VÊTEMENTS PEERLESS INC.

Enquêtes


RAPPORT AU
MINISTRE DES FINANCES
DEMANDE D’ALLÉGEMENT TARIFAIRE DÉPOSÉE
PAR VÊTEMENTS PEERLESS INC.
CONCERNANT
CERTAINS TISSUS DE LAINE VIERGE
ET DE POILS FINS
LE 20 FÉVRIER 1998

TABLE DES MATIÈRES


Demande No : TR-96-005



Membres du Tribunal : Raynald Guay, membre présidant
Robert C. Coates, c.r., membre
Arthur B. Trudeau, membre


Directeur de la recherche : Réal Roy


Gestionnaire de la recherche : Paul R. Berlinguette


Avocat pour le Tribunal : John L. Syme


Agent à l’inscription
et à la distribution : Claudette Friesen

Adresser toutes les communications au :

Secrétaire
Tribunal canadien du commerce extérieur
Standard Life Centre
333, avenue Laurier Ouest
15e étage
Ottawa (Ontario)
K1A 0G7

INTRODUCTION

Le 14 juillet 1994, le Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) a reçu du ministre des Finances (le Ministre), aux termes de l’article 19 de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur [1] , le mandat [2] de faire enquête sur les demandes présentées par les producteurs nationaux qui souhaitent obtenir des allégements tarifaires sur les intrants textiles importés dans le cadre de leurs activités de fabrication et de formuler des recommandations au Ministre concernant ces demandes.

Conformément au mandat confié par le Ministre, le Tribunal a reçu le 18 juin 1997, de la société Vêtements Peerless Inc. (Peerless), de Montréal (Québec), une demande révisée [3] de suppression, pour une période indéterminée, des droits de douane sur les importations en provenance de tous les pays de tissus de fils peignés ou cardés, entièrement constitués de laine vierge et de poils fins, contenant au moins 10 p. 100 en poids de poils fins, tel qu’il a été certifié par l’exportateur, d’un poids excédant 140 g/m2 mais n’excédant pas 300 g/m2, du numéro tarifaire 5111.11.90, 5112.11.90 ou 5112.19.91 de l’annexe du Tarif des douanes [4] , devant servir à la confection de complets, de vestons, de blazers et de pantalons pour hommes (les tissus en question).

Le 16 juillet 1997, convaincu que le dossier de la demande était complet, le Tribunal a publié un avis d’ouverture d’enquête qui a fait l’objet d’une large diffusion et a paru dans la Partie I de la Gazette du Canada du 26 juillet 1997 [5] .

Dans le cadre de l’enquête, le personnel de la recherche du Tribunal a envoyé des questionnaires aux producteurs potentiels de tissus identiques ou substituables aux tissus en question. Une lettre a été envoyée au ministère du Revenu national (Revenu Canada) pour obtenir des renseignements sur le classement tarifaire des tissus en question, et des échantillons ont été fournis aux fins d’analyse en laboratoire. Des lettres ont également été envoyées à plusieurs autres ministères gouvernementaux en vue d’obtenir des renseignements et des avis.

Un rapport d’enquête du personnel, résumant les renseignements reçus des ministères susmentionnés, de Peerless et d’autres parties intéressées, a été remis à ces parties intéressées qui avaient déposé des actes de comparution dans le cadre de la présente enquête, devenant ainsi « parties » à la procédure.

Aucune audience publique n’a été tenue dans le cadre de la présente enquête.

RENSEIGNEMENTS SUR LES PRODUITS

Peerless importe présentement les tissus en question de l’étranger. Les tissus servent ensuite à la confection de complets, de vestons, de blazers et de pantalons pour hommes. Toutes les activités de coupe, de couture, d’apprêtage et de contrôle de la qualité des produits finals se font à l’usine de Peerless, à Montréal.

Au 1er janvier 1998, sous réserve de l’exception énoncée ci-après, les tissus en question sont passibles de droits de douane de 16 p. 100 ad valorem, mais ne doit pas excéder 4,65 $/kg, en vertu du tarif NPF, de 4 p. 100 ad valorem, mais ne doit pas excéder 0,74 $/kg, en vertu du tarif du Mexique, et de 4 p. 100 ad valorem, mais ne doit pas excéder 0,71 $/kg, en vertu du tarif du Chili. Les tissus en question importés des États-Unis ou d’Israël entrent au Canada en franchise. Par ailleurs, le tarif NPF est toujours l’objet de réductions annuelles et diminuera jusqu’à 14 p. 100 d’ici à l’année 2004.

