NAVATAR LTD.

Décisions


NAVATAR LTD.
Dossiers nos : PR-99-043 et PR-99-044

TABLE DES MATIÈRES


Ottawa, le mardi 30 mai 2000

Dossiers nos : PR-99-043 et PR-99-044

EU ÉGARD À deux plaintes déposées par Navatar Ltd. aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. 1985 (4e supp.), c. 47;

ET EU ÉGARD À des décisions d'enquêter sur les plaintes aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur.

DÉCISION DU TRIBUNAL

Aux termes de l'article 30.14 de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur détermine que la plainte dans le dossier no PR-99-043 n'est pas fondée. Le Tribunal canadien du commerce extérieur détermine d'autre part que la plainte dans le dossier no PR-99-044 est fondée.


James A. Ogilvy

James A. Ogilvy
Membre présidant


Michel P. Granger

Michel P. Granger
Secrétaire
 
 

Date de la décision :

Le 30 mai 2000

   

Membre du Tribunal :

James A. Ogilvy

   

Gestionnaire de l'enquête :

Randolph W. Heggart

   

Agent d'enquête :

Paule Couët

   

Conseiller pour le Tribunal :

John Dodsworth

   

Partie plaignante :

Navatar Ltd.

   

Institution fédérale :

Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux

   

Conseiller pour l'institution fédérale :

David M. Attwater

 
 

EXPOSÉ DES MOTIFS

Le 17 janvier 2000, Navatar Ltd. (Navatar) a déposé une plainte (PR-99-043) auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur 1 à l'égard du marché public (numéro d'invitation W8480-9-0235/A) du ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (le Ministère), portant sur la fourniture, au fur et à mesure des besoins, de services de consultation dans le domaine des ressources humaines, répartis en six classes distinctes, pour le ministère de la Défense nationale (MDN).

Navatar a soutenu que, en introduisant une valeur maximale pour les offres à commandes, le Ministère a utilisé des critères qui n'avaient pas clairement été énoncés, ou nullement énoncés, dans la demande d'offre à commandes (DOC).

Le 26 janvier 2000, Navatar a déposé une deuxième plainte (PR-99-044) concernant la même invitation à soumissionner. Navatar a soutenu que, n'ayant pas déclaré non conformes les propositions autres que celle de Navatar, le Ministère n'a pas effectué l'évaluation des propositions conformément à la méthode d'évaluation énoncée dans la DOC.

Navatar a demandé, à titre de mesure corrective, de recevoir une indemnité en reconnaissance de la perte d'occasion que lui a causé l'imposition d'un plafond à son offre à commandes. Navatar a aussi demandé le remboursement des frais qu'elle a engagés pour la préparation de sa soumission et pour le dépôt et le traitement de cette plainte.

Le 19 janvier 2000, le Tribunal a avisé les parties qu'il avait décidé d'enquêter sur la plainte dans le dossier no PR-99-043, puisque cette dernière répondait aux exigences du paragraphe 30.11(2) de la Loi sur le TCCE et aux conditions énoncées au paragraphe 7(1) du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics 2 . Le 31 janvier 2000, le Tribunal a avisé les parties qu'il avait aussi décidé d'enquêter sur la plainte dans le dossier no PR-99-044, puisque cette dernière remplissait aussi les conditions d'enquête. Parce que les deux plaintes se rapportaient à la même invitation à soumissionner, le Tribunal a demandé au Ministère d'en traiter dans le cadre d'un seul rapport de l'institution fédérale (RIF). Le 28 février 2000, le Ministère a déposé un RIF auprès du Tribunal en application de l'article 103 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur 3 . Le 14 mars 2000, Navatar a déposé ses observations sur le RIF auprès du Tribunal. Le 28 mars 2000, le Tribunal a demandé des éclaircissements au Ministère concernant certains faits au dossier. Le Ministère a répondu à la demande du Tribunal le 4 avril 2000. Le 7 avril 2000, Navatar a déposé auprès du Tribunal ses observations sur les éclaircissements fournis par le Ministère.

Les renseignements au dossier permettant de déterminer le bien-fondé des plaintes, le Tribunal a décidé qu'une audience n'était pas nécessaire et a statué sur les plaintes à partir des renseignements au dossier.

