SOCIÉTÉ D’ÉNERGIE MECHRON LIMITÉE

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SOCIÉTÉ D’ÉNERGIE MECHRON LIMITÉE
Dossier no : PR-95-001

TABLE DES MATIÈRES


Ottawa, le jeudi 26 octobre 1995

Dossier no : PR-95-001

EU ÉGARD À une plainte déposée par la Société d’énergie Mechron Limitée aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.), modifiée par L.C. 1993, ch. 44;

ET EU ÉGARD À une décision rendue aux termes de l’article 30.14 de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur.

O R D O N N A N C E

INTRODUCTION

Dans une décision rendue le 18 août 1995, le Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) a accordé à la Société d’énergie Mechron Limitée (le plaignant), aux termes des paragraphes 30.15(4) et 30.16(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur [1] (la Loi sur le TCCE), sous réserve des recommandations du Tribunal figurant dans la décision, le remboursement des frais entraînés par la préparation d’une réponse à l’appel d’offres ainsi que les frais relatifs au dépôt et au traitement de sa plainte.

Aux termes des paragraphes 30.15(2) et (3) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal a recommandé que le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (le Ministère) résilie le marché adjugé à Schneider Canada (l’adjudicataire) et l’attribue au plaignant. Si le marché était attribué au plaignant, tout montant versé au plaignant, conformément à la décision du Tribunal portant sur le remboursement des frais entraînés par la préparation d’une réponse à l’appel d’offres, devrait être déduit de la valeur du marché.

Par ailleurs, si le marché devait ne pas être attribué au plaignant, le Tribunal a recommandé que le Ministère, en plus de rembourser au plaignant les frais relatifs au dépôt et au traitement de la plainte de ce dernier, présente au Tribunal une proposition de dédommagement, élaborée conjointement avec le plaignant, en reconnaissance du fait que le marché aurait dû être adjugé au plaignant qui aurait eu la possibilité d’en tirer des profits. Ladite proposition devait être présentée au Tribunal dans les 30 jours suivant la date de la décision.

Le 28 août 1995, le Ministère a, dans une lettre adressée au Tribunal, précisé ses intentions à l’égard des recommandations du Tribunal. Le Ministère a déclaré qu’il ne résilierait pas le contrat accordé à l’adjudicataire, mais tenterait plutôt de négocier, avec le plaignant, une proposition de dédommagement en reconnaissance de la possibilité perdue de tirer des profits, fondée sur le montant du contrat accordé à l’adjudicataire et non sur le montant de la proposition du plaignant. À la suite de ce qui précède, le plaignant a présenté au Tribunal, le 19 septembre 1995, sa demande de remboursement des frais liés à la proposition, soit 116 226,00 $, et sa demande de remboursement des frais liés à la préparation de la plainte, soit 168 212,00 $. Les 4 et 11 octobre 1995, le Ministère a fait parvenir au Tribunal ses observations écrites sur les demandes de remboursement du plaignant. Enfin, les 11 et 18 octobre 1995, le plaignant a répondu aux observations du Ministère.

FRAIS LIÉS À LA PROPOSITION

Le Tribunal est d’avis que, en préparant une réponse à l’appel d’offres, le taux de 125,99 p. 100 pour les frais généraux de fabrication ne doit pas être appliqué à toute heure de travail qui n’est pas réputée être pour des travaux de fabrication ou d’ingénierie, et que le taux des dépenses générales et d’administration, de 8,96 p. 100, ne doit pas être appliqué dans le cas des heures de travail dans les domaines des ventes et de l’administration. Cependant, toutes les heures doivent être admises.

Par conséquent, le Tribunal accorde le remboursement des frais au montant de 84 856,00 $ pour la préparation de la proposition.

FRAIS LIÉS À LA PLAINTE

En ce qui concerne les frais engagés par le plaignant pour le dépôt et le traitement de sa plainte, le Tribunal doit examiner plusieurs catégories de dédommagement. Ces catégories sont les suivantes : 1) le temps consacré par le plaignant au traitement de sa plainte; 2) les frais juridiques engagés par le plaignant; 3) les honoraires de l’expert-conseil.

Pour ce qui est de la catégorie 1), le Tribunal considère le montant soumis par le plaignant comme étant raisonnable. Par conséquent, le Tribunal accorde le remboursement des frais au montant de 6 907,00 $.

En ce qui a trait à la catégorie 2), le Tribunal n’est pas d’avis que toutes les heures consacrées par les avocats au nom du plaignant étaient nécessaires, étant donné la nature de la plainte. Le Tribunal reconnaît que ces derniers ont traité d’une cause complexe et est conscient de la qualité de leur contribution.

