DOUGLAS BARLETT ASSOCIATES INC.

Décisions


DOUGLAS BARLETT ASSOCIATES INC.
Dossier no : PR-98-050

TABLE DES MATIÈRES


Ottawa, le lundi 7 juin 1999

Dossier no : PR-98-050

EU ÉGARD À une plainte déposée par la société Douglas Barlett Associates Inc. aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.), modifiée;

ET EU ÉGARD À une décision d’enquêter sur la plainte aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur.

DÉCISION DU TRIBUNAL

Aux termes de l’article 30.14 de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur détermine que la plainte est fondée.

En vertu des paragraphes 30.15(2) et (3) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur recommande que la société Douglas Barlett Associates Inc. reçoive le tiers du profit qu’elle aurait éventuellement réalisé si elle avait présenté une soumission dont le prix était inférieur de un dollar à celui de la proposition de la société Roy & Breton Inc.

En vertu des paragraphes 30.15(4) et 30.16(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur accorde à Douglas Barlett Associates Inc. le remboursement des frais raisonnables engagés pour la préparation de la réponse à l’invitation à soumissionner no EF937-8-0022/A ainsi que pour le dépôt et le traitement de sa plainte.

Peter F. Thalheimer
_________________________
Peter F. Thalheimer
Membre


Michel P. Granger
_________________________
Michel P. Granger
Secrétaire






Date de la décision : Le 7 juin 1999

Membre du Tribunal : Peter F. Thalheimer

Gestionnaire de l’enquête : Randolph W. Heggart

Avocat pour le Tribunal : Philippe Cellard

Partie plaignante : Douglas Barlett Associates Inc.

Avocat pour la partie plaignante : Marc C. Doucet

Institution fédérale : Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux

EXPOSÉ DES MOTIFS

PLAINTE

Le 1er mars 1999, la société Douglas Barlett Associates Inc. (DBA) a déposé une plainte auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur [1] (la Loi sur le TCCE) à l’égard du marché public (numéro d’invitation EF937-8-0022/A) du ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (le Ministère) pour la fourniture d’ameublement de bureau pour le compte du ministère du Revenu national (Revenu Canada).

DBA a soutenu que le Ministère avait, à tort, mis de côté la proposition qu’elle a faite en réponse à l’invitation à soumissionner initiale, que, de plus, les spécifications de la nouvelle invitation à soumissionner étaient restrictives et que l’appel d’offres avait été lancé d’une manière qui ne reflétait pas la pratique normale dans des circonstances semblables.

DBA a demandé, à titre de mesures correctives, à être indemnisée pour les profits perdus.

Le 3 mars 1999, le Tribunal a informé les parties que la plainte avait été acceptée pour enquête, étant donné qu’elle respectait les conditions établies à l’article 7 du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics [2] (le Règlement). Le 30 mars 1999, le Ministère a déposé une lettre auprès du Tribunal au lieu du rapport de l’institution fédérale qu’exige la règle 103 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur [3] . Le 16 avril 1999, DBA a déposé auprès du Tribunal ses observations sur la lettre du Ministère du 30 mars 1999.

Les renseignements au dossier permettant de déterminer le bien-fondé de la plainte, le Tribunal a décidé qu’une audience n’était pas nécessaire et a statué sur la plainte à partir des renseignements au dossier.

PROCÉDURE DE PASSATION DU MARCHÉ PUBLIC

Le 18 décembre 1998, une demande de propositions (DP), dont la date de clôture était le 27 janvier 1999, a été publiée.

Selon le Ministère, il y avait une version anglaise et une version française de la spécification.

La version anglaise de la spécification mentionne notamment, à la rubrique « Portée » [traduction], ce qui suit : « La présente spécification s’applique à la fourniture et à la fabrication d’un ameublement de bureau ayant une structure métallique supportant la surface de travail » [traduction]. Cette spécification précise également que les exigences qu’elle contient correspondent aux caractéristiques et aux composantes minimales qui seront acceptées pour cet appel d’offres.

La partie « Certification » [traduction] du même document indique ce qui suit : « Tous les produits proposés pour ce projet devront [être conformes] et détenir l’homologation DAG-2 du Programme de liste de produits homologués de l’Office des normes générales du Canada (ONGC) » [traduction].

Le 3 février 1999, DBA a écrit au Ministère pour dire qu’elle était au courant que la société Roy & Breton Inc. (Roy & Breton) était le soumissionnaire choisi. DBA mentionnait également que la DP exigeait un ameublement de bureau ayant « une structure métallique supportant la surface de travail » [traduction], un produit pour lequel, d’après DBA, Roy & Breton n’avait pas d’homologation.

