offrent pas des produits Microsoft.

Quant au mécanisme « égalisateur » retenu par le Ministère, Corel a soutenu que rien ne justifie d’en limiter l’application à la période de sept mois qui a suivi le 28 août 1997. Plutôt, il devrait s’appliquer depuis le début du projet RC7, de façon à inclure toutes les licences achetées sous l’égide du projet. Corel a ajouté que le principe d’équité exigerait que toute soumission basée sur les produits Microsoft inclue aussi tous les coûts d’acquisition de licences de bureautique Microsoft associés à ce projet, y compris tous les coûts de conversion. Quant à la combinaison de l’acquisition des licences à celle des services d’intégration et de formation, Corel a soutenu qu’une telle décision entraîne des conditions inéquitables pour les soumissionnaires, étant donné que les marchés antérieurs passés par Revenu Canada se limitaient à l’achat de licences d’utilisation de logiciels, tandis que les soumissionnaires, autres que Microsoft et ceux qui offrent des produits compatibles à Microsoft, se voient maintenant demander de soumissionner sur un lot de produits et de services coûteux non requis du titulaire. De ce fait, la soumission de Corel et les soumissions similaires deviendraient non concurrentielles. Cet état des choses est en partie attribuable au fait que, bien que les soumissionnaires qui offrent d’autres produits que Microsoft doivent fournir un prix global ferme pour la conversion des fichiers modèles, des macros, des macroinstructions, des formules, etc., de la suite de bureautique en place, ils n’ont pas en main les renseignements, p. ex., sur le nombre, la description et la complexité, qui leur permettraient de présenter une soumission recevable relativement à ces coûts qui sont, sans l’ombre d’un doute, des coûts importants. D’autres exemples de pratiques discriminatoires, selon Corel, ont été l’ajout de la condition portant sur un cautionnement de 2 millions de dollars et le changement d’une condition à cotation numérique portant sur la certification de la compatibilité avec le logiciel de SAP à une condition obligatoire portant sur l’interface avec le logiciel de SAP, une condition qui allait rendre la soumission de Corel techniquement non conforme, comme le savait fort bien le Ministère.

Dans sa réponse au RIF et dans ses exposés subséquents, Corel a attiré l’attention du Tribunal sur ce qu’elle a qualifié d’admissions de la part du Ministère, notamment : 1) le fait que Microsoft ait été titulaire du marché précédent à Revenu Canada fait obstacle à un régime de juste concurrence puisqu’il impose un fardeau inégal aux fournisseurs potentiels; 2) la DDP a été diffusée alors que l’information nécessaire pour soumissionner n’était pas disponible ou n’était pas fiable; 3) la DDP a présenté un risque plus élevé pour les soumissionnaires autres que Microsoft; 4) le Ministère a omis de fournir la même information à tous les soumissionnaires, puisque seulement Microsoft connaissait le détail du fonds de produits Microsoft installés à Revenu Canada; 5) l’achat de licences et de versions améliorées de produits Microsoft par Revenu Canada après le 28 août 1997 a contrevenu à la politique gouvernementale; 6) bien que Revenu Canada ait su après le mois d’août 1997 qu’il enfreignait les règles sur les marchés publics, le présent marché a néanmoins été retardé d’une autre période de six mois, ce qui a directement causé une urgence auto-suscitée.

Corel a soutenu que l’Accord relatif aux marchés publics [24] du GATT (le Code) s’applique manifestement aux décisions initiales de RC-DA et RCI visant l’achat de licences d’utilisation de suites de bureautique Microsoft et la décision subséquente de Revenu Canada d’adopter Microsoft comme norme. Corel a aussi soutenu que la règle présumée en application du Code est que l’acquisition des biens doit se faire au moyen d’appels d’offres publics. Dans certaines circonstances très limitées, l’appel d’offres sélectif est permis et, dans des circonstances encore plus rares, l’approvisionnement auprès d’un fournisseur unique où « l’appel d’offres unique » est permis, mais aucune telle circonstance ne s’appliquait en l’espèce. Par conséquent, le Ministère ne peut maintenant affirmer que les besoins subséquents d’approvisionnement auprès d’un fournisseur unique, au moyen de l’OCPN accordée à Microsoft étaient fondés aux termes de l’alinéa V: 15d) du Code ni, subséquemment, aux termes de l’alinéa 1016(2)d) de l’ALÉNA. Corel a en outre soutenu que la manière dont Microsoft en est venue à être établie comme la norme de facto au sein de Revenu Canada n’était pas conforme aux politiques gouvernementales et que les antécédents de la présente affaire démontrent que Revenu Canada a simplement entrepris, avec ténacité, d’implanter Microsoft en tant que sa norme, sans jamais recourir à une invitation à soumissionner juste et ouverte qui aurait permis la présentation de toutes les options et leur évaluation objective. Corel a ajouté que, peu importe le moment du début du marché public, Revenu Canada a effectué des achats de façon soutenue après 1994 au moyen d’une méthode d’acquisition manifestement assujettie à l’application de l’article 1002 (Évaluation des marchés) de l’ALÉNA. Les commandes directes passées par Revenu Canada dans le cadre de l’OCPN accordée à Microsoft révèlent clairement que, après 1994, les besoins pour toute période de 12 mois consécutifs auraient dépassé le seuil financier prévu dans l’ALÉNA. Corel a soutenu que la stratégie effectivement appliquée par Revenu Canada a floué à la fois l’esprit et la lettre de l’ALÉNA.

En ce qui concerne les coûts de conversion, Corel a soutenu que, depuis au moins 1994, la politique du Ministère a été de retenir le coût total de l’acquisition pendant toute la durée d’utilisation lorsque les coûts de fonctionnement représentent une partie majeure du coût total du produit. Par conséquent, un cadre de politique est déjà en place au gouvernement pour traiter de tels coûts. De plus, Corel a soutenu que, puisque l’origine du fonds de produits installés peut être remise en question, il convient de surveiller rigoureusement, en termes d’équité, l’application des coûts de conversion. De tels coûts ne devraient pas servir à appliquer une mesure discriminatoire contre des soumissionnaires qui ne sont pas titulaires, soit pour les décourager de présenter une offre soit pour pénaliser leur soumission à un point tel qu’ils ne peuvent concurrencer selon des règles équitables. Corel a ajouté que, étant donné les très importants coûts de conversion associés au marché public en question et l’existence d’un important cautionnement d’exécution, le Ministère, aux termes de ses propres politiques internes, devait fournir des descriptions et des renseignements beaucoup plus clairs sur le travail de conversion requis. Selon Corel, l’information fournie était clairement insuffisante et, étant donné de telles assises, il n’était pas raisonnable de prévoir que les soumissionnaires devraient assumer d’importants risques associés à l’exécution. En outre, étant donné que de tels coûts et risques ne reviendraient pas à des soumissionnaires qui offrent des produits Microsoft, une telle condition établit manifestement une distinction qui défavorise les soumissionnaires non associés à Microsoft. Corel a aussi soutenu que, si les actions du gouvernement entravent la réalisation de ses engagements en matière d’égalité d’accès, alors c’est au gouvernement qui a suscité les obstacles que revient le fardeau du coût de leur atténuation ou de leur élimination.

Pour ce qui est de la modification no 3 à la DDP, dans laquelle le Ministère a adopté une méthode d’établissement du prix du travail de conversion fondée sur un « prix unitaire ferme » par opposition à un « prix global ferme », Corel a soutenu que cette modification n’a été apportée que le 18 juin 1998, soit après le dépôt de sa première plainte. Un tel fait, combiné au fait que les fichiers échantillons que lui a montrés Revenu Canada le 2 juillet 1998 n’étaient pratiquement d’aucune valeur, constitue, selon Corel, un défaut manifeste de fournir aux soumissionnaires l’information dont ils avaient besoin pour présenter une proposition recevable. À cet égard, Corel a fait observer que, étant donné le maintien de la condition portant sur le cautionnement d’exécution de 2 millions de dollars dans la DDP, le risque pour les fournisseurs n’avait pas été sensiblement réduit.

Corel a qualifié de non crédibles les explications données dans le RIF pour motiver le changement, en une condition obligatoire de la DDP, de la condition à cotation numérique relative à la compatibilité avec les logiciels SAP, puisque Corel n’a jamais demandé ni proposé que le Ministère procède à une telle modification. Corel a soutenu que l’explication offerte dans le RIF, à savoir que le changement allait faciliter les choses pour les développeurs de suites de bureautique qui voulaient soumissionner, n’était pas plausible. Corel a en outre soutenu que, même en supposant un faible degré de complexité technique dans la question de compatibilité avec les logiciels SAP, Corel n’aurait toujours pas pu satisfaire, dans les délais impartis, tous les éléments de la définition de « disponible dans le commerce ».