Le Tribunal a tenu compte de divers facteurs pour évaluer ce qui, à son avis, représente un nombre d’heures raisonnable. Ces facteurs comprennent la complexité de la cause, les échéanciers auxquels les parties intéressées étaient contraintes, la nature des résultats obtenus et l’étendue du savoir-faire démontré par les avocats [2] .

Le savoir-faire démontré par les avocats justifie un juste dédommagement, compte tenu des résultats positifs qu’ils ont obtenus au nom de leur client, le plaignant. Néanmoins, le Tribunal est d’avis que le nombre de 671 heures consacrées par les avocats à la cause est, en l’espèce, excessif. Le Tribunal est plutôt d’avis que le nombre d’heures raisonnable est 80 p. 100 du nombre d’heures demandé. Le nombre d’heures admis est réparti selon les proportions précisées dans la lettre du 11 octobre 1995 du plaignant quant aux membres du personnel juridique qui ont œuvré au dossier.

Le prochain facteur que le Tribunal doit examiner dans le cadre de la même catégorie se rapporte à la question de savoir si les frais horaires réclamés par les avocats sont raisonnables. À cette fin, il est utile de tenir compte des taux horaires autorisés par les autres administrations gouvernementales et organismes d’arbitrage. Le Tribunal fait observer que, dans une cause concernant les honoraires des avocats dans le domaine de la mise sous séquestre, la Haute Cour de l’Ontario a admis l’échelle de rémunération suivante [3] :

expérience de 1 à 5 ans - de 90 $ à 120 $ l’heure

expérience de 5 à 10 ans - de 130 $ à 150 $ l’heure

expérience de 10 à 15 ans - de 150 $ à 175 $ l’heure

expérience de 15 à 20 ans - de 175 $ à 200 $ l’heure

expérience de plus de 20 ans - de 225 $ à 275 $ l’heure

Dans un autre cadre judiciaire, des frais d’avocat pouvant atteindre jusqu’à 350 $ l’heure pour un avocat-conseil et jusqu’à 210 $ l’heure pour un avocat en second ont été admis dans une cause complexe de complot en vue de causer un dommage et d’ingérence dans des relations économiques [4] .

Le Tribunal fait également observer que le ministère de la Justice, lorsqu’il retient les services d’avocats privés, applique l’échelle de rémunération suivante :

expérience de 1 à 3 ans - de 60 $ à 85 $ l’heure

expérience de 4 à 7 ans - de 85 $ à 100 $ l’heure

expérience de 8 à 12 ans - de 100 $ à 125 $ l’heure

expérience de 13 à 20 ans - de 125 $ à 150 $ l’heure

expérience de plus de 20 ans - de 150 $ à 200 $ l’heure

Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, un grand organisme d’arbitrage similaire au Tribunal, compte une longue tradition en détermination des dépens. La grille de rémunération qu’il a récemment établie est la suivante :

assistant juridique - 30 $ l’heure

stagiaire en droit - 60 $ l’heure

expérience de 0 à 2 ans - 115 $ l’heure

expérience de 3 à 5 ans - 140 $ l’heure

expérience de 6 à 10 ans - 175 $ l’heure

expérience de plus de 11 ans - 230 $ l’heure

Compte tenu de tout ce qui précède, le Tribunal est d’avis, relativement aux avocats en l’espèce et compte tenu de leur nombre d’années d’admission au barreau, que 230 $, 115 $ et 60 $ sont des taux horaires raisonnables pour un avocat comptant 12 ans ou plus d’expérience, un avocat comptant 2 ans d’expérience et un stagiaire en droit, respectivement.

Le Tribunal ne dispose pas de renseignements à l’appui de l’affirmation du plaignant selon laquelle le clerc et le bibliothécaire en droit devraient être rémunérés selon un taux horaire, puisque leur travail est, d’une façon générale, réputé comme relevant des frais généraux du cabinet juridique [5] .

Par conséquent, le Tribunal accorde le remboursement des frais au montant de 85 607,36 $ pour cette catégorie.

À l’égard de la catégorie 3), le Tribunal n’est pas disposé à recommander le paiement du montant des honoraires de l’expert-conseil. Le rapport de l’expert-conseil a été remis très tardivement, le 11 juillet 1995, et n’a pas été examiné du tout par le Tribunal. Aucune valeur n’a été ajoutée, de l’avis du Tribunal, par la préparation ou la présentation dudit rapport.