PROCÉDURE DE PASSATION DU MARCHÉ PUBLIC

Le 25 août 1999, le Ministère a reçu du MDN une demande d'acquisition portant sur la fourniture de services de consultation dans le domaine des ressources humaines, répartis en six classes de services distinctes, dont une appelée « Perfectionnement organisationnel ». La demande d'acquisition, représentant un montant estimatif de 2,5 millions de dollars, visait une période de trois ans et était assortie d'une option de renouvellement pour une période de un an.

La DOC a été publiée par l'intermédiaire du Service électronique d'appels d'offres canadien (MERX) le 14 septembre 1999, et la date de clôture indiquée était le 1er novembre 1999. La DOC modifiée, se lit, notamment, comme suit :

Propositions

Veuillez prendre note que pour chaque classe de services qui fait l'objet d'une soumission, il est obligatoire de soumettre des taux quotidiens fermes, tout compris, fondés sur une journée de travail de 7,5 heures, relativement à la catégorie expert-conseil principal, pour chacune des périodes de temps.
Les taux quotidiens pour les autres catégories peuvent, ou non, être soumis, au choix du soumissionnaire. Cependant, les soumissionnaires doivent savoir que, aux fins de l'adjudication de marchés se rapportant à des tâches ou à des projets qui pourraient efficacement être exécutés par du personnel de niveau intermédiaire ou subalterne et/ou du personnel administratif, la préférence sera alors accordée aux sociétés qui ont inclus des taux quotidiens pour de telles catégories dans leur offre à commandes.

Observations générales

Le soumissionnaire doit, dans la préparation de son offre, tenir compte des critères d'évaluation et de sélection qui seront appliqués à l'évaluation de ladite offre.

CONDITIONS OBLIGATOIRES

2. Au moins un des experts-conseils proposés doit posséder une compétence démontrée à titre d'expert-conseil principal.
3. Pour être réputé expert-conseil principal, il faut que le curriculum vitae d'une personne démontre clairement qu'elle possède de l'expérience à titre de gestionnaire de projet ou d'expert-conseil principal dans au moins cinq projets de consultation relatifs à la classe de services pertinente.

MÉTHODE DE COTATION DES PROPOSITIONS

Les propositions seront cotées selon une évaluation technique et une évaluation des prix comme suit :
Cotation technique
La proposition qui obtiendra le plus haut résultat à l'évaluation technique recevra 70 points vers la cote combinée et les propositions qui obtiendront les plus bas résultats à l'évaluation technique recevront, proportionnellement, une partie des 70 points.
Cotation des prix
La proposition techniquement recevable la moins-disante [...] recevra 30 points vers la cote combinée et les autres propositions techniquement recevables recevront, proportionnellement, une partie des 30 points.
Une offre à commandes sera adjugée à toutes les propositions recevables au plan technique et financier, qui auront obtenu un résultat global combiné d'au moins 75 points.

[Traduction]

Dans une lettre datée du 29 septembre 1999 au Ministère, Navatar a soulevé la question suivante :

L'évaluation se fonde uniquement sur la catégorie expert-conseil principal. Il est tout à fait évident que certaines sociétés pourraient décider de soumettre des prix extrêmement bas afin de remporter une offre à commandes comportant des prix beaucoup plus élevés dans les catégories des experts-conseils intermédiaires et subalternes. Ces sociétés le feraient dans l'intention bien arrêtée de ne pas recourir aux experts-conseils principaux présentés dans l'évaluation. L'application de la méthode de calcul des points attribuée au prix pourrait faire que certaines sociétés risqueraient de ne pas obtenir les 75 points requis. La Couronne envisagerait-elle d'imposer une condition selon laquelle les prix établis pour les catégories, allant de l'expert-conseil subalterne à l'expert-conseil principal, doivent être en ordre croissant, la catégorie expert-conseil principal comportant, pour chaque année visée, le taux le plus élevé?