Corel a soutenu que, dans l’ensemble du RIF, le gouvernement plaide que l’urgence de la situation, étant donné les implications liées à l’an 2000, l’a forcé à inclure, dans la DDP, certaines conditions inhabituelles et à imposer un calendrier serré de mise en œuvre. Selon Corel, étant donné le contexte de la présente affaire, le gouvernement ne peut maintenant, d’une façon plausible, tenter d’invoquer « l’urgence » de la situation. Par exemple, les éléments de preuve indiquent que Revenu Canada déclare haut et fort depuis un certain temps qu’il est prêt à la conformité A2K et travaille sur les questions de la conformité A2K depuis 1988. En outre, le RIF admet clairement que Revenu Canada savait, dès 1996, qu’il avait besoin d’une plate forme normalisée d’informatique à conformité A2K, déployée à la grandeur du Ministère, qui comprenait Microsoft Office comme suite de bureautique.

Pour ce qui est de sa deuxième plainte, Corel a soutenu que, malgré ses nombreuses tentatives pour obtenir du gouvernement des éclaircissements sur les coûts de conversion depuis la diffusion de l’ébauche de DDP, elle n’a jamais été en mesure de calculer un prix fixe ferme relativement à ces coûts. Par exemple, Corel a déclaré avoir eu beaucoup de communications avec des représentants du gouvernement au sujet de la préparation des visites des installations. Cependant, ce n’est que le 30 juin 1998 qu’elle a été informée que le Ministère avait l’intention de fournir des renseignements sur les coûts de conversion lors de ces visites, y compris des renseignements aussi cruciaux que le nombre de fichiers échantillons recueillis par l’équipe du projet SAIC dans le cadre de la préparation de son rapport. Corel a soutenu, relativement à ce dernier volet d’information, que non seulement elle n’a été informée de son existence qu’à la dernière minute mais qu’on ne lui a pas donné d’occasion véritable de l’analyser et d’en tenir compte.

D’une façon similaire, selon Corel, le Ministère a invité les soumissionnaires à se référer au rapport SAIC, mais le rapport n’a été transmis aux soumissionnaires que plusieurs semaines après la diffusion de la DDP. En outre, ledit rapport s’est révélé insuffisant aux fins de la préparation d’une soumission recevable. Le rapport lui-même a mis en garde les tierces parties contre l’utilisation dudit rapport aux fins pour lesquelles il était destiné, et le Ministère tente maintenant de rejeter cette opinion, la qualifiant de « non pertinente ».

Le manque d’information suffisante sur le travail de conversion, selon Corel, a persisté lorsqu’elle a rencontré les représentants de Revenu Canada le 2 juillet 1998 pour examiner les échantillons. Corel n’a reçu aucune information qui lui aurait permis de déterminer dans quelle mesure les échantillons étaient représentatifs de l’ensemble des fichiers nécessitant la conversion. De plus, il est devenu manifeste pour Corel, après la réunion, que les fichiers échantillons qui lui avaient été donnés ne donnaient pas une indication précise du type de travail qui allait peut-être devoir être effectué.

Quant au refus du gouvernement de reporter la date limite de présentation des soumissions, Corel a soutenu qu’il était déraisonnable de la part du gouvernement de ne pas prévoir un délai suffisant pour fournir les renseignements nécessaires qui auraient permis à Corel de présenter une soumission recevable. Étant donné le défaut du gouvernement de fournir de tels renseignements avant la date limite de présentation des soumissions et le refus subséquent du gouvernement de reporter la date limite, Corel a soutenu qu’elle n’avait d’autre choix que d’informer le Ministère qu’elle ne pouvait pas répondre à l’invitation à soumissionner.

Dans sa réponse au RIF et d’autres exposés, Corel a soutenu que les soumissionnaires ne devraient pas être confrontés à un labyrinthe de renseignements non fiables, trompeurs et imprécis et devoir déceler les difficultés présentes, le tout dans des délais impossiblement serrés. Il incombe au gouvernement de fournir les meilleurs renseignements possibles. Cela, selon Corel, est particulièrement vrai lorsque la connaissance des types, des quantités et de la complexité des fichiers nécessitant une conversion étaient uniquement et exclusivement en possession du gouvernement, et non de Corel. Si, comme l’a indiqué le Ministère, l’information susmentionnée était véritablement la meilleure information que le gouvernement pouvait fournir, il ressort clairement que Revenu Canada lui-même n’a jamais eu une bonne compréhension de l’étendue des travaux nécessaires pour effectuer la conversion des fichiers.

Corel a soutenu que les changements apportés à la méthode d’établissement des prix du travail de conversion dans le cadre de la modification no 3 à la DDP n’ont pas enlevé leur pertinence aux mises en garde des auteurs du rapport SAIC. Bien que la modification ait réduit le volume de travail à effectuer, elle ne communiquait toujours pas l’information qui aurait pu permettre aux soumissionnaires d’évaluer l’effort de conversion. Les soumissionnaires ne disposaient que du rapport SAIC, et le rapport énonçait clairement que les données étaient « sujettes à au moins quatre sources d’erreurs cumulatives [25] » [traduction] et avertissait que « il faut utiliser les chiffres avec circonspection pour calculer des choses comme le nombre d’heures-personnes d’effort puisque tout résultat peut être entaché d’une erreur qui pourrait être importante [26] » [traduction]. De plus, Corel a soutenu que l’argument du Ministère selon lequel la réduction du volume de travail de conversion nécessaire avait déplacé le risque de non-exécution, depuis le vendeur à la Couronne, était dénué de fondement étant donné le cautionnement irrévocable de 2 millions de dollars déposé par les soumissionnaires, les délais d’exécution extrêmement serrés et le manque de fiabilité de l’information fournie aux soumissionnaires pour évaluer l’effort de conversion.

Corel a fait observer que la réponse du gouvernement aux questions du Tribunal n’a pas fourni au Tribunal de numéros, de prix ou de descriptions de produits conformes aux descriptions qui figurent dans l’OCPN accordée à Microsoft. Par conséquent, il est impossible de déterminer exactement quels produits ont été achetés aux termes de l’OCPN.

Corel a soulevé le fait que le gouvernement avait retenu les services d’une firme (Hill and Knowlton) enregistrée comme lobbyiste au nom de Microsoft relativement à des questions de marchés publics. Corel a soutenu que cette situation suscitait une perception de partialité et soulevait la question de savoir si la procédure de passation du marché public en question dans la présente affaire avait été partiale en faveur de Microsoft.

Enfin, en réponse à la mention du Ministère selon laquelle sa deuxième plainte n’était pas une nouvelle plainte ni même une plainte du tout, Corel a soutenu que, puisque la deuxième plainte soulève des questions portant sur des actions et de l’information survenues après la date à laquelle elle a déposé sa première plainte, elle n’a pas pu les soulever dans sa première plainte. Elle a qualifié d’absurde l’affirmation du Ministère selon laquelle sa deuxième plainte n’a été déposée que pour présenter une demande d’indemnisation qu’elle avait été trop « présomptueuse » pour inclure dans sa première plainte. Dans sa première plainte, Corel avait pour objectif la mise en place de règles justes qui lui permettraient de faire concurrence en vue d’obtenir le marché public en question dans un contexte de règles équitables. Cependant, parce que le Ministère a fait annuler l’ordonnance de report d’adjudication rendue par le Tribunal, la deuxième plainte de Corel devait tenir compte de la possibilité que le Tribunal ne puisse plus recommander, à titre de mesure corrective, la tenue d’un processus qui permettrait une concurrence loyale. Par conséquent, Corel n’a eu d’autres choix que de demander une indemnisation à titre de seconde solution si l’adjudication du contrat devenait un fait accompli.

Position du Ministère

Les exposés du Ministère sur les allégations de discrimination comportaient un volet général et un volet spécifique. Relativement à la question générale du titulaire, le Ministère a soutenu que, bien que le gouvernement fasse tout ce qu’il peut pour garantir que chacun des concurrents reçoive une occasion « juste » de concurrencer les autres, le Ministère reconnaît que, parfois, certains soumissionnaires peuvent bénéficier d’un avantage au niveau des coûts, puisqu’ils sont le titulaire du marché antérieur ou sont les entrepreneurs en place. Les fournisseurs qui ne sont pas titulaires d’un marché public peuvent devoir engager des coûts de conversion que le titulaire n’a pas à assumer et, selon le Ministère, les soumissionnaires dans de telles circonstances doivent prendre une décision d’affaires et déterminer s’ils vont soumissionner ou non. Le gouvernement, selon le Ministère, ne peut ignorer de tels coûts, puisqu’une telle façon de faire pénaliserait le contribuable. Selon le Ministère, avancer que, lorsqu’il y a un titulaire d’un marché antérieur, le gouvernement doit toujours veiller à ce que les « règles du jeu » soient parfaitement équitables revient à saper complètement la possibilité pour la Couronne d’acquérir des biens et services qui représentent la meilleure valeur pour les contribuables canadiens. Si le Tribunal acceptait la position de Corel, il s’ensuivrait que les soumissionnaires potentiels ne seraient en concurrence que pour le prix de la licence d’utilisation des logiciels, et que le contribuable devrait, en pratique, abandonner l’investissement consenti dans les versions antérieures des logiciels et constamment absorber de nouveau le coût de l’installation de nouveaux logiciels, de la formation des employés et de la conversion des documents nécessaires.