Dans le numéro tarifaire 5111.11.20 [6] , les tissus de laine cardée, d’un poids n’excédant pas 300 g/m2, contenant au moins 85 p. 100 en poids de laine ou de poils fins, d’une valeur de 5,98 $/m2 ou plus, devant servir à la fabrication de certains vêtements pour hommes, sont passibles de droits de douane de 5,5 p. 100 ad valorem en vertu du tarif NPF. Les tissus susmentionnés, s’ils sont importés des États-Unis, du Mexique, d’Israël ou du Chili, entrent au Canada en franchise.

OBSERVATIONS

Peerless fabrique des vêtements pour hommes au Canada depuis 1919. Il s’agit d’une société privée qui emploie plus de 2 000 travailleurs. À la suite de l’ALÉ, Peerless est devenue une société internationale de fabrication et de commercialisation qui fournit une vaste gamme de complets faits sur mesure à de grands détaillants aux États-Unis.

Dans ses exposés au Tribunal, Peerless a soutenu qu’il n’existe aucun substitut acceptable aux tissus en question et que les mélanges de laine et cachemire, laine et alpaga, laine et mohair et laine et poils de chameau sont plus attrayants pour le consommateur que les mélanges de laine et fibres synthétiques. Peerless a soutenu que les tissus en question sont nécessaires pour satisfaire un créneau du marché caractérisé par des vêtements faits de tissus européens de qualité supérieure. Il s’agit, selon Peerless, d’un créneau du marché qui connaît une croissance rapide, d’où la nécessité d’obtenir en franchise des tissus de laine et de poils fins; à défaut, les détaillants et les consommateurs se tourneront vers les vêtements importés.

Peerless a soutenu que, au cours des deux dernières années, elle n’a pas pu trouver de tissus identiques ou substituables au Canada pour répondre à ses besoins. En ce qui a trait aux tissus de fils cardés, Peerless a déclaré que deux des échantillons soumis par la société Victor Woolen Products Ltd. (Victor) ne sont pas de la même gamme de poids que les tissus en question et qu’aucun des échantillons ne contient de poils fins, ces échantillons étant plutôt des mélanges de laine et nylon. Peerless a souligné que, bien que la société CookshireTex ait l’intention de produire à l’avenir des tissus à prix plus élevés contenant des poils fins, ces derniers ne correspondent pas non plus à l’éventail de poids des tissus en question. De plus, Peerless a soutenu que Victor et CookshireTex sont présents sur les marchés des vêtements d’extérieur (blousons d’équipes de sports universitaires ou d’événements spéciaux ainsi que manteaux pour femmes) et qu’elles n’ont pas présenté d’éléments de preuve qui indiquent qu’elles desservent les fabricants canadiens de complets, de vestons, de blazers et de pantalons pour hommes. Quant aux tissus de fils peignés, Peerless a indiqué que quelques-uns seulement des échantillons fournis par la société Cleyn & Tinker Inc. (Cleyn & Tinker) répondent aux critères des tissus en question et que ces tissus représentent une faible proportion des ventes de ce producteur. Peerless a aussi soutenu que Cleyn & Tinker n’a pas fourni suffisamment de renseignements pour démontrer clairement qu’elle vend ses produits principalement aux fabricants de vêtements pour hommes.

Peerless a fait savoir que toute la production nationale de tissus prétendument identiques ou substituables se vend à des prix inférieurs aux prix des tissus en question. De plus, selon Peerless, si des tissus identiques ou substituables étaient disponibles auprès des fabricants de textiles canadiens, ces derniers pourraient les vendre à des prix sensiblement majorés par rapport aux prix mondiaux puisque les fabricants canadiens de complets en laine pour hommes peuvent exporter leurs produits finis en franchise aux États-Unis lorsque lesdits produits sont faits de tissus fabriqués en Amérique du Nord. Peerless a souligné que, étant donné que les niveaux de préférence tarifaire [7] pour la laine sont présentement épuisés, tous les producteurs de tissus de laine assujettis à l’ALÉNA bénéficient d’une protection douanière d’au moins 40 p. 100 par rapport aux fournisseurs étrangers. Peerless a soutenu que, avec l’élimination du Programme des drawbacks sur les droits, elle sera désavantagée au niveau des prix si l’allégement tarifaire n’est pas accordé et a ajouté que ses ventes aux États-Unis pourraient être réduites à zéro.