[Traduction]

Le Ministère a répondu à la question de Navatar, dans une révision de la DOC datée du 6 octobre 1999, ainsi qu'il suit :

La majeure partie des tâches prévues exigera les services de personnel de niveau expert-conseil principal, c'est-à-dire, des experts qui répondent aux critères de compétence et d'expérience requis pour se qualifier au niveau d'un expert-conseil principal. Par conséquent, toute société qui espère se voir attribuer un tel projet devra faire la preuve que son personnel possède lesdites compétence et expérience et, par la suite, le personnel qu'elle propose sera réputé du niveau expert-conseil principal et les taux quotidiens pour un expert-conseil principal s'appliqueront. [Soulignement ajouté]

[Traduction]

À la date de clôture, le 1er novembre 1999, 62 sociétés avaient soumis des propositions. Au total, 112 propositions avaient été reçues, concernant les six classes distinctes. Un total de 28 propositions, y compris celle de Navatar, avaient été reçues relativement à la classe de services « Perfectionnement organisationnel ».

Navatar a déclaré que le Ministère a communiqué avec elle, par téléphone, le 4 novembre 1999, pour confirmer le taux quotidien pour la catégorie expert-conseil principal. Le 8 novembre 1999, Navatar a répondu en confirmant son taux quotidien.

Une équipe composée uniquement de membres du personnel du MDN a procédé à l'évaluation technique des propositions et a complété ladite évaluation le 19 novembre 1999.

Le ou vers le 23 novembre 1999, au cours de l'évaluation financière des propositions pour la classe de services « Perfectionnement organisationnel », réalisée par le président de l'équipe d'évaluation technique et des membres du personnel du Ministère (l'équipe d'évaluation financière), il a été découvert que Navatar avait proposé un taux quotidien de 50 $ pour la catégorie expert-conseil principal, alors que le taux quotidien moyen des autres soumissionnaires pour la catégorie expert-conseil principal s'élevait à environ 1 300 $. Selon le RIF, le même jour, le Ministère a demandé des éclaircissements à Navatar, et lui a demandé de confirmer le taux qu'elle avait proposé et, ce même jour, Navatar a verbalement confirmé que son taux quotidien pour la catégorie expert-conseil principal était exact. Cependant, Navatar a nié le fait que le Ministère ait communiqué avec elle ou qu'elle ait communiqué avec le Ministère à la date susmentionnée.

L'équipe d'évaluation financière a conclu, le 24 novembre 1999, que le taux proposé par Navatar pour la catégorie expert-conseil principal était anormalement bas et avait été soumis pour biaiser la procédure d'évaluation. De plus, le Ministère était conscient que l'offre de Navatar pouvait être retirée à tout moment puisqu'elle avait été soumise en réponse à une offre à commandes, non dans le cadre d'un marché. Dans de telles circonstances, le Ministère a mis la proposition de Navatar de côté et a complété l'évaluation financière des autres propositions techniquement recevables. Après avoir mis de côté la proposition de Navatar, l'équipe d'évaluation financière a accordé 30 points à l'évaluation de la proposition techniquement recevable la moins-disante. Toutes les autres propositions techniquement recevables ont reçu, proportionnellement, une partie de ces points, conformément à la méthode d'évaluation énoncée dans la DOC. Le 15 décembre 1999, le rapport d'évaluation final portant sur la classe de services « Perfectionnement organisationnel » a été soumis à l'autorité administrative des offres à commandes. Navatar était incluse dans la liste des soumissionnaires devant recevoir une offre à commandes. Les 22 et 23 décembre 1999, les soumissionnaires ont été informés, par télécopie, que des offres à commandes leur avaient été adjugées.

L'offre à commandes de Navatar, à la rubrique « Limites financières », mentionne ce qui suit :

Le coût global pour le Canada qui résulte des commandes subséquentes à la présente offre à commandes ne doit pas dépasser 50 000 $ à moins d'autorisation écrite de l'autorité contractante. L'offrant n'est pas tenu d'exécuter un travail ou un service quelconque ni de fournir quelqu'article que ce soit en réponse à des commandes subséquentes qui porteraient le coût total pour le Canada au-delà de la somme mentionnée, à moins qu'une augmentation ne soit autorisée. L'offrant avisera l'autorité contractante quant à la suffisance de la somme susmentionnée à la première des deux éventualités suivantes : soit lorsque 75 p. 100 dudit montant aura été engagé, soit deux mois avant la date prévue de l'expiration de l'offre à commandes. Cependant, en tout moment, dès qu'il estime que ledit montant risque d'être dépassé, l'offrant doit en aviser immédiatement l'autorité contractante.

