PRODUCTIONS HÉMISPHÈRE INC.

Enquêtes


RAPPORT AU MINISTRE DES FINANCES
DEMANDE D’ALLÉGEMENT TARIFAIRE DÉPOSÉE PAR
PRODUCTIONS HÉMISPHÈRE INC.
CONCERNANT LE TISSU D’ARMURE SERGÉ
EN POLYESTER À 100 P. 100
LE 22 JUIN 1995

TABLE DES MATIERES


Demande no : TR-94-005

Membres du Tribunal : Raynald Guay, membre présidant
Lise Bergeron, membre
Lyle M. Russell, membre


Directeur de la recherche : Réal Roy


Gestionnaire de la recherche : Daryl Poirier


Avocat pour le Tribunal : Robert Desjardins


Agent à l’inscription et
à la distribution : Claudette Friesen

Adresser toutes les communications au :

Secrétaire
Tribunal canadien du commerce extérieur
Standard Life Centre
333, avenue Laurier ouest
15e étage
Ottawa (Ontario)
K1A 0G7

INTRODUCTION

Le 14 juillet 1994, le Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) a reçu du ministre des Finances (le Ministre), aux termes de l’article 19 de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur [1] , le mandat de faire enquête sur les demandes présentées par des producteurs nationaux qui souhaitent obtenir des allégements tarifaires sur les intrants textiles importés dans le cadre de leurs activités de fabrication et de formuler des recommandations au Ministre concernant ces demandes.

Conformément au mandat confié par le Ministre, le Tribunal a reçu, le 11 janvier 1995, de la société Productions Hémisphère Inc. (Hémisphère), de Montréal (Québec), une demande de suppression immédiate et permanente des droits de douane sur les importations, en provenance de tous les pays, du tissu d’armure sergé en polyester à 100 p. 100, présentant une largeur de 56 po, constitué de fils continus non texturés titrant 190 deniers et présentant un coefficient de torsion de 1 200 tours par mètre dans la chaîne, titrant 150 deniers et présentant un coefficient de torsion de 1 800 tours par mètre dans la trame, ayant une contexture de 40 fils de chaîne par pouce dans la chaîne et 80 duites par pouce dans la trame et présentant une masse surfacique de 283 g/m2 (le tissu en question), destiné à être utilisé pour produire des vêtements de sport pour femmes.

Le 22 février 1995, convaincu que le dossier de la demande était complet, le Tribunal a publié un avis d’ouverture d’enquête qui a fait l’objet d’une diffusion à grande échelle et a paru dans la Partie I de la Gazette du Canada du 4 mars 1995.

Dans le cadre de l’enquête, le personnel de la recherche du Tribunal a fait parvenir des questionnaires aux producteurs potentiels de tissus identiques ou substituables. Des questionnaires ont également été envoyés aux utilisateurs potentiels du tissu en question entrant dans la production de vêtements de sport pour femmes et à plusieurs importateurs potentiels du tissu en question. Une lettre a été envoyée au ministère du Revenu national (Revenu Canada) pour obtenir des renseignements sur le classement tarifaire du tissu en question, et un échantillon a été fourni aux fins d’analyse en laboratoire. Des lettres ont également été envoyées à plusieurs autres ministères pour obtenir des renseignements et des avis.

Un rapport d’enquête du personnel, résumant les données fournies par les ministères susmentionnés, Hémisphère et les autres entreprises qui ont répondu aux questionnaires, a été remis aux parties qui avaient déposé des actes de comparution dans le cadre de la présente enquête, soit Hémisphère, l’Institut canadien des textiles (l’ICT), la Fédération canadienne du vêtement, Doubletex et Flamcan Inc.

L’ICT a déposé auprès du Tribunal un exposé auquel Hémisphère a répondu. Aucune audience publique n’a été tenue aux fins de la présente enquête.

RENSEIGNEMENTS SUR LE PRODUIT

Revenu Canada a analysé le tissu en question et constaté que ses spécifications différaient à presque tous les égards de celles déclarées par Hémisphère. Le tableau ci-après présente une comparaison des spécifications qui ont été jugées différentes.