Peerless a soutenu que la suppression des droits de douane sur les importations des tissus en question réduirait ses coûts, augmenterait le nombre d’emplois, lui permettrait de concurrencer d’une manière effective les produits finis importés et lui permettrait d’accroître son chiffre d’affaires. Selon Peerless, ces avantages seraient transmis aux consommateurs. Si l’allégement tarifaire est accordé, Peerless a proposé que la teneur minimale en fibres soit certifiée par l’exportateur. Cela, selon Peerless, correspond à une procédure établie, en vigueur depuis des années. Peerless a aussi souligné que l’industrie textile a obtenu l’allégement tarifaire en vertu de codes tarifaires qui ne mentionnent pas les mots « vierge », « première qualité » ou « prix cible ». De plus, Peerless a souligné que le code 4210 de l’annexe II du Tarif des douanes (1997) inclut un renvoi à la laine « vierge ». Peerless a déclaré qu’elle ne ferait pas opposition à la suppression du terme « vierge » dans une quelconque description.

Enfin, Peerless a soutenu qu’elle ne devrait pas être limitée ni pénalisée de quelque façon parce qu’elle a pris l’initiative de déposer plusieurs demandes d’allégement tarifaire qui peuvent se révéler avantageuses pour tous les fabricants de vêtements pour hommes.

Parker Brothers Textile Mills Limited (Parker Brothers)

Parker Brothers, de Trenton (Ontario), tisse, teint et apprête des tissus. Elle a déclaré qu’elle produit des marchandises substituables et que, en raison de sa capacité de production limitée, elle importe les tissus en question pour ajouter à sa gamme de produits. Sa clientèle se compose surtout de fabricants de vêtements pour femmes.

Parker Brothers appuie la demande d’allégement tarifaire présentée par Peerless et a déclaré que les droits de douane devraient aussi être supprimés sur les tissus similaires utilisés dans la production de vêtements pour femmes.

Weston Apparel Manufacturing Company (Weston)

Weston, de Toronto (Ontario), fabrique des complets, des vestons et des pantalons. Elle a déclaré qu’elle appuie la demande puisque la suppression des droits de douane sur les importations des tissus en question lui permettrait d’être plus compétitive et d’accroître ses ventes. Weston a déclaré qu’il n’existe aucun producteur national de tissus substituables. Elle a soutenu que les tissus en question sont de qualité supérieure, qu’il est facile d’obtenir des échantillons et que le volume minimal exigé pour les commandes est faible.

Cleyn & Tinker

Cleyn & Tinker, de Huntingdon (Québec), a été constituée en société en 1930. Elle est une entreprise à intégration verticale qui tisse et apprête des tissus qui sont constitués : 1) entièrement de laine peignée (p. ex., en se servant de fils peignés); 2) de laine peignée combinée à soit d’autres fibres naturelles (p. ex., mohair, cachemire et soie), soit des fibres synthétiques ou artificielles; 3) de mélanges de polyester, viscose, soie et lin. Sa capacité de production globale est de 7 millions de mètres linéaires et elle emploie 650 travailleurs. Elle vend principalement aux fabricants de complets, de vestons, de blazers, de gilets et de pantalons pour hommes et une proportion d’environ 45 p. 100 de sa production est exportée, surtout aux États-Unis.

Cleyn & Tinker possède aussi une filiale en propriété exclusive aux États-Unis qui exploite une installation de production limitée dans l’État de New York. Les tissus qui y sont produits sont destinés à la vente aux fabricants américains de vêtements pour hommes et pour femmes ainsi que d’uniformes.

Cleyn & Tinker a soutenu qu’elle produit une vaste gamme de tissus peignés qui font directement concurrence aux tissus décrits dans la demande de Peerless. Les tissus de Cleyn & Tinker diffèrent de par leur teneur en fibres, leur construction, leur apprêt et leur poids, qui se situe entre 160 et 275 g/m2. La société dit changer plus du tiers de sa gamme de produits chaque année pour suivre les tendances de la mode.