[Traduction]

Selon le Ministère, un montant arbitraire, par rapport au financement total disponible aux termes de la DOC, a été alloué à la classe de services « Perfectionnement organisationnel » et ce, à des fins administratives uniquement. Pour des fins de contrôle et de rapport, le Ministère a décidé de répartir le montant alloué entre toutes les sociétés retenues pour une offre à commandes. La répartition des fonds a, en gros, été calculée selon le nombre d'experts-conseils principaux compétents indiqué dans chaque proposition retenue. Les offres à commandes ont été expédiées, assorties d'un financement estimatif allant de 50 000 $ (dans le cas de Navatar et de quatre autres sociétés qualifiées) à 150 000 $.

Le 4 janvier 2000, dans le cadre d'une conférence téléphonique entre Navatar et le Ministère, le financement estimatif alloué aux diverses offres à commandes a été expliqué ainsi qu'il a déjà été indiqué. Le 17 janvier 2000, Navatar a eu une réunion avec le Ministère et le MDN. À la réunion susmentionnée, l'assurance a été donnée à Navatar que « la valeur indiquée sur l'offre à commandes ne signifie en aucune façon que le montant précisé ne peut être dépassé. Je lui ai précisé que si le client veut recourir à une offre à commandes plus souvent qu'à une autre, nous augmenterions tout simplement le financement prévu » [traduction]. À cette même réunion, Navatar a confirmé qu'elle ne fournirait pas un expert-conseil principal au prix proposé dans sa soumission pour la catégorie expert-conseil principal, mais qu'elle avait l'intention de fournir des experts-conseils possédant les titres et qualités d'un expert-conseil principal, au taux quotidien proposé pour la catégorie expert-conseil de niveau intermédiaire.

BIEN-FONDÉ DES PLAINTES

Position du Ministère

Le Ministère a soutenu que le paragraphe 6(2)4 des « Instructions et conditions uniformisées » (DSS-MAS 9403-6) sur les offres à commandes, incorporé par renvoi dans la DOC, lui conférait l'autorité de rejeter la soumission de Navatar. Le Ministère a soutenu qu'il disposait du pouvoir d'examiner si le taux quotidien extrêmement bas soumis par Navatar pour la catégorie expert-conseil principal était « réaliste dans les circonstances actuelles » [traduction]. Le Ministère a soutenu qu'il avait le pouvoir de rejeter la proposition de Navatar, ayant conclu que la proposition financière de Navatar n'était pas réaliste, puisqu'elle avait été soumise à un prix trop bas, et compte tenu du fait qu'une telle proposition ne pouvait déboucher que sur la seule adjudication d'une offre à commandes à Navatar, contrairement à l'intention du Ministère expressément énoncée dans la DOC, et du fait que l'offre à commandes de Navatar pouvait être retirée en tout moment. Cela, selon le Ministère, a été fait en mettant de côté l'offre de Navatar et en appliquant les critères d'évaluation énoncés dans la DOC aux autres propositions. Le Ministère a soutenu que l'envoi d'une offre à commandes à Navatar, effectuée par erreur, ne change pas le fait que la soumission de Navatar a été rejetée.

Le Ministère a en outre soutenu que le comportement de Navatar constitue un abus de la procédure concurrentielle et une violation du principe de la bonne foi qui s'applique à la procédure d'appel d'offres du gouvernement. Ce principe, selon le Ministère, a pour objet de protéger l'intégrité du mécanisme d'appel d'offres. Dans une position de rechange, le Ministère a soutenu que le comportement de Navatar contrevient à l'obligation implicite qu'ont toutes les parties d'agir équitablement et d'une manière qui ne constitue pas un abus du mécanisme d'appel d'offres. Le Ministère a soutenu que, en proposant un taux quotidien extrêmement bas pour la catégorie expert-conseil principal dans le but d'éliminer toute la concurrence et sans avoir l'intention de fournir les services experts-conseils à un tel taux, Navatar a agi de mauvaise foi et a failli à son obligation d'agir équitablement.

De plus, le Ministère a dit avoir agi en conformité avec les termes de la DOC lorsqu'il a établi, aux fins de contrôle et de rapport uniquement, un montant, qui aurait pu être augmenté sur demande, pour l'offre à commandes adjugée à Navatar et il a ajouté qu'une telle pratique ne causait, en aucune façon, de tort à Navatar.