Comparaison des spécifications du tissu en question

Hémisphère

Revenu Canada

Tissu Largeur (m)

1,42

1,45

Masse surfacique (g/m2)

283

200

Fils de chaîne Deniers

190

149

Tours par mètre

1 200

961

Fils par pouce

40

185

Fils de trame Deniers

150

164

Tours par mètre

1 800

1 265

Duites par pouce

80

88

Certains de ces écarts entre les spécifications du produit ont été décelés par les producteurs nationaux avant que le Tribunal ne reçoive le rapport de Revenu Canada. Les producteurs nationaux ont porté à l’attention du Tribunal le fait que les valeurs déclarées concernant la masse surfacique, les fils par pouce et les duites par pouce du tissu en question étaient erronées.

Certaines de ces divergences peuvent avoir des explications logiques. Par exemple, Revenu Canada a établi la masse surfacique du tissu à 200 g/m2, plutôt qu’à 283 g/m2, comme l’affirmait Hémisphère. Cependant, une masse surfacique de 283 g/mètre linéaire (compte tenu de la largeur déclarée de 1,42 m) donne une masse surfacique de 199 g/m2. Par conséquent, il est possible qu’il y ait eu une certaine confusion dans la correspondance entre Hémisphère et son fournisseur japonais au sujet de la masse surfacique du tissu en question. En outre, les écarts entre les nombres de tours par mètre dans les fils de chaîne et de trame ont été attribués par Revenu Canada, en partie tout au moins, à des problèmes techniques communément associés à l’exécution de ce type particulier d’analyse.

D’autres écarts ne sont pas aussi facilement explicables et, en dernière analyse, la description du tissu présentée par Hémisphère et déterminée par Revenu Canada différait en ce qui a trait à toutes les spécifications indiquées ci-dessus.

Quant aux autres spécifications, il a été convenu que le tissu en question est fait de fils continus non texturés en polyester à 100 p. 100. Cependant, l’ICT a fait valoir que, techniquement parlant, le tissu en question n’est pas un tissu d’armure sergé, comme le prétend Hémisphère. Consoltex Inc. (Consoltex) a aussi signalé que le tissu en question a un fini caustifié qu’elle n’est actuellement pas capable de réaliser.

Le tissu en question est classé aux fins des douanes dans le numéro tarifaire 5407.60.90 de l’annexe I du Tarif des douanes [2] . Il est passible de droits de douane de 20,5 p. 100 ad valorem en vertu du tarif NPF et du TPG, de 20,2 p. 100 ad valorem en vertu du tarif TPB, de 7,5 p. 100 ad valorem en vertu du tarif des É.-U. et de 20,0 p. 100 ad valorem en vertu du tarif du Mexique.

Hémisphère utilise le tissu en question pour produire des blazers, des pantalons, des jupes, des gilets et des shorts pour femmes. Ces vêtements sont produits pour le compte d’Hémisphère par quatre sous-traitants au Québec. Ces sous-traitants taillent le tissu en question selon les dimensions et les formes requises et cousent les pièces pour en faire des vêtements.

Les tissus en polyester sont utilisés par de nombreux fabricants au Canada en tant qu’intrants destinés à être utilisés dans la production d’une vaste gamme de produits finis. Cependant, il semble qu’il n’y ait pas d’autres fabricants nationaux de vêtements qui aient accès au tissu en question importé par Hémisphère. En effet, dans son exposé, Consoltex prétend qu’Hémisphère a l’exclusivité de facto de ce tissu [3] .

OBSERVATIONS

Hémisphère soutient qu’elle n’est pas toujours capable d’obtenir sur le marché intérieur des tissus mode répondant à ses besoins ou aux attentes de ses clients. En outre, elle ne considère pas qu’il y a des tissus nationaux identiques ou substituables qui ont le toucher, le fini ou l’uniformité de teinture du tissu en question.