Cleyn & Tinker s’oppose à la demande de Peerless parce que l’allégement tarifaire, s'il était accordé, aurait une incidence importante sur sa production et ses ventes de tissus concurrents. Cleyn & Tinker a déclaré qu’elle produit des tissus identiques ou substituables. Elle a soutenu qu’il se livre une très vive concurrence sur le marché de ces types de tissus et qu’une différence de quelques sous le mètre peut suffire pour perdre ou gagner un client. Elle a ajouté que si l’allégement tarifaire était accordé, les clients feraient pression sur elle pour qu’elle s’aligne sur les moindres prix ou achèteraient les tissus en question à la place de ses tissus. Cela, selon Cleyn & Tinker, placerait la société dans une position intenable aux plans des marges bénéficiaires et de la rentabilité et saperait sa capacité de maintenir une production de tissus concurrents.

Cleyn & Tinker a aussi soutenu que Peerless a un avantage sur le marché américain vis-à-vis les producteurs de vêtements des États-Unis puisque les tarifs canadiens sur les tissus de laine importés de pays non parties à l’ALÉNA sont sensiblement moindres que les tarifs NPF des États-Unis et que les taux de droits de l’ALÉNA (en vertu des niveaux de préférence tarifaire) sur les importations aux États-Unis de vêtements pour hommes sont beaucoup plus faibles que les taux de droits NPF des États-Unis sur les vêtements pour hommes. De même, Cleyn & Tinker a déclaré que Peerless continue d’être admissible au drawback total des droits sur les intrants provenant de pays non parties à l’ALÉNA utilisés dans la fabrication des vêtements exportés aux États-Unis aux taux de droits NPF.

CookshireTex [8]

CookshireTex, de Cookshire (Québec), a été créée en 1943. Il s’agit d’une entreprise de production de tissus à intégration verticale. Elle produit des fils à partir de matières premières comme la laine, les fibres synthétiques ou les poils fins, pour ensuite teindre et apprêter les tissus. Grâce à des investissements réguliers, CookshireTex a augmenté sa capacité de production ainsi que ses compétences. À l’origine, elle ne produisait que des tissus de melton et de flanelle alors qu’aujourd’hui, elle produit toute une gamme de tissus de laine cardée (p. ex., en se servant de fils cardés) faits uniquement de laine et de laine combinée avec soit d’autres fibres naturelles, soit des fibres synthétiques ou artificielles. Elle vend ses tissus de laine cardée à des clients qui s’en servent pour confectionner des manteaux et des blazers pour hommes et pour femmes.

CookshireTex s’oppose à la demande d’allégement tarifaire sur les tissus de fils cardés, du fait qu’elle a les compétences et la capacité pour produire des tissus identiques ou substituables de m?EAˆme qualité. CookshireTex a déclaré que les échantillons de tissus qu’elle a soumis prouvent que des tissus identiques ou substituables peuvent être obtenus de la production canadienne. Elle a ajouté qu’il est également possible d’obtenir de tels tissus de fournisseurs américains, à de faibles taux de droits.

Victor

Victor, de Saint-Victor (Québec), a été fondée en 1947. Au fil des ans, elle est passée de la fabrication de fils en cardant la laine à des activités de tissage, de teinture et d’apprêtage. Victor est une exploitation intégrée dont les activités commencent par l’achat de laine et de fibres synthétiques. Elle fabrique des fils et produit ensuite des tissus à partir de ses propres fils. En outre, Victor teint et apprête les tissus.

Victor a soutenu qu’elle produit une vaste gamme de tissus, contenant de 30 à 100 p. 100 de laine. Les fils utilisés sont de la laine cardée, de titre fin à gros. Le poids de ses tissus varie de 220 g/m2 à plus de 1 000 g/m2, plus de 90 p. 100 de sa production étant des tissus de 300 à 500 g/m2. Leur largeur est en général de 150 à 154 cm.