Le Ministère a soutenu que la lettre du 28 août 1997 et la DDP elle-même représentent un engagement à obtenir la meilleure valeur qui soit dans le domaine de la bureautique au moyen d’une réévaluation du marché à des intervalles raisonnables. Selon le Ministère, l’intervalle raisonnable en bureautique s’est concrétisé récemment étant donné la convergence croissante des produits concurrents quant à leurs fonctions et à leur facilité d’utilisation. Une telle convergence n’existait pas lorsque Revenu Canada a pris sa décision initiale sur la normalisation de ses logiciels de bureautique. En outre, il serait déraisonnable d’exiger une offre en régime de concurrence à chaque fois que le gouvernement acquiert d’autres licences d’utilisation ou d’autres copies d’un logiciel du titulaire. Les coûts de l’installation, de la formation et de la conversion des fichiers sont très importants, et pourtant minuscules en comparaison avec la perte de productivité et les autres coûts d’opportunité liés à un changement fondamental. Les rédacteurs des divers accords commerciaux, selon le Ministère, ne peuvent avoir eu l’intention d’imposer une telle obligation.

Le Ministère a soutenu que, dans la DDP, la première de son genre depuis la décision rendue par le Tribunal dans le dossier no PR-96-037 [27] , le gouvernement a reconnu l’entrave à une véritable concurrence que représente le produit d’un titulaire de marché. Dans le présent cas, le gouvernement a décidé d’assumer, de diverses façons, une partie du risque auquel les fournisseurs d’autres logiciels étaient confrontés, par exemple en limitant le nombre de fichiers nécessitant une conversion et en réduisant l’importance des éléments associés aux coûts de formation et de conversion dans l’évaluation des soumissions. L’engagement du gouvernement se reflète également dans le fait qu’il a procédé en régime de concurrence pour combler le besoin en question, malgré la nécessité de compléter une transition réussie à des logiciels à conformité A2K.

En réponse à la première plainte de Corel, les observations du Ministère abordent d’abord l’affirmation selon laquelle les conditions énoncées dans la DDP défavorisaient les fournisseurs d’autres produits que ceux de Microsoft. Quant à la mention de Corel voulant que le Tribunal examine si le fonds de produits installés à Revenu Canada avait été « établi de façon légitime » ou « établi de façon incorrecte », le Ministère a fait observer que les acquisitions visées avaient eu lieu entre 1992 et 1997. Le Ministère a soutenu que le Tribunal n’a pas compétence pour traiter de tout marché public antérieur au 1er janvier 1994, parce que ce n’est qu’à cette date que les pouvoirs du Tribunal lui ont été conférés dans ce domaine. Quant aux marchés publics entrepris après le 1er janvier 1994, la période limite mentionnée à l’article 6 (Délais de dépôt de la plainte) du Règlement est passée depuis longtemps. En outre, le Ministère a soutenu que le Tribunal n’a pas compétence pour déterminer si un marché public est conforme aux règles internes des marchés publics ou aux politiques gouvernementales en matière de marchés publics, sauf dans la mesure où ces règles ou politiques contreviennent aux accords commerciaux. Le Tribunal n’a pas non plus compétence pour accorder des mesures correctives concernant des marchés publics qui n’entrent pas dans son champ de compétence.

Quant à l’acquisition de 4 744 licences d’utilisation de suites de bureautique Microsoft en 1992, le Ministère a soutenu que la directive no 0023, datée du 14 août 1991, publiée par la Direction générale des systèmes et services d’informatique et de bureautique du ministère des Approvisionnements et des Services, indique clairement que l’acquisition d’une licence d’utilisation de logiciels, comme cela a été le cas pour les applications de bureautique Microsoft susmentionnées, constitue l’acquisition d’un « service » par opposition à celle d’un « produit ». Puisque, selon l’interprétation du Ministère, l’acquisition des services n’entrait pas, comme telle, dans le champ d’application du Code au moment de l’acquisition, cette dernière ne peut avoir été faite en violation du Code à cet égard. Quant à l’allégation de Corel selon laquelle le gouvernement a contrevenu à l’article 1002 de l’ALÉNA en utilisant les OCPN comme il l’a fait, le Ministère a soutenu que l’article en question ne peut être interprété comme ayant pour effet d’obliger à recourir à des procédures en régime de concurrence pour un marché lorsqu’il existe des motifs valables de recourir plutôt à une procédure d’appel d’offres limitée. Le Ministère a aussi soutenu que, sans égard à la façon dont on peut qualifier les facteurs qui ont donné lieu à la lettre du 28 août 1997, il demeure néanmoins qu’il n’existait aucune politique ni règle de fonctionnement liant Revenu Canada avant la lettre susmentionnée qui invalidait l’utilisation, par Revenu Canada, des OCPN de la manière décrite dans le RIF.

Selon le Ministère, relativement à l’inclusion des coûts de conversion, il n’est pas clair si Corel fait valoir que l’inclusion des conditions sur l’intégration, la conversion des données et la formation constitue en soi une violation de la procédure en matière de marchés publics et des accords commerciaux ou si Corel fait valoir que la violation découle uniquement de la façon censément incorrecte dont le fonds de logiciels installés de Revenu Canada a été acquis.

Pour ce qui est de la première interprétation, le Ministère a fait observer que, étant donné qu’un logiciel sert durant un certain temps, des documents, modèles et macros sont développés pour servir de concert avec le logiciel et que des applications sont parfois élaborées à partir dudit logiciel. Dans le cas de Revenu Canada, il ne faut pas oublier que la DDP vise des centaines de milliers de documents [28] . Si le gouvernement était contraint de soumettre ses besoins de conversion en régime de concurrence dans un appel d’offres distinct, le contribuable devrait en payer le coût deux fois. Si c’est là l’intention des accords commerciaux, alors une telle exigence devrait être énoncée explicitement ou une telle interprétation devrait être inévitablement comprise. Étant donné l’absence d’exigence explicite en ce sens, le Ministère a soutenu qu’interpréter de la sorte les accords commerciaux ferait basculer l’équilibre en faveur des fournisseurs qui ne sont pas titulaires d’un marché public et aurait un effet dissuasif à l’endroit de la tenue du processus d’acquisition en régime de concurrence.

Le Ministère a soutenu que l’inégalité du fardeau que doivent assumer les divers soumissionnaires potentiels ne résulte pas d’une décision arbitraire du gouvernement, mais est plutôt attribuable à l’utilisation historique des logiciels à Revenu Canada. De plus, le Ministère a soutenu que le Tribunal, dans l’affaire Sybase, a admis la méthode appliquée par le gouvernement dans la DDP pour ce qui est des coûts de transition.

Quant à la deuxième interprétation, le Ministère a soutenu que la sélection initiale, en 1992, du logiciel de bureautique Microsoft par RC-DA a été faite en conformité avec toutes les règles applicables à ce moment. La décision de RC-DA a été fondée sur les avantages en termes de fonctionnalité et de facilité d’utilisation offerts par les logiciels de bureautique Microsoft qui justifiaient l’achat auprès d’un fournisseur unique aux termes du Règlement sur les marchés de l’État [29] , les seules dispositions applicables à ce moment. Étant donné que Revenu Canada n’a jamais procédé à une réévaluation de sa décision de 1992 d’adopter la suite de bureautique Microsoft comme norme et qu’une telle réévaluation n’était pas justifiée avant le présent marché public en question, l’achat des licences dans le cadre de l’OCPN accordée à Microsoft n’enfreignait aucune règle prescrite pour l’utilisation des OCPN. Le Ministère a de plus fait valoir que la notion de « fractionnement d’un marché » suppose que, sans fractionnement, il faudrait recourir à un processus d’appel d’offres en régime de concurrence. Ainsi qu’il a déjà été indiqué, tel n’a pas été le cas.

Le Ministère a traité de la proposition de Corel selon laquelle l’article 1 de la section 2.1.1 de l’appendice B de la DDP devrait être modifié pour refléter le coût de toutes les nouvelles versions ainsi que les coûts de conversion associés depuis la date de prise d’effet du projet RC7 en 1996, en ajoutant au prix de toute soumission basée sur les produits Microsoft la valeur de toutes les nouvelles versions de la suite Microsoft Office obtenues par Revenu Canada dans le cadre du projet RC7 après le 28 août 1997. Le Ministère a soutenu que rien ne justifiait une telle modification à la DDP. Non seulement n’y avait-il pas de fractionnement de marché mais, de plus, le déploiement des logiciels dans le cadre du projet RC7 n’a pas représenté l’acquisition de copies supplémentaires de la suite de bureautique Microsoft. Plutôt, il s’est agi d’une version améliorée de copies déjà installées, qui serait capable de traiter les données associées à une date postérieure à l’an 2000. Le Ministère a soutenu qu’une version améliorée d’un produit en place pour redresser une lacune d’une version d’un logiciel particulier ne constitue pas un changement dans les besoins qui invaliderait une décision antérieure, arrêtée correctement, d’adopter le logiciel comme norme.