Selon DBA, le Ministère l’a avisée le 4 février 1999 que Roy & Breton était le soumissionnaire choisi pour cet appel d’offres. En réponse à la question de DBA, qui voulait savoir comment un tel état de choses était possible étant donné que la société Roy & Breton n’est pas qualifiée pour les « ameublements de bureau DAG-2 ayant une structure métallique supportant la surface de travail » [traduction], mais seulement pour les « structures en bois laminé supportant la surface de travail » [traduction] (une catégorie de produits différente de celle que spécifie la DP), le Ministère a répondu que la version française de la spécification n’exigeait pas une « une structure métallique supportant la surface de travail » [traduction].

Le 10 février 1999, le Ministère a répondu officiellement à la lettre de DBA du 3 février 1999. Dans cette lettre, le Ministère reconnaissait que, en raison d’une erreur de sa part lorsque la spécification a été traduite, les versions anglaise et française de la spécification étaient différentes en ce qui a trait à la structure de support de la surface de travail. Considérant qu’il avait lui-même créé la confusion et que, en répondant à une question que lui a posée DBA le 4 janvier 1999, il avait dit que Revenu Canada ne préférait pas les produits en métal aux produits en bois laminé et que tout produit homologué DAG-2 par l’ONGC serait acceptable, le Ministère a mentionné que DBA et d’autres soumissionnaires auraient la possibilité de présenter de nouvelles propositions pour un autre produit certifié et conforme à la spécification révisée. La lettre ajoutait que DBA ne pouvait modifier en rien la proposition qu’elle avait fait parvenir au bureau du Ministère le 27 janvier 1999.

La spécification révisée, publiée le 10 février 1999 par le Ministère, n’exigeait plus que la structure supportant la surface de travail soit en métal. La spécification révisée comportait aussi la note suivante :

N.B. : Si la nouvelle proposition que vous avez l’intention de présenter concerne le même produit que votre proposition initiale, la proposition modifiée sera rejetée.

[Traduction]

Le 11 février 1999, DBA a écrit au Ministère affirmant qu’elle trouvait inacceptable la façon dont le Ministère réglait le problème. Le 15 février 1999, le Ministère a adjugé un marché au montant de 436 542,88 $ à Roy & Breton.

BIEN-FONDÉ DE LA PLAINTE

Position du Ministère

Le Ministère reconnaît qu’il y a une différence entre la version anglaise et la version française de la spécification. Lorsque le Ministère a découvert cette différence, après que DBA s’est enquise des raisons pour lesquelles le marché ne lui avait pas été adjugé, le Ministère a décidé de clarifier la spécification en changeant la version anglaise pour la rendre conforme à la version française. Selon le Ministère, cette façon de faire avait l’avantage de rendre la DP moins restrictive en permettant à tous les produits homologués DAG-2 par l’ONGC d’être admissibles.

Le 9 février 1999, le Ministère a émis un document intitulé « Éclaircissement de la spécification et demande de propositions » [traduction] à l’intention des trois soumissionnaires qui avaient présenté des propositions. Selon le Ministère, la clarification était ambiguë, en ce qu’elle invitait les fournisseurs à présenter de nouvelles propositions pour un produit différent sans qu’il soit clair que leur proposition initiale serait toujours considérée comme valide. Le Ministère a fait valoir que son intention, à ce moment-là, était d’empêcher les fournisseurs d’offrir le produit pour lequel ils avaient soumissionné à l’origine avec des modalités différentes. En outre, le Ministère a précisé que son intention était de corriger son erreur aussi rapidement et aussi équitablement que possible en donnant aux soumissionnaires l’occasion soit de ne rien changer à leur soumission initiale soit de présenter une nouvelle proposition pour un produit différent respectant la spécification révisée.

Le Ministère a admis que DBA devrait être indemnisée pour les frais engagés pour la préparation de sa soumission et les frais raisonnables engagés pour le dépôt et le traitement de la plainte, sous réserve que le Ministère ait la possibilité de faire un exposé sur le montant à accorder.

Position de DBA

Dans sa lettre du 16 avril 1999, DBA alléguait que l’éclaircissement que le Ministère avait publié le 9 février 1999 n’était pas conforme à l’esprit du processus d’appel d’offres parce qu’il avait simplement pour effet de rendre conforme une soumission que le Ministère avait déjà reçue et qui n’était pas conforme à la version anglaise de la spécification.