Victor s’oppose aussi à la demande d’allégement tarifaire sur les tissus de fils cardés, présentée par Peerless, pour les raisons suivantes : 1) elle produit des tissus substituables qui entrent dans le champ d’application du numéro tarifaire 5111.11.90 et qui servent dans la confection de vêtements pour hommes et pour femmes; 2) Revenu Canada n’est pas en mesure de déterminer le pourcentage de poils fins contenus dans les tissus en question, de déterminer si ces poils sont des fibres de première qualité (d’un prix supérieur à 50 $/kg) ou des déchets de fibres (d’un prix inférieur à 10 $/kg) et de distinguer la laine vierge de la laine remanufacturée; 3) elle tente vigoureusement d’accroître son chiffre d’affaires et recherche de nouveaux débouchés sur les marchés du Canada et des États-Unis; 4) elle doit conserver sa part du marché afin de développer et de garder son exploitation au Canada; 5) il est possible d’instaurer un marché du vêtement de laine cardée vigoureux en Amérique du Nord si les fabricants de vêtements et les producteurs de tissus de laine cardée collaborent étroitement, au lieu de s’opposer les uns aux autres; 6) les fabricants de vêtements ont bénéficié de la libéralisation du commerce; 7) des emplois seront perdus en Beauce si la demande est accordée.

Victor a soutenu qu’il n’est pas clair si le terme « virgin » (« vierge »), contenu dans la version anglaise de l’avis d’ouverture d’enquête du Tribunal, s’applique aux poils fins tout autant qu’à la laine. Si tel n’est pas le cas, les types non vierges de poils fins, qui se vendent à des prix beaucoup plus bas, menaceraient une importante partie de la production de Victor. De plus, selon cette dernière, il existe des stimulants financiers particulièrement puissants dans le domaine des poils fins qui pourraient susciter une information trompeuse et l’attestation de l’exportateur, telle qu’elle est prévue dans l’avis d’ouverture d’enquête, n’est pas une mesure efficace d’exécution.

L’Institut canadien des textiles (ICT) a fait valoir que le fait que l’exportateur certifie la teneur minimale en poils fins n’est pas un moyen fiable d’empêcher les importations non admissibles d’entrer en franchise sur le marché canadien et d’empêcher le dommage que subiraient alors les producteurs de textiles canadiens. L’ICT a déclaré que l’étiquetage trompeur revêt un caractère endémique, comme le démontrent de récentes affaires aux États-Unis, et qu’il n’y a aucun moyen efficace de vérifier l’attestation donnée par les exportateurs. Puisque Revenu Canada se heurte à des contraintes techniques quant à l’administration de la disposition sur la « laine vierge », l’ICT a soutenu qu’il ne dispose pas non plus de la capacité technique de déterminer si les poils présents dans un tissu sont de première qualité. Si l’allégement tarifaire est accordé sur tous les tissus de laine et de poils fins indépendamment de la qualité des poils fins, alors l’entrée en franchise de tissus de qualité médiocre constituera, selon l’ICT, une menace pour l’industrie nationale. À cet égard, l’ICT a signalé que les tissus de fils cardés sont souvent faits de laine remanufacturée.

L’ICT a soutenu que, dans les faits, il n’existe pas un marché particulier pour les tissus en question, c.-à-d. pour les mélanges de laine et de poils fins. L’ICT a soutenu que les tissus en question sont des articles particuliers dans un vaste ensemble de tissus de laine peignée et de laine cardée qui sont en concurrence. Selon l’ICT, le consommateur, le détaillant ou l’utilisateur de tissus contenant au moins 10 p. 100 de poils fins ne peut détecter la présence, ou l’absence, de telles fibres.

L’ICT a souligné que tous les tissus de fils cardés importés par Peerless sont assujettis au taux de 5,5 p. 100 en vertu du code 4210 [9] . Étant donné le plafond qui s’applique aux taux des droits sur les tissus de fils peignés, l’ICT a soutenu qu’il n’y a aucun coût supplémentaire pour l’importateur qui passe des tissus uniquement en laine aux tissus en question. L 'allégement tarifaire, s’il est accordé, représenterait un nouvel et puissant stimulant financier pour passer des tissus de laine nationaux aux mélanges de laine et de poils fins importés en franchise.

L’ICT a soutenu que, contrairement à ce qu’affirme Peerless, les usines canadiennes produisent des tissus contenant des poils fins. L’ICT a déclaré que les tissus importés contenant de petites quantités de poils fins peuvent être substitués à la majeure partie de la production des usines canadiennes et que plus la proportion de poils fins dans les tissus importés est faible, plus ces derniers tissus concurrencent directement les tissus canadiens de laine à 100 p. 100.