Le Ministère a reconnu que le déploiement continu des nouvelles versions de la suite de bureautique Microsoft par Revenu Canada après la lettre du 28 août 1997 contrevenait aux dispositions de la politique. Le Ministère a cependant reconnu que le déploiement susmentionné avait entraîné le besoin d’ajuster les « conditions en place » et que cela avait été fait au moyen de l’article 1 de la section 2.1.1 de l’appendice B de la DDP.

Abordant ensuite la condition obligatoire de l’interface avec le logiciel de SAP, le Ministère a soutenu que cette condition n’est pas discriminatoire contre Corel. Elle représente une condition normale pour le logiciel fonctionnant sous Windows, une condition qui, aux dires mêmes de Corel, est une question technologique d’importance relativement mineure. En outre, le Ministère a soutenu que le libellé de la condition a été rédigé de façon à permettre aux fournisseurs des suites de bureautique de réaliser individuellement la conformité avec la condition susmentionnée, par opposition à une conformité qui aurait été déterminée par SAP.

Quant au manque d’information pour établir le prix des travaux de conversion de données dont la DDP faisait mention, le Ministère a soutenu que, en reconnaissance du problème, la condition pertinente a été modifiée pour préciser que les soumissionnaires devaient proposer un prix ferme par fichier selon les divers types de fichiers à convertir. Le nombre de fichiers de chaque type de fichiers à convertir a aussi été réduit, et seulement une proportion de 50 p. 100 du composant prix d’une telle conversion devait être retenue pour les fins de l’évaluation des soumissions.

Quant à la condition selon laquelle les fournisseurs devaient garantir le marché par un cautionnement de 2 millions de dollars, le Ministère a fait observer que, dans le passé, une telle garantie n’a pas habituellement été exigée pour les marchés portant sur l’installation de logiciels et la conversion de données et la formation associées. Cependant, étant donné l’extrême importance du besoin à cause des préoccupations liées à l’an 2000, le Ministère a soutenu qu’il s’agissait là d’une condition prudente et justifiée dans les circonstances. De plus, étant donné que le risque pour les soumissionnaires en cas de non-exécution avait été réduit considérablement, la condition était raisonnable.

Abordant ensuite la deuxième plainte de Corel, le Ministère a soutenu que cette plainte n’était pas vraiment une plainte distincte, mais plutôt une tentative de contourner la Loi sur le TCCE, le Règlement et les Règles en ajoutant une demande d’indemnisation pour perte de profits, qui n’avait pas été présentée dans le cadre de la première plainte. La plainte n’introduit pas de nouveaux motifs, mais ajoute plutôt de nouveaux faits à des motifs déjà introduits dans la première plainte. Le Ministère a aussi soutenu que le Tribunal n’a compétence pour examiner aucune des mesures de redressement demandées dans la deuxième plainte, puisque faire droit à la demande de Corel visant la réouverture et la modification de l’invitation en question ou résilier une adjudication de marché qui en aurait découlé signifierait que le Tribunal pose, sous une autre forme, des gestes que n’autorisent pas les dispositions du paragraphe 30.13(4) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal ayant annulé son ordonnance de différer l’adjudication. De même, accorder une indemnisation à Corel reviendrait à contourner les exigences prescrites pour le dépôt des plaintes au paragraphe 30.11(2) de la Loi sur la TCCE, à l’article 6 du Règlement et à l’article 96 des Règles.

Nonobstant l’argument de compétence présenté par le Ministère relativement à la deuxième plainte, le Ministère a présenté des exposés relatifs aux questions de fond qui y sont soulevées. Quant à l’allégation de Corel selon laquelle le Ministère a, d’une façon déraisonnable, refusé de reporter la date limite de présentation des soumissions, le Ministère a réitéré qu’il ne s’agissait pas là d’une nouvelle plainte ni d’une plainte différente de celle qui est énoncée au sous-alinéa (ii) en page 15 de la plainte du 12 juin 1998 et a soutenu que la demande de report de la date limite n’a pas été accordée à cause de l’urgence du besoin.

Après avoir admis qu’il n’a pas été dit à Corel que des fichiers échantillons seraient montrés lors de la visite des installations le 12 juin 1998, le Ministère a soutenu que cet état des choses a découlé du fait qu’il n’avait pas été prévu que les fichiers échantillons seraient montrés aux fournisseurs potentiels et qu’aucun fichier n’a été montré à aucun soumissionnaire. Le Ministère a admis que Corel aurait pu être induite en erreur à cet égard par la déclaration « malencontreusement » formulée incluse dans la modification no 5 à la DDP. Cependant, le Ministère a dit qu’à son avis le rapport SAIC présentait suffisamment de renseignements pour permettre l’évaluation de la tâche de conversion et préparer une soumission. Le Ministère a ajouté qu’il n’a jamais été prévu que les fichiers fournis à Corel le 2 juillet 1998 devaient être représentatifs de toutes les facettes de la complexité des fichiers à convertir. Une telle information, selon le Ministère, était fournie dans le rapport SAIC.

Le Ministère a soutenu que les observations des auteurs du rapport SAIC selon lesquelles les données sur le volume incluses dans le rapport devraient être traitées avec une certaine circonspection n’étaient pas pertinentes, étant donné que la modification no 3 à la DDP précisait le volume des fichiers à convertir et le fait que ces volumes avaient été réduits à leur plus bas niveau raisonnable. Les soumissionnaires potentiels ont tous reçu la meilleure information disponible, et c’est là tout ce que les paragraphes 1013(1) de l’ALÉNA et XII(2) de l’AMP exigent. Il n’est pas nécessaire que l’information satisfasse les soumissionnaires. Le gouvernement ne peut raisonnablement être tenu de fournir plus que toute l’information dont il dispose relativement à un besoin quelconque.

Quant au risque associé aux travaux de conversion, le Ministère a fait observer que Corel a omis de mentionner les changements apportés à la structure d’établissement des prix à l’occasion de la modification no 3 à la DDP. Le Ministère a soutenu que, en réduisant le risque auquel les soumissionnaires étaient exposés, le gouvernement a assumé un plus grand risque pour accroître la possibilité d’une soumission en régime de concurrence réussie.

Dans ses observations supplémentaires du 11 septembre 1998, le Ministère a soutenu que, contrairement à ce que Corel avait affirmé, il n’a jamais indiqué que les fichiers échantillons disponibles aux fins d’examen par les soumissionnaires le 2 juillet 1998 devaient servir d’échantillons représentatifs des fichiers. En outre, le Ministère a soutenu qu’il n’a jamais discrédité ni eu l’intention de discréditer les auteurs du rapport SAIC. Tout ce qu’il a fait, c’est de commenter l’invitation faite par l’auteur à faire preuve de circonspection dans le contexte de la méthode d’établissement des prix révisée.

Quant à l’expert-conseil de la firme Hill and Knowlton, le Ministère a indiqué que, dans une lettre du 15 juillet 1998, il avait informé Corel que la firme susmentionnée s’était enregistrée à titre de lobbyiste au nom de Microsoft le 1er février 1996, pour une occasion unique, et que l’enregistrement avait été retiré le 8 juillet 1998. En outre, Revenu Canada n’était pas au courant de ce lien lorsqu’il a embauché l’expert-conseil en question et a mis fin au contrat retenant ses services dès que la question a été portée à l’attention du gouvernement.

Position de Microsoft

Dans l’ensemble, Microsoft a convenu des faits, tels qu’ils sont énoncés dans le RIF, et a indiqué que, au mieux de sa connaissance, elle n’a fait l’objet d’aucun régime de faveur relativement à l’invitation en question. Microsoft a soutenu que la sélection initiale en 1992 de la suite de bureautique Microsoft s’est faite d’une manière conforme aux politiques et procédures réglementaires du gouvernement fédéral en matière de marchés publics alors en vigueur et que l’acquisition continue de licences de bureautique Microsoft s’est faite de façon progressive, en fonction des besoins, dans le cadre des offres à commandes pertinentes. Microsoft a soutenu que l’utilisation des offres à commandes était conforme aux pratiques d’approvisionnement dans les secteurs public et privé et était un moyen essentiel d’accorder aux acheteurs la souplesse nécessaire pour acheter des éléments constitutifs de systèmes de technologie de l’information.

Quant à la question du « fractionnement de marché », Microsoft a soutenu que, par définition, le « fractionnement de marché » ne peut avoir lieu que lorsque, dès le début, une solution globale de technologie de l’information applicable à l’ensemble d’une entreprise était déterminée et, subséquemment, artificiellement divisée pour masquer la nature véritable d’un projet de marché, c’est-à-dire pour faire en sorte que l’acquisition d’un « système global » soit à tort perçue comme étant l’acquisition de plusieurs « parties » distinctes. Puisque l’acquisition de licences de bureautique Microsoft a commencé par l’acquisition de bonne foi de plusieurs progiciels distincts fonctionnant sur une plate-forme commune, l’achat par Revenu Canada des licences d’utilisation de suites de bureautique Microsoft n’a pas commencé sous la forme d’un achat d’un « système global ». Microsoft a soutenu que l’achat progressif d’éléments particuliers d’applications pour ordinateurs de bureau, d’une valeur et d’une nature autorisées par les offres à commandes pertinentes, ne pouvait pas, par définition, être considéré comme étant un « fractionnement de marché ». Au moment où les achats ont été effectués, ils se rapportaient clairement à des applications particulières pour ordinateurs de bureau et non au contexte d’une application d’un « système global » pour l’ensemble de l’entreprise.