En résumé, relativement aux frais de la plainte, le Tribunal accorde le remboursement des frais au montant de 92 514,36 $.

DÉDOMMAGEMENT POUR LES PROFITS NON RÉALISÉS

Il est manifeste que les parties n’ont pu élaborer conjointement une proposition de dédommagement. Par conséquent, il revient au Tribunal de fixer le montant du dédommagement d’après les renseignements soumis. Étant donné les difficultés éprouvées par les parties intéressées dans la préparation d’une proposition conjointe de dédommagement, le Tribunal, le 5 octobre 1995, a demandé au plaignant de soumettre sa demande de dédommagement au plus tard le 13 octobre 1995. La date limite pour la réponse du Ministère à l’exposé du plaignant a été fixée au 18 octobre 1995, et celle pour la réponse du plaignant aux observations du Ministère devait être le 20 octobre 1995. Le 17 octobre 1995, le Ministère a avisé le Tribunal qu’il ne pouvait répondre avant le 27 octobre 1995. Le 19 octobre 1995, le Ministère a été avisé que la date limite du délai de présentation de ses observations sur l’exposé du plaignant et de présentation d’autres exposés sur le dédommagement était fixée au 23 octobre 1995.

L’absence de réponse du Ministère a rendu la détermination du montant de dédommagement difficile dans la présente affaire. Selon le Tribunal, le Ministère a reçu un délai suffisant pour présenter ses observations sur l’exposé du plaignant. Il importe de ne pas oublier le caractère d’efficacité et de rapidité associé au mandat d’examen des marchés publics qui a été confié au Tribunal [6] , la procédure alors suivie débouchant sur la présentation de recommandations au Ministère [7] . Le Tribunal peut tenir compte de renseignements qui, à son avis, font foi pour arriver à ses recommandations [8] . Malheureusement, jusqu’à présent, le Ministère n’a pas fourni au Tribunal de renseignements sur la question du dédommagement. Cela ne libère cependant pas le Tribunal de son obligation d’examiner les renseignements qui ont été soumis par le plaignant avant d’arrêter sa décision sur le montant indiqué du dédommagement.

Le Tribunal est conscient qu’il n’est pas facile de décider quel montant de dédommagement est raisonnable. Comme l’a déclaré le juge en chef de la Colombie-Britannique dans l’affaire Begusic c. Clark, Wilson & Co., « The assessment of damages is not a precise science: it is not even a calculation » [9] (« L’évaluation des dommages ne relève pas d’une science précise; ce n’est même pas un calcul »).

En se demandant selon quels principes le montant du dédommagement devrait être établi, le Tribunal a décidé d’invoquer ceux qui régissent l’évaluation des dommages-intérêts dans la common law. Il est évident que les dommages peuvent être évalués dans des causes portant sur des appels d’offres, auxquels ressemble bien entendu la procédure de passation du marché public en question [10] .

Les tribunaux ont décidé que, dans les causes portant sur des appels d’offres, les principes qu’il convenait d’utiliser pour déterminer l’ampleur des dommages-intérêts sont ceux qui sont invoqués dans les causes de bris de contrat [11] .

Dans la présente affaire, il est clair que le plaignant, si son offre avait été retenue, s’attendait à tirer des profits du marché, et le Ministère aurait raisonnablement dû prévoir ou envisager ce fait. Par conséquent, le dédommagement demandé par le plaignant au titre des profits qu’il aurait pu réaliser ne s’écarte pas trop de la première partie de la règle énoncée dans l’affaire Hadley c. Baxendale [12] .

En autant que la demande de dédommagement déposée par le plaignant relativement aux profits qu’il aurait pu réaliser n’est pas trop outrée, le plaignant a le droit « [insofar] as money can do it, be placed in the same situation, with respect to damages, as if the contract had been performed » [13] (« [dans la mesure où] l’argent peut le faire, [d’être] mis dans la même situation, pour ce qui est des dommages-intérêts, où il se serait trouvé si le contrat avait été exécuté »).

Dans la présente affaire, le plaignant soutient que le montant de sa perte a été établi au paragraphe 20 de son exposé du 13 octobre 1995. Cependant, le prix du marché aurait-il été au montant indiqué par le plaignant dans son exposé? Ce dernier a manifestement fondé son exposé sur l’hypothèse que toutes les options possibles qu’aurait pu exercer le Ministère auraient effectivement été exercées.