L’ICT a aussi avancé que Peerless bénéficie déjà de bon nombre de mesures spéciales aux termes de l’ALÉNA et de la saisine sur les textiles et que les nombreuses demandes d’allégement tarifaire présentées par Peerless recèlent de nouveaux risques pour les producteurs de textiles nationaux et comportent des coûts pour toutes les parties intéressées.

Le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (Affaires étrangères et Commerce international Canada) a informé le Tribunal que le gouvernement du Canada impose des contingents sur les importations de tissus de laine peignée, y compris les tissus mélangés principalement ou uniquement avec de la laine peignée ou des poils fins, en provenance de la Bulgarie, de la République de Chine, de la République tchèque, de l’Inde, de la Pologne, de la Roumanie, de la République slovaque, de la République de Corée, de Taiwan et de l’Uruguay. Affaires étrangères et Commerce international Canada pourrait examiner une demande d’entrée en marge du contingent des intrants textiles si le Tribunal recommande l’allégement tarifaire.

Revenu Canada a fait savoir qu’il n’est pas en mesure d’identifier les diverses fibres de poils fins, particulièrement lorsqu’il s’agit d’un mélange avec d’autres poils fins ou de la laine. Il a par conséquent souligné qu’il ne peut déterminer avec précision les pourcentages en poids de poils fins et de laine. De plus, Revenu Canada a déclaré qu’il ne disposait pas des compétences techniques qui lui permettraient de distinguer la « laine » de la « laine vierge ». Il a précisé que l’allégement tarifaire, s’il est accordé d’après le libellé de l’avis d’ouverture d’enquête, n’entraînerait aucun coût en sus de ceux déjà supportés. Cependant, Revenu Canada a déclaré que l’addition de certaines conditions, p. ex., la détermination de la présence de laine vierge, pourrait entraîner la nécessité d’une analyse en laboratoire indépendante, qui entraînerait un coût supplémentaire.

ANALYSE

Aux termes de son mandat, le Tribunal est tenu d’évaluer l’incidence économique d’une réduction ou d’une suppression des droits de douane sur les producteurs nationaux de textiles et les entreprises en aval, et, à cette fin, de considérer tous les facteurs pertinents qui entrent en ligne de compte, notamment la possibilité de substituer les intrants textiles nationaux aux intrants textiles importés et la capacité des producteurs nationaux de desservir les industries canadiennes en aval.

La demande d’allégement tarifaire déposée par Peerless vise deux groupes de tissus, à savoir, les tissus de laine cardée et de poils fins, classés dans le numéro tarifaire 5111.11.90, et les tissus de laine peignée et de poils fins, classés dans le numéro tarifaire 5112.11.90 ou 5112.19.91. Peerless a soutenu qu’il n’existe aucune production nationale acceptable de tissus identiques ou substituables aux tissus en question. Essentiellement, Peerless a affirmé que, pour satisfaire au marché croissant des vêtements pour hommes faits de mélanges de laine et poils fins, elle a besoin de tissus de style européen de qualité supérieure. Cependant, deux producteurs canadiens, CookshireTex et Victor, ont affirmé avoir les compétences et la capacité pour produire des tissus de laine cardée et de poils fins identiques ou substituables, tandis que Cleyn & Tinker a indiqué qu’elle produit une vaste gamme de tissus de laine peignée et de poils fins qui sont identiques ou substituables.

Dans le passé, le Tribunal a reconnu que le type de fil, son numéro, la construction du tissu et diverses techniques d’apprêtage ajoutent des caractéristiques différentes aux tissus qui leur confèrent une apparence, un toucher et un tombant différents. Cet état des choses explique généralement les grands écarts de prix pour les différents tissus. Par exemple, les prix des tissus de laine combinée à des fibres synthétiques ou artificielles sont en général inférieurs aux prix des tissus faits à 100 p. 100 de laine vierge, et les prix des tissus de laine combinée à des poils fins sont en général supérieurs à ceux des tissus à 100 p. 100 de laine vierge. Les éléments de preuve au dossier [10] confirment, d’une façon générale, l’existence de ces différents prix cibles. Indépendamment des éléments de preuve susmentionnés, selon le Tribunal, l’étude des échantillons soumis dans le cadre de la présente enquête démontre clairement que les producteurs nationaux ont la capacité de produire des tissus de laine et de mélanges de laine de très grande qualité et qu’il devient de plus en plus difficile de déterminer la composition exacte des tissus et de distinguer, d’après le toucher et l’apparence, les tissus à 100 p. 100 de laine vierge des tissus de laine vierge combinée à un faible pourcentage de poils fins.