Microsoft a soutenu que, au fil du temps, l’acquisition cumulée de telles licences d’utilisation de logiciels Microsoft distincts a formé une « masse critique » de logiciels fonctionnant sur une plate-forme commune qui a fait émerger un potentiel accru d’efficience en réseau. Apparemment, c’est à ce moment, c’est-à-dire lorsque la masse critique susmentionnée est devenue manifeste, que la décision a été prise d’acquérir le type de technologie de l’information supplémentaire que représente une solution pour l’ensemble d’une entreprise et de faire appel à d’autres fournisseurs de logiciels, comme Corel.

Abordant ensuite la question de la condition obligatoire de la compatibilité avec le logiciel de SAP, Microsoft a soutenu qu’exiger qu’une solution applicable à l’ensemble d’une entreprise soit compatible avec les autres technologies de l’information déjà utilisées par l’acheteur est une pratique généralement acceptée dans l’industrie. Par conséquent, la condition mentionnant que la suite de bureautique devait être conforme à la technologie de SAP ne peut être qualifiée de déraisonnable dans les circonstances, ni n’a-t-elle été introduite dans le but d’exclure Corel de la soumission en régime de concurrence. De plus, Microsoft a soutenu que l’inclusion des coûts de conversion et des licences de logiciels dans la même DDP était également une pratique répandue dans l’industrie et que cette inclusion était raisonnable dans les circonstances pour obtenir la technologie de l’information au meilleur rapport coût-efficacité pour le contribuable canadien. À cet égard, Microsoft a soutenu que la décision du Ministère de réduire l’incidence des coûts de conversion et de formation en ne tenant compte que de 50 p. 100 desdits coûts aux fins de l’évaluation des soumissions a principalement été prise dans une intention favorable aux concurrents de Microsoft, par exemple Corel. Selon Microsoft, une telle pratique, en soi, pourrait être un motif de plainte de traitement discriminatoire contre Microsoft.

DÉCISION DU TRIBUNAL

Aux termes de l’article 30.14 de la Loi sur le TCCE, le Tribunal est tenu, lorsqu’il a décidé d’enquêter, de limiter son étude à l’objet de la plainte. En outre, à la fin de l’enquête, il lui faut déterminer le bien-fondé de la plainte en fonction du respect des critères et des procédures établies par règlement pour le contrat spécifique. De plus, l’article 11 du Règlement prévoit notamment que le Tribunal doit déterminer si le marché public a été passé conformément aux exigences des accords commerciaux.

Le Tribunal est d’avis que la première question qu’il doit examiner est celle de l’opposition qu’a faite le Ministère à la deuxième plainte de Corel. Le Ministère a soutenu que cette deuxième plainte ne devrait pas être examinée par le Tribunal parce qu’elle représente une tentative de contourner la Loi sur le TCCE, le Règlement et les Règles en ajoutant une demande d’indemnisation pour perte de profits, qui n’avait pas été présentée dans la première plainte de Corel. En outre, parce que le Tribunal a annulé son ordonnance de report d’adjudication, le Tribunal n’aurait plus compétence pour soit recommander de lancer de nouveau l’invitation en question soit résilier un contrat adjugé par le Ministère.

Le Tribunal est convaincu que la deuxième plainte de Corel répond aux exigences de la Loi sur le TCCE et au Règlement et qu’elle a documenté, en temps opportun, une indication raisonnable de deux infractions possibles aux accords commerciaux qui n’avaient pas été soulevées dans la première plainte, à savoir : 1) en refusant de reporter la date limite de présentation des soumissions, le Ministère peut avoir enfreint les dispositions du paragraphe 506(5) de l’ACI qui portent sur le délai à accorder aux fournisseurs pour présenter une soumission; 2) dans le traitement qu’il a fait des préoccupations de Corel après le 12 juin 1998, le Ministère peut avoir omis de fournir à Corel l’information suffisante qui lui aurait permis de présenter une soumission recevable. Le Tribunal est également d’avis que, en déposant sa deuxième plainte, Corel n’était pas liée par la mesure corrective qu’elle avait demandée dans sa première plainte. En outre, aux termes des paragraphes 30.15(2) et (3) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal n’est pas limité, pour structurer la mesure corrective, au seul redressement demandé par le plaignant. De plus, selon le Tribunal, rien dans la Loi sur le TCCE ne fonde la proposition du Ministère selon laquelle le paragraphe 30.13(4) de la Loi sur le TCCE a pour effet de limiter les mesures correctives que le Tribunal peut tenir pour « convenables » aux termes des paragraphes 30.15(2) et (3) de la Loi sur le TCCE dans les affaires où le Tribunal a annulé une ordonnance de report d’adjudication. Par conséquent, le Tribunal examinera le bien-fondé de la plainte déposée par Corel le 14 juillet 1998.

Ayant déterminé qu’il a compétence pour entendre les deux plaintes, le Tribunal abordera maintenant la question de savoir si l’information fournie à Corel était suffisante pour lui permettre de présenter une soumission recevable. Le Tribunal examinera ensuite les motifs présentés dans la deuxième plainte relativement au délai de soumission. Puis, le Tribunal examinera la question de savoir si la structure de la DDP défavorisait les soumissionnaires qui n’offraient pas des produits de la suite de bureautique Microsoft, particulièrement sous le rapport des coûts de conversion, de la condition relative à la compatibilité avec le logiciel de SAP et du cautionnement d’exécution. Le Tribunal traitera ensuite brièvement de la question de la partialité liée à l’expert-conseil dont Revenu Canada a retenu les services avant de conclure par une discussion des recommandations du Tribunal sur les mesures correctives.

Ainsi qu’il a déjà été indiqué, les deux plaintes soulèvent la question de la suffisance de l’information. Le Tribunal examinera cette question dans le contexte de chaque plainte, à tour de rôle. Un tel examen suppose l’analyse des faits tels qu’ils se rapportent à la période antérieure au 12 juin 1998, c’est-à-dire au moment du dépôt de la première plainte, séparément de ceux qui se rapportent à la période du 12 juin au 14 juillet 1998, date à laquelle la deuxième plainte a été déposée.

Le paragraphe 1013(1) (Documentation relative à l’appel d’offres) de l’ALÉNA indique, notamment, que « [l]a documentation relative à l’appel d’offres qu’une entité remettra aux fournisseurs devra contenir tous les renseignements nécessaires pour leur permettre de présenter des soumissions valables [...] La documentation contiendra également : [...] g) une description complète des produits ou services demandés ». Le paragraphe XII(2) de l’AMP renferme essentiellement les mêmes exigences.

Le Tribunal est d’avis que les éléments de preuve montrent que, le 12 juin 1998, il était clair que les difficultés liées à l’information disponible sur les coûts de conversion étaient réelles et représentaient un problème important pour les fournisseurs potentiels susceptibles d’offrir dans leur soumission une autre suite de bureautique que celle de Microsoft. Cependant, le Ministère a pris acte qu’il éprouvait des difficultés et, avant le 12 juin 1998, a entrepris une démarche pour les redresser. En plus de commander le rapport SAIC, le gouvernement s’est efforcé de mieux identifier les fichiers nécessitant une conversion et d’en réduire le nombre. Il s’efforçait également d’arriver à pouvoir fournir une information plus claire sur les besoins de formation et à s’organiser pour donner aux soumissionnaires l’occasion d’examiner des fichiers échantillons. En outre, le Ministère a continué d’examiner les demandes de changement de méthode d’établissement des prix des coûts de conversion des fichiers.

Bien que le Tribunal convienne que Corel n’avait pas reçu suffisamment d’information jusqu’à ce moment de la procédure de soumission, le Tribunal conclut que, relativement au dossier no PR-98-012, la question n’était pas encore close le 12 juin 1998 et que le gouvernement avait droit de compléter son effort visant à fournir une meilleure information.

Le Tribunal est d’avis que les éléments de preuve dont il dispose montrent que le Ministère a lancé l’invitation sans avoir élaboré l’information critique qui pouvait raisonnablement être prévue comme nécessaire aux soumissionnaires qui n’offraient pas des produits de la suite de bureautique Microsoft. Plus précisément, il manquait l’information détaillant d’une manière utile le travail de conversion des fichiers. De plus, le Tribunal fait observer que ce n’est qu’après les représentations soumises par les fournisseurs, y compris Corel, et quelques jours avant la diffusion de la DDP officielle que le Ministère a retenu les services de SAIC pour déterminer l’étendue des travaux de conversion. Il apparaît au Tribunal que Revenu Canada et le Ministère n’avaient, à ce moment, aucune idée claire de l’effort associé à ladite conversion. Le Tribunal fait également observer qu’un délai serré a été imposé à SAIC pour la production de son rapport, qui a été soumis à Revenu Canada le 3 juin 1998.