Dans toute procédure d’appel d’offres, l’autorité contractante est soumise à des limites budgétaires. Si toutes les offres sont faites à un montant de beaucoup supérieur aux limites budgétaires de l’autorité contractante, il est raisonnable de s’attendre que cette dernière réexamine le besoin associé au marché initialement proposé ou vérifie s’il lui est possible de hausser le plafond budgétaire. Une telle latitude, lorsqu’il en est fait usage de façon juste et de bonne foi, est un élément nécessaire dans l’éventail des options de toute autorité contractante.

Dans la présente affaire, le Ministère a accepté une soumission (bien que non conforme) qui proposait de réaliser les travaux au prix de 10,9 millions de dollars. Le Ministère était donc disposé à s’engager au moins à ce niveau de financement. Le Tribunal est d’avis, cependant, que le Ministère n’était pas en mesure de passer un marché au plein prix proposé par le plaignant, ce prix comprenant toutes les options. Une telle conclusion se dégage des observations contenues dans la lettre du 28 août 1995 du Ministère au Tribunal qui précise, notamment, que le prix proposé par le plaignant dépassait de beaucoup les fonds prévus au budget du ministère des Transports pour le marché public en question. Il semble raisonnable de croire que le Ministère, étant donné les limites financières fédérales imposées dans les circonstances et le pouvoir explicite de rejeter toutes les options [14] , aurait décidé de rejeter lesdites options.

Par conséquent, sur la foi de ce qui précède et à la lumière des renseignements soumis par le plaignant, le prix révisé du marché moins les options serait de 15 474 021,00 $. En utilisant la même méthode de calcul que celle appliquée par le plaignant (redressée par soustraction des montants liés aux options, aux frais liés à la préparation de la soumission déjà accordés ci-dessus et au coût différentiel ou aux frais variables liés à l’exécution du contrat, ou aux deux), les profits prévus auraient été de 2 203 577,00 $. Le Tribunal est d’avis qu’il y a lieu de réduire le montant ci-dessus selon un coefficient de contingence de 10 p. 100 pour refléter à la fois la valeur actualisée d’un paiement des profits dès maintenant, plutôt qu’en conformité avec les modalités de l’invitation à soumissionner, et l’absence des risques normalement associés à l’exécution d’un marché. Le Tribunal recommande donc le versement au plaignant d’un dédommagement au montant de 1 983 219,00 $.

CONCLUSION

Le Tribunal accorde par la présente au plaignant le remboursement de ses frais, soit 84 856,00 $ relativement à la préparation d’une réponse à l’appel d’offres, et 92 514,36 $ relativement au dépôt et au traitement de la plainte et ordonne au Ministère de prendre les dispositions nécessaires pour que le paiement en soit effectué rapidement. Le Tribunal recommande, par la présente, que le Ministère verse au plaignant un dédommagement de 1 983 219,00 $.

Charles A. Gracey
_________________________
Charles A. Gracey
Membre



Michel P. Granger
_________________________
Michel P. Granger
Secrétaire


1. L.R.C. (1985), ch. 47 (4 e suppl.).

2. Solicitor, Re , [1968] 1 O.R. 45 (liquidateur des dépens).

3. Webber v. Coulter (1990), 22 A.C.W.S. (3d) 6 (Ont. H.C.J.).

4. 131843 Canada Inc. v. Double “R” (Toronto) Ltd. (1992) , 11 C.P.C. (3 e ) 190 (Div. gén. Ont.).

5. Greenberg v . Hsia (1993), 39 A.C.W.S. (3 e ) 1061 (liquidateur des dépens, Ont.).

6. Supra note 1, art. 35.

7. Ibid. paragr. 30.15(2).

8. Ibid. art. 34.

9. [1991], 57 B.C.L.R. (2 e ) 273 à la p. 290 (B.C.C.A.); autres motifs donnés dans [1992], 66 B.C.L.R. (2 e ) 253 (B.C.C.A.); autorisation d'interjeter appel à la C.S.C. rejetée (1992), 62 B.C.L.R. (2 e ) xxii (note) (C.S.C).

10. La Reine (Ont.) c. Ron Engineering & Construction (Eastern) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 111; voir aussi La Reine c . Canamerican Auto Lease and Rental Ltd., [1987] 3 C.F. 144.

11. Ibid .

12. (1854), 9 Exch. 341.

13. Robinson c . Harman (1848), 1 Exch. 850; Northeast Marine Services Ltd . c. Administration de pilotage de l'Atlantique , (2 C.F. 132), Stone, Decary, LeTourneau, le 25 janvier 1995.

14. Demande de propositions, numéro d'invitation NG T8080-4-0166/000/A, clause 5.4.


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Publication initiale : le 23 septembre 1999