En ce qui a trait aux tissus de fils cardés, le Tribunal prend note que CookshireTex et Victor desservent généralement le marché des vêtements d’extérieur et que le poids de la plupart des échantillons de tissus soumis au Tribunal se situe à l’extérieur de la gamme de poids des tissus en question. Cependant, CookshireTex a soumis deux échantillons [11] contenant de la laine et du cachemire, d’un poids de 325 g/m2 et de 366 g/m2 respectivement. Les éléments de preuve portant sur les prévisions des ventes indiquent, de l’avis du Tribunal, la capacité de CookshireTex de produire des tissus fins de laine cardée acceptables pour le marché. De plus, CookshireTex a présenté un tissu [12] de laine mélangée avec du nylon, d’un poids de 244 g/m2. Victor a aussi indiqué qu’elle produit une vaste gamme de tissus de laine et de laine et nylon, dont certains ont un poids inférieur à 300 g/m2. Il est ainsi démontré que les producteurs nationaux disposent de la capacité et des compétences nécessaires pour produire des tissus de qualité de poids inférieurs. De plus, Victor a dit avoir accru sa capacité de production de plus de 40 p. 100 au cours des deux dernières années afin de suivre la demande du marché et que l’addition des installations de CookshireTex fait partie d’un plan qui vise non seulement à lui permettre de répondre aux futurs besoins de production, mais aussi d’accroître son activité dans le segment des vêtements pour femmes [13] .

Le Tribunal estime donc que Victor, avec l’acquisition de CookshireTex, est en mesure de produire des tissus fins haut de gamme et d’approvisionner les fabricants tant de vêtements pour hommes que de vêtements pour femmes et, plus précisément, de répondre aux besoins de Peerless en ce qui touche les tissus cardés de laine et de poils fins dans les gammes de poids inférieurs.

Ainsi qu’il a été fait observer, s’ils satisfont aux exigences d’utilisation finale, les tissus de laine cardée, d’un poids n’excédant pas 300 g/m2, contenant au moins 85 p. 100 en poids de laine ou de poils fins, d’une valeur de 5,98 $/m2 ou plus, sont passibles d’un taux de droits de 5,5 p. 100 en vertu du numéro tarifaire 5111.11.20. La situation actuelle procure donc un certain allégement tarifaire aux importateurs de tissus cardés tout en offrant une protection tarifaire aux producteurs nationaux de tissus similaires.

En ce qui a trait aux tissus de fils peignés, les éléments de preuve au dossier convainquent le Tribunal que Cleyn & Tinker produit présentement des tissus peignés qui sont similaires ou substituables aux tissus en question. À cet égard, le Tribunal constate qu’il est difficile de détecter des différences importantes entre les tissus en question et les tissus prétendument identiques ou substituables [14] soumis par Cleyn & Tinker. De plus, le Tribunal prend note que de grands fabricants de vêtements pour hommes, qui concurrencent directement Peerless, achètent présentement du tissu à Cleyn & Tinker. Bien que le volume de production de la laine peignée combinée à des poils fins ne représente qu’une faible proportion de la production globale de Cleyn & Tinker, il est clair que cette dernière a la capacité technique de produire et de fournir des tissus de qualité contenant de la laine et des poils fins qui répondraient aux besoins particuliers de Peerless. En outre, puisqu’elle change plus du tiers de sa gamme de produits chaque année pour suivre les tendances de la mode, le Tribunal est d’avis qu’il s’agit d’une société à la fois dynamique et sensible aux besoins du marché.

Le Tribunal prend également note qu’en vertu du classement tarifaire actuel, les droits sur les tissus en question ne doivent pas excéder 4,65 $/kg en vertu du tarif NPF. Par conséquent, les importateurs de tissus peignés faisant l’objet de la présente enquête bénéficient d’un certain allégement tarifaire.