DBA a fait valoir qu’elle avait le droit d’être indemnisée pour perte de profits puisque sa soumission était entièrement conforme à la version anglaise de la spécification et était, en fait, la soumission la plus basse respectant cette version de la spécification.

DÉCISION DU TRIBUNAL

Aux termes de l’article 30.14 de la Loi sur le TCCE, le Tribunal doit, lorsqu’il a décidé d’enquêter, limiter son étude à l’objet de la plainte. De plus, à la conclusion de cette enquête, le Tribunal doit déterminer le bien-fondé de la plainte en fonction du respect des critères et des procédures établis par règlement pour le contrat spécifique. En outre, l’article 11 du Règlement prévoit, notamment, à cet effet que le Tribunal doit déterminer si le marché public a été passé conformément aux exigences énoncées dans l’Accord de libre-échange nord-américain [4] (l’ALÉNA) et dans l’Accord sur le commerce intérieur [5] (l’ACI).

Le Tribunal est d’avis que, sans que le Ministère et les fournisseurs éventuels soient conscients du fait, en raison d’une méprise de la part du Ministère lorsque la spécification a été traduite, cette invitation à soumissionner a été lancée alors que la version française de la spécification différait de la version anglaise. La version anglaise de la spécification restreignait le marché aux produits ayant une « structure métallique supportant la surface de travail » [traduction] respectant la DAG-2 de l’ONGC. La version française permettait tous les produits, qu’ils soient faits en métal ou en bois laminé, qui respectent la même norme. Cette différence n’est pas contestée.

La différence entre les versions anglaise et française fait qu’il était impossible, au début, de savoir quelles étaient exactement les exigences de cette invitation à soumissionner. Le Tribunal est d’avis que cette différence équivaut à une violation du paragraphe 1013(1) de l’ALÉNA, qui prévoit, entre autres, que « [l]a documentation relative à l’appel d’offres qu’une entité remettra aux fournisseurs devra contenir tous les renseignements nécessaires pour leur permettre de présenter des soumissions valables ». Cette documentation devra notamment inclure « g) une description complète des produits ou services demandés et de toutes autres exigences, y compris les spécifications techniques, la certification de conformité, les plans, les dessins et les instructions nécessaires [ainsi que] h) les critères d’adjudication ». De même, le paragraphe 506(6) de l’ACI prévoit, entre autres, que la documentation relative à l’appel d’offres doit énoncer clairement les exigences du marché public, le critère qui sera utilisé pour l’évaluation des soumissions et les méthodes de pondération et d’évaluation de ce critère. Cet article a également été violé.

L’alinéa 1015(4)c) de l’ALÉNA prévoit que « sauf si elle décide, pour des raisons d’intérêt public, de ne pas passer le marché, l’entité l’adjugera au fournisseur qui aura été reconnu pleinement capable d’exécuter le marché et dont la soumission sera la soumission la plus basse ou celle qui aura été jugée la plus avantageuse selon les critères d’évaluation spécifiés dans les avis ou dans la documentation relative à l’appel d’offres ». L’alinéa 1015(4)d) traite également de l’adjudication de marchés et prévoit que « l’adjudication des marchés sera conforme aux critères et aux conditions essentielles spécifiées dans la documentation relative à l’appel d’offres ».

Lorsque, au moment de l’évaluation des soumissions, le Ministère a découvert le problème, le Ministère, de l’avis du Tribunal, était incapable de choisir un seul soumissionnaire comme cela avait été prévu, étant donné que deux soumissionnaires auraient pu être choisis, l’un conformément à la version française de la spécification et l’autre conformément à la version anglaise de la spécification. Le Tribunal est d’avis que toute violation du paragraphe 1015(4) de l’ALÉNA a découlé de la violation initiale du paragraphe 1013(1).

Le Ministère admet que sa tentative de corriger cette situation, au moyen d’une spécification révisée, était viciée du fait qu’elle n’indiquait pas clairement aux soumissionnaires que leur proposition initiale était encore valide. Le Tribunal conclut, cependant, que la tentative du Ministère de corriger la situation présentait un problème encore plus fondamental. En empêchant les soumissionnaires d’offrir, dans leur nouvelle proposition, le même produit que dans leur proposition initiale, le Ministère n’a pas tenu compte du fait que la version française de la spécification était moins restrictive que la version anglaise, qui était limitée aux produits en métal. Le Tribunal est d’avis que cela constitue une différence substantielle parce que Roy & Breton a pu structurer sa proposition initiale et en fixer le prix en sachant parfaitement quels pourraient être ses concurrents, tandis que DBA pouvait raisonnablement tenir pour acquis, en préparant son offre initiale, que ses concurrents ne seraient que les fabricants de produits en métal et, donc, structurer sa proposition et en fixer le prix en conséquence.