En plus d’Hémisphère, deux autres producteurs nationaux de vêtements de sport pour femmes appuient la suppression des droits de douane. Ces producteurs, soit Lori Ann Mfg. Inc. et Mode Design DDI Inc., tous deux de Montréal, ne considèrent pas que le tissu en question est disponible à partir de la production canadienne. Un détaillant de vêtements, Magasins D’Allaird’s Inc., de Montréal, et un importateur-grossiste, Rose E. Dee (International) Ltd., de Toronto (Ontario), appuient aussi la suppression des droits de douane pour la même raison.

Consoltex s’oppose à la demande, affirmant que bien qu’elle ne produise pas actuellement de tissu identique, elle pourrait le faire moyennant un certain investissement dans du nouveau matériel de finition. Du même coup, elle affirme qu’un grand nombre des tissus qu’elle vend actuellement à l’industrie du vêtement pour femmes sont substituables au tissu en question.

L’ICT s’oppose à la demande d’entrée en franchise du tissu en question, alléguant que cette entrée en franchise aurait des répercussions préjudiciables sur les producteurs canadiens de tissus substituables qui vendent à des fabricants canadiens de vêtements pour dames en concurrence avec Hémisphère au niveau du détail. En outre, cela avantagerait un fabricant de vêtements au détriment des autres fabricants et détaillants de vêtements. L’ICT allègue que des tissus substituables sont produits au Canada par Consoltex et Doubletex et qu’Hémisphère n’a pas fait la preuve des efforts qu’elle aurait faits en vue d’acheter au pays le tissu en question avant de l’importer.

Le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international a informé le Tribunal du contingentement actuel des tissus de fils continus de polyester, y compris des tissus mélangés surtout ou uniquement avec des fils continus de polyester. En outre, il a fait savoir que l’entrée d’intrants textiles en marge du contingent sera envisagée si le Tribunal recommande de supprimer les droits de douane pour le motif de non-disponibilité.

Selon Revenu Canada, l’administration de l’allégement tarifaire, s’il est accordé, ne lui imposerait pas de coûts s’ajoutant à ceux qu’il supporte déjà.

Le ministère de l’Industrie a fourni des renseignements sur le marché des tissus de polyester au Canada et recensé les producteurs nationaux de ces tissus.

ANALYSE

Chaque affaire dont le Tribunal est saisi doit être jugée sur le fond. En l’espèce, le Tribunal a conclu que les variables comme l’armure, la masse surfacique et la largeur du tissu, le denier des fils et le nombre de fils et de duites par pouce n’étaient pas des caractéristiques propres pouvant servir à déterminer si le tissu en question est, ou pourrait être, produit au Canada. Bien que certaines, ou la totalité, de ces caractéristiques puissent se révéler critiques dans d’autres demandes d’allégement tarifaire, de l’avis du Tribunal, ces caractéristiques ne sont pas déterminantes en l’espèce. Les éléments de preuve montrent que les caractéristiques essentielles du tissu en question qui le différencient des tissus actuellement produits par Consoltex sont le coefficient de torsion élevé des fils et le fini caustifié du tissu. Ces variables ne sont pas sans conséquences. Leur effet est tel que le tissu en question semble avoir un toucher et un fini tout à fait spécifiques que peu d’autres fournisseurs offrent. De fait, dans l’exposé présenté au nom de l’ICT, on affirme que «fabric identical to the subject fabric is not known to be available from any country in the world except Japan [4] » ([traduction] on ne connaît pas un pays au monde, sauf le Japon, qui offre un tissu identique au tissu en question).

Selon les niveaux antérieurs des importations du tissu en question et les projections à cet égard fournies par Hémisphère, les principaux avantages issus de l’allégement tarifaire s’élèveraient à une somme inférieure de beaucoup à 100 000 $ par année si le tissu en question était passible de droits de douane en vertu du tarif NPF et si le volume des importations ou les prix ne fluctuaient pas davantage.