Quant aux événements qui ont suivi le 12 juin 1998, le Tribunal est d’avis que l’élément central d’information reçu par les fournisseurs potentiels après cette date a été le rapport SAIC. Le rapport énonce clairement que l’information fournie par le Ministère dans les documents d’invitation à soumissionner pour permettre aux soumissionnaires d’évaluer l’effort et les coûts associés à la conversion de plus de 800 000 fichiers [30] , d’une suite de bureautique donnée à une autre, est « sujette à au moins quatre sources d’erreurs cumulatives [31] » [traduction], y compris la division des fichiers en fichiers simples et fichiers complexes et des erreurs d’extrapolation. Par conséquent, selon les mêmes auteurs, l’information contenue dans le rapport devrait être utilisée avec circonspection aux fins de l’évaluation de l’effort de conversion étant donné que « tous les résultats peuvent être entachés d’une erreur qui pourrait être importante [32] » [traduction]. De plus, le délai serré imposé à SAIC a nécessairement eu une incidence sur la fiabilité et l’utilité de l’analyse du risque présentée dans le rapport. Selon SAIC, un délai plus long « aurait permis d’analyser les données plus à fond et de mieux en estimer l’exactitude » [33] [traduction].

À la lumière des observations susmentionnées contenues dans le rapport, il était raisonnable que Corel en prenne la teneur au sérieux. Bien que le Ministère ait pris des mesures pour s’efforcer de minimiser le risque pour les soumissionnaires, le Tribunal est d’avis que ces mesures n’étaient pas suffisantes pour permettre à Corel de présenter une soumission recevable. Plus précisément, Corel n’a pas disposé d’une information fiable qui précisait clairement le type et la nature des fichiers qui devaient effectivement être convertis, soit des données cruciales pour estimer utilement les travaux de conversion en termes de temps et de coûts. De plus, la présentation de fichiers échantillons le 2 juillet 1998 n’a pas amélioré la situation. En vérité, Revenu Canada et le Ministère n’étaient pas en mesure d’indiquer dans quelle mesure les fichiers échantillons étaient représentatifs de la complexité des autres dossiers, puisqu’un tel objectif n’avait pas présidé au choix des échantillons.

Le Tribunal reconnaît qu’il n’est pas toujours possible de fournir une information parfaite aux soumissionnaires et que, parfois, les fournisseurs potentiels doivent assumer un élément de risque à cet égard. Cependant, cela ne signifie pas que le Ministère puisse ne pas donner aux soumissionnaires l’information critique qui se trouve sous son contrôle et sous le contrôle de son ministère-client, Revenu Canada en l’espèce, particulièrement lorsque, comme dans la présente affaire, celle-ci se rapporte à une proportion très importante de la valeur d’une soumission [34] . De plus, le Tribunal est d’avis qu’en planifiant, de façon raisonnable, le marché public en question, le Ministère et Revenu Canada auraient pu identifier et fournir l’information critique en temps opportun pour permettre la présentation de soumissions correctes.

Pour les raisons susmentionnées, le Tribunal conclut que, relativement au dossier no PR-98-014, le Ministère a omis de remettre aux fournisseurs, dans les documents d’appel d’offres, tous les renseignements nécessaires pour qu’ils puissent présenter les soumissions valables et, par conséquent, a enfreint les dispositions du paragraphe 1013(1) de l’ALÉNA et du paragraphe XII(2) de l’AMP.

Ainsi qu’il a été indiqué, l’autre question de fond soulevée dans le cadre du dossier no PR-98-014 se rapporte au rejet, par le Ministère, de la demande de Corel visant une prolongation du délai de présentation des soumissions. Le paragraphe 506(5) de l’ACI mentionne que « [c]haque Partie accorde aux fournisseurs un délai suffisant pour présenter une soumission, compte tenu du temps nécessaire pour diffuser l’information et de la complexité du marché public ».

Le Tribunal fait observer que Corel a demandé une prolongation du délai de présentation des soumissions le 29 juin 1998. Le Ministère a raison de déclarer que la demande susmentionnée est liée à la question de la suffisance de l’information. Cependant, cela ne signifie pas que ces questions, bien qu’elles soient liées dans les circonstances de la présente affaire, ne peuvent donner lieu à des infractions distinctes des accords commerciaux. Il en est ainsi parce que c’est le manque d’information qui a amené Corel à demander une prolongation du délai de présentation de soumissions. Étant donné les problèmes survenus relativement à l’information fournie sur les coûts de conversion et devant une demande spécifique de prolongation du temps de présentation des soumissions, le Ministère pouvait choisir de traiter les problèmes susmentionnés en accordant une prolongation du délai qui aurait permis l’élaboration d’une information plus complète et la diffusion de cette information aux soumissionnaires potentiels qui auraient pu l’intégrer à leur soumission, s’ils avaient décidé de s’en servir pour soumissionner.

Dans la modification no 5 à la DDP, datée du 30 juin 1998, le Ministère a informé les soumissionnaires potentiels que, étant donné l’urgence de l’invitation à soumissionner, il n’avait pas l’intention de prolonger le délai de présentation des soumissions. Le Tribunal est d’avis qu’il faut examiner non seulement la valeur intrinsèque de cette question, mais qu’il faut aussi l’examiner à la lumière des problèmes d’information qui prévalaient. En étudiant séparément la question de « l’urgence », le Tribunal est d’avis que les éléments de preuve montrent que, dans la mesure où une situation d’urgence existait, cette situation résultait principalement des actions du Ministère et de Revenu Canada. Déjà, en 1988, Revenu Canada discutait des questions liées à la conformité A2K et, en septembre 1996, avec l’approbation du projet RC7, Revenu Canada disposait d’une stratégie globale pour traiter de la situation, une stratégie qu’il a entrepris d’appliquer. Revenu Canada a, à diverses reprises l’an dernier, parlé avec optimisme de l’atteinte de la conformité A2K. De plus, le Tribunal fait observer que Revenu Canada a déjà annoncé des projets portant sur la tenue d’une année complète d’essais, du 1er janvier 1999 à l’an 2000, dans le cadre de l’achèvement du projet RC7 [35] . À la lumière de la durée de la période consacrée par Revenu Canada à la situation particulière à l’an 2000, le Tribunal n’est pas convaincu que l’urgence décrite dans la DDP et dans les divers exposés présentés par le Ministère et par Revenu Canada sur ces questions ne permettait pas de prolonger raisonnablement le délai de présentation des soumissions, et ainsi peut-être de régler les questions de conversion de fichiers et de compatibilité avec les logiciels SAP. Selon le Tribunal, et compte tenu que la décision de soumettre le besoin en question à un appel de propositions en régime de concurrence avait déjà été reportée jusqu’en avril 1998, en refusant de prolonger le délai de présentation des soumissions dans les circonstances, le Ministère a enfreint le paragraphe 506(5) de l’ACI en n’accordant pas à Corel un délai suffisant pour présenter une soumission.

Abordant de nouveau le dossier no PR-98-012, le Tribunal examinera maintenant les questions portant sur les allégations de discrimination. L’alinéa 1008(1)a) de l’ALÉNA indique que chacune des parties fera en sorte que les procédures de passation des marchés suivies par ses entités soient appliquées de façon non discriminatoire. Le paragraphe VII(1) de l’AMP énonce, pour l’essentiel, la même exigence. De plus, l’article 501 de l’ACI mentionne, notamment, que le chapitre sur les marchés publics de l’Accord « vise à établir un cadre qui assurera à tous les fournisseurs canadiens un accès égal aux marchés publics, de manière à réduire les coûts d’achat ».

Ainsi qu’il a déjà été indiqué, les allégations de discrimination se rapportent à la structure de la DDP et, plus précisément, au cadre d’évaluation et à la manière dont le marché public a été passé par le Ministère. En fait, Corel allègue que diverses questions, comme la façon de traiter les coûts de conversion, la condition obligatoire de la compatibilité avec le logiciel de SAP, le cautionnement d’exécution et d’autres questions, ont mené à une situation où il existait effectivement deux catégories de soumissionnaires; les soumissionnaires offrant une autre suite de bureautique que Microsoft sont traités injustement dans la mesure où ils ne peuvent efficacement soumissionner dans le cadre de l’invitation.

En examinant les questions susmentionnées, le Tribunal fait observer que, dans la présente affaire, il ne peut examiner que la question de discrimination liée au marché public en question, c’est-à-dire le numéro d’invitation 46577-7-1709/A. Le Tribunal souligne ce point afin qu’il soit clairement compris qu’il n’est pas saisi de la question de l’acquisition sans concurrence de plus de 25 000 licences d’utilisation de suite de bureautique Microsoft par Revenu Canada depuis 1991. Cependant, comme l’a reconnu le Ministère, le Tribunal est saisi d’une question qui se rapporte à l’effet des achats susmentionnés, et à la reconnaissance par le Ministère que la DDP devait en tenir compte. En fait, toutes les questions de discrimination soulevées par Corel peuvent se résumer à la simple question de déterminer si le Ministère a suffisamment tenu compte de cette situation dans la DDP à l’égard des soumissionnaires offrant d’autres suites de bureautique que la suite de bureautique Microsoft. Pour les motifs qui suivent, le Tribunal conclut que le Ministère n’a pas atteint son objectif en ce sens.