Le Ministère a soutenu que l'abus, par Navatar, de la procédure concurrentielle justifie le remboursement des frais de la plainte au Ministère. Navatar, selon le Ministère, a tenté de manipuler le système d'invitation à soumissionner, puis a déposé une plainte lorsque sa tentative a échoué.

Position de Navatar

Navatar a soutenu que les renseignements divulgués dans le RIF indiquent que le Ministère a initialement jugé sa proposition techniquement recevable, puis se rendant compte que seule Navatar se qualifierait, en application de la règle obligatoire des 75 p. 100, a déclaré irrecevable la proposition de Navatar. De plus, Navatar a soutenu que l'affirmation du Ministère selon laquelle cette dernière a été adjugée une offre à commandes par erreur, après l'envoi des autres offres à commandes, était difficile à croire. En fait, Navatar a été avisée, à quatre reprises, qu'une offre à commandes lui avait été adjugée, et son numéro d'autorisation de passer des commandes subséquentes à une offre à commandes (APCSOC) révèle qu'il s'agit d'une exécution initiale et non d'une exécution après le fait, comme le Ministère l'a indiqué. Navatar a aussi souligné que l'affirmation du Ministère selon laquelle une offre à commandes a été envoyée par erreur n'est venue qu'après que Navatar a remis en question la qualité du déroulement de la procédure d'évaluation, le 4 janvier 2000.

Navatar a soutenu que la DOC ne contenait aucun énoncé pour indiquer l'imposition de limites financières aux offres à commandes, et encore moins que de telles limites seraient fondées sur le nombre d'experts-conseils principaux proposés par les soumissionnaires. Navatar a soutenu que, si elle avait connu ce fait, elle aurait structuré sa proposition différemment.

Navatar a contesté l'affirmation du Ministère selon laquelle elle n'avait pas l'intention d'honorer les taux qu'elle a proposés. Plutôt, Navatar a confirmé qu'elle ne fournirait pas d'experts-conseils principaux au prix proposé dans l'offre pour la catégorie expert-conseil principal, mais fournirait des experts-conseils possédant les titres et qualités d'un expert-conseil principal au taux quotidien proposé pour la catégorie expert-conseil de niveau intermédiaire.

Navatar a soutenu que d'importantes contradictions entre les termes de la DOC et ceux de l'APCSOC rendent la DOC invalide ou obligent à y apporter des éclaircissements ou des révisions.

Navatar a contesté l'affirmation du Ministère selon laquelle Navatar a fait preuve « de mauvaise foi » lorsqu'elle a présenté sa soumission. En fait, Navatar n'avait aucun moyen de savoir si d'autres sociétés présenteraient des soumissions en appliquant la stratégie d'établissement des prix qu'elle a elle-même appliquée. Une telle éventualité, selon Navatar, était vraisemblable, étant donné que sa suggestion pour une amélioration a été publiquement dévoilée dans le cadre de la procédure de questions et réponses afférentes à la DOC. De même, Navatar a soutenu que sa réputation aurait dû être une garantie de sa bonne foi et de sa capacité d'exécuter le travail tel que proposé dans sa soumission.

DÉCISION DU TRIBUNAL

Aux termes de l'article 30.14 de la Loi sur le TCCE, le Tribunal doit, lorsqu'il a décidé d'enquêter, limiter son étude à l'objet de la plainte. En outre, à la fin de l'enquête, le Tribunal doit déterminer la validité de la plainte en fonction des procédures et autres exigences établies par règlement pour le contrat spécifique. De plus, l'article 11 du Règlement prévoit notamment que le Tribunal doit déterminer si le marché a été passé conformément à l'Accord sur le commerce intérieur 5 et à l'Accord de libre-échange nord-américain 6 .

Dans la plainte dans le dossier no PR-99-043, Navatar a soutenu que le Ministère a imposé un montant maximal sur son offre à commandes, alors qu'il n'avait pas indiqué dans la DOC qu'un tel plafond serait fixé ni comment il serait calculé. Cela, selon Navatar, contrevient aux accords commerciaux, qui exigent que la documentation relative à l'appel d'offres énonce clairement les critères qui régissent les soumissions et qui seront appliqués dans l'évaluation des propositions.