Peerless a soutenu qu’avec l’élimination du Programme des drawbacks sur les droits, elle sera désavantagée au niveau des prix si l’allégement tarifaire n’est pas accordé et que ses ventes aux États-Unis pourraient tomber à zéro. Le Tribunal fait cependant observer qu’un drawback total des droits de douane continue de s’appliquer aux exportations de vêtements vers les États-Unis assujetties au plein montant des taux de droits NPF (lorsque les niveaux de préférence tarifaire sont épuisés) [15] . Le drawback continue de s’appliquer aux exportations de vêtements non assujetties à l’ALÉNA. Puisque Peerless est un important exportateur de vêtements pour hommes vers les États-Unis, il semblerait que ses exportations vers les États-Unis, passibles des taux de droits NPF, soient admissibles au drawback des droits.

Dans l’ensemble, le Tribunal conclut que l’industrie nationale des textiles produit présentement des tissus similaires ou substituables ou a la capacité technique de produire des tissus identiques ou substituables. Le Tribunal est d’avis que les coûts que devrait supporter l’industrie nationale des textiles, si l’allégement tarifaire était accordé, l’emporterait sur les gains réalisés par les producteurs de complets, de vestons, de blazers et de pantalons pour hommes. La suppression intégrale des taux, en l’espèce, nuirait aux possibilités des producteurs de textiles canadiens de participer à ce marché croissant.

Dans son exposé, Parker Brothers a déclaré que, si le Tribunal recommande l’allégement tarifaire sur les tissus en question, la suppression des droits devrait aussi s’appliquer aux tissus qui servent à la confection de vêtements pour femmes. Le Tribunal fait observer que l’avis d’ouverture d’enquête ne faisait pas expressément mention de tels tissus. Si un producteur canadien souhaite obtenir un allégement tarifaire sur des tissus qui ne sont pas visés dans la présente enquête, il peut déposer auprès du Tribunal une demande accompagnée d’un dossier complet concernant de tels intrants.

RECOMMANDATION

Compte tenu des renseignements susmentionnés, le Tribunal recommande au Ministre, par la présente, de ne pas accorder l’allégement tarifaire sur les importations de tissus de fils peignés ou cardés, entièrement constitués de laine vierge et de poils fins, contenant au moins 10 p. 100 en poids de poils fins, tel qu’il a été certifié par l’exportateur, d’un poids excédant 140 g/m2 mais n’excédant pas 300 g/m2, du numéro tarifaire 5111.11.90, 5112.11.90 ou 5112.19.91, devant servir à la confection de complets, de vestons, de blazers et de pantalons pour hommes.

Raynald Guay
_________________________
Raynald Guay
Membre présidant


Robert C. Coates, c.r.
_________________________
Robert C. Coates, c.r.
Membre


Arthur B. Trudeau
_________________________
Arthur B. Trudeau
Membre


1. L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.).

2. Les 20 mars et 24 juillet 1996, et le 26 novembre 1997, le ministre des Finances a révisé le mandat.

3. D’autres modifications ont été déposées auprès du Tribunal le 3 novembre 1997.

4. L.R.C. (1985), ch. 41 (3e suppl.).

5. Vol. 131, no 30 à la p. 2111.

6. Antérieurement le code 4210 de l’annexe II du Tarif des douanes, 1997.

7. En vertu des niveaux canadiens de préférence tarifaire pour les vêtements, les articles bénéficient du traitement tarifaire préférentiel prévu à l'ALÉNA même s'ils comprennent des tissus qui ne sont pas nord-américains (c.-à-d. non originaires).

8. Le 3 octobre 1997, Victor a annoncé qu'elle avait signé une entente d'achat de Cookshire T ex.

9. Maintenant le numéro tarifaire 5111.11.20.

10. Protected Staff Investigation Report, le 7 novembre, 1997, pièce du Tribunal TR-96-005-50 (prot égée ) à la p. 9 , dossier administratif, vol. 2.

11. P ièces 17.5B e t 17.5F.

12. P ièce 17.5H.

13. Pièce du Tribunal TR-96-005-48 , dossier administratif, vol. 1 .

14. Par exemple, pièces 17. 4A, 17. 4B e t 17. 4C .

15. Voir l'annexe 303.6 de l'Accord de libre-échange nord-américain, signé à Ottawa (Ontario), les 11 et 17 décembre 1992, à Mexico, D.F., les 14 et 17 décembre 1992 et à Washington, D.C., les 8 et 17 décembre 1992 (en vigueur au Canada le 1er janvier 1994).


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Publication initiale : le 20 février 1998