Le Tribunal est d’avis que, en principe, le gouvernement a le droit de déclarer ses besoins d’une manière pleine et complète, y compris la possibilité qu’il en résulte peut-être des considérations liées aux coûts de conversion pour les soumissionnaires autres que le titulaire. Le Tribunal est aussi d’avis que, en principe, un titulaire ne doit pas être pénalisé à cause de l’expérience et des connaissances qu’il a acquises à titre de titulaire. En vérité, lorsque les biens ou services ont été acquis d’une façon correcte avec le temps, il n’y a pas d’obligation de compenser l’effet lié à la qualité de titulaire dans la formulation des invitations et, par la suite, dans l’évaluation des propositions. Cependant, comme l’a reconnu le Ministère, telles ne sont pas les circonstances qui sont présentées en l’espèce. Les circonstances dans la présente affaire soulèvent deux questions : 1) celle de savoir comment le gouvernement doit redresser les situations où la qualité de titulaire n’a pas été acquise d’une manière correcte; 2) celle de savoir si les démarches entreprises pour redresser de telles situations ont été suffisantes. Le Tribunal n’est pas d’accord avec le Ministère sur le fait que le raisonnement dans l’affaire Sybase s’applique dans des circonstances où les avantages résultant de la qualité de titulaire n’ont pas émergé dans un cadre acceptable.

Le Tribunal ne veut pas minimiser l’importance des efforts du Ministère dans sa tentative de rendre ce marché public équitable et concurrentiel. Le Ministère et le SCT ont non seulement reconnu la menace à la concurrence que représente l’utilisation abusive des offres à commandes, mais ils ont aussi énoncé, dans leur lettre du 28 août 1997, comment les ministères peuvent procéder correctement pour acheter des logiciels. Le Tribunal admet comme méthode d’acquisition le recours continu à une offre à commandes par le gouvernement, sous réserve, évidemment, que la méthode soit utilisée en conformité avec les accords commerciaux. Ce volet inclut l’établissement d’offres à commandes dans un régime de concurrence, dans les circonstances appropriées, et l’assurance que les commandes directes répondent aux modalités des offres à commandes et aux dispositions des politiques connexes. En outre, le Ministère et le SCT ont indiqué leur détermination d’appliquer la politique susmentionnée en demandant que le besoin de Revenu Canada portant sur une licence d’entreprise pour l’utilisation d’une suite de bureautique à conformité A2K soit soumis à la concurrence et que soit ajoutée, lors de l’évaluation, au prix de toute soumission proposant Microsoft comme suite de bureautique, la pleine valeur des achats de nouvelles versions et de licences de bureautique Microsoft associés au projet RC7 de Revenu Canada après le 28 août 1997. De telles mesures et les redressements apportés durant la période de soumission au volume et à l’importance des coûts de formation et de l’effort de conversion des fichiers en tant que facteur d’évaluation reflètent des efforts importants. Le Tribunal n’est cependant pas convaincu que ces efforts ont été suffisants.

Par exemple, le Ministère n’offre aucune explication cohérente à l’établissement des coûts de formation et de conversion des fichiers à 50 p. 100 de leur valeur aux fins du processus d’évaluation. Il est impossible de savoir clairement pourquoi le pourcentage susmentionné a été choisi et comment, spécifiquement, les risques pour les soumissionnaires et les risques pour le gouvernement et les contribuables ont été mis en équilibre dans le contexte d’une procédure vraiment concurrentielle. En outre, le Tribunal est d’avis que, tout au long de la procédure de passation du marché public en question, les actions du Ministère et de Revenu Canada, tout en étant censément destinées à aider tous les soumissionnaires, n’ont parfois pas été à la hauteur d’un tel objectif. Le report de l’application de la procédure des marchés publics concurrentiels pendant de nombreux mois après l’approbation du projet RC7 en 1996, l’acquisition continue de versions améliorées et de licences dans le cadre de l’OCPN accordée à Microsoft par Revenu Canada après la lettre du 28 août 1997, et le lancement précipité de l’invitation à soumissionner en question avant l’élaboration de l’information critique ont entraîné des délais inutilement serrés qui ont suscité un degré déraisonnable de difficulté pour les soumissionnaires. Quant à la condition portant sur la compatibilité aux produits de SAP, la procédure précipitée semble aussi avoir contribué à l’évaluation incorrecte, par le Ministère, de ce qu’il a finalement défini comme étant une condition obligatoire puis au changement apporté en ce sens sans explication suffisante. Le défaut de communiquer dans les documents d’invitation à soumissionner le nombre et le type de licences et de versions améliorées achetées par Revenu Canada après le 28 août 1997, ainsi que leur coût, pour aider les soumissionnaires à escompter leurs prix comme ils auraient pu le juger bon, et le refus de prolonger la période de présentation des soumissions sont également des indices de mesures prises par le Ministère et par Revenu Canada qui ont eu une incidence sensiblement différente sur les soumissionnaires proposant des produits Microsoft par rapport aux soumissionnaires proposant d’autres produits, comme des produits Corel. Finalement, bien qu’il ne soit pas déraisonnable en soi d’exiger un cautionnement d’exécution, le Tribunal est d’avis qu’une telle exigence a revêtu un caractère déraisonnable étant donné les circonstances de la présente affaire. Cela est particulièrement le cas pour les soumissionnaires qui auraient offert des produits de rechange, étant donné l’incidence que le manque d’information claire dont il a déjà été fait mention aurait pu avoir sur le coût d’exécution éventuel du marché.

À la lumière de tout ce qui précède, le Tribunal est d’avis que, pris collectivement, les éléments de preuve relatifs aux nombreuses questions concernant la discrimination reflètent une situation où, de fait, les soumissionnaires offrant des produits d’une suite de bureautique de remplacement ont fait l’objet d’un préjugé défavorable à un point tel qu’il ne peut être dit que le marché public en question a été passé en conformité avec l’alinéa 1008(1)a) de l’ALÉNA, le paragraphe VII(1) de l’AMP et l’article 501 de l’ACI. Par conséquent, le Tribunal conclut que la plainte de Corel dans le dossier PR-98-012 est fondée.

Avant d’aborder la question d’une mesure corrective qui conviendrait dans les circonstances de la présente affaire, le Tribunal veut présenter de brèves observations sur la question de l’embauche par Revenu Canada d’un expert-conseil de Hill and Knowlton. Bien que l’information dont dispose le Tribunal sur cette question démontre que Revenu Canada et le Ministère ont été moins que diligents dans leur détermination de la question de savoir si l’embauche en cause susciterait un problème, il n’existe pas d’éléments de preuve que le lien ait eu une incidence sur la rédaction de la DDP et sur les modifications subséquentes de la DDP. Toutefois, si d’autres circonstances avaient été établies et si le contrat en question n’avait pas été résilié immédiatement dès l’établissement d’un conflit apparent, le Tribunal aurait peut-être abordé cette question différemment.

Lorsque le Tribunal détermine qu’une plainte est fondée, il doit, aux termes du paragraphe 30.15(3) de la Loi sur le TCCE, pour recommander une mesure corrective pertinente, tenir compte des diverses circonstances pertinentes au marché public. Dans la présente affaire, le Tribunal est d’avis que des irrégularités graves dans la procédure de passation du marché public sont manifestes. Essentiellement, le Ministère a reconnu que, pour passer un marché public en régime de concurrence portant sur une licence d’entreprise pour Revenu Canada, les problèmes issus de la manière dont les produits ont été acquis devaient être reflétés sur la façon de traiter les soumissionnaires non titulaires. Pour les raisons indiquées ci-dessus, le Tribunal conclut à l’échec des efforts du Ministère en ce sens. Le Tribunal est non seulement d’avis que le dommage subi par Corel est en l’espèce réel, mais également qu’un dommage a été causé à l’intégrité du système des marchés publics canadien.

Par conséquent, la mesure corrective favorisée par le Tribunal, dans la présente affaire, est que le Ministère recommence le processus d’invitation à soumissionner en conformité avec les dispositions des accords commerciaux, en se souciant d’une façon particulière de réduire davantage l’incidence des coûts de conversion. Le Tribunal, cependant, doit aussi tenir compte des circonstances particulières de l’invitation à soumissionner en question et, plus précisément, du besoin de Revenu Canada d’atteindre sa cible de conformité A2K, même si Revenu Canada est lui-même le principal artisan de « l’urgence » actuelle. De plus, le Tribunal doit tenir compte de la mesure selon laquelle le besoin peut déjà avoir été comblé. Par conséquent, le Tribunal recommande, à titre de seconde solution, que le Ministère lui soumette une proposition d’indemnisation, mise au point en collaboration avec Corel, qui reconnaisse l’occasion perdue par Corel lorsqu’elle n’a pu présenter une soumission recevable dans le cadre du marché en question et le fait qu’elle aurait pu se voir adjuger le marché. De plus, la proposition d’indemnisation doit examiner la question de savoir si d’autres indemnités devraient être versées aux termes des alinéas 30.15(3)a), b) et c) de la Loi sur le TCCE.