Le Tribunal conclut que l'allégation susmentionnée de Navatar n'est pas fondée. Le fait que le Ministère, après la date limite de réception des soumissions, ait établi différentes valeurs pour les offres à commandes en se fondant sur le nombre d'experts-conseils principaux qualifiés proposé dans chacune des propositions retenues, n'est pas contesté. Cependant, le Tribunal est d'avis que de telles valeurs ont été établies uniquement à des fins administratives, de contrôle et de rapport et que lesdites valeurs pouvaient être modifiées en tout moment au moyen d'ententes administratives, tant que les offres à commandes demeuraient en vigueur. De l'avis du Tribunal, un tel montant n'a pas été une condition des offres ni un critère d'évaluation et n'a pas limité la valeur des offres à commandes. Par conséquent, l'existence d'un tel maximum ne contrevient pas aux dispositions des accords commerciaux qui régissent la diffusion de la documentation relative à l'appel d'offres, l'évaluation des propositions et l'adjudication des marchés. Le Tribunal est d'avis que le Ministère ferait preuve de prudence, à l'avenir, s'il indiquait clairement, dans la documentation relative à l'appel d'offres, son intention d'appliquer de telles dispositions administratives, de manière que leur signification véritable soit bien comprise à la fois par les titulaires et par les utilisateurs des offres à commandes. Cependant, le Tribunal est d'avis que, dans le cas présent, l'absence de tels renseignements dans la DOC n'a pas causé de tort à Navatar.

Navatar a soutenu que, si elle avait été au courant du plafond proposé ou des éléments qui allaient en fonder son calcul, elle aurait présenté une proposition différente. Tel peut bien être le cas. Le Tribunal, cependant, ne voit pas comment Navatar aurait pu en tirer avantage puisque, toutes choses étant égales par ailleurs, l'offre à commandes qu'elle aurait pu remporter ne serait ni plus ni moins limitée dans sa portée que celle qu'elle a obtenue. Le Tribunal en vient à cette conclusion parce que le montant indiqué par le Ministère ne revêt qu'un caractère strictement administratif et peut être modifié en tout temps.

Dans la plainte dans le dossier no PR-99-044, Navatar a allégué que le Ministère a omis d'évaluer les propositions en conformité avec la méthode d'évaluation énoncée dans la DOC. Selon Navatar, il était impossible que les soumissions d'autant d'autres soumissionnaires soit retenues, étant donné la méthode d'évaluation spécifique décrite dans la DOC et le taux quotidien proposé par Navatar relativement à ses experts-conseils principaux. Pour sa part, le Ministère a soutenu avoir appliqué la méthode d'évaluation telle qu'elle était énoncée dans la DOC, en ce sens que la proposition de Navatar a été « mise de côté » au moment de l'évaluation financière et qu'il n'en n'a donc pas été tenu compte dans l'attribution des points lors de l'évaluation financière des autres propositions techniquement recevables.

L'alinéa 1015(4)d) de l'ALÉNA prévoit que « l'adjudication des marchés sera conforme aux critères et aux conditions essentielles spécifiées dans la documentation relative à l'appel d'offres ». Le paragraphe 506(6) de l'ACI prévoit, notamment, que « [l]es documents d'appel d'offres doivent indiquer clairement les conditions du marché public, les critères qui seront appliqués dans l'évaluation des soumissions et les méthodes de pondération et d'évaluation des critères ».

Le Tribunal déterminera si, dans l'évaluation des propositions et l'octroi des offres à commandes relatives à la classe de services « Perfectionnement organisationnel », le Ministère et le MDN ont appliqué la méthode d'évaluation énoncée dans la DOC.

La DOC stipulait que, pour être recevables et pour obtenir une offre à commandes, les soumissions devaient obtenir un résultat global combiné, pour l'évaluation technique et financière de leurs propositions, d'au moins 75 points. La proposition, évaluée comme étant la meilleure au point de vue technique, devait recevoir 70 points à l'évaluation, les autres propositions techniquement recevables recevant un nombre de points établi en proportion des 70 points attribués à la meilleure proposition. De même, la proposition techniquement recevable la moins-disante devait recevoir 30 points à l'évaluation, les autres propositions techniquement recevables recevant un nombre de points établi en proportion des 30 points susmentionnés.