Consoltex n’a pas fourni de données sur les coûts ou les prix des tissus qu’elle produit actuellement et qui, selon elle, sont substituables au tissu en question importé par Hémisphère. Par conséquent, le Tribunal n’a pu déterminer s’il existe effectivement des substituts viables au tissu en question. En outre, le Tribunal n’a pu calculer les coûts que les producteurs nationaux de tissus pourraient devoir engager si la demande d’allégement tarifaire d’Hémisphère était accordée. Les renseignements que Consoltex a fournis montrent que les vêtements de sport pour femmes fabriqués à partir d’un tissu prétendument substituable de sa propre production sont vendus au détail à des prix cibles beaucoup plus bas que ceux des vêtements de sport pour femmes d’Hémisphère fabriqués à partir du tissu en question.

Par ailleurs, le coût pour Hémisphère du tissu en question, même après la suppression des droits de douane, demeurerait plus élevé que le prix auquel Consoltex dit qu’elle vendrait le tissu identique au Canada si elle incluait ce tissu dans sa gamme de produits. En effet, selon l’ICT, à cause des augmentations de la valeur du yen, le prix rendu du tissu en question en mai 1995 aurait été de 30 p. 100 plus ?E9‚levé qu’en janvier 1994.

Manifestement, le prix n’est pas, à lui seul, une incitation suffisante pour amener Hémisphère à acheter des tissus produits au pays. Le fait qu’Hémisphère est disposée à payer une prime pour le tissu en question a plutôt tendance à lui donner raison lorsqu’elle affirme que les tissus nationaux ne sont pas substituables au tissu en question sur le marché où elle soutient la concurrence.

En résumé, le seul producteur canadien qui affirme pouvoir fabriquer un tissu identique au tissu en question reconnaît qu’il ne le fait pas à l’heure actuelle. De fait, il est précisé dans l’exposé de l’ICT qu’on ne connaît pas un pays au monde, sauf le Japon, qui offre un tissu identique au tissu en question. Consoltex fait remarquer que, pour produire ce tissu, elle devra importer des fils et les faire torsionner au Canada selon le nombre requis de tours par mètre, acheter du matériel spécialisé «de réduction du poids», qu’elle ne possède pas actuellement, afin de pouvoir reproduire le fini caustifié du tissu en question, et recevoir des commandes pour des volumes minimaux non précisés afin de pouvoir produire le tissu en question.

Dans les circonstances, les éléments de preuve indiquent que Consoltex n’aurait pas à engager de coûts, pour l’instant, par suite de la suppression des droits de douane. Par ailleurs, Consoltex a les connaissances spécialisées et presque tout le matériel nécessaire pour produire des tissus identiques à celui pour lequel un allégement tarifaire a été demandé. À cet égard, Consoltex a fait remarquer dans son exposé déposé auprès du Tribunal qu’elle envisage la possibilité d’acheter le matériel qu’elle ne possède pas à l’heure actuelle, et sans lequel elle ne peut produire le tissu en question.

Si Consoltex va de l’avant avec cette acquisition, et si elle demande l’ouverture d’une enquête aux termes de l’alinéa 18(1) des Lignes directrices relatives à la saisine sur les textiles du Tribunal aux fins de recommander la modification d’une ordonnance avant l’expiration de cette ordonnance, le Tribunal sera en mesure d’ouvrir cette enquête. Cependant, afin d’assurer un degré de stabilité financière à Hémisphère ou à tous les autres fabricants de vêtements qui veulent utiliser le tissu en question, le Tribunal recommande que l’allégement tarifaire soit accordé pour une période de trois ans.

RECOMMANDATION

À la lumière de ce qui précède et des éléments de preuve au dossier, le Tribunal recommande au Ministre, par la présente, de supprimer pour une période de trois ans les droits de douane sur les importations, en provenance de tous les pays, du tissu en question entrant dans la production de vêtements de sport pour femmes.

Raynald Guay
_________________________
Raynald Guay
Membre présidant


Lise Bergeron
_________________________
Lise Bergeron
Membre


Lyle M. Russell
_________________________
Lyle M. Russell
Membre


1. L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.).

2. L.R.C. (1985), ch. 41 (3e suppl.).

3. Pièce du Tribunal TR-94-005-11.1, dossier administratif, vol. 3 à la p. 32.

4. Pièce du Tribunal TR-94-005-41, dossier administratif, vol. 5 à la p. 29.


[ Table des matières]

Publication initiale : le 28 août 1996