Le Tribunal est d’avis que les chances de DBA de se voir adjuger le marché n’ont jamais été égales à celles de ses concurrents et que cette société a été privée d’une possibilité légitime de l’emporter.

Pour les raisons mentionnées ci-dessus, le Tribunal conclut que le Ministère n’a pas passé ce marché public conformément aux exigences des accords commerciaux. La plainte est, par conséquent, fondée.

Le Tribunal est d’avis qu’il est évident, d’après le dossier et la spécification révisée, que la version française de la spécification est celle qui reflète exactement les exigences du marché public en question. Si la version initiale anglaise de la spécification avait contenu les mêmes exigences que la version française, il n’est pas certain que DBA l’aurait emporté. Elle aurait pu abaisser le prix du produit qu’elle proposait ou elle aurait pu soumettre un autre produit. D’autres soumissionnaires auraient pu aussi décider de présenter des propositions. Tout au moins, DBA, pour être le soumissionnaire choisi, aurait dû présenter une proposition dont le prix était inférieur à celui de la proposition conforme de Roy & Breton.

Le Tribunal est disposé à indemniser DBA pour la perte d’une occasion de se voir accorder un marché et d’en tirer des profits. Étant donné que trois firmes ont présenté une soumission pour ce marché et que, dans un concours équitable, il semble que l’une ou l’autre d’entre elles aurait pu être choisie, le Tribunal est d’avis que DBA aurait eu une chance sur trois d’obtenir le marché si ce n’avait été de la différence entre les deux versions linguistiques de la spécification. Par conséquent, le Tribunal accorde à DBA une indemnisation égale au tiers du profit qu’elle aurait éventuellement réalisé si sa proposition avait été, en fait, choisie. Parce que DBA aurait dû présenter une soumission moins élevée que celle de Roy & Breton, le Tribunal est d’avis que le calcul du profit de DBA devrait être fondé sur une soumission dont le prix est inférieur de un dollar au prix de Roy & Breton.

Le Ministère est prêt à accorder à DBA le remboursement des frais raisonnables engagés pour le traitement de cette plainte et pour le dépôt d’une réponse à cette invitation à soumissionner. Le Tribunal accordera à DBA le remboursement des frais raisonnables engagés pour le traitement de cette plainte. En raison des erreurs du Ministère, DBA a dû engager des frais pour la préparation de sa réponse à cette invitation à soumissionner sans que ses chances de réussite soient égales à celles des autres soumissionnaires. Par conséquent, en plus de sa recommandation d’indemniser DBA pour l’occasion qu’elle a perdue de tirer profit de ce marché, le Tribunal accorde à DBA le remboursement des frais raisonnables engagés pour le dépôt de sa proposition.

DÉCISION DU TRIBUNAL

À la lumière de ce qui précède, le Tribunal décide que ce marché public n’a pas été passé conformément aux dispositions applicables de l’ALÉNA et de l’ACI et que, par conséquent, la plainte est fondée.

Aux termes des paragraphes 30.15(2) et (3) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal recommande que le Gouvernement verse à DBA une indemnisation représentant le tiers du profit qu’elle aurait éventuellement réalisé si elle avait présenté une proposition dont le prix était inférieur de un dollar à celui de la proposition de Roy & Breton.

En vertu des paragraphes 30.15(4) et 30.16(1) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal accorde à DBA le remboursement des frais raisonnables engagés pour la préparation d’une réponse à l’invitation à soumissionner no EF937-8-0022/A et pour le dépôt et le traitement de sa plainte.


1. L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.).

2. DORS/93-602, le 15 décembre 1993, Gazette du Canada Partie II, vol. 127, no 26 à la p. 4547, modifié.

3. DORS/91-499, le 14 août 1991, Gazette du Canada Partie II, vol. 125, no 18 à la p. 2912, modifiées.

4. Signé à Ottawa (Ontario) les 11 et 17 décembre 1992, à Mexico, D.F., les 14 et 17 décembre 1992 et à Washington, D.C., les 8 et 17 décembre 1992 (en vigueur au Canada le 1er janvier 1994).

5. Signé à Ottawa (Ontario) le 18 juillet 1994.


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Publication initiale : le 16 juin 1999