Le Tribunal conclut que, contrairement aux dispositions susmentionnées des accords commerciaux, le Ministère et le MDN, lorsqu'ils ont mis de côté la proposition de Navatar au moment de procéder à la cotation des diverses propositions présentées pour la classe de services « Perfectionnement organisationnel », se sont écartés de la méthode d'évaluation énoncée dans la DOC.

Le Tribunal interprète les éléments de preuve au dossier ainsi qu'il suit. Le 1er novembre 1999, l'appel d'offres s'est terminé. Vingt-huit propositions, y compris celle de Navatar, ont été reçues relativement à la classe de services « Perfectionnement organisationnel ». Le Ministère a gardé la partie financière des propositions et en a envoyé la partie technique au MDN pour évaluation. Le 4 novembre 1999, le Ministère a communiqué avec Navatar pour confirmer le taux quotidien proposé par cette dernière relativement aux experts-conseils principaux. Le 8 novembre 1999, Navatar a confirmé ledit taux quotidien. Le 19 novembre 1999, le MDN a terminé son évaluation technique des propositions relativement à cette classe de services. Le 23 novembre 1999, l'équipe d'évaluation financière a constaté le très bas taux quotidien proposé par Navatar pour la catégorie expert-conseil principal. Selon le RIF, ce même jour, le Ministère a communiqué avec Navatar pour éclaircir la question du taux quotidien proposé par cette dernière et, ce même jour, Navatar a confirmé verbalement que son taux quotidien pour la catégorie expert-conseil principal était exact. Le Tribunal prend note que Navatar conteste le fait que le Ministère ait communiqué avec elle le 23 novembre 1999, ou qu'elle ait communiqué avec le Ministère ce même jour, à ce sujet. Le Tribunal estime que cet écart de vues n'est pas pertinent en l'espèce parce que, le 4 novembre ou le 23 novembre 1999, ou à ces deux dates, dans la mesure où les faits ont vraiment eu lieu, un point sur lequel le Tribunal ne se prononce pas, les parties ont convenu que Navatar avait confirmé son taux quotidien pour la catégorie expert-conseil principal tel qu'elle l'avait inclus dans sa proposition. Le 24 novembre 1999, l'équipe d'évaluation financière a décidé de « mettre de côté » la proposition de Navatar et de poursuivre l'évaluation des autres propositions techniquement recevables conformément à la méthode d'évaluation énoncée dans la DOC.

Le Tribunal n'est pas convaincu que l'équipe d'évaluation financière ait jugé que la proposition de Navatar n'était pas recevable au moment de l'évaluation financière. Plutôt, selon le Tribunal, la proposition de Navatar a été jugée incommodante, en ce que : 1) elle perturbait gravement l'issue générale prévue par le Ministère et le MDN; 2) elle semblait susciter un élément de risque, étant donné le très bas taux quotidien proposé par Navatar pour la catégorie expert-conseil principal; 3) le fait que l'entente qui devait s'ensuivre serait une offre à commandes, un type d'entente que Navatar pouvait décider d'annuler en tout moment, après qu'elle aurait été passée.

Le Tribunal est d'avis que, lorsque Navatar a confirmé que sa proposition était exacte, le Ministère devait en accepter les conséquences et poursuivre l'évaluation des propositions, en application de la méthode énoncée dans la DOC. Si Navatar, au moment où il lui a été demandé de confirmer sa proposition, avait clairement indiqué qu'elle n'avait pas l'intention de fournir d'experts-conseils principaux au taux qu'elle avait proposé pour la catégorie expert-conseil principal, le Ministère aurait pu immédiatement déclarer irrecevable la proposition de Navatar. Plutôt, le Ministère a « mis de côté » la proposition de Navatar, poursuivi l'évaluation des propositions comme si la proposition de Navatar n'existait tout simplement pas et, à la fin de la procédure d'évaluation, a adjugé, présumément par erreur, une offre à commandes à Navatar. Le Tribunal n'est pas convaincu que Navatar a obtenu une offre à commandes par erreur.