DÉCISION DU TRIBUNAL

Aux termes de l’article 30.14 de la Loi sur le TCCE, le Tribunal détermine que la plainte dans le dossier no PR-98-012 est fondée parce que l’invitation no 46577-7-1709/A n’a pas été passée en conformité avec l’article 1008 (Procédures de passation des marchés) de l’ALÉNA, l’article VII (Procédures de passation des marchés) de l’AMP et l’article 501 (Objet) de l’ACI. Le Tribunal détermine également que la plainte dans le dossier PR-98-014 est fondée parce que l’invitation no 46577-7-1709/A n’a pas été passée en conformité avec l’article 1013 (Documentation relative à l’appel d’offres) de l’ALÉNA, l’article XII (Documentation relative à l’appel d’offres) de l’AMP et l’article 506 (Procédures de passation des marchés publics) de l’ACI.

Aux termes des paragraphes 30.15(2) et (3) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal recommande, à titre de mesure corrective, que le Ministère lance une nouvelle invitation pour le marché public en question. La nouvelle invitation à soumissionner doit respecter les dispositions de l’ALÉNA, de l’AMP et de l’ACI. Plus spécifiquement, dans les circonstances particulières de ce marché public, le Tribunal recommande que, pour l’adjudication du nouveau marché, le Ministère considère réduire davantage l’incidence des coûts de conversion lors de l’évaluation des propositions et ce, afin d’essayer d’établir une procédure vraiment concurrentielle.

À titre de seconde solution, si le Ministère décide de ne pas lancer une nouvelle invitation, le Tribunal recommande que le Ministère lui soumette une proposition d’indemnisation, mise au point en collaboration avec Corel, qui reconnaisse l’occasion perdue par Corel lorsqu’elle n’a pu présenter une soumission recevable dans le cadre du marché en question et le fait qu’elle aurait pu se voir adjuger le marché. De plus, la proposition d’indemnisation doit examiner la question de savoir si d’autres indemnités devraient être versées aux termes des alinéas 30.15(3)a), b) et c) de la Loi sur le TCCE. Cette proposition doit être soumise au Tribunal dans les 30 jours suivant la réception des motifs du Tribunal.

Aux termes des paragraphes 30.15(4) et 30.16(1) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal accorde à Corel le remboursement des frais raisonnables qu’elle a engagés pour préparer une réponse à l’invitation et pour le dépôt et le traitement de ses plaintes.


1. L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.).

2. L’attribution d’une licence d’utilisation à un grand groupe de travail ou site par l’intermédiaire d’une entente de licence d’entreprise. L’attribution de licences d’entreprise est une pratique courante dans l’industrie des logiciels du commerce (LDC) et donne habituellement lieu à une entente de licence plus simple. Voir le rapport de l’institution fédérale, appendice D.

3. Un groupe de produits composé d’une famille de produits LDC avec lesquels il est possible de manipuler « des données » d’une manière intégrée et dont le soutien est assuré par une même entreprise. La manipulation des données dans l’ensemble des LDC décrit la capacité de produire, de générer, d’utiliser, d’extraire et, en général, de traiter des tâches, des documents, des applications, des données en faisant intervenir des programmes de traitement de l’information, de texte, de feuilles de calcul, de présentation graphique et de base de données sur ordinateur de bureau.

4. Désigne la capacité du matériel et du logiciel à calculer, comparer ou mettre en séquence avec exactitude des données comportant des dates dépassant le 1er janvier 2000. Voir le rapport de l’institution fédérale, appendice A

5. Le ministère du Revenu national fournit des services à la population depuis environ 250 sites dans sept régions. Il compte environ 40 000 employés qui utilisent environ 30 000 postes de travail dotés d’ordinateurs de bureau et environ 14 000 ordinateurs portatifs. Voir le rapport de l’institution fédérale, paragr. 11.

6. Signé à Marrakech le 15 avril 1994 (en vigueur au Canada le 1er janvier 1996).

7. Signé à Ottawa (Ontario) les 11 et 17 décembre 1992, à Mexico, D.F., les 14 et 17 décembre 1992 et à Washington, D.C., les 8 et 17 décembre 1992 (en vigueur au Canada le 1er janvier 1994).

8. Signé à Ottawa (Ontario) le 18 juillet 1994.

9. Offre d’un proposant éventuel qui permet à la Couronne d’acheter directement auprès de certaines sociétés des biens ou des services disponibles ou non dans le commerce à des prix préétablis et à des conditions fixes, lorsqu’ils seront demandés.

10. Dans les présent motifs, l’expression « coûts de conversion » inclut les coûts directs et indirects du passage des suites de bureautique LDC présentement en place à d’autres produits logiciels qui peuvent offrir des fonctions semblables, mais qui auront, par exemple, différents formats de fichiers, de langage d’information en code machine et macros sous-jacentes. Les coûts de conversion incluent aussi les coûts de formation et d’autres coûts engagés lors de la transition au nouveau logiciel.

11. Désignation par Revenu Canada de son projet d’environnement d’informatique distribuée. L’objectif du projet est de fournir un environnement informatique à conformité A2K à l’ensemble de Revenu Canada. L’environnement informatique comprend plusieurs éléments, à savoir, un système d’exploitation de réseau NT 4.0, des systèmes d’exploitation clients Windows 95 et NT 4.0, un serveur Exchange aux fins de messagerie (courrier électronique) et une suite de bureautique. Voir le rapport de l’institution fédérale, paragr. 20.

12. Dans la modification no 1 à la demande de propositions, la suite de bureautique proposée doit accueillir et intégrer, sans réserve, un visualiseur SAP XXL List Viewer.

13. La société SAP œuvre dans le développement de LDC de systèmes de gestion financière destinés aux grandes entreprises. Voir le rapport de l’institution fédérale, appendice D.

14. DORS/93-602, le 15 décembre 1993, Gazette du Canada Partie II, vol. 127, no 26 à la p. 4547, modifié.

15. DORS/91-499, le 14 août 1991, Gazette du Canada Partie II, vol. 125, no 18 à la p. 2912, modifiées.

16. Ce fonds comprend, en plus des logiciels Microsoft, environ 4 000 utilisateurs de WordPerfect. Voir la demande de propositions, section 2.2.3.

17. Un avis de l'intention de ne s'adresser qu'à une seule société pour solliciter une soumission et négocier. Il ne s'agit pas là d'un avis d'appel d'offres concurrentiel. Les fournisseurs peuvent, cependant, au plus tard à la date de clôture indiquée, exprimer leur intérêt et démontrer leur capacité d'exécuter le marché.

18. Ce chiffre inclut 1 000 licences d'utilisation de suites de bureautique Microsoft acquises avant 1992.

19. Une offre à commandes principale et nationale est un type particulier d'offre à commandes qui permet à l'administration fédérale, partout au Canada, d'acheter auprès de certaines sociétés des biens et (ou) services fréquemment requis à des prix préétablis et à des conditions fixes. Un contrat n'existera que lorsqu'un utilisateur autorisé passera une commande dans le cadre de l'offre à commandes en question.

20. Rapport de l'institution fédérale, pièce G.

21. Rapport de l'institution fédérale, paragr. 50.

22. Défini dans la demande de propositions comme « version(s)-copie(s) non bêta du logiciel disponible dans le commerce comme en font foi des communiqués publics, le prix indiqué dans les catalogues de "prix courants" et installé à des sites corporatifs autres que ceux du fournisseur ou du soumissionnaire » [traduction].

23. Presque 12 p. 100 du total, soit environ 94 500 documents. En ordre d'importance selon le volume, les documents sont des fichiers créés à l'aide de programmes de feuilles de calcul, de traitement de textes, de présentations graphiques, de bases de données et d'applications de bureautique enfouies. Voir la note de présentation du rapport SAIC préparée par Revenu Canada.

24. Genève, mars 1980, GATT IBDD, 26e suppl. à la p. 33 (en vigueur au Canada le 1er janvier 1981).

25. Rapport SAIC, le 3 juin 1998, paragr. 4.3.5.

26. Ibid.

27. Sybase Canada Ltd., le 30 juillet 1997.

28. Modification no 3 à la demande de propositions dans le rapport SAIC.

29. DORS/87-402, le 30 juin 1987, Gazette du Canada Partie II, vol. 121, no 15 à la p. 2759, modifié.

30. Ainsi qu'il a déjà été indiqué, ce nombre a par la suite été réduit à environ 94 500 fichiers. Supra note 23.

31. Supra note 25

32. Ibid.

33. Rapport SAIC, le 3 juin 1998, paragr. 4.3.3.

34. Selon l'estimation même de Revenu Canada, les coûts de conversion des fichiers, avant la réduction de 50 p. 100 annoncée dans la modification no 3 à la demande de propositions, se situaient entre 5 et 10 millions de dollars. Voir le rapport de l'institution fédérale, paragr. 116 et les exposés du Ministère datés du 11 septembre 1998, paragr. 23.

35. Rapport de l'institution fédérale, paragr. 123.


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Publication initiale : le 1 décembre 1998