Pour les motifs susmentionnés, le Tribunal conclut que la plainte dans le dossier no PR-99-044 est fondée.

Lorsqu'il recommande une mesure corrective, le Tribunal doit tenir compte de divers facteurs énoncés au paragraphe 30.15(3) de la Loi sur le TCCE, y compris la question de savoir si les parties ont agi de bonne foi. Dans un tel contexte, le Tribunal fait observer que, durant la période de soumission, Navatar a soulevé une question sur la possibilité que les soumissionnaires présentent des prix extrêmement bas pour la catégorie expert-conseil principal, le seul taux quotidien qui devait servir aux fins de l'évaluation. Dans sa réponse, le Ministère a clairement indiqué qu'il prévoyait que la majeure partie des travaux visés dans les offres à commandes se rapporterait aux services d'experts-conseils principaux, c.-à-d. des experts-conseils ayant les titres et qualités et l'expérience d'un expert-conseil principal, comme le précisait la DOC. Le Ministère a ajouté que, par conséquent, un soumissionnaire qui avait l'intention d'exécuter de tels travaux devait démontrer que le personnel qu'il proposait relativement à l'exécution d'un projet donné possédait les titres et qualités et l'expérience et, cela fait, le personnel proposé serait réputé être du niveau d'un expert-conseil principal, et le taux quotidien pour la catégorie expert-conseil principal s'appliquerait.

Le Tribunal est d'avis que la réponse susmentionnée indique clairement que le type de substitution de taux quotidien auquel Navatar a fait allusion dans la question no 8 n'était tout simplement pas acceptable pour ce qui est de satisfaire aux dispositions de la DOC.

Cependant, le 17 janvier 2000, dans une réunion d'information avec le Ministère, Navatar a confirmé que son intention, lorsqu'elle avait présenté une soumission, n'était pas de fournir des experts-conseils principaux au prix indiqué dans sa proposition pour la catégorie expert-conseil principal, mais plutôt de fournir des experts-conseils ayant les titres et qualités et l'expérience d'un expert-conseil principal au taux quotidien proposé pour la catégorie expert-conseil de niveau intermédiaire.

Le Tribunal fait observer que, dans ses plaintes au Tribunal, Navatar a fait allusion à la « stratégie créatrice d'établissement des prix » susmentionnée comme constituant peut-être un abus du mécanisme de soumission concurrentiel. Le Tribunal ne s'attardera pas sur l'allusion susmentionnée ni sur l'état d'esprit qui a guidé le comportement de Navatar dans l'ensemble de la procédure de passation du marché en cause. Cependant, le Tribunal est d'avis qu'il est maintenant clair que Navatar n'a pas proposé un taux quotidien valide pour la catégorie expert-conseil principal d'après les critères énoncés dans la DOC, modifiée par la réponse du 6 octobre 1999 à la question de Navatar. Par conséquent, Navatar n'a pas subi de tort attribuable au comportement du Ministère, et le Tribunal, ne recommandera donc pas l'application d'une mesure corrective dans la présente.

DÉCISION DU TRIBUNAL

À la lumière de ce qui précède, le Tribunal détermine que ce marché public n'a pas été passé, en partie, en conformité avec les dispositions des accords commerciaux et, donc, que la plainte dans le dossier no PR-99-044 est fondée. La plainte dans le dossier no PR-99-043, d'autre part, n'est pas fondée.

1 . L.R.C. 1985 (4e supp.), c. 47 [ci-après Loi sur le TCCE].

2 . D.O.R.S./93-602 [ci-après Règlement].

3 . D.O.R.S./91-499.

4 . Le paragraphe 6(2) indique, notamment, ce qui suit :

L'évaluation des offres à commandes proposées peut mener à l'autorisation d'utiliser une ou plusieurs offres à commandes en totalité ou en partie, soit en fonction du prix le plus bas par article ou par destination ou par groupe d'articles ou de destinations ou en fonction du prix global le plus bas. Ni la plus basse, ni l'une quelconque des offres à commandes proposées ne sera nécessairement acceptée.

5 . Signé à Ottawa (Ontario) le 18 juillet 1994 [ci-après ACI].

6 . 32 I.L.M. 289 (entré en vigueur le 1er janvier 1994) [ci-après ALÉNA].


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Publication initiale : le 27 